C'est en tout cas l'histoire que vit Pierre-Percée, ses villageois et ses édiles, avec l'appui des services de l'État et de l'Agence de l'Eau.
Pierre-Percée « Haut », minuscule et joli village de 11 habitants, au pied des ruines du château du même nom, caché au milieu d'une forêt de sapins planté au détour de la route départementale qui grimpe au Donon, à quelques enjambées d'un belvédère qui domine la vallée de Celles, là où le Lac (1) prend forme.
Pierre-Percée « Bas », village tout en long (3,5 km) à la lorraine, 73 habitants, « les pieds dans l'eau » du bassin d'alimentation du futur barrage ; ici coule la Plaine.
Le « Bas » séparé du « Haut » : une distance de 3 kilomètres par la route.
Un village à deux étages
Anonyme comme bien d'autres « qui disparaissaient sans faire de bruit », avec une population âgée mais que le lac a brusquement réveillée et bousculée !
Événement qui a permis à M. le Maire, jeune retraité actif et plein d'idées, d'exprimer ses convictions et d'aider ses concitoyens à faire les bons choix : « Pas de marinas ici ! ». Le maire a convaincu son conseil que le « village en mourrait » et c'est le refus d'une grande zone de construction de 45 hectares, l'option d'un aménagement touristique léger, la procédure de classement du site de Pierre-Percée en cours.
, « maire par inadvertance » (dit-il), met son énergie et sa disponibilité au service de ce qu'il considère comme « l'affaire du siècle », entendez la lutte contre la pollution. « Nos villages manqueront d'eau si cela continue », d'où sa hâte à montrer l'exemple, et il le dit à ses administrés : « Un tout-à-l'égout vers le lac, une honte pour notre village ! »
Hier 15 litres, aujourd'hui 300 litres
Monsieur le Maire a donc entrepris l'assainissement de sa commune malgré une certaine réticence de ses habitants : « Pour ce que j'utilise comme eau !... ». « Hier 15 litres, aujourd'hui 300 litres ! » répond M. Boulanger. A priori, trois façons de résoudre le problème des eaux usées : se brancher sur Celles-sur-Plaine, c'est-à-dire 9 km de tuyaux, 2 stations de relevage et un lagunage ; ou construire 2 mini-stations d'épuration, en haut et en bas ; ou faire de l'assainissement autonome. En été, Pierre-Percée multiplie par dix sa population et, vers le lac, on attend un développement du tourisme « contact » (les touristes viennent au village le matin, repartent le soir). Et l'on sait qu'une petite station d'épuration supporte mal de telles variations de population, et que pour le lagunage, il faut de l'espace. Reste l'assainissement individuel : « Cela rend responsable, dans le cas collectif, c'est plus indolore et seule la commune apparaît concernée ».
Pourtant, avec son « haut » et son « bas », ses pentes, la nappe phréatique proche du sol (1 mètre) dans la vallée de la Plaine, Pierre-Percée n'avait rien des dispositions requises pour l'assainissement individuel. À tel point qu'une première étude (2) fut négative, mais il en fallait plus pour désarmer M. le Maire : « Prenons le problème à l'envers », a-t-il recommandé à ses concitoyens, « voyons où l'on peut faire de l'assainissement individuel et bâtissons là ». Du jamais vu, remettre le P.O.S. en question, modifier les zonages. En clair, la commune de Pierre-Percée ne veut pas de construction neuve là où l'assainissement autonome n'est pas possible : « Une démarche logique qu'on ne fait jamais. On construit, et après on regarde comment épurer ! ». Et M. le Maire de rappeler que dans le cadre d'un P.O.S., le maire est responsable de la délivrance du permis de construire et du certificat d'urbanisme. Les terrains doivent être viabilisés, y compris pour l'assainissement, « on oublie souvent cela ».
[Photo : Pierre-Percée.]
Il faudra informer
Donc, la seconde étude, commandée à la S.C.E.H., avait pour but de personnaliser l’étude des sols, parcelle par parcelle. Maisons et terrains ont été passés au peigne fin : un travail minutieux qui a porté sur trois zones d'études ponctuelles, prenant en compte l'existant et le futur.
« Pour montrer l'exemple », un premier réseau d’assainissement individuel faisant appel à la technique du tertre filtrant (3) rassemblera, à Pierre-Percée-Haut, les « gros pollueurs » : la mairie, la colonie de vacances, les hôtels.
En bas, une petite zone de loisirs est prévue en bout du lac inférieur (4) avec un embarcadère pour la voile. Toutes les maisons, en partie haute et en partie basse, auront leurs fosses septiques branchées sur un tuyau qui sera raccordé sur un tertre par un système de dépression sous vide.
Le long de la rivière La Plaine, c'est un peu plus compliqué. Pour mettre les maisons et les lotissements futurs hors-eau sur un sol filtrant, il faudra remblayer toutes les parcelles et cela ne pourra se faire qu’au sein d'une association foncière urbaine.
M. le Maire reconnaît que pour le moment, « tout cela passe mal » auprès des habitants mais qu’il faudra informer et « mettre les gens dans le coup ». L’avant-projet a été présenté aux habitants, « ensuite, nous réunirons chaque quartier en présence des techniciens et de l'Agence de l'Eau. On discutera de chaque maison, des tenants et aboutissants, des coûts, de la réhabilitation de l’existant, des fosses septiques. Il s’agit de savoir si on veut un village agréable ».
[Photo : Le tertre filtrant (Doc. CATED).]
Le financement ? « L'Agence de l’Eau Rhin-Meuse apportera 45 % du coût H.T., le Conseil Général 40 % et je pense qu’on s’orientera vers une péréquation entre les habitants pour les 15 % restants ».
L'exploitation ? « Cela se fera sous maîtrise communale mais cela pose des problèmes juridiques qu'il faudra faire évoluer ».
M. Boulanger veut faire de Pierre-Percée un village pilote : « pour engager un système, nous allons construire un nouveau mode d’assainissement que les villageois seront contents de faire visiter ». Car le maire ne veut rien cacher à ses administrés : il y aura des contrôles réguliers des systèmes individuels et cela coûtera de l’argent.
Pour que cela se passe sans heurts, des solutions techniques sont à trouver. M. le Maire a son idée là-dessus. Par exemple, utiliser des matériaux industriels standardisés donc moins chers : par exemple, délivrer un label « assainissement autonome » aux artisans poseurs qui accepteront de se « recycler », « pour éviter de monter une fosse à l’envers ». Par exemple, comme pour l'eau, le gaz et l’électricité, l’accès aux installations pour leur entretien peut se faire en bordure des propriétés ; les vidanges des fosses — tout comme on livre le fioul — peuvent s’effectuer depuis un puits extérieur à prise rapide ; pas besoin de démonter un terrain si les regards sont accessibles et faciles à manier, ou mieux, si des puits de prélèvement sont prévus.
Toutes réflexions dont M. le Maire compte faire part à la D.D.E. et à l'Agence de l'Eau. Il compte aussi leur dire qu’il voit déjà plus loin que les propres destinées de sa commune ; sa prochaine ambition : proposer aux Pouvoirs Publics et aux riverains « un contrat de rivière propre de la Plaine ».
« Pour remettre les pendules à l'heure des lacs et du tourisme » conclut-il.
(1) Le Lac : la construction du barrage de Vieux-Pré, par E.D.F., 50 millions de m³, débutée en 1981, se poursuit. L'aménagement est implanté en bordure de la vallée de la Plaine (Vosges) et de Badonviller, Pexonne, Fenneviller et Pierre-Percée (Meurthe-et-Moselle). L'aménagement a un double but : compenser les débits évaporés par la centrale nucléaire de Cattenom (part E.D.F. : 35 millions de m³) et soutenir les débits d'étiage de la Meurthe (part Agence de l'Eau : 15 millions de m³). Le plan d'eau, prévu pour fin 85, fera 270 hectares, 2 fois et demie le lac de Gérardmer.
(2) Une première étude faite par la S.C.E.H. (Société Civile d’Études Hydrologiques) qui avait déjà réalisé les études d’assainissement individuel du site d'Amfreville-la-Campagne (Bassin Seine-Normandie) et de la commune de Bermont (Bassin Rhône-Méditerranée-Corse).
Coût de cette première étude : 45 000 F, financée par l'Agence de l’Eau Rhin-Meuse.
(3) Tertre filtrant : lorsqu’une nappe est trop proche, ou lorsque le terrain est peu perméable, on épand en faisant appel à la technique du tertre filtrant : on réalise un lit filtrant au-dessus du sol en forme de tertre et on pompe la zone d’infiltration située au-dessus du niveau du sol.
(4) Lac inférieur : il s’agit du bassin d’alimentation du barrage de Vieux Pré.
D'après « Rhin-Meuse Informations » édité par l'Agence de l’Eau Rhin-Meuse