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Histoire d'eau : La sédimentologie de l'entrave de la Rance

30 septembre 1992 Paru dans le N°157 à la page 72 ( mots)

L’article qui suit est publié avec l’aimable autorisation du Centre régional de transfert d’énergie et télécommunications Ouest d’Électricité de France, qui en est l’auteur.

Le fonctionnement de l’usine marémotrice de la Rance n’a pas révélé de problème de sédimentation majeur depuis sa création.

Or, depuis trois ans, l’amont de l’estuaire connaît une augmentation de sédimentation, plus particulièrement en aval de l’écluse du Châtelier. Ceci a conduit Électricité de France (EDF) à procéder à des dragages afin de maintenir le chenal à un niveau suffisant pour la navigation en :

  • • 1990, fin mars,
  • • 1991, fin mars,
  • • 1992, fin février.

Afin de mieux cerner les causes et pour mieux y remédier, EDF a commandé en mars 1991 une étude au Laboratoire de géomorphologie de Dinard (Antenne de la Faculté d’Orsay). La direction des travaux sur le terrain a été confiée à Mme Bonnot-Courtois, chargée de recherche au CNRS (1), docteur ès sciences, sous la coordination de M. Lafond, directeur de l’École Pratique des Hautes Études et directeur du projet. Cette étude analyse l’origine et la composition des sédiments ainsi que les causes de l’évolution des phénomènes. Elle s’achève par une proposition de solution plus efficace que le dragage.

(1) CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique.

L’origine et la nature des sédiments

Les sédiments du bassin maritime de la Rance ont une composition analogue à celle des estuaires voisins. Ils se distinguent nettement des sédiments de la Rance fluviale, par leurs fortes teneurs en calcaire et leur moindre proportion de matière organique. La rupture entre les deux types de sédiments est nette et se situe au niveau de l’écluse du Châtelier. Le volume total des sédiments qui entrent dans l’estuaire (capacité de 180 millions de m³) est estimé à 42 000 m³/an ; la mer est à l’origine de 95 % de cet apport et la rivière de 5 %.

La sédimentation dans l’estuaire de la Rance a donc principalement une origine marine et non pas fluviale.

L’évolution naturelle d’un estuaire est une accumulation des sédiments dans toutes les zones où l’agitation est faible, et plus particulièrement à l’amont. Ceci explique la présence de vases d’origine marine au niveau de l’écluse du Châtelier.

Il existe dans tout estuaire un phénomène de « bouchon vaseux ». C’est un nuage de vase qui a tendance à remonter naturellement vers le fleuve. Ce bouchon est normalement refoulé vers la mer par l’eau du fleuve. La position du bouchon est donc directement liée à l’équilibre entre le débit fluvial et les courants de marée.

Le fonctionnement de l’usine marémotrice modifie la marée naturelle dans l’estuaire : réduction de l’amplitude et accroissement des étales. La réduction de l’amplitude entraîne une diminution des volumes d’eau introduits dans l’estuaire, donc des quantités de sédiments apportés. Mais l’accroissement des étales favorise la décantation des particules fines. Cependant, les mesures réalisées dans le cadre de cette étude n’ont pas permis de quantifier l’effet de l’exploitation de l’usine sur l’envase­ment. Toutefois, le bilan sédimentaire donne des ordres de grandeur comparables à ceux d’autres estuaires proches fonctionnant avec des marées naturelles.

Lieu d’interférence entre les actions marines et les actions fluviales, le milieu estuarien est dominé par le rythme des marées, mais fortement influencé par le débit du cours d’eau et les caractéristiques variables de celui-ci.

Les causes de l’évolution des phénomènes

Ces trois dernières années ont été des années de sécheresse. En effet, l’ensemble du bassin de la Rance a eu une pluviométrie inférieure à la moyenne. La situation ne s’étant pas améliorée, la sécheresse que subit la Bretagne depuis plusieurs années contribue à la réduction des débits de la Rance.

Le déficit du débit de la Rance a deux conséquences : d’une part il favorise les conditions d'une remontée du bouchon vaseux et de la zone de sédimentation vers l’amont (avec dépôt au voisinage de l’écluse du Châtelier, dans une zone où le courant est quasi nul), et d’autre part l’absence de chasse hydraulique efficace, comme les crues, ne permet plus d’évacuer les sédiments vers l’aval de l’estuaire.

Ce type d’envasement, typique des milieux estuariens, se retrouve par ailleurs dans les estuaires voisins du golfe normand-breton, comme dans l’Arguenon au niveau du Guébriand. La sédimentation dans cet estuaire est strictement comparable à celle que l’on peut voir dans les anses de la Rance et à proximité de l’écluse du Châtelier.

Une solution : la chasse hydraulique

Le dragage d’entretien du chenal de navigation est efficace, mais il est nécessaire de le répéter périodiquement.

Après chaque dragage, la sédimentation a repris ses droits dans les conditions climatologiques exceptionnelles que nous connaissons depuis 1989. Des courants importants bien canalisés sont nécessaires pour remettre en suspension des volumes appréciables de vases, et surtout les transporter suffisamment loin pour que l’on puisse espérer éviter une nouvelle remontée des matières en suspension vers l’amont.

Le courant de jusant ne pouvant évacuer à lui seul les matières en suspension, il est nécessaire d’utiliser des courants additionnels qui, couplés avec les courants de jusant, permettraient une évacuation suffisante des vases vers l’aval de l’estuaire.

La chasse hydraulique apparaît comme le moyen le plus efficace pour évacuer la vase au niveau de l’estuaire de la Rance, comme le ferait une crue naturelle. Il existe un potentiel de chasse hydraulique en amont de l’écluse du Châtelier.

En acceptant de retenir tout ou une partie du flux transitant par le bief de Dinan, ce qui est peu préjudiciable aux installations actuelles, l’écluse du Châtelier est capable de contenir un volume d’eau douce estimé entre 400 000 et 500 000 m³. Ce volume est jugé tout à fait compatible avec un effet de chasse intéressant pour l’ensemble du chenal.

La mise en œuvre de la chasse hydraulique demande un examen technique au niveau de l’écluse, pour assurer l’ouverture simultanée des vannes et le rejet rapide de grandes quantités d’eau vers l’aval.

Effectuée dans ces conditions, la chasse hydraulique devrait permettre de remettre les sédiments en suspension, d’en assurer le transport vers l’aval et de laisser aux vases la possibilité de décanter dans les parties aval de l’estuaire.

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