La région de Los Alcores est située dans la zone méridionale de la plaine du Guadalquivir, en Andalousie occidentale, à une vingtaine de kilomètres à l'Est de Séville. Son identité régionale vient de sa structure topographique et géologique qui la distingue fortement de la «Campiña», zone intermédiaire entre la vallée alluviale du Guadalquivir et le piémont de la sierra de Morón. Sa particularité a induit depuis au moins le néolithique son développement historique, social, culturel et politico-administratif (Sancho Royo 1993). Dans cet article, on prendra l'eau de Los Alcores, l'un des quatre éléments de la création (Lacomba, Calvo 1993), comme fil conducteur pour nous rapprocher de la connaissance du lieu.
Alcor vient de l’arabe et signifie butte, léger promontoire. Los Alcores est un escarpement linéaire d’environ 30 km de long, approximativement parallèle au cours inférieur du Guadalquivir, avec une géologie nettement différenciée qui consiste en une bande de calcarénites qui émerge d’un milieu alluvionnaire d’origine fluviale.
Par , architecte, Université de Séville, auteur de l’introduction d’un ouvrage qui travaille notamment sur le rôle architectural et socio-culturel des patios dans l’habitat andalou et particulièrement sévillan.
Los Alcores décrit l’ensemble de promontoires et d’« escarpements » qui forment une cuesta ondulée et sur laquelle les bases humaines se sont installées depuis 3000 ans avant J.-C. (fig. 1)
Description de Los Alcores
Les calcarénites sont des calcaires coquilliers d’origine marine ou lacustre. La roche jaune est constituée de coquillages fossilisés de toutes tailles dont la nature démontre que la zone était une mer peu profonde durant la période Néogène de l’ère tertiaire. La couche de calcarénites repose sur d’épaisses marnes sableuses. Localement, « alcor » signifie aussi la propre roche qui constitue l’escarpement, avec laquelle on a construit les monuments et habitats de la zone depuis l’époque romaine. On en extrait aussi la terre claire, stérile, de couleur jaune intense, imperméable quand elle est très compactée, utilisée beaucoup pour les chaussées de la ville, dans ses parcs et jardins et dans les arènes où on lui a donné un nom nouveau : el albero.
La nature poreuse du sol de Los Alcores et sa topographie émergente facilitent l’infiltration et l’accumulation de l’eau de pluie dans le sol, comme s’il s’agissait d’une éponge enterrée. Cette nappe phréatique affleure tout au long de l’escarpement et provoque l’apparition de sources gravitaires et artésiennes de plus.
en plus nombreuses vers son extrémité inférieure ».
En effet, la dorsale des Alcores, depuis le point culminant (254 m) de Carmona à l'extrémité nord-est, s'enfonce doucement vers le sud-ouest jusqu'à une cote d'environ 45 m d'altitude à Alcalá de Guadaíra, tout près de Séville. Depuis cet alignement du nord-est au sud-ouest, le terrain descend peu à peu en terrasses jusqu'au Guadalquivir vers Séville. Vers l'est, Los Alcores dominent en corniche abrupte la plaine fertile, la « vega », de la rivière Corbones, qui naît approximativement à la cote 100 (fig. 2). Les extrémités de la dorsale sont délimitées par deux affluents du Guadalquivir, au sud le Guadaíra qui donne son nom à Alcalá, et le Corbones au nord.
Entre l'escarpement et la plaine du Guadalquivir, la zone appelée « Les terrasses » était couverte d'une végétation de type méditerranéen. Au siècle dernier, le bocage encore présent dans certains lieux – El Judío, Coto de la Plata, Gandul – a été remplacé par l'olivier et, très récemment, par des cultures de céréales et des urbanisations destinées aux résidences secondaires.
La vega était inondée pendant les pluies et devenait impraticable à cause de l'imperméabilité du sol argileux et de l'absence de déclivité. Avec les pluies torrentielles de l'hiver dernier, on a pu constater parfaitement combien les terres s'étaient transformées en mares et comment l'eau recouvrait le réseau de ruisseaux qui sillonnaient la plaine. Celle-ci était et reste l'un des sols les plus fertiles d'Europe (fig. 3).
L'escarpement qui domine la vega et les terrasses constitue une défense naturelle et a été le lieu idéal pour établir les habitats à partir desquels l'exploitation du territoire agricole a été développée. Le professeur Pedro Romero de Solís, l'un des plus brillants connaisseurs de Los Alcores et auteur d'un ouvrage capital « Carmona, histoire, culture et spiritualité » (1992) a suggéré que, vu la combinaison de circonstances et les évidences archéologiques, on peut affirmer que Los Alcores a été l'un des points de la Méditerranée où, pour la première fois, sont apparues les transformations culturelles que l'on a appelées la révolution néolithique.
En effet, « les évidences archéologiques du peuplement de Los Alcores ont commencé à la fin du néolithique et début de l'âge de cuivre – 3000 avant J-C environ, avec une série de villages de petites dimensions situés sur la corniche de l'Alcor et sur le flanc de l'escarpement » (Amores, 1993). Les pièces extraites des fouilles sont réunies aux antiquités pré-romaines du château de Luna, à Mairena del Alcor (Mayer, 1993).
On a identifié 13 localités ; certaines remontent à la période allant de 3000 à 1700 av. J-C., ce qui est un nombre extraordinaire dans une région approximativement droite, d'environ 30 km de longueur. Les localités sont situées, en général, près des sources ainsi que des passages naturels de la plaine fertile vers Les Terrasses, les « ports » de Los Alcores. Dans les périodes successives de la préhistoire – Bronze, fin du Bronze, Orientalisante, Ibérique – les gisements varient en nombre et quelquefois en lieu, bien que la distribution du territoire autour de l'escarpement de Los Alcores, sur les terrasses et la vega reste constante. Pendant la période « Orientalisante », sept localités ont été identifiées, « qui se distribuaient le territoire de manière équitable ; on y a reconnu des structures de défense dans quelques unes : Gandul, Carmona vers les extrémités, et Alcaudete au centre – ainsi que la présence de structures funéraires : dolmens, singuliers, princiers, qui dénotent une société aristocratique, fortement hiérarchisée » (Amores, 1993).
Pendant la période Ibérique l'activité diminue. C'est dans la période romaine (surtout sous le principat d'Auguste) que la région acquiert la structure territoriale et que l'on a donné des noms aux campagnes par le biais des lieudits, bases d'exploitation du territoire. Dans les archives des répartitions on observe que les utilisations du sol sont encore celles qui avaient été établies par les Romains. Dans la vega fertile, comme on l'a déjà dit, les cultures extensives de céréales. Sur l'escarpement, on trouve des noyaux de populations et aussi des vignobles et vergers, qui profitent de l'abondance d'eau. Enfin, sur les terrasses, on trouve principalement des pâturages boisés, c'est-à-dire une forêt méditerranéenne contrôlée subtilement par l'homme. Les trois écosystèmes sont complémentaires et forment un seul système.
thème économique et social de grand intérêt et de caractère relativement hors du commun. La vega donne la farine pour le pain, base de l’alimentation, en telle abondance que l’on appelle la plaine de Carmona « le silo de Séville ». Mais, ainsi que Fernand Braudel l’a démontré, il n’est pas possible de labourer la terre sans les bœufs, et rendre fertiles les vergers et les champs sans le fumier que ces animaux, et d’autres, produisent. Le bétail paissait dans les pâturages arborés qui fournissaient en plus d’autres produits : bois et charbon végétal, gibier, miel, fruits sauvages, fibres et verges pour les paniers... Les vergers de l’escarpement complétaient, avec des fruits et des légumes verts, l’économie du système (Amores 1993).
Au Moyen-Âge, Gandul, l’une des villes parmi les plus importantes de la région disparaît, remplacée par Alcalá de Guadaíra, de l’autre côté du rio qui lui donne son nom, et qui est aujourd’hui la plus importante de la région grâce à la proximité de Séville. Les fouilles actuelles montrent que son sol est l’un des lieux archéologiques les plus importants d’Espagne, incluant une ville romaine fortifiée, des forums et amphithéâtres, un ensemble de nécropoles qui l’entourent comme une couronne, avec de nombreuses tombes qui vont des dolmens de l’âge du Bronze à des mausolées romains et une ville moyenâgeuse, qui n’est pas superposée à la romaine, et dans laquelle il reste pratiquement une maison de maîtres, une paroisse et quelques moulins. Paradoxalement, son extension est telle que les recherches et sa conservation sont très difficiles.
La couche de calcarénites est assez mince, 50 m au maximum vers Carmona, et repose sur des marnes sableuses peu perméables. Ce n’est pas une formation pétrographique favorable à la formation d’un cours d’eau souterrain comme dans le Jura ou le Vercors en France. Mais la forme longiligne de l’aquifère des Alcores prête à cette image, puisque le peuplement ancien s’est fait le long de l’axe des sources.
À partir de l’époque moderne, Los Alcores comprennent quatre villes : du sud au nord – Alcalá de Guadaíra, déjà citée, Mairena del Alcor, El Viso del Alcor et Carmona. Alcalá a 50 000 habitants, Carmona 25 000 et Mairena et El Viso, 15 000 chacune. Mairena a pris de l’importance au temps de l’Islam en tant que forteresse. Son monument principal, le château de Luna, abritera le musée des vestiges pré-romains de Los Alcores, à partir de la collection de Jorge Bonsor. El Viso del Alcor trouve son origine, à l’époque chrétienne, de l’installation d’ermites franciscains.
Une rivière souterraine
Des autres dix ou quinze noyaux de population situés sur l’escarpement il ne reste que des vestiges peu visibles. On n’en a pas trouvé de comparables dans la vega ou sur les terrasses. L’alignement des villages sur l’escarpement fait que le professeur Amores compare cette insolite permanence de la structure territoriale à une répartition de l’habitat le long d’un cours d’eau. La clé de cette structure territoriale serait une rivière souterraine drainant la grande poche d’eau emmagasinée dans les strates de calcarénites qui composent l’Alcor. (fig. 4)
L’eau des Alcores
Le site d’Alcaudete
C’est un des lieux où les recherches archéologiques nous prouvent qu’il y a eu un noyau important de population à la fin de l’époque du Bronze. Elle formait, avec Carmona et Gandul, entre 3000 et 1700 av. J.-C., l’ensemble des trois places militaires les plus en vue de la région. La preuve en est l’imposante colline artificielle, tabulaire, qui domine la vega et qui s’appelle la « motilla (butte) de Alcaudete ».
Elle fait partie d’un ensemble plus important qui se trouve près de Los Alcores. Beaucoup d’entre elles ont été fouillées par Bonsor, Ramilla, Vientos, Parias, Alcantarilla…, on estime que les plus petites étaient des sépultures.
Le professeur Amores pense que celle d’Alcaudete avait un caractère militaire. Le sacré et le militaire étaient intimement liés sur l’ancien pourtour de la Méditerranée, ainsi que nous l’avons lu, par exemple, dans l’Iliade etc.
La butte est située sur le flanc méridional de l’escarpement, près de l’un des ports centraux de l’Alcor, là où naît un ruisseau qui a le même nom, arroyo Alcaudete, affluent du Salado, qui l’est lui-même du Guadaíra, lequel rejoint le Guadalquivir à l’aval de Séville. La structure militaire pouvait ainsi surveiller, en plus de la plaine fertile, les passages, l’eau et les installations qui en découlaient. Alcaudete signifiant « dernier moulin » en arabe (ceci indiquerait que l’utilisation agro-industrielle du lieu date de cette époque), les sources captées et canalisées alimentaient une série de moulins avant de devenir un vrai ruisseau à l’aval du dernier moulin.
Les moulins de Alcaudete
On trouve le premier moulin à côté de l’ermitage, situé sur le port et dédié à Santa María del Alcor, patronne des eaux (!). Un aqueduc depuis le niveau du port amène l’eau à une hauteur suffisante pour que sa chute mette en mouvement les
Roues hydrauliques du moulin avec suffisamment d’énergie.
En ce qui concerne les trois premiers moulins, la hauteur des canaux d’amenée (écluses) est d’environ trois étages. Dans le premier moulin, on trouve trois écluses. Au bout de chaque écluse, la conduite verticale, d’environ 50 cm de diamètre, est faite de pièces de céramique. Le bâtiment de chaque moulin, dont la structure, composée de briques pleines jointées de chaux et recouverte, spécialement sur les conduites, de mortier de chaux, est massive. La conduite débouche dans la partie inférieure édifiée au-dessus du cours d’eau et dans laquelle se situaient les machines et les meules qui servaient à moudre le grain.
Apparemment, les moulins d’Alcaudete étaient équipés de roues à axe vertical et pales en cuiller. On trouve des mécanismes de moulins dans de nombreux traités d’ingénierie ou d’architecture des débuts de l’époque moderne (par exemple : Juan de Herrera ou Juanelo Turriano). (fig. 6 : croquis d’un moulin – Musée hydraulique de Murcia).
La structure de ce moulin, voisin de l’ermitage, mesure environ 100 m de long et de 6 à 8 mètres de hauteur. Quand on descend 200 mètres plus bas vers la plaine, on trouve un autre bâtiment semblable. Il mesure environ 35 m de long et la hauteur des trois étages qui le composent est d’environ 12 m. Dans la partie basse on trouve les vestiges de la métairie où se situaient les moulins proprement dits (fig. 7, 8, 9). Encore 150 m plus bas, on trouve un troisième moulin, très semblable au précédent, bien que composé de deux étages. Le quatrième et dernier moulin dans la partie où l’escarpement perd de sa déclivité a besoin d’un aqueduc beaucoup plus long et son implantation décrit une ligne brisée afin de profiter au maximum de la topographie du talweg. Il atteint environ 200 m de longueur.
Les moulins sont dans un état lamentable, envahis par les mauvaises herbes, et les métairies détruites. Malgré cela, l’eau continue à circuler, cette année où il a tant plu, dans les deux derniers.
D’où vient l’eau qui animait ces quatre moulins ? Elle naît de l’Alcor, dans la partie supérieure du port. Une source naturelle a sûrement été canalisée et renforcée au moyen de galeries souterraines, que les Arabes appelaient du nom persan de « ganats » ou mines d'eau. Elles sont creusées dans les terrains rocheux pour drainer l’eau, comme c’est le cas à Al Alcor, permettant de la concentrer et de la conduire dans le sous-sol vers des points déterminés, villes, vergers, moulins, pour une utilisation plus intensive que celle que permettrait la nature sans l’intervention de l’homme.
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