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Histoire d'eau : Le bassin de la Villette : un bicentenaire en pleine forme

31 juillet 2009 Paru dans le N°323 à la page 105 ( mots)
Rédigé par : Antoine MARTY

29 floréal an X : pour mettre fin aux graves épidémies qui sévissent à Paris du fait de la mauvaise qualité des eaux de la Seine et de la Bièvre distribuées par les fontaines, Bonaparte, alors premier Consul, décide la création des canaux de Paris. Objectif : « Qu'une eau saine, accessible à tous, coule à flot à toutes les fontaines et que chacun en puisse prendre autant qu'il en veut ». Ces trois canaux, voulus par l'Empereur, métamorphoseront la capitale et transformeront radicalement son économie.

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Un jour de juin 1801, se promenant dans les jardins de la Malmaison, Bonaparte demanda au préfet Chaptal ce qu'il pourrait faire pour être agréable aux Parisiens. Ce dernier lui répondit : « Donnez-leur de l'eau ! ». Il décida donc de mener à bien le projet de Riquet en construisant un canal amenant à Paris les eaux de l'Ourcq. Lorsque Napoléon Bonaparte décide, le 19 mai 1802, la création d'un réseau de canaux à Paris, il met fin à deux siècles de projets dont aucun n'a jamais vraiment pu prendre corps. Mais cette fois-ci il en ira différemment car rien ne résiste à l'empereur, alors au faîte de sa puissance.

Les travaux commencent en 1802 sous la direction de l'architecte Pierre-Simon Girard. La construction se fera à partir de Paris, de l'aval vers l'amont. Sans plus attendre, on creuse le futur bassin de la Villette en bordure du Paris d’alors, à la barrière Saint-Martin (rotonde de la Villette) et sur la commune de la Villette, en rase campagne à l'époque. Le projet est assez simple : l'eau de l'Ourcq sera déviée vers Paris au moyen d'un canal à faible pente qui aboutira au bassin de La Villette, qui avec ses 700 mètres de long sur 70 de large, deviendra le plus grand plan d'eau artificiel de la capitale. D'une profondeur de 3,50 m, celui-ci servira de réservoir à deux autres canaux qui relieront la Seine, l'un au nord au niveau de la Ville de Saint-Denis (canal Saint-Denis), l'autre au sud au niveau du bassin de l’Arsenal (canal Saint-Martin). L'avantage du projet est double : il offre à la navigation fluviale un raccourci appréciable et permet d'éviter les dangers de la traversée dans Paris tout en permettant d'alimenter en eau potable une bonne partie des fontaines de la Ville. L'Ourcq apportera donc aux parisiens cette

[Photo : Les travaux commencent en 1802 sous la direction de l’architecte Pierre-Simon Girard. Sans plus attendre, on creuse le futur bassin de la Villette en bordure du Paris d’alors, à la barrière Saint-Martin et sur la commune de la Villette, à l’époque en rase campagne.]

eau potable dont ils ont tant besoin, le bassin servant pour le stockage et la distribution de l’eau.

L’Ourcq alimente Paris

L’inauguration de l’ouvrage a lieu le 2 décembre 1808, jour anniversaire du couronnement de l’Empereur et de la victoire d’Austerlitz : les digues qui retenaient les eaux devant le bassin de la Villette, dont les travaux sont achevés depuis le mois d’octobre, sont rompues, permettant aux eaux de faire leur entrée pour la première fois dans Paris. Des canalisations partent de la Villette et alimentent désormais les quartiers Ouest et Sud de la capitale. Le 15 août 1809, l’inauguration de la Fontaine des Innocents, alimentée par les eaux de la Beuvronne, crée l’événement. Mais l’Empire est menacé. La campagne de France ne permet pas de mener à bien l’ensemble du projet. À sa chute, en 1815, les travaux ne sont achevés qu’aux deux tiers. Suite aux difficultés des premières années de la Restauration, le préfet Chabrol propose d’avoir recours au régime de la concession. En 1818, les travaux sont concédés à une compagnie privée, la Compagnie des Canaux de Paris, et ne s’achèveront qu’en 1827. À l’ouverture complète du réseau, le volume d’eau disponible quotidiennement pour les Parisiens passe de 20 000 à 85 000 m³. Quatre-vingt-dix pour cent de cette eau provient de l’Ourcq.

En 1832, lors de la grande épidémie de choléra, les Parisiens utilisant l’eau du bassin de la Villette furent moins durement touchés que ceux utilisant l’eau de la Seine (pompes à feu de Javel, pompe à feu de la Samaritaine), les eaux usées et donc contaminées de la capitale étant déversées dans le fleuve. La création du bassin de la Villette bouleverse les fermes et les vignobles situés aux alentours et voit naître de nombreuses auberges et guinguettes. Les berges du bassin, alors appelées « la petite Venise parisienne », deviennent l’une des promenades les plus prisées de la capitale. On y aménage même un espace dédié aux jeux et à la navigation de plaisance. On y aperçoit nombre de notables de l’époque se promener tranquillement le dimanche.

Mais tout ceci n’a qu’un temps. Sous l’effet du développement de la navigation fluviale, le bassin de la Villette change de fonction et se transforme en port de commerce. Dans les années 1820, apparaissent, le long de ses quais, magasins et entrepôts. Bientôt, de véritables usines s’y installent et dès 1850, il devient l’un des principaux pôles industriels de la capitale.

La loi du 16 juin 1859, qui prévoit que les faubourgs de Paris situés entre l’ancienne enceinte et les boulevards des Maréchaux soient annexés à Paris, renforcera le caractère industriel du bassin qui s’intégrera dans cet espace économique désormais unifié. Des activités lourdes quittent le centre de Paris pour s’installer à proximité du bassin. En 1867, l’ouverture du marché aux bestiaux et des abattoirs amplifie encore le développement du site alors qu’un incendie détruit la plupart des entrepôts pendant la guerre de 1870.

Mais, soumises à une activité croissante, les infrastructures portuaires se dégradent. La compagnie concessionnaire, aux prises avec de graves difficultés financières, peine à les entretenir. Consciente de la nécessité de réagir, la

[Photo : Les patineurs du canal de l’Ourcq — Pendant 15 ans les rives du bassin sont un endroit à la mode où il fait bon se promener, canoter ou encore pêcher. Patinages en hiver, promenades en été, guinguettes et restaurants, il est un lieu d’agrément, symbole d’embellissement et de salubrité pour la capitale.]
[Photo : Entre 1880 et 1892, les ingénieurs Buffet et Durand-Claye supervisent l’élargissement du bassin et la construction de nouveaux quais afin d’accueillir des bateaux de plus gros gabarits, des ponts et passerelles sont construits, de nouveaux magasins et entrepôts sont installés.]

Ville résilie la concession en 1876. Désormais seule gestionnaire du réseau navigable, elle entreprend d’importants travaux de rénovation. Entre 1880 et 1892, les ingénieurs Buffet et Durand-Claye supervisent l’élargissement du bassin et la construction de nouveaux quais afin d’accueillir des bateaux de plus gros gabarits, des ponts et passerelles sont construits, de nouveaux magasins et entrepôts sont installés. Mais cet effort de rénovation n’empêche pas la crise et durant la première moitié du 20ᵉ siècle, le transport par voie d’eau décline, progressivement supplanté par le chemin de fer et l’automobile.

Vers un déclin de la voie d’eau

Ces mutations économiques ne sont pas sans influence sur l’aménagement du territoire. La Villette est depuis l’Ancien Régime l’un des principaux axes de Paris où aboutissent les deux grandes routes venant de Flandres et d’Allemagne. Cette situation particulière avait entraîné un début d’urbanisation resté cependant modeste. La construction du bassin change la donne et accélère fortement le processus. Un véritable tissu industriel se crée, constitué d’usines, d’entrepôts et d’habitations. Mais ce développement n’est pas sans générer d’importantes nuisances : bruit, poussière, insalubrité, risques d’accidents. Ces nuisances n’empêchent pas une population ouvrière dont le nombre s’accroît fortement durant cette période de s’installer à proximité de cette zone d’activité.

Mais le début des années 1950 marque une nouvelle étape. Le phénomène de désindustrialisation, amorcé deux décennies plus tôt, s’accélère. Le bassin se transforme en friche et la question du renouvellement urbain et du devenir des canaux se pose avec acuité. Projets et contre-projets se multiplient. Certains vont même jusqu’à envisager la construction d’une autoroute urbaine sur le tracé d’une partie des canaux. D’autres proposent de conserver les voies navigables, mais de détruire la plupart des quartiers du 19ᵉ arrondissement pour construire des immeubles modernes, souvent de grande hauteur. C’est ce qui commence à être réalisé, notamment avenue de Flandre, en vertu du règlement urbain alors en vigueur.

Mais le début des années 1970 marque l’émergence d’une nouvelle conception de l’urbanisme, plus respectueuse de l’environnement et de la qualité de la vie. Cette évolution sera concrétisée par l’adoption, en 1977, du premier plan d’occupation des sols. Les canaux changent de vocation pour devenir un lieu de promenade. Ils font l’objet de toutes les attentions et leurs abords bénéficient d’une multiplication de règlements spécifiques destinés à les protéger et les valoriser.

À partir du début des années 1980, le bassin de La Villette et ses alentours sont rénovés et retrouvent progressivement leur attractivité originelle, redevenant le lieu d’agrément, de promenades et de divertissements qu’ils étaient jadis. En 1983, la navigation de plaisance est ouverte sur le réseau fluvial de la Ville de Paris. Deux entreprises s’installent pour satisfaire la demande croissante de croisières sur les canaux. Les quais redeviennent des promenades, un espace ludique ; les péniches sont désormais des lieux de rencontres culturelles, les entrepôts des cinémas et les anciens magasins généraux des hôtels ou des restaurants.

Quant aux eaux de l’Ourcq, leur médiocre qualité, leur température trop variable suivant les saisons et l’altitude peu élevée du bassin de La Villette ne permettant pas une distribution dans les étages élevés, les condamna à un usage subalterne. Paris partit alors à la conquête de sources plus lointaines dont les eaux empruntèrent un nouveau réseau de distribution distinct de celui de l’Ourcq.

Ce faisant, la ville de Paris développa une particularité unique au monde : un double réseau de distribution d’eau potable et non potable. Aujourd’hui, les eaux de l’Ourcq alimentent toujours le réseau d’eau non potable.

[Photo : À partir du début des années 1980, le bassin de La Villette et ses alentours sont rénovés et retrouvent progressivement leurs aspects originels, redevenant le lieu d’agrément, de promenades et de divertissements qu’ils étaient jadis. En 1983, la navigation de plaisance est ouverte sur le réseau fluvial de la Ville de Paris.]
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