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Histoire d'eau : Le monde selon Dubaï

30 mai 2007 Paru dans le N°302 à la page 98 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET

Cet ancien village de pêcheurs, devenu en quelques décennies le plus grand centre commercial à ciel ouvert du monde, est bien placé pour devenir l'une des capitales mondiales du 21ème siècle. Non pas grâce au pétrole, comme on pourrait le penser, mais grâce à une débauche de records architecturaux, de luxe et d'extravagances basées sur une surconsommation d'eau et d'énergie.

Par

Il y a une quarantaine d’années à peine, seuls les érudits étaient capables de placer Dubaï sur une carte. Situé en plein cœur du désert, enclavé entre l’Arabie saoudite, le sultanat d’Oman et l’Iran, l’Émirat de Dubaï n’était que l’un des sept États composant les Émirats arabes unis. Il faut dire qu’avec une superficie de 3 885 km², l’omniprésence du désert et une population clairsemée d’à peine 50 000 âmes, ce petit État ne présentait aucun attrait particulier : une terre pauvre et aride occupée par deux villages agglutinés autour d’une crique ensablée, fréquentée par de rares bédouins. Telle était à l’époque la physionomie d’un Émirat dont la surface totale dépasse à peine la superficie d’un département comme le Vaucluse.

Jusque dans les années 1960. C’est à cette époque que le prince héritier de Dubaï, Cheikh Mohammed bin Rashid Al Maktoum, décide de faire construire de toutes pièces l’un des plus grands ports artificiels du monde en créant une zone franche. Situé au carrefour

[Photo : Le sable, dragué au large, est amené par bateau puis saupoudré grâce à des canons à sable guidés par GPS pour constituer la forme des îles.]

De trois continents, ce port deviendra rapidement un point de passage obligé du commerce international. Grâce à des recettes simples : facilités portuaires, absence de droits de douane, pas d’impôts, main d’œuvre abondante, disponible et bon marché et une totale liberté d'entreprise. Très rapidement, dopée par la manne pétrolière, Dubaï devient la plaque tournante du Golfe persique. Car au-delà du pétrole, c’est grâce au commerce que le pays a réussi son développement en attirant des travailleurs et hommes d'affaires de toutes nationalités : des Britanniques, Australiens, Indiens, Pakistanais, Sri-Lankais, etc. En quelques décennies, le désert fait place au béton et au bitume. L’ancienne ville, devenue chantier permanent, s'efface au profit d'une cité cosmopolite, l'une des plus ouvertes à la culture occidentale de la région. Bien que la religion principale soit l'islam, l'alcool y est en vente libre et l'on peut participer à des jeux d'argent normalement prohibés.

Attirés par ce désert devenu fertile, par ce nouvel eldorado où l'argent semble pousser aussi facilement que les palmiers qui bordent le littoral, les hommes d'affaires du monde entier font de l’Emirat leur lieu de rendez-vous planétaire. Dubaï devient aux Émirats ce que Las Vegas est aux États-Unis. Un miracle permanent devenu possible grâce à la volonté d'un homme, Rashid Al Maktoum, qui reste, malgré ce succès, bien conscient des fragilités de l’Émirat. Car le pétrole n’est pas inépuisable. Bien que situé au cœur même d'une région riche en réserves, l’Émir sait mieux que personne que la production commencera à décliner avant 2015. Pour assurer le développement de l'Emirat, une reconversion et une diversification s'imposent. Elle passera par le commerce et le tourisme. C'est le second pari de Mohammed bin Rashid Al Maktoum : transformer ce gigantesque duty-free qu'est devenu Dubaï en l'une des premières destinations touristiques du monde. Mais pour y parvenir, l’Émirat doit attirer l'attention du monde entier.

[Encart : Dubai Waterfront : plus grand que Manhattan Après « The Palm », « The World » et « Hydropolis », un hôtel sous-marin immergé au large de Dubaï comportant 220 suites dont les fenêtres panoramiques donneront sur des fonds marins, voici un nouveau projet géant, « Dubai Waterfront » également basé sur des îles artificielles. Il s'agit de créer un immense quartier résidentiel et hôtelier sous la forme d'une gigantesque marina en forme de croissant comportant des commerces et des infrastructures de loisirs. La construction se fera au pied de Jebel Ali Palm et au début de l'Arabian Canal, qui s'enfoncera sur 75 kilomètres dans les sables du désert. Le projet prévoit le creusement de canaux sur la côte et la création d'îles contournant Jebel Ali Palm en formant une baie. En son sein se trouvera le Dubai Mall, le plus grand centre commercial du monde.]

Le projet « The Palm » vient de naître.

« The Palm » : un complexe de trois îles palmiers

Le tournant se situe au milieu des années 1990. Passée en quelques dizaines d’années de la tradition à la modernité, Dubaï est

[Photo : La zone étant sismique, les énormes quantités de remblais en sable qui constituent le socle de ces îles totalement artificielles et qui seraient sujettes à un phénomène de liquéfaction en cas de séisme, sont consolidées par vibro-compactage.]

alors une métropole ultramoderne. Le sable a fait place au béton et au bitume. Les immeubles aux gratte-ciels. Mais l’émirat ne dispose que d'un littoral modeste et sans grand attrait. Bien insuffisant pour en faire un haut lieu du tourisme.

Dubaï choisit alors de se lancer dans des projets pharaoniques. Le premier de ceux-ci sera l’hôtel Burj Al Arab, d'une hauteur de 321 mètres, ce qui en fait l'hôtel le plus haut et plus étoilé du monde, le seul à en posséder 7. Sa construction commence en 1994. Avec une particularité : il sera construit sur une île artificielle, à 270 mètres de la plage. L’hôtel, exclusivement composé de suites, prend la forme d'une voile géante construite de telle sorte que son ombre ne recouvre pas la plage.

[Photo : Construit sur une île artificielle, à 270 mètres de la plage, l’hôtel Burj Al Arab prend la forme d’une voile géante construite de telle sorte que son ombre ne recouvre pas la plage.]

Tout à sa volonté d’augmenter son littoral, Dubaï se lance ensuite dans la construction de deux îles artificielles ayant l’aspect de palmiers vues du ciel : Jumeirah Palm et Jebel Ali Palm, constituées chacune d’un tronc et de 17 palmes ceinturées par une jetée. Chacune de ces îles dispose de 60 km de plages et nécessite le déplacement de 100 millions de m³ de sable et de rochers ! Le sable, dragué au large, est ensuite amené par bateau puis saupoudré grâce à des canons à sables guidés par GPS pour constituer la forme des îles. Au total, c'est 120 km de littoral en plus sur lesquels sont construits plus de 2 000 villas, 500 appartements, 40 hôtels de luxe, centres commerciaux, cinémas, terrains de sport, marinas, etc...

La zone étant sismique, les énormes remblais en sable qui constituent le socle de ces îles totalement artificielles et qui seraient sujets à un phénomène de liquéfaction en cas de séisme, sont consolidés par vibro-compactage. Cette technique permet de compacter dans la masse, même à des profondeurs supérieures à 30 mètres, les sols grenus sans cohésion tels que le sable. Un pont de 300 mètres relie le tronc des îles au continent.

[Photo : Cinq ans après son lancement, Jumeirah Palm, la première des îles artificielles construite au large de Dubaï, accueille début 2007 ses premiers résidents.]

Et alors même que l'impact de ces énormes projets sur l'environnement suscite de nombreuses questions, les projets se multiplient. Car malgré un prix moyen de 3 millions de dollars, les villas de Jumeirah Palm sont vendues en moins de 72 heures ! Du coup, la construction d'une troisième île artificielle est décidée : plus grande encore, Deira Palm fera 18 km de long sur 9 km de large ! Mais lancé en 2004, le projet en est encore à sa phase initiale : 20 % seulement de l'île a été formée à l'aide de sable dragué du fond de la mer. Car conséquence d'une décennie de dragage,

[Photo : « The World », dont on aperçoit les premiers contours au centre de cette vue satellite, est sans doute le projet le plus "fou" de Dubai : un bouquet de quelque 300 îles artificielles, construites pour reproduire la carte du monde avec ses continents.]

Les études montrent qu'il n'y aura pas assez de sable pour finir les travaux. Dubai devra donc faire appel à ses voisins pour terminer ses aménagements.

Au total, les trois îles proposeront 100 nouveaux hôtels de luxe, 5 000 appartements en bord de mer et 10 000 villas, des parcs à thèmes, des restaurants, des centres commerciaux, des complexes sportifs et toutes sortes de loisirs. Avec les trois îles palmiers, le front de mer de la ville atteindra 520 km contre 70 km auparavant. Mais les projets du prince et émir de Dubai, Mohammed bin Rashid Al Maktoum, ne s’arrêtent pas là. Avec « The World », Dubai s’offre le monde.

« The World » : le projet le plus "fou" de Dubai

« The World » est sans doute le projet le plus "fou" de Dubai : un bouquet de quelque 300 îles artificielles, construites pour reproduire la carte du monde avec ses continents. Calqué sur le même principe que « The Palm », il s’agit cette fois-ci de construire en pleine mer une cité constituée de 300 îles artificielles reproduisant un planisphère. Tous les pays, excepté Israël et la Palestine, sont représentés. Chaque île aura la forme du pays dont elle reprendra quelques caractéristiques jugées essentielles : la culture, l'architecture, la flore…

L'archipel, de neuf kilomètres de long et sept de large, se situera à quatre kilomètres des côtes, entre Jumeirah Palm et Deira Palm. Il rassemblera entre 250 à 300 îles privées qui seront dévolues au tourisme, à l'habitat et, pour les plus isolées, à quelques célébrités. Les prix pour chaque île s'échelonneront entre 8 millions et 42 millions de dollars. Les plus petites mesureront 23 000 m² et les plus grandes 83 500 m². Elles seront séparées les unes des autres par des chenaux larges de cinquante à cent mètres et profonds de cinq mètres ; l'ensemble sera ceinturé par une digue.

« The World », qui fera 5,5 km de long et autant de large, couvrira une superficie de 5,4 millions de m², dont 900 000 m² de plages, selon ses promoteurs. Les concepteurs prévoient que « The World » sera visible à l'œil nu depuis la station spatiale internationale. La construction, qui s'effectue de manière continue, 24 h/24 et 7 j/7, a commencé en septembre 2003. Lorsqu'elle sera achevée, fin 2008, le front de mer de Dubai aura encore gagné 232 kilomètres.

Dubai a su créer un environnement centré sur les loisirs dans une partie du monde plus habituée aux rentes pétrolières en créant ex nihilo des îles paradisiaques pour vacanciers fortunés et avides de dépaysement. De fait, aujourd'hui, le pétrole a moins d'importance pour l'économie de l'Émirat que le tourisme (8 contre 12 %). En 80 ans, la population a centuplé tout comme la consommation en eau d'une agglomération qui doit tout au dessalement de l'eau de mer.

Mais on l'aura compris, la protection des ressources naturelles comme la protection de l'environnement n’est pas le souci principal de l'Émirat. Celui-ci est au contraire tout entier tendu vers son objectif de construire une image exportable et commercialisable qui démarque Dubai de ses voisins saoudien et iranien. Vers la fabrication artificielle d'une offre touristique qui invente un monde ou qui reproduit certains attraits d'une autre destination.

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