L'occupation la plus ancienne du site du palais du Luxembourg, où siège le Sénat, remonte à l'époque romaine où un camp militaire faisait face à Lutèce et disparut probablement au cours du Vème siècle. Ensuite, planté de vignes on l'appela le Vaux Vert. Un château, construit au Xème siècle, semble-t-il par Robert le Pieux, en gardera le nom de Vauvert. Lorsqu'abandonné, ses ruines devinrent un lieu suspect, voire dangereux, il fit naître l'expression ?aller au diable Vauvert', qui persista bien au delà de l'occupation du lieu cette fois par des chartreux.
Au début du XVIIᵉ, Marie de Médicis qui n’aimait pas le Louvre au voisinage peu salubre des fossés et de la Seine, voulut acquérir un terrain assez vaste dans ce faubourg pour faire édifier un palais entouré de jardins à la manière des jardins Boboli de Florence. En 1612 elle acheta l’hôtel du duc François de Luxembourg et les huit hectares attenants. Dans les années qui suivirent, elle acquit ou échangea des terres avoisinantes pour agrandir son jardin, mais sans pour autant empiéter sur le domaine mitoyen des chartreux.
Au XVIIIᵉ siècle le palais et son jardin revinrent au comte de Provence, futur Louis XVIII, qui est obligé de vendre la partie ouest des jardins pour financer la restauration du palais ; mais toujours les chartreux s’obstinaient à rester, limitant le déploiement harmonieux des jardins vers le sud.
C’est la Révolution, avec la nationalisation des biens du clergé en 1789, qui les fit plier. Le couvent et ses dépendances représentant 26 hectares d’un seul tenant, furent vendus en 1792 et sous le Directoire fut ouverte la perspective des jardins jusqu’à l’Observatoire. Mais l’expansion superbe fut bientôt mutilée par les aménagements décrétés par Haussmann, avec les travaux de percement du Bd Saint-Michel et de rues transversales, accompagnés du lotissement de la pépinière et du jardin botanique.
Ce qui frappe encore aujourd’hui, c’est la
La dualité de ce jardin où se marient le style anglais sinueux et ombragé et l’ordonnancement à la française de la partie centrale avec sa perspective du Sénat vers l’Observatoire.
Mais il n'est pas de jardin, surtout à l'italienne comme l’avait voulu Marie de Médicis, sans eau. Aussi dès 1613 la reine fit-elle construire l’aqueduc qui amenait les eaux captées sur le plateau de Rungis*. Lors de l'extension des jardins au XIXᵉ siècle, d'autres ressources en eau furent nécessaires et l'on eut, avec l’avènement des pompes et réseaux modernes, recours aux eaux de la Seine. Au cours des dernières décennies, peut-être en raison de la pollution, c’est l'eau du réseau potable qui fut et reste utilisée et non plus l'eau de Seine. Mais les jardins ne disposaient que d'un réseau primaire peu ramifié, alimentant à la fois bassins, fontaines et bornes d'arrosage.
Aux jours les plus chauds de l’été, l’armée des jardiniers ne s’occupait plus que de dérouler et déplacer des tuyaux d’arrosage tout au long de la journée, dans la cohue des visiteurs et au détriment de l’entretien des jardins. La rigueur toute syndicale des horaires ne permettant pas de satisfaire à la logique agronomique de l'arrosage nocturne et à la quiétude des visiteurs diurnes...
La surveillance d'un signe de flétrissement de chaque massif, de chaque pelouse et l’arrosage en urgence mobilisaient trop de monde. L’arrosage sans discernement, faute de moyens de contrôle et aux heures les plus chaudes du jour, occasionnait une consommation monstrueuse.
Au début des années 70, les grands parterres sous les fenêtres du Sénat furent équipés d'un réseau d’arrosage enterré, mais géré manuellement, avec toujours l’arrosage de jour (figure 2).
Cela restait mauvais pour la végétation, qu'elle soit de pelouse ou florale, et par la demande trop forte, occasionnait des chutes de pression sur le réseau général. De toute façon, jusqu’à la fin de la décennie, il n’existait pas d’équipements adaptés à une bonne gestion de l'eau dans les parcs et jardins urbains. Culturellement et techniquement, il était aussi hors de propos de rapprocher l’irrigation des jardins publics de celle de l’agriculture ou de celle des terrains de golf.
Ce n'est que dans le début des années 80, la crise économique aidant et les techniques d’exploitation évoluant, que l’on commence sérieusement à se poser des questions sur les coûts et les solutions économiques à envisager. Il fallut aussi que s’y ajoute la prise de conscience des problèmes environnementaux et la surenchère de l'eau...
Sur les 23 hectares du site, 8,5 ha sont en pelouse (6 ha) et en massifs floraux et arbustifs, et nécessitent une irrigation parfaitement contrôlée pour assurer la pérennité et la beauté de la végétation.
Au début des années 90, ces 8,5 ha nécessitaient en moyenne près de 130 000 m³ d'eau par an. En 1996, année à pluviométrie très proche des années précédentes, 45 000 m³ ont suffi.
(9) voir histoire d'eau sur la Bièvre dans le n° 204
Que s’est-il donc passé pour atteindre en si peu de temps une économie de 65 % sur cette consommation d’eau ?
Il y a d'abord eu un formidable chantier réalisé en trois tranches annuelles de 1993 à 1995, puis un changement complet de la gestion de l'irrigation grâce à une automatisation poussée pilotée par un process informatisé.
Le chantier en soi n’était pas pharaonique, il ne s’agissait après tout que d’enterrer un réseau dense de conduites avec des chambres de répartition munies d'électrovannes télécommandées. Cependant la conception adaptée diffère d’un réseau de distribution urbain, agricole ou encore d'irrigation de terrain de golf. Bien que ce dernier, dans sa structure et son automatisation, soit le plus proche de ce qu’envisageait la Conservation des jardins du Luxembourg ; mais un “green” ne se gère pas du tout comme un parc-jardin urbain et l'installation technique diffère tout comme la gestion de l'eau.
Un bureau d’étude spécialisé a été consulté pour définir conjointement les objectifs, les contraintes, les techniques à utiliser et l’évaluation financière du projet. Les appels d’offre ont été enlevés par la société Mator pour les deux premières tranches, puis la société Sirev pour la troisième, toutes deux spécialisées en installations d’arrosage automatique en jardins et parcs urbains avec intégration paysagère.
La principale contrainte caractérisant ce chantier était d’une part de limiter la gêne du public, d’autre part, surtout de restituer le site immédiatement esthétique et fréquentable dès la réouverture de chaque lot après chantier.
Il fallait limiter l’empiètement des engins de creusement, épargner la bande de gazon de chaque tranchée, disposer la terre excavée sur une géomembrane afin
de ne pas détériorer le gazon mitoyen (figure 3) et disposer rapidement les éléments du réseau enterré. Le rebouchage de la tranchée, avec tassement contrôlé et déroulement de la bande de gazon épargné devait être assez rapide pour qu’aucun dépérissement de la couverture végétale concernée n’apparaisse. Dans les massifs d’arbustes, tout ce travail a été réalisé à la main.
La demande en eau différant fortement entre les bordures et massifs floraux, les massifs d’arbustes et les pelouses, les voies d’arrosage sont complètement séparées. Ainsi une même ligne d’arrosage comprend plusieurs voies. Le réseau hydraulique est accompagné de réseaux électriques d’alimentation et de commande des électrovannes disposées dans des regards de partition des lignes et voies d’arrosage. De plus les “nourrices” ou lignes principales d’arrivée d’eau sont munies de vannes manuelles quart de tour (figures 4 et 5). Les principaux raccordements de tuyaux sont encadrés de manchons limitant l’effet des coups de bélier (figure 6).
L’ensemble est alimenté en eau de ville par une station de surpression munie d’un disconnecteur évitant d’éventuels retours d’eau dans le réseau de ville. Toute l’installation est ainsi sécurisée aussi bien en interne qu’en externe.
De même que les voies sont différenciées en fonction des trois types de végétation à arroser, les points d’aspersion sont équipés soit “d’arroseurs” à jets tournants pour les pelouses, soit de “tuyères” à jet fixe pour les massifs floraux et les massifs d’arbustes.
Les arroseurs couvrent une aire à 360°, ainsi que les tuyères en centre de pelouse, tandis que les tuyères de bordure n’aspergent que dans un champ de 180° ou de 90°. Selon la surface et la géométrie des zones à irriguer, les asperseurs sont distants de 4,5 à 10 m. Leur durée d’aspersion est fonction de leur débit et de la pluviométrie demandée. Ainsi, pour une même pluviométrie, ils peuvent tourner de 30 à 90 minutes.
La gestion centralisée a été élaborée sur la base du logiciel Aqualog de Sadimato. Bien qu’entièrement automatisée, la gestion centralisée n’est pas asservie à la surveillance de paramètres locaux. Deux facteurs propres s’y opposaient : d’abord l’hétérogénéité des sols du parc constitués de matériaux rapportés de différentes origines et natures. Ensuite l’hétérogénéité culturale : la variété des groupes végétaux, gazons, plantes florales et arbustes (les arbres ne sont pas arrosés par le réseau automatique), et leur répartition spatiale ne ressemblent en rien à une monoculture irriguée.
Donc pas d’asservissement du système à des hygro-thermomètres, pluviomètres et autres capteurs agro-météorologiques, bien que le site ait une station météo ; pas de contrôle a priori de la réserve (d’eau du sol) facilement utilisable par la végétation (RFU) ni de son évapotranspiration (ETP en mm).
Mais cette automatisation n’est pas aveugle. Si l’organisation de la fréquence d’arrosage et de la rotation hebdomadaire des secteurs est totalement automatisée, le dosage quotidien de la pluviométrie distribuée est corrigé chaque jour en fonction de l’information de Météo France sur l’ETP. Météo France la calcule sur les relevés agro-météorologiques régionaux de la veille, mais la Conservation des jardins du Luxembourg corrige cette donnée en fonction de ses propres observations avant de la rentrer dans l’ordinateur de gestion.
Enfin, un coefficient pondérateur est affecté à chaque voie d’arrosage pilotée par son électrovanne qui augmente ou diminue cette valeur moyenne attribuée chaque jour pour mieux “coller” à la demande réelle du terrain (figures 7 et 8). Un volucompteur, installé en tête de réseau et relié à l’ordinateur, permet de comparer la quantité d’eau réellement consommée dans la nuit à celle calculée par le programme de l’ordinateur et de
détecter ainsi les éventuelles fuites ou anomalies de fonctionnement.
Bien que très déployé, le réseau n'est pas conçu pour arroser les 8,5 ha en une seule nuit, aussi le programme d’arrosage est hebdomadaire et tournant : les pelouses sont arrosées trois fois par semaine, les massifs et bordures de fleurs deux fois par semaine (trois fois pendant les fortes chaleurs) et les massifs d’arbustes une fois par semaine.
Bien sûr, toutes les séquences d’arrosage sur les trois types de voies sont nocturnes, ce qui représente un grand bénéfice physiologique pour la végétation, ainsi qu'une très nette réduction de l’évaporation par rapport à l’aspersion diurne. Aujourd’hui, la perte d’eau non consommée par les plantes est essentiellement due à l’infiltration vers la nappe souterraine. Seules les pluies violentes occasionnent un ruissellement qui parvient aux égouts.
En fonction de quoi le Service de conservation des jardins du Luxembourg a pu négocier à la baisse son contrat de distribution en obtenant une détaxe pour non rejet à l’égout.
Ainsi l'économie déjà quantitativement exceptionnelle est encore plus frappante en termes financiers : en 1993, le prix contractuel du m³ fourni par la Société Parisienne des Eaux était de 12,50 F. Il est aujourd'hui de 5,50 F/m³.
Ajoutons à l’économie d’eau et à son abattement tarifaire une économie de main-d’œuvre considérable et l'on devine sans peine que l'installation sera très rapidement amortie.
Quant au public, il peut être totalement satisfait. Après une gêne localisée et limitée durant le chantier, il jouit maintenant d'un parc dont la verdure et l’éclat floral sont mystérieusement constants, dont les jardiniers ne s’escriment plus au milieu de la foule avec des hectomètres de tuyaux. Seules les têtes de jets émergent de quelques centimètres au-dessus du gazon et quelques lignes non enterrées de goutteurs irriguent discrètement des haies peu gourmandes en eau.
Nous tenons à remercier le Service de la conservation des jardins du Luxembourg, et plus particulièrement Madame Carmine, ingénieur agronome, inspectrice des jardins, pour son aimable concours et le temps qu’elle a consacré à notre information.