Le saumon : une longue histoire...
On sait que le saumon atlantique accomplit son cycle biologique d’abord en eau douce (dans sa phase juvénile), puis en eau salée (dans sa phase de grossissement) ; il retourne à sa rivière natale lors de sa phase de reproduction. C’est ainsi qu’un saumon né en France doit parcourir dix mille kilomètres pour accomplir son destin.
Après la dernière glaciation (qui remonte à 18 000 ans), les remontées de saumon constituaient déjà une ressource importante pour la survie des petits noyaux de populations qui habitaient notre pays. Les grottes de Dordogne ont gardé la marque des saumons gravée dans la pierre à côté des ossements de rennes, des coquillages marins et des pointes de flèches en silex !
Progressivement, la pêche s’est organisée et de nombreuses pêcheries ont été installées le long des fleuves et de leurs affluents, mais le développement de la civilisation industrielle a vu se multiplier les moulins, barrages et prises d’eau. Du fait de ces obstacles qui s’opposent à la remontée des géniteurs vers les lieux de frayère, les aires occupées par le saumon ont peu à peu régressé. Le développement de l’hydro-électricité a porté un coup fatal, dans de nombreux bassins, à la propagation des espèces de poissons migrateurs.
Néanmoins, dès 1865, une loi prévoyait la mise en place d’échelles à poissons. Dans une époque plus proche, des mesures complémentaires sont venues renforcer la protection du saumon et, en 1975, le C.I.A.N.E., devenu depuis le C.I.Q.V. (Comité interministériel de la qualité de la vie), prévoyait de porter un coup d’arrêt à la décroissance des effectifs du saumon atlantique observée depuis le début du siècle, par l’aménagement de dispositifs de franchissement sur les barrages. Au cours de cette période, plus de trente millions de francs de travaux effectués sur les rivières à saumon ont bénéficié à l’ensemble des espèces qu’on y rencontre.
Sur la période 1980-1982, il a été proposé un plan poissons migrateurs permettant de mobiliser les énergies sur un ensemble à forte valeur ajoutée que constituent les poissons grands migrateurs : esturgeons, aloses, lamproies, truites de mer, anguilles et saumons. De son côté, le plan quinquennal couvrant la période 1982-1986 a mis en avant la valorisation économique des rivières et plans d’eau à travers l’exploitation de ces poissons. Dans ce cadre, et par convention signée le 1ᵉʳ juillet 1982 avec les pouvoirs publics, Electricité de France participe à cet effort en rétablissant les ouvrages de franchissement sur ses barrages anciens : Bergerac, Golfech, Poutès-Monistrol : ce sont les passes à poissons.
Pour construire une passe à poissons, le constructeur en définit les caractéristiques selon divers paramètres, notamment : le type d’espèces migratoires, la hauteur du barrage et les conditions hydrauliques. Dans le cas de grands barrages, des ascenseurs ou des écluses sont le plus souvent utilisés ; s’il s’agit de barrages peu élevés, on opte pour des passes à ralentisseurs si les salmonidés sont les seuls poissons concernés, mais lorsqu’on se trouve en présence de poissons aux capacités natatoires limitées, comme les aloses, la meilleure solution est la passe à bassins successifs. C’est ce dernier type de dispositifs qui a été mis en place à Bergerac, et qui fonctionne sur la Dordogne depuis l’automne 1984.
La réalisation d’une passe à poissons efficace est une entreprise coûteuse et complexe ; elle fait appel à des compétences variées dans des domaines aussi divers que la biologie, l’hydrologie et le génie civil.
Voici le cas du barrage de Bergerac.
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La centrale hydro-électrique de Bergerac
Electricité de France a obtenu en 1966 la concession du site Bergerac — situé à 3 km de l’aval du vieux pont de Bergerac — sur lequel existait déjà une digue construite de 1850 à 1853 pour les besoins de la navigation.
La digue, d'une hauteur de 5 mètres, était constituée (en partant de la rive gauche) d’une chaussée de 165 m de longueur environ, d’une passe à sauter de 7 mètres de largeur, de deux échelles à poissons parallèles (en bois) et d'une écluse.
Le déclassement de la Dordogne en tant que cours d'eau navigable ayant conduit à désaffecter celle-ci, le site était particulièrement propice pour l'édification d'une petite centrale hydro-électrique, malgré la faible hauteur de chute (et de plus sujette à des variations importantes selon le débit de la rivière). L'aménagement réalisé comprend deux groupes de type « bulbe à pales fixes » d’une puissance unitaire de 725 kW.
[Schéma : Coupe du barrage] [Schéma : Coupe de la passe à poissons]Les transformateurs de sortie de groupes ainsi que l’ensemble de l’appareillage de contrôle-commande de la centrale sont abrités dans une salle étanche, celle-ci étant susceptible d’être submergée en cas de crue importante (plus de 1 200 m³/s). La production annuelle moyenne est de 9 millions de kWh. La mise en service industrielle a eu lieu le 1ᵉʳ novembre 1968. La centrale fonctionne de façon entièrement automatique.
Au cours de l'hiver 1976-1977, de forts débits ont provoqué l’ouverture d'une brèche. Cet incident a nécessité la réfection de toute la digue de juin à octobre 1977.
En 1984, la partie centrale (passe à sauter et échelles à poissons) a été restructurée ; elle comprend actuellement :
— un canal de décharge obturé par un clapet mobile hydraulique fonctionnant selon les besoins du système de dégrillage automatique ;
— une passe à poissons.
La prise d’eau a été équipée d’un défeuilleur EGA (à cycle automatique commandé par automate programmable) et d'une drome tendue entre la rive droite et l'extrémité amont de la passe à poissons.
La passe à poissons
L’ouvrage, construit en béton, est d'un modèle à fenêtres verticales latérales, d'une longueur de 73 m et d'une largeur de 7 m ; il comprend 14 bassins et une vanne hydraulique de réglage automatique de la différence de la hauteur d’eau existant entre le dernier bassin et la cote aval de la rivière. Le courant est ainsi fractionné en autant de sections, ce qui le ralentit suffisamment pour permettre aux poissons de le remonter.
sans difficultés. L'ouvrage a été achevé durant l'été 1984 ; il a coûté environ dix millions de francs dont 20 % ont été pris en charge par le ministère de l'Environnement. Sa construction a été précédée d'une étude sur modèle réduit effectuée par l'Institut de mécanique des fluides de Toulouse. Une maquette a été construite et testée pour étudier les conditions optimales d'attraction des poissons et repérer la distribution des courants dans la passe ainsi qu'à l'entrée et à la sortie. Le dispositif retenu est d'un type spécialement adapté au cas particulier de la Dordogne et à ses fortes variations de débit. Il comporte un piège permettant de capturer les migrateurs afin de les récupérer, et, dans un premier temps, de les transporter par camions vers des aires de repeuplement.
Dès sa mise en service le 3 mai 1985, la passe à poissons et le piège ont montré leur efficacité : au cours du mois, 479 aloses ont été prises, ainsi qu'une truite de mer et, hors saison, les deux premiers saumons provenant des alevinages effectués depuis 1979 en Dordogne ont été capturés. Une partie des saumons seront utilisés comme géniteurs à la pisciculture domaniale de Castels, les autres étant transférés en Dordogne au-dessus de Mauzac, pour leur permettre de se reproduire dans de bonnes conditions.
Avec les travaux similaires prévus en amont de Bergerac au barrage de Mauzac et à Tuilières dès 1988, les frayères très importantes situées en amont de Mauzac et à l'aval du barrage d'Argentat seront accessibles aisément. D'autre part, l'aménagement de la Vézère est à l'étude pour compléter ces équipements.
Le jumelage des rivières Dordogne et Jacques Cartier
S'il existe depuis longtemps une tradition de jumelage des villes et des pays destinée à multiplier les échanges à travers le monde, c'est pour la première fois que le 1ᵉʳ juin dernier deux rivières ont été jumelées : la Dordogne et la rivière Jacques Cartier au Québec.
Ce jumelage va permettre de confronter les expériences en matière de gestion et de restauration de rivières qui mobilisent, on le sait, beaucoup d'organismes publics et privés (une passe à poissons est également en construction sur la rivière canadienne) et de bonnes volontés individuelles. Ainsi les représentants français et québécois des collectivités locales, des départements et des régions, les organisations de pêcheurs (qui sont les premières concernées), des professionnels, des chercheurs, les associations de protection de la nature et de loisirs se rencontreront pour mettre en commun leurs idées, leur savoir-faire, leurs techniques, leurs matériels. Des échanges seront ensuite organisés entre des responsables des collectivités ou de la vie associative, des techniciens de la gestion, des chercheurs, des personnels de surveillance travaillant sur ces deux rivières.
La cérémonie s'est déroulée au cours de l'inauguration de la passe à poissons (dont la réserve faisait le plein d'énormes aloses), et c'est à Mme Huguette Bouchardeau, ministre de l'Environnement, qui la présidait, que revint la mission de dévoiler la plaque de bronze qui commémorera cet événement, et cela en présence de Mme Louise Baudoin, déléguée générale du Québec et du sous-ministre québécois « du Loisir, de la Chasse et de la Pêche », de M. Roland Dumas, ministre des Relations extérieures, de M. Martin Malvy, secrétaire d'État à l'Énergie, de M. Frenette, président de la rivière Jacques Cartier, de M. Brunet, président de la Fédération de pêche du bassin Adour-Garonne et des autorités préfectorales et municipales, au milieu d'une nombreuse assistance.
Cette journée voyait également la clôture du colloque franco-québécois qui s'était ouvert le 28 mai à Bergerac sur le thème de la restauration des rivières à saumon et dont de nombreux participants étaient également présents.
M. Guilhamon, directeur général d'Électricité de France, recevait, en sa qualité de maître d'œuvre, les félicitations de tous les orateurs pour cette réalisation exemplaire, en commençant par Mme Bouchardeau qui a encouragé les efforts menés par cet établissement public en vue de l'amélioration de l'environnement de ses centrales électriques, notamment en matière de pollution, en soulignant combien ce sujet préoccupe la population (on peut le constater par le fait que la loi du 28 juin 1984 a été, fait rare, votée à l'unanimité...).
Après que M. Harvey, représentant le ministre québécois, et M. Roland Dumas eurent magnifié les liens profonds qui ont uni les deux pays « en suivant les eaux mêlées de l'histoire » (R. Dumas) depuis 1534, année du débarquement de Jacques Cartier, cette aimable manifestation se termina au château de Montbazillac, où les Canadiens purent apprécier les mets et les vins du terroir.
R.G.