À la suite d'une étude menée dans le cadre du Programme National Récifs Coralliens (PNRCO), des chercheurs de l'IRD à Nouméa viennent de reconstituer l'histoire d'un récif corallien du Pacifique lors de la dernière déglaciation commencée il y a 20000 ans. Les résultats obtenus montrent que, grâce à un environnement globalement favorable, ce récif barrière situé à Tahiti, s'est développé sans discontinuité depuis 14 000 ans sous l'impact des variations du niveau de la mer. Il s'agit là de la plus longue croissance récifale continue dans le temps jamais étudiée par des scientifiques. Au-delà des connaissances fondamentales apportées sur la formation et la croissance des récifs coralliens en période postglaciaire, cette étude offre une meilleure compréhension de la réponse d'un récif à la remontée du niveau marin et, plus globalement, à l'impact que peuvent avoir les changements climatiques sur ces écosystèmes insulaires.
Au cours du Quaternaire, le niveau des océans a enregistré des variations sensibles en fonction des périodes de glaciation qui ont entraîné une diminution de leur niveau et de déglaciation qui, au contraire, ont provoqué une augmentation du niveau des océans. Le niveau le plus bas a été atteint lors du dernier maximum glaciaire, il y a 20 000 ans. Le niveau des océans était alors inférieur de 120 à 130 mètres à celui observé actuellement. Par la suite, la fonte des calottes glaciaires a favorisé une remontée progressive de la surface des eaux océaniques jusqu’à leur niveau actuel.
Les associations faunistiques et floristiques sont étroitement dépendantes de la profondeur, du degré d’éclairement et de l'agitation des eaux.
Sous les tropiques, ces fluctuations de grande ampleur ont contribué à la formation et à la croissance des récifs coralliens.
Grâce à une étude menée dans le cadre du Programme National Récifs Coralliens, des chercheurs de l'IRD viennent de reconstituer l'histoire d'un récif du Pacifique central sous l'impact des variations du niveau de la mer lors de ces 20 000 dernières années.
Pour cela, les chercheurs ont réalisé quatre forages à plus de cent mètres de profondeur dans le récif barrière de Tahiti. Ces forages ont été effectués dans la partie centrale du récif ainsi qu’à proximité de la passe de Papeete, à l’emplacement de l'ancienne embouchure d'une rivière. Ils ont ensuite effectué sur ces carottages des analyses sédimentologiques, morphologiques, radiochronologiques (datation des coraux) et paléoécologiques (analyse des organismes fossiles : coraux, algues, mollusques, etc.).
L'étude de la faune et de la flore fossiles a permis de reconstituer les diverses étapes du développement du récif barrière. En effet, les associations faunistiques et floristiques, étroitement dépendantes de la profondeur, du degré d’éclairement et de l’agitation des eaux, offrent des informations fondamentales sur les modalités de croissance d'un récif. Les résultats de ces analyses montrent que, grâce à un environnement globalement favorable, le récif corallien s'est développé sans interruption depuis 14 000 ans. Il s’agit là de la plus importante croissance récifale (80 mètres d’épaisseur) continue jamais étudiée par des scientifiques. C’est ainsi la première fois que, à partir de l'analyse de coraux fossiles, les fluctuations du niveau de la mer et les changements environnementaux induits par la déglaciation sur un récif corallien ont pu être déterminées sans discontinuité pendant un tel laps de temps.
La croissance récifale a pu être reconstituée depuis 18 000 ans mais, présentant des hiatus, elle a dû être fractionnée en plusieurs tronçons de quelques milliers d’années.
Au regard des données qui ont été analysées, les étapes majeures de la constitution du récif se sont révélées. Le soubassement du récif, constitué de formations calcaires ou de dépôts terrigènes provenant de l’altération de roches volcaniques, a commencé à être atteint par la montée des eaux vers 14 000 ans avant notre ère. Très rapidement, c’est-à-dire 200 à 300 ans après cette mise en eau, les premiers coraux sont apparus et le récif a commencé à se constituer. Jusqu’à 11 000 ans avant nos jours, sa croissance s'est effectuée de façon uniforme mais dans un milieu relativement peu propice : eaux profondes faiblement ou moyennement agitées qui, moins éclairées et moins oxygénées, ne sont généralement pas très favorables à la croissance des organismes récifaux. Les associations de coraux et d'algues fossiles (Porites et Lithophyllum) sont en effet typiques d’un milieu hydrodynamique d’énergie moyenne ou modérée que l'on trouve dans les eaux agitées à peu agitées d’une profondeur de 6 à 15 mètres.
De 11 000 ans à l’époque actuelle, l’environnement est devenu beaucoup plus favorable à la croissance du récif, ainsi qu’en témoignent les assemblages de coraux à formes branchues massives et d'encroutements d’algues rouges, spécifiques d’une zone récifale de haute énergie caractérisée par des eaux très agitées et de faible profondeur.
Les analyses montrent en outre que le récif barrière de Tahiti s'est caractérisé, au cours de son histoire, par un fort taux [...]
Un milieu vital pour une île tropicale mais un milieu isolé à l'équilibre fragile...
Le récif corallien est, avec la forêt tropicale, l'un des milieux les plus riches de la planète. Résultat d'une évolution plusieurs fois millénaire, il abrite une extraordinaire diversité d'espèces qui ont établi entre elles des relations très sophistiquées. Cette complexité du récif se traduit par une grande fragilité : c’est un milieu très facilement déstabilisé par des perturbations extérieures. Dans une île tropicale où les distances sont réduites, la terre, la mer et l'eau sont en permanente interaction : la moindre atteinte à l'un de ces milieux a des répercussions immédiates sur l'ensemble du récif.
Les algues calcaires participent, au même titre que les coraux, à l'édification de la trame récifale ainsi qu’à la fabrication du sable. Quant aux algues molles, elles servent de nourriture à tous les herbivores. Elles tirent leurs substances nutritives du milieu terrestre et sont en compétition avec les coraux pour l'utilisation de l'espace ; leur prolifération indique souvent un déséquilibre du récif.
Les mollusques sont la proie de nombreux prédateurs ; ils participent eux aussi à la constitution du sable : en perforant le récif, ils facilitent son démantèlement.
Les échinodermes (oursins, holothuries, étoiles de mer) sont représentés par un petit nombre d'espèces, dans les récifs polynésiens. Herbivores actifs, ils favorisent la réinstallation des coraux en nettoyant les substrats des algues molles qui les envahissent. Ils participent activement à l'érosion du récif.
Les crustacés, moins bien connus en Polynésie, occupent au sein du récif une place secondaire. De nombreuses espèces de poissons sont directement dépendantes de la présence des coraux vivants et disparaissent à leur mort. Ils constituent pour l'homme une ressource non négligeable.
Animaux associés à des végétaux, les coraux sont les organismes fondamentaux du récif, dont ils construisent la trame rigide. Les coraux procurent de la nourriture et, de par la grande variété de leurs formes, fournissent des abris à des milliers d'espèces variées et colorées. La mort des coraux signifie la disparition ou la fuite de très nombreux animaux.
À la fragilité inhérente au récif s’ajoute l’isolement de la Polynésie au centre du Pacifique entraînant une pauvreté du nombre des espèces polynésiennes par rapport à d'autres récifs : en effet, les espèces issues de l'ouest du Pacifique ont des difficultés à coloniser les îles éloignées et perdues au milieu de l'océan ; peu d'entre elles atteignent la Polynésie.
Cet isolement entraîne également une spécialisation importante de ces espèces qui, évoluant en vase clos, deviennent dès lors moins résistantes à toutes les agressions naturelles et humaines que subissent les récifs coralliens.
Taux de croissance, de 6 mm par an en moyenne, un taux supérieur à ceux enregistrés dans les autres récifs de la région Indo-Pacifique et proche de ceux observés dans les Caraïbes qui sont de 10 à 15 mm/an.
Au-delà des connaissances fondamentales apportées sur la formation et la croissance des récifs coralliens en période de déglaciation, cette campagne d'études offre une meilleure compréhension de la réponse d'un récif à la remontée du niveau marin.
Plus globalement, elle permet de mieux mesurer l'impact que peuvent avoir les changements climatiques sur ces écosystèmes.
Dans le contexte actuel de réchauffement global de la planète, de telles recherches s'avèrent essentielles pour la préservation des récifs coralliens.
Dans le Pacifique, comme dans d'autres régions tropicales, ces récifs sont d'une importance majeure pour de nombreux états insulaires parce qu’ils constituent souvent le territoire même de ces pays, les protègent de la houle et des tempêtes tropicales et leur offrent les ressources vitales à leur développement économique qu'il s'agisse de tourisme ou de pêche.
Références bibliographiques
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