Your browser does not support JavaScript!

Histoire d'eau : Le marais d'Isle de Saint-Quentin

30 septembre 1987 Paru dans le N°112 à la page 73 ( mots)

Au pied même de la colline dominée par la Collégiale de Saint-Quentin (Aisne) subsiste en effet une zone humide de plus de 100 hectares, vestige des vastes marais d'antan et située dans la vallée de la Somme, en bordure du canal.

[Photo : (sans légende)]
[Photo : Plan 1 : Augusta.]

Un peu d'histoire

On peut supposer que l'implantation des premiers habitants des lieux était due à la présence d'une riche zone humide permettant leur alimentation et les protégeant des attaques ennemies… Des éléments d'ordre historique ont renforcé ces premières données favorables ; c'est ainsi que l'on a pu retrouver l'existence de la petite agglomération d'Augusta, municipe gallo-romain établi peu avant l'ère chrétienne qui fut détruit par les Germains, et du bourg de Saint-Quentin qui se développa le long d'une voie de communication formant un passage aisé entre deux grandes zones humides marécageuses. Selon la tradition, le supplice du martyr Quentin le conduisit à la mort vers l'an 287 et son corps, jeté dans les marais, y fut retrouvé plus tard et déposé au sommet de la colline voisine : ce lieu devint le centre d'un bourg qui prendra par la suite le nom du saint. Les habitants se reposaient en partie sur la présence de cette zone pour protéger l'agglomération, mais il apparut rapidement que les marais d'Isle ne pouvaient suffire à la défense de la ville, qu'ils entravèrent même en 1557, lors d'un siège mémorable.

[Photo : Plan 2 : En 1557…]

Par la suite, des fortifications de Vauban ceinturèrent la cité mais, sous l'Empire, l'essor économique discrédita à la fois marais et fortifications : les premiers furent largement entamés, les secondes furent démantelées. L'après-guerre 14-18 continua cette œuvre et faillit amener la suppression des marais. Seul le manque de financement de projets totalement irrespectueux de la nature empêcha cet anéantissement !

Ces marais reviennent de loin : les ordures ménagères en comblèrent encore une partie, les faisant régresser comme une peau de chagrin, et la nature disparaissait de la ville… Lorsqu'en 1973 se constitua un comité de défense pour mettre le holà à cette situation, il rallia à sa noble cause 42 associations diverses et établissements scolaires. Le comité obtint en 1981, grâce à sa persévérance, la constitution de la réserve naturelle des Marais d'Isle dont la gestion fut confiée à la ville de Saint-Quentin et à un comité.

consultatif où siègent des représentants de l’administration, de la commune, d’associations, des scientifiques et divers usagers. Les crédits d’investissement et de fonctionnement sont recueillis à quatre niveaux : Ville, Département, Région, État (ministère de l’Environnement).

La réserve

Depuis 1981, les Marais ont été partagés en deux parties, l’une classée en réserve intégrale et l’autre, en partie publique, elle-même divisée en deux : une zone où seule la pêche est autorisée (depuis deux digues) et une étendue lacustre où diverses activités nautiques peuvent s’exercer (pédalo, canoë, natation, pêche...). La première, plus restreinte, aux activités limitées, joue le rôle de tampon entre la partie située en réserve et celle à usage récréatif, ce qui assure à la réserve le calme requis. Des sentiers sont tracés en périphérie de cet ensemble ; ils fournissent une mine d’observation des groupements végétaux, des oiseaux et autres richesses naturelles dorénavant préservées.

Il faut ici remarquer que bon nombre d’usagers de la nature y trouvent l’occasion de pratiquer leur loisir favori (promenade, ornithologie, botanique ou sports nautiques...), hormis les chasseurs, qui n’ont pas été admis à participer à la création de la réserve puisque la première action du Comité a été, l’année de sa création, d’abolir la chasse en ces lieux, cette activité nuisant en effet à l’accroissement de la richesse ornithologique et présentant un danger pour les autres usagers potentiels.

En bordure de la zone naturelle, sur l’ancien dépôt d’ordures, la Ville a aménagé un parc floral, une fermette et un centre de réhabilitation des animaux sauvages handicapés. C’est donc un véritable complexe, très apprécié si l’on en juge par sa fréquentation, qui est offert aux citadins et aux visiteurs. Des projets d’embellissement sont étudiés : ils découlent d’une volonté d’améliorer l’image de la ville ; ainsi, fermette et centre de réhabilitation devraient faire l’objet d’une métamorphose pour s’insérer dans un écrin paysager comprenant des espaces de jeux...

Les marais sont des zones très riches, provenant du comblement de la profonde vallée de la Somme par des alluvions et des végétaux et qui reposent donc sur un sous-sol tourbeux, formé par la décomposition incomplète des végétaux morts. Ils sont le siège d’une végétation très différenciée qui, avec la présence de l’eau, favorise la vie de nombreux animaux.

[Figure : Plan de la réserve naturelle des Marais d’Isle]

La flore

Par la présence de zones immergées et émergées, la flore est très diversifiée : on y trouve des espèces strictement aquatiques, mais également des végétaux plus cosmopolites, que l’on peut rencontrer dans d’autres milieux, moins humides par exemple.

La végétation aquatique est de plus en plus riche, au fur et à mesure que l’on se rapproche des rives, là où la profondeur est moins importante (plus le niveau de l’eau est élevé, moins la vie des plantes est possible). L’adaptation des végétaux aux variations de niveau d’eau est très variée ; on distingue par exemple les espèces suivantes :

  • — nénuphar, fixé au fond, avec feuilles flottantes et longues tiges ;
  • — lentilles d’eau, entièrement flottantes ;
  • — renoncule aquatique et roripe amphibie, dont les feuilles de base sont plus découpées que celles situées hors de l’eau.

Voici quelques-unes des autres plantes visibles dans la réserve :

  • — aux abords de l’eau : cirse maraîcher, myosotis, eupatoire chanvrine, épilobe, salicaire, iris faux-acore, joncs et carex... Il existe également des plantes ligneuses, arbres et arbustes, telles que : aulne glutineux, peuplier noir, saule marsault, bouleau...
  • — dans l’eau : rumex, cresson, nymphéa, phragmite, typha...

On y trouve également des plantes rares en France (ciguë vireuse), peu communes (cladium marisque), ou curieuses (utriculaire, plante carnivore).

[Photo : Cirse maraîcher.]

La faune

La faune est remarquable, depuis les invertébrés qui pullulent au sein des eaux (protozoaires, éponges, vers, crustacés...) jusqu’aux oiseaux et aux mammifères fréquentant les différents biotopes.

L’avifaune est exceptionnelle puisque plus de 160 espèces y ont été observées. L’interdiction de chasser a eu pour implication l’installation de nouvelles espèces nicheuses (grèbe huppé, canard milouin), l’augmentation d’oiseaux hivernants (canards de différentes espèces, harles...) et la possibilité d’observer d’assez près des espèces maintenant moins farouches (hérons cendrés).

[Photo : Héron cendré.]

Les nidificateurs les plus communs sont les foulques noires, les canards colverts et les poules d’eau ; les rousserolles hantent les phragmitaies, les loriots et les coucous chantent dans les massifs boisés, la bouscarle, les fauvettes et le rossignol nichent le long des rives.

La réserve est située sur une voie importante de migration pour les oiseaux originaires du nord et de l’est de l’Europe. Aux périodes pré et post-nuptiales peuvent s'observer chevaliers, bécasseaux, courlis cendrés, oies et canards... De novembre à février séjournent cygnes, canards, tarins des aulnes et pinsons du nord.

Les autres animaux qui peuplent le marais sont d’observation plus difficile et de détermination délicate. Nous ne citerons que quelques-uns des animaux présents :

  • — dans l’eau : protozoaires (amibes, paramécies, vorticelles...), crustacés (écrevisses, cypris...), insectes, très nombreux (dytiques, nèpes, gerris, notonectes...), mollusques (limnées, anodontes...), poissons (brochets, perches, tanches, gardons...),
  • — sur les rives : insectes aériens (éphémères, libellules, moustiques, papillons...), batraciens (tritons, grenouilles vertes, grenouilles rousses...), reptiles (orvets, couleuvres à collier...).

Enfin sur les rives et dans les parties boisées, on rencontre quelques mammifères (lapins, putois et belettes peu nombreux...).

[Photo : Grèbe huppé.]

Le Marais d’Isle de Saint-Quentin, véritable poumon de la Ville, par la beauté de ses paysages, la richesse et la diversité de ses différents milieux, attire chaque année de nombreux visiteurs désireux de mieux connaître leur environnement naturel, auxquels l’observation des animaux et la découverte des plantes procurent beaucoup de satisfactions.

C’est aussi pour les enfants une vitrine d’un grand intérêt scientifique (botanique et ornithologique) qui leur permet d’étudier de façon rationnelle l’évolution de la flore et des oiseaux.

Serge BOUTINOT

Membre du Comité consultatif de la réserve

[Publicité : CIR]
Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements