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Histoire d'eau : Le Rhin : le saumon revient

30 septembre 1993 Paru dans le N°166 à la page 132 ( mots)

Cet article est extrait du numéro de mai de la revue « Rhin-Meuse », grâce à l’amabilité de l’Agence de l’Eau Rhin-Meuse.

Cela fait plus de 50 ans « qu’il » n’a pas donné signe de vie... Le saumon a quitté le Rhin avant que ne se déchaîne la 2ᵉ Guerre mondiale. Prémonition ? disons plutôt : barrages, aménagements, surpêche et pollution.

« Il » revient : un saumon a été vu, il y a 3 ans, remontant le Rhin jusqu’en Allemagne dans la région de Bonn...

D’autres reprises de la vie dans le grand fleuve indiquent que « l’épine dorsale de l’Europe du nord-est » est en voie de pouvoir guérir. Un gage d’encouragement pour les États, les industries et les collectivités qui se sont engagés pour le Rhin et pour le retour des grands migrateurs.

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Remontons le temps... 250 000 captures de saumon (1) en Allemagne et aux Pays-Bas à la fin du XIXᵉ siècle, un record ! Mais le XXᵉ siècle est venu avec son lot de gros bateaux et, pour leur permettre de remonter et de descendre le fleuve eux aussi, on a « corrigé » le Rhin pour rendre son cours uniforme, détruisant les aires de vie (nourriture, repos, reproduction) des poissons migrateurs (2). On a construit des digues pour lutter contre les inondations, on a enroché et consolidé les rives, coupant ainsi le fleuve de ses bras morts, — « bras de vie », en réalité (3) —, des giessens (rivières phréatiques du Ried), des forêts et des prairies alluviales (4) qui constituent autant de milieux de vie indispensables à l’équilibre du fleuve. La quasi-totalité des zones alluviales entre Bâle et Karlsruhe ont ainsi disparu... Les obstacles se sont succédé ; les barrages et écluses érigés sur le Rhin ont fermé définitivement la porte aux poissons (5). On ne compte pas moins de 21 usines hydroélectriques sur le Rhin supérieur et sur le Haut-Rhin (et les turbines des usines qui ont tendance à passer « à la moulinette » les jeunes poissons). La Moselle a elle aussi été aménagée pour les gros bateaux (14 barrages mis en place).

La pêche intensive et incontrôlée d’autrefois, alors que le peuplement piscicole diminuait, a aussi ses responsabilités. Une gestion contractuelle commune, réglementée et contrôlée au niveau international (gestion ichtyo-biologique) devra être mise en place.

Le couloir rhénan concentre le plus grand nombre d’industries chimiques au monde et dans le bassin du Rhin vivent autant d’habitants que dans un pays comme la France ! On comprend que les eaux du Rhin, réceptacles de toute cette activité humaine et économique, n’ont cessé de se dégrader les soixante premières années de ce siècle. Rien de bien attirant pour le migrateur...

Il respire mieux

1986. C’est un peu la (triste) apogée de cette décadence. Elle va venir aux oreilles du monde. C’est l’accident dans l’usine Sandoz en Suisse. Le plus spectaculaire, qui mettra l’industrie chimique à la une de tous les journaux du monde. L'image des anguilles du Rhin, victimes de la pollution, reste dans toutes les mémoires. Mais « à toute chose, malheur est bon ! » Les ministres de l’environnement des pays riverains adoptent un an plus tard le Programme d’Action Rhin. Et tout naturellement, le saumon sera leur symbole. Les efforts consentis depuis par les États, les industries et les collectivités territoriales commencent à payer : les spécialistes observent que la santé du fleuve s’améliore ; il « respire » mieux car il est moins encombré de pollution organique ou toxique, comme les métaux lourds. La vie reprend dans le grand fleuve d’Europe : en 1990, les scientifiques ont répertorié 3 fois plus d’espèces qu’il n’y en avait en 1970. Des poissons migrateurs disparus comme la truite de mer, l’alose ou la lamproie marine commencent à retrouver le chemin du fleuve. En décembre 1990, on enregistra la première prise de saumon (6).

coquillages, mollusques...) fait partie aussi de la vie du fleuve (biocénose aquatique). Les invertébrés aquatiques, habitants des sédiments et des bords du fleuve, sont de bons indicateurs de la qualité de vie du fleuve. La qualité des eaux s'améliore, les invertébrés répondent présent.

Des oiseaux (le Rhin est une grande réserve d'Europe pour les oiseaux migrateurs), comme le garrot à l'œil d’or qui se nourrit de moules d'eau, sont désormais là dans le Haut-Rhin, indiquant « un bon état de santé général du Rhin ».

Ce vol d'optimiste qui donne raison à ceux qui se sont mobilisés pour la reconquête du fleuve ne doit pas masquer la voie à poursuivre. La mer du Nord est surnourrie et s’empoisonne de trop de phosphore et d’azote rejetés par les habitants — on se souvient de la mortalité massive des phoques. Les micropolluants organiques sont des fléaux qu'il faudra enrayer. Le programme écologique global du Rhin est une première. Sa réussite conditionne l’exemple à transposer à d'autres fleuves dans le monde. Mais la réalisation du plan « saumon 2000 » se traduit par des coûts énormes (7). La victoire est désormais possible mais les améliorations encore fragiles. Le Programme d’Action pour le Rhin aura vraiment réussi lorsque des migrateurs comme le saumon ou sa cousine la truite de mer viendront se reproduire dans le fleuve et ses affluents, et pourront y vivre.

Rendez-vous en l’an 2000.

(1) Autrefois, le Rhin était le plus grand et le plus important fleuve à saumons en Europe. Le saumon a longtemps été le gagne-pain des pêcheurs du Rhin. Le dernier saumon a été pêché en 1958 dans le tronçon suisse du Rhin.

(2) Le saumon est un migrateur « anadrome » : il quitte la mer pour retourner dans la rivière où il est né afin d’y frayer. Là, la femelle enfouit ses œufs dans le gravier. Les eaux doivent être assez riches en oxygène, pas trop chaudes et les courants faibles. Le jeune saumon passe deux ans en eau douce avant de dévaler le fleuve en direction de la mer. Le saumon atlantique migre à trois ans, vers les zones riches en nourriture situées au sud du Groenland. Trois ans après, il retourne dans son fleuve natal. En mer, le saumon vit sa croissance la plus importante. De retour dans le fleuve, il cesse de s'alimenter, il lui faut 6 à 12 mois pour atteindre les frayères (700 km de l’embouchure à Bâle). Beaucoup d'animaux, trop affaiblis, meurent après le frai.

(3) Dans les bras morts du Rhin, le nénuphar blanc, plante protégée, par exemple, pousse dans des eaux peu polluées ; l'iris de Sibérie, espèce menacée, fleurit les prés des vallées fluviales ; la salvinie, une fougère des eaux en voie de disparition, est présente encore un peu en Allemagne.

(4) Pour en savoir plus : « Fleuves, sources de vie », Monique Coulet Docteur ès Sciences, chargée de recherche au CNRS Université de Lyon I, labo d’écologie eaux douces.

(5) De nombreux barrages n’ont pas été équipés d'ouvrages de franchissement efficaces.

(6) Repéré dans la Bröl, affluent de la Sieg, elle-même affluent du Rhin, en Allemagne, près de Bonn. Ce saumon avait été déversé dans la Bröl, deux ans plus tôt. D'autres espèces menacées comme le spirlin, le barbeau, l'hotu, le flet ont été identifiées.

(7) Projet « restauration et repeuplement des habitats » ; coût total du projet : 40 886 600 ECUs ; participation communautaire : (50 %) 20 443 300 ECUs (dont mesures en France 10 678 500 ECUs ; en Allemagne : 2 594 000 ECUs ; au Luxembourg : 95 000 ECUs ; aux Pays-Bas : 219 100 ECUs ; CIPR (Relations Publiques) : 300 000 ECUs.

Projet « rendre les barrages franchissables » : coût total : 12 000 000 ECUs (barrages en France d'Iffezheim et de Gambsheim : 10 000 000 ECUs ; barrages en Allemagne de la Lahn 2 000 000 ECUs) ; participation communautaire : 5 % — 600 000 ECUs.

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