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Histoire d'eau : Le lac Tchad menacé d'assèchement ?

30 octobre 2003 Paru dans le N°265 à la page 87 ( mots)
Rédigé par : Marc MAUDUIT

Le lac Tchad, autrefois l'un des plus grands réservoirs d'eau douce de l'Afrique rétrécit. En seulement quarante ans, pour des raisons tout à la fois naturelles et anthropiques, sa superficie a diminué de 95 %. Petite histoire d'une disparition possible.

Le lac Tchad est le quatrième plan d'eau d'Afrique par sa superficie après les lacs Victoria, Tanganyika et Nyassa. Il est situé au sud du Sahara, aux frontières du Niger, du Nigeria, du Cameroun et du Tchad. Vestige d'une ancienne mer, il occupe le centre d'une cuvette endoréique à une altitude de 250 mètres. Peu profond, de 3 à 11 mètres, il est parsemé d'îles, de polders et de marécages et subit une évaporation particulièrement intense. Le lac Tchad est alimenté par le fleuve Chari, au Sud-Est, et par le Komadougou, au Sud-Ouest.

Mais ces deux grands fleuves qui s'y déversent ont perdu depuis une trentaine d'années de leur puissance. Le Chari, qui prend sa source sur le plateau centrafricain et lui donne 90 % de ses eaux, comme le Komadougou-Yobe, qui lui apporte le reste depuis la frontière entre le Nigeria et le Niger, ne suffisent plus à alimenter le lac, aujourd’hui menacé d’assèchement. Il suffit pour s’en convaincre de consulter les cartes mêmes récentes : des quelque 25 000 kilomètres carrés de surface d'eau identifiés il y a trente ans, on est passé à 1 300 kilomètres carrés. Cinq pour cent !

Depuis toujours, la taille du lac Tchad augmente et diminue à intervalles réguliers. À l'origine, ce reste d'une mer paléotchadienne s'étendait jusqu'au bassin du Nil, soit sur environ 300 000 km², avant d'être pratiquement asséché aux 18ᵉ et 19ᵉ siècles et de se reconstituer partiellement au début du 20ᵉ siècle. Son niveau a toujours subi des variations saisonnières et pluriannuelles car sa profondeur moyenne n'est que de 7 mètres. Ces dernières décennies, lors de périodes de précipitations, la superficie du lac atteignait près de 25 900 km².

Mais la diminution inquiétante de sa superficie ces dernières années a conduit nombre de spécialistes à se pencher sur le problème. Deux chercheurs de l'agence spatiale américaine, la NASA, ont publié en 2001 les clichés pris par le satellite Landsat pour montrer comment le lac, dont la superficie était de 25 000 km² en 1963, ne faisait plus que le vingtième de cette superficie de nos jours. En cause, la sécheresse qui sévit depuis trente ans,

mais aussi l'irrigation qui prive peu à peu le lac de ses apports essentiels.

Une sécheresse persistante

Le réchauffement de l'atmosphère et la désertification croissante du Sahel ont causé une baisse du niveau de l'eau bien supérieure à la baisse moyenne en période sèche, qui s'est traduite par une superficie de 1300 km² au lieu de 10000 km². Car au cours des trente-cinq dernières années, le Sahel a connu de nombreuses sécheresses dévastatrices. Les données climatiques montrent une forte diminution des précipitations depuis le début des années soixante, due en grande partie à la réduction du nombre des grandes pluies.

Ce sont surtout les pluies durant la saison de la mousson, en général en juin, juillet et août, qui alimentent le lac Tchad. Au cours des quarante dernières années, le débit des fleuves Chari et Logone dans la capitale du Tchad, N'Djamena, a diminué d'environ 75 %, ce qui a causé une réduction considérable de l'alimentation en eau du lac. Le changement de pluviosité qui s'est produit sur le Sahel autour de 1973 fait que le Chari, le principal apport du lac Tchad, n'apporte plus en moyenne que 20 milliards de mètres cubes par an, alors qu'il en apportait le double dans la période 1950-1970. Comme la surface du lac dépend de l'équilibre entre ses apports et l'évaporation, la surface actuelle est beaucoup plus petite que dans les années 1960.

Et le climat étant devenu plus sec du fait de pluies moins abondantes, l'irrigation s'est développée, enclenchant ainsi un cercle vicieux préjudiciable à l'équilibre du lac.

L'irrigation progresse

Dans leur étude, les ingénieurs de la NASA se sont servis d'un modèle intégré de la biosphère ainsi que de longues séries chronologiques de données climatiques. Ils ont simulé l'échange d'énergie, d'eau et de gaz carbonique entre la végétation, le sol et l'atmosphère et ils ont pris en considération tous les changements subis par le lac Tchad depuis 1953. Ils ont incorporé les données du modèle intégré de biosphère dans un modèle hydrologique et ont réussi à évaluer les modifications du débit des cours d'eau, la quantité d'eau dans les marécages et dans le lac Tchad. À l'aide de ce modèle et des données climatiques, ces ingénieurs ont calculé que le lac avait diminué de 30 % entre 1966 et 1975. L'irrigation n'était alors responsable que de 5 % de cette diminution, la sécheresse étant la cause des 95 % restants. Mais entre 1983 et 1994, l'irrigation a quadruplé, au point qu'on peut lui attribuer plus de 50 % de la diminution du lac pendant cette période.

Car les agriculteurs doivent bien compenser les déficits de pluviosité et irriguer leurs terres. Et la pénurie croissante d'eau, l'augmentation de la population, la dégradation des écosystèmes et les autres exigences en terme de ressources pourtant en diminution font augmenter les risques d'émergence de conflits bilatéraux.

[Photo : Le lac Tchad est alimenté par le fleuve Chari, au Sud-Est, qui lui apporte 90 % de ses eaux.]
[Photo : Les clichés pris par le satellite Landsat montrent que le lac, dont la superficie était de 25000 km² en 1963, ne fait plus que le vingtième de cette superficie de nos jours.]
[Photo : Ce sont surtout les pluies durant la saison de la mousson, en général en juin, juillet et août, qui alimentent le lac Tchad.]

raux et multilatéraux dans une zone qui implique de nombreux pays. Mais au-delà des causes et du constat actuel de son rétrécissement, c’est bien la question de l’existence même du lac Tchad qui se pose. Car l’étude menée par l'agence spatiale américaine ne laisse pas beaucoup de chances au lac. Ses différentes simulations climatiques le font tout simplement s'évaporer de la carte !

De nombreux spécialistes se portent au chevet du malade, avec l'ambition de restaurer le niveau du lac d'il y a trente ans. Aux commandes, la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT), organisme créé en 1964 par les quatre États riverains – Tchad, Niger, Nigeria et Cameroun rejoints depuis par la Centrafrique et le Soudan.

Un plan pour sauver le lac Tchad

Les conséquences d'un asséchement total du lac Tchad seraient considérables sur les plans humain et écologique. Plus de 20 millions de personnes dépendent du lac et de son bassin qui englobe outre les eaux libres, les terres humides et d'importantes plaines d'inondation.

Les pays membres de la Commission du bassin du lac Tchad ont donc mis au point, dès 1994, une stratégie de sauvegarde de leur patrimoine commun. Les chefs d’État membres de la CBLT ont entériné, lors d'un sommet qui s'est tenu en juillet 2000 à N’Djamena (Tchad), une proposition relative au transfert des eaux du bassin du Congo vers le bassin du lac Tchad. Ce plan d'action stratégique prévoit le transfert des eaux de l'Oubangui vers le lac Tchad. Dans un document intitulé « Vision 2025 », l'organisation estime que la percée d’un tel canal renflouerait le lac Tchad via le fleuve Logone. Ce projet permettrait également d’assurer des ressources aquatiques durables, exploitables de façon équitable par les populations du bassin.

Mais la réalisation de ce projet passe par la construction d'un canal d'une longueur de 70 kilomètres dont le coût est évalué à environ 7 milliards de francs CFA.

Autre difficulté, les deux Congo, riverains du fleuve, sont réticents et parlent du projet au conditionnel. Car le Congo, par exemple, figure parmi les quelques pays qui disposent d’importantes ressources avec ses trois bassins versants : les bassins du Congo, du Nil et du Shiloango. Mais ces réserves sont très convoitées. En plus du Tchad, la Libye a également sollicité les eaux du fleuve Congo. Dans le sud du continent, les pays d'Afrique australe souhaiteraient aussi importer les eaux du Congo pour renforcer le débit du Zambèze, un fleuve de 2 660 km dont le débit dans son cours inférieur, qui forme une voie navigable de 500 km, est insuffisant en saison sèche. Quant au Zimbabwe, il serait candidat pour l'électricité en provenance du barrage hydroélectrique d'Inga en République Démocratique du Congo, comme la Zambie qui en bénéficie déjà.

Face à ces nombreuses sollicitations, Brazzaville et Kinshasa souhaitent avant toute chose mettre en place une gestion rationnelle intégrée des ressources en eau. Les seuls moyens dont dispose la Commission actuellement sont d’aider à une meilleure utilisation de l'eau, notamment dans les zones irriguées, grâce à des techniques économes, et à développer une gestion intégrée de l'eau et des sols pour arriver à un développement durable. Pour éviter, si la sécheresse persiste, que le lac Tchad qui fut le quatrième plus grand lac d'Afrique, ne disparaisse complètement sous la pression conjointe de phénomènes naturels et anthropiques.

[Photo : Les pays membres de la Commission du bassin du lac Tchad ont mis au point un plan d'action stratégique qui prévoit le transfert des eaux de l’Oubangui vers le lac Tchad.]
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