[Photo : Héron cendré.]
Le Domaine de Lindre est un bel exemple de qualité de ce patrimoine naturel et historique. Situé en Moselle près de Dieuze et de Château-Salins, à une heure de voiture de Nancy ou de Metz, l’étang de Lindre est une pièce maîtresse du Parc Naturel Régional de Lorraine.
L’étang de Lindre est une création humaine qui date du haut Moyen Âge. Le nom de Lindre apparaît pour la première fois dans un acte de 1263 ; il dériverait du bas latin « linter » qui désignait une sorte de barge à fond plat. Au début de notre ère, ce secteur marécageux se caractérisait par la présence de sources salées.
Le bassin versant de l’étang de Lindre couvre une superficie de 10 300 hectares et s’étend sur le territoire de quinze communes appartenant à trois cantons et deux arrondissements administratifs. Le Domaine de Lindre s’étend sur 930 hectares dont 830, presque 10 km², de plans d’eau. Le reste de la propriété est constitué de petites surfaces boisées, de bâtiments et de parcelles situées en majorité en bordure d’étang. Le Conseil Général de la Moselle mène d’ailleurs une politique d’acquisition pour protéger les berges. Les 830 hectares d’eau se répartissent en 18 étangs dont 12 sont exploités par le Centre Piscicole. Le plus grand et le plus connu est l’étang de Lindre auquel le Domaine doit son nom.
Il existe plusieurs hypothèses sur l’origine de cet immense étang de 618 hectares. L’étang serait lié à l'implantation d’une importante communauté bénédictine en 966 à Vergaville ; ou bien il aurait été créé
[Photo : Présence des oiseaux sur les étangs du Domaine de Lindre et ses environs]
par la réunion de petits étangs, à l'initiative de l'Évêché de Metz ou des Ducs de Lorraine. Pour d'autres, il serait né d'un effondrement dû à l'exploitation de salines.
Les deux premières hypothèses sont les plus vraisemblables car les motifs de sa création sont importants et complémentaires :
- l'assainissement de cette région de marais ;
- l'approvisionnement en poisson pour les nombreux « jours maigres » jadis imposés par l'Église ;
- la protection de Marsal, de Vic-sur-Seille et de Metz. L'étang de Lindre fait partie du haut bassin de la Seille, confluant avec la Moselle, justement, à Metz. Dès le 13e siècle, ses eaux ont servi à alimenter les fossés de la place forte de Marsal. Plus tard encore, sous Louis XIV, l'étang, via la Seille, jouait un rôle dans la défense de Metz, ville importante et site stratégique.
- et alimenter des moulins ? Les ruptures de pente étaient toujours utilisées par des moulins qui pendant des siècles ont été la seule source d'énergie mécanique, bien plus efficace que l'énergie humaine ou animale. Sur la Seille, le premier d'entre eux était juste à l'aval de la digue et bénéficiait d'une prise d'eau à côté de la surverse de l'étang. Le document ancien qui atteste l'existence de cet ouvrage précise qu'il fournissait l'énergie hydraulique à une huilerie conjointe. Vraisemblablement le débit occulte de l'étang soutenait l'étiage de la Seille, et d'autres moulins s'échelonnaient le long de la rivière. On a plus de données sur des rivières proches comme les Nied et la Meurthe, dont on sait qu'elles ont actionné de nombreux moulins. Mais pour limiter les transports terrestres, les capacités hydrauliques de la Seille ont sans doute été autant sollicitées. Les archives ont aussi révélé qu'une autorisation de flottage de bois pour approvisionner Metz n'avait pas eu de suite. Le demandeur avait dû constater qu'il n'aurait pas un débit suffisant et pérenne ou peut-être a-t-il été confronté à l'opposition des meuniers craignant pour leurs ouvrages, chaussées, écluses et vannes que les troncs flottés pourraient détériorer.
Avant la réunion des étangs pour former le grand étang de Lindre, Tarquimpol, presqu'île dans l'étang anciennement dénommée Decempagi, joua un rôle important pour l'exploitation du sel, alors précieuse monnaie d'échange. C'était à la fois un camp fortifié, une étape pour les légions romaines sur la grande voie reliant Strasbourg à Metz et un village, chef-lieu de dix petits bourgs.
Le domaine a connu de nombreux propriétaires : après les Ducs de Lorraine jusqu'en 1766 le roi de France, puis la République et l'Empire après 1789. Napoléon Ier finit par le mettre en vente en 1807. Il fut ainsi propriété privée jusqu'en 1976, date à laquelle le Conseil général de la Moselle le racheta, sous la pression des communes environnantes et des associations de protection de la nature, pour un peu plus de 14 millions de francs avec les subventions de l'État et du Conseil régional.
Ainsi sauvé, le domaine ne connaîtra pas la destinée des étangs de loisirs du secteur tels que Mittersheim, le Stock et Gondrexange qui ont subi un développement touristique anarchique.
Comme autour de tous les grands étangs et marais, où brumes, bois et roselières
[Photo : Tarquimpol dans sa presqu'île.]
[Photo : La plate devant la surverse et la cage treuillée, au cours de la vidange de pêche.]
Entretenant le mystère, de nombreuses légendes se transmettent encore. La moins étrange n’est pas celle du Chevalier du Lindre qui remonte du fond des eaux à chaque équinoxe d’automne et que l'on aperçoit les nuits de pleine lune dans la brume, aux alentours de minuit.
Les brumes aujourd’hui ne cachent plus qu’une faune aviaire qui profite de leur voile blanc pour sortir davantage des roselières et s’aventurer sur les vastes eaux libres de l’étang : sur les 618 hectares de l’étang de Lindre, 550 sont en eau libre. Les roselières y sont donc très importantes.
La roselière est un élément déterminant de la qualité écologique d’un étang : jugée à tort peu rentable pour la pisciculture, elle est cependant utile comme refuge pour les poissons et alevins face aux prédateurs plongeurs tels que cormorans ou mouettes qui pêchent en colonies. Outre son rôle de frayère et d’abri, la roselière a aussi un rôle bénéfique sur le développement de la biomasse de phyto- et de zooplancton, nécessaire à la production piscicole. La roselière est aussi le refuge de nombreuses espèces d’oiseaux qui viennent y nicher et se reproduire. En supprimant la roselière, c'est la richesse piscicole et la diversité aviaire que l'on compromet.
[Photo : Le parement amont et les vannes de la digue lors de la vidange avant la grande pêche.]
Depuis le Moyen Âge, la vocation de l’étang a toujours été la pisciculture extensive pratiquée avec les techniques traditionnelles. Depuis 1992, l’étang de Lindre est vidé une fois par an, en automne. Le public, plus nombreux chaque année, peut observer depuis la digue principale le déroulement spectaculaire de la pêche au filet.
Le Centre Piscicole s'est vu en 1990 confirmer sa mission de centre expérimental depuis 1976. Des expériences y sont menées dans le cadre de transfert technologique entre la recherche fondamentale et des unités de production. Les expérimentations ont notamment porté sur la mise au point des techniques d’élevage de la perche et du black-bass en milieu confiné, à l’aide d'une alimentation inerte. Avec le sandre, la perche est l'un des meilleurs poissons d'eau douce (sur les marchés parisiens, avant l'actuelle crise de la vache folle, les grands filets de perche se vendaient déjà 120 à 140 F le kilo pendant cette saison de pêche). D’autre part, une étude sur le milieu de production et le fonctionnement de l’écosystème que constitue l’étang de Lindre est menée depuis 1977 en collaboration avec le Centre de Recherche en Écologie de Metz (CREEM).
Les espèces produites au Domaine de Lindre sont les espèces classiques d’étang (carpe, brochet, perche, tanche, anguille, sandre, blancs et écrevisse) et quelques espèces exogènes (silure, esturgeon, black-bass). Le domaine produit en moyenne environ 135 tonnes de poisson. Traditionnellement, le Domaine vend l’essentiel de son poisson vivant, pour le repeuplement des cours d’eau et des étangs pour la pêche de loisir. Ses clients viennent de toutes les régions d’étang françaises, Brenne, Dombes, Forez… de Lorraine, d’Alsace et même du Bénélux. Mais depuis l'automne 1999, le Domaine fournit aussi du poisson de consommation dans le cadre de marchés aux poissons et de week-ends de découverte et tout au long de la période de pêche. L’écloserie du Centre Piscicole fournit aussi des alevins pour les pisciculteurs.
[Photo : Basses eaux d'été. Le plan d'eau ne baigne plus la roselière.]
[Photo : Cycle d’exploitation d’un étang de production piscicole.]
Grâce à l’exploitation piscicole extensive de l’étang, le Domaine de Lindre constitue l’un des plus riches espaces naturels protégés de l’ouest européen. En effet, ses propriétaires successifs, y compris le Conseil Général de la Moselle depuis 1976, ont toujours su préserver l’environnement de l’étang.
En 1988, l’enquête publique relative au classement de la zone, une superficie de 1 486 hectares (presque 15 km²), en réserve naturelle n’a pas abouti. Les communes riveraines n’étaient pas favorables à cette réglementation. Cependant, cette absence de prescription contraignante n’a pas empêché la préservation de l’environnement : les divers acteurs partie prenante sont en effet fortement sensibilisés et mobilisés sur ce thème. Un projet de classement en zone RAMSAR est en cours et l’étang de Lindre fait partie des sites de Natura 2000.
La diversité et la grande qualité des écosystèmes du Domaine ont séduit des milliers de visiteurs. Cette grande richesse vient de l’imbrication de plusieurs milieux entretenus par l’homme : les étangs de pisciculture, les forêts (sylviculture) et les prairies (agriculture).
Cet équilibre entre population et respect de l’environnement est entretenu depuis des siècles, ce qui explique notamment pourquoi l’absence de réglementation n’a pas été un frein pour la préservation du site. Au contraire, la gestion du Domaine de Lindre en fait un lieu exemplaire pour la gestion durable des territoires.
Ici, c’est l’homme, par ses activités traditionnelles de production qui garantit l’entretien de l’espace, la pérennité des ressources et la qualité naturelle des milieux. Cette gestion patrimoniale est exemplaire de la démarche générale des Parcs naturels régionaux. Le Domaine de Lindre illustre en effet très bien la compatibilité d’activités agricoles, artisanales et touristiques rentables avec une conservation raisonnée d’un écosystème presque naturel. Le Domaine de Lindre, avec la Maison du Pays des Étangs, devient aussi un lieu organisé d’éducation au patrimoine sur tous les registres de l’écologie, de la pisciculture et de la pêche, de l’avifaune, de la découverte de la nature et de son entretien, etc.
En 1999, indépendamment de l’ensemble des visites touristiques et de la manifestation de la grande pêche, ce sont 39 classes, soit 875 enfants, qui ont été accueillis sur le Domaine. Si l’on veut s’informer de façon détaillée sur ce site et ses différentes activités, on peut contacter le Conseil Général de Moselle à Metz (Tél. : 03 87 37 58 06, internet : www.moselle-France.com).
On peut aussi s’adresser directement au Domaine de Lindre, 57260 Lindre-Basse, Tél. : 03 87 86 90 04 – Fax : 03 87 86 87 78.
Nous remercions son directeur, Charles-Yvonnick Soucat, pour ses informations et les illustrations de cet article.
[Photo : Un honorable brochet pour la grande pêche.]