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Histoire d'eau : Le barrage de Puylaurent

30 mars 1996 Paru dans le N°190 à la page 77 ( mots)

Ce barrage, le plus grand mis en construction au cours de ces dix dernières années, est situé sur les communes de la Bastide-Puylaurent et de Prévenchères en Lozère, à mi-chemin entre Langogne et Villefort. Il se situe sur le Chassezac, qui est le principal affluent de l’Ardèche tant par son débit que par la surface de son bassin versant de 700 km² à cheval sur les deux départements.

Le barrage répond à une logique d’aménagement du territoire qui s’étend à toute la vallée du Chassezac, et qui permet de concilier les intérêts des différents utilisateurs et acteurs du projet, en maîtrisant quantitativement et qualitativement les ressources en eau.

Son édification répond à quatre objectifs principaux. D’abord, assurer un volume destiné au soutien d’étiage, à l'eau potable et à l’irrigation, d’environ 10 millions de mètres cubes, délivrés dans le Bas-Chassezac. Ce soutien permettra d’augmenter le débit à l’aval du barrage de Malarce de 1500 litres/seconde dans l'immédiat, pour atteindre 2300 litres/seconde dans dix ans.

Ensuite, alimenter efficacement la région en eau. Dans le voisinage proche du barrage, un volume de 500 000 mètres cubes sera réservé dans la retenue pour l’irrigation du périmètre de Prévenchères, avec mise à disposition gratuite du système d’arrosage. Dans le Bas-Chassezac, en Ardèche, le débit apporté permettra de conforter la ressource en eau nécessaire à l’irrigation de 1600 hectares. L’alimentation en eau potable du pays des Vans et celle de la basse vallée de l'Ardèche sera renforcée et sécurisée.

Enfin, favoriser le développement touristique et économique de la vallée. Grâce au maintien d’un niveau constant en période estivale, la retenue d’EDF existante du Raschas, jusqu’à maintenant exclusivement consacrée à la production hydroélectrique, va se transformer en un plan d’eau touristique d’une surface de 25 hectares. Dans le Bas-Chassezac, l’augmentation du débit estival va favoriser les activités nautiques et permettra, en particulier, le développement de la pratique du canoë-kayak.

Pour EDF, l’intérêt du barrage réside dans les améliorations quantitatives et qualitatives des capacités énergétiques de l’aménagement hydroélectrique du Chassezac, avec une production supplémentaire annuelle de 18 millions de kWh. Sur ces 18 millions de kWh (représentant un tiers de la consommation annuelle de la ville de Mende), 16,5 millions de kWh seront produits pendant les heures les plus critiques de l’hiver.

La première pierre du barrage a donc été symboliquement posée le 12 septembre 1994. Du type « voûte », avec 220 mètres de longueur et 73 mètres de hauteur sur sa fondation, c’est le plus grand ouvrage de retenue en construction en France depuis ces dix dernières années. Il se place au 30ᵉ rang des barrages français et au 20ᵉ rang des barrages en béton. Il est doté d’un déversoir permettant d’évacuer une crue de 560 m³/s, d’un groupe de turbinage des débits et de vannes de vidange de fond et de restitution. Sa retenue draine les eaux d’un bassin versant de 80 km² de superficie. Sa capacité totale est de 12 millions de m³ pour une surface totale de 60 hectares.

Au point de vue géologique, le site du barrage se trouve à la bordure nord-orientale des Cévennes médianes dans une série de migmatites schisteuses. Il présente au droit d’un verrou rocheux des caractéristiques structurales, géophysiques et géomécaniques particulières et favorables à l’implantation d’un barrage voûte. Les études préalablement réalisées ont permis d’établir une bonne qualité du rocher à une profondeur inférieure à dix mètres sous la surface du toit du rocher.

L’hydrologie du Chassezac sur le site se caractérise par une surface de bassin versant de 80 km² et une précipitation moyenne de 1300 mm par an.

La gestion hydraulique du barrage est conçue pour répondre aux besoins de soutien d’étiage l’été et de production hydroélectrique l’hiver. Le principe en est le suivant :

  • - stockage de l’eau à partir du 10 mars jusqu’au 15 juin selon une courbe
[Photo : Plan de situation]

d’alerte visant une probabilité de remplissage de 95 % ;

  • déstockage pour le soutien d’étiage entre le 15 juin et le 15 septembre ;
  • reconstitution de la réserve, grâce aux précipitations d’automne du 15 septembre au 1ᵉʳ décembre ;
  • déstockage d’hiver pour assurer la fourniture d’énergie en période de forte demande d’électricité du 1ᵉʳ décembre au 10 mars.

Après deux années consacrées au terrassement et aux travaux préparatoires, l’édification proprement dite a commencé en avril 1994, pour s’achever à la fin de l’année 1995, la mise en eau étant prévue pour commencer au début du mois de février 1996 et durer quatre mois. Sa réalisation s’est accompagnée de la mise en œuvre de deux principales techniques innovantes.

La première consiste en l'utilisation de cendres volantes humides. 85 000 m³ de béton de l’ouvrage sont préparés en incorporant des cendres volantes, résidus de la combustion du charbon dans les centrales thermiques. Ces cendres sont constituées de fines particules transportées par les fumées et captées dans les dépoussiéreurs. Lorsqu’elles ne sont pas utilisées directement sous forme sèche, elles sont stockées en terril au voisinage immédiat de la centrale. EDF possède un stock disponible de 10 millions de tonnes réparties sur toute la France.

L'incorporation (et la substitution au ciment) des cendres volantes donnent au béton des qualités de résistance et de compacité supplémentaires. Mais jusqu’à ce jour, la difficulté de manipulation et de transport de ce produit, en raison de son caractère hydrophile, en avait freiné la valorisation.

La seconde innovation est constituée par les hausses fusibles Hydroplus. Ce système est composé de caissons, ou « hausses », posés sur le déversoir et qui fonctionnent au fur et à mesure de l’élévation du niveau d’eau comme un barrage, un déversoir et un fusible, obéissant à des principes physiques naturels :

  • lorsque le niveau de l’eau est intérieur à la crête de la hausse, celle-ci se comporte comme un prolongement du barrage ;
  • en cas de crues faible ou moyenne, la hausse joue le rôle de déversoir ;
  • en cas de crue exceptionnelle, la hausse est « fusible », c’est-à-dire qu’elle s’efface, par rotation et basculement, afin d’accroître les capacités d’évacuation du déversoir sans diminuer le volume d’eau stocké.

L’utilisation de ce dispositif a permis d’augmenter la capacité utile de 1 million de m³, utilisée au renforcement du soutien d’étiage et de l’irrigation en été, et garantit une sécurité et une protection de l’ouvrage lors du passage des crues. Il avait été expérimenté sur le petit barrage de Saint-Herbot dans le Finistère en 1992, mais c’est la première fois qu'il est mis en place sur un grand barrage en France.

Mais construire un barrage n’est pas sans conséquence sur l’environnement. Le maître d’ouvrage, le Syndicat Départemental d’Equipement de l’Ardèche (SDEA), auquel est associée la Société d'Economie d’Equipement pour le Développement de la Lozère (SELO), et EDF se sont efforcés de limiter l’impact du barrage et développer la ressource en eau de la région.

Pendant la phase de construction, différentes mesures ont donc été prises pour limiter les nuisances et intégrer les opérations dans l’environnement :

  • les déblais de terrassement sont stockés à l’amont du barrage, dans la future retenue, et une carrière a été ouverte pour l’extraction des matériaux de construction ;
  • les eaux résiduaires du chantier ont été filtrées avant leur renvoi dans la rivière ;
  • la ligne électrique d’évacuation d’énergie a été enfouie au voisinage immédiat du barrage ;
  • enfin, un programme de réhabilitation du site après travaux, en liaison avec l’Architecte des Bâtiments de France du département, a été défini.

Le barrage a un impact sur les milieux aquatiques en deux points : 6 km de rivière à truites vont être submergés à l’amont, et le fonctionnement de l’usine aura des répercussions sur le tron-

En aval de 4 km jusqu'à la retenue du Rachas.

C'est pourquoi un plan d'action piscicole a été mis en place par la SDEA et EDF, en accord avec la Délégation Régionale du Conseil Supérieur de la Pêche et la Direction Départementale de l'Agriculture et de la Forêt de la Lozère. Ce plan concerne plus particulièrement l’alevinage, la progressivité et la limitation de la fréquence des lâchers d'eau pendant la période d'étiage, les modalités de vidange de la retenue et la réalisation de campagnes de suivi hydrobiologique et piscicole de la rivière.

La reconquête du milieu est obtenue par la mise en valeur de la rivière dans un environnement de grande qualité qui souffrait jusqu'à présent de la faiblesse des débits estivaux. L'amélioration des débits d'étiage du Chassezac est très nette à l'aval des Vans, puisqu'il garantit un débit permanent de 750 litres/seconde en année moyenne sur les 13 km de tronçon karstique de la rivière, hier asséchée en été du fait des écoulements souterrains dans cette zone.

Le coût de réalisation du barrage est estimé à 210 millions de francs. La SDEA finance totalement la construction, au moyen de subventions à hauteur de 70 millions et d'emprunts pour les 140 millions restants. EDF participe au financement sous la forme d'un remboursement des 140 millions de francs mobilisés par emprunts, au titre de la location du barrage en contrepartie de l'utilisation énergétique de la chute ainsi créée.

Une usine hydroélectrique d'un coût de 33 millions de francs est réalisée au pied du barrage par EDF, qui la finance en totalité.

Le barrage achevé, l'étape suivante consiste en la première mise en eau. Amorcée au mois de février 1996, elle devrait s'achever au mois de juin de la même année. Pendant cette période, la surveillance du barrage sera continue et complète. Une inspection visuelle facilitée par de nombreux moyens, éclairage de la voûte, points d'observation immergés, embarcation, etc. permettra d'observer la tenue du béton et des appuis rocheux. La surveillance par auscultation permettra de mesurer les moindres déplacements du barrage. Assurée par de nombreux appareils de mesure de grande précision répartis dans la voûte et sa fondation, ces mesures seront effectuées de manière journalière.

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