[Photo : Vue de l'excavation à la fin de l'été 1981. (Tableau par Jon Adams, archéologue-plongeur et Directeur Archéologique Adjoint en 1981)]
La “Mary Rose” fut construite à Portsmouth en 1509, dans l'une des premières cales sèches du monde. À cette époque, les navires marchands étaient de moins en moins utilisés à des fins guerrières et se voyaient supplantés par des vaisseaux spécialement construits à cet effet. La “Mary Rose” marqua ce tournant de l'histoire navale et ses prouesses en mer lui donnèrent une place de choix dans la “Royal Navy” d'Henry VIII. Elle reçut les armements les plus récents, et elle tint souvent le rôle de navire amiral dans la flotte prestigieuse du roi d'Angleterre.
C’est un bateau construit presque entièrement en chêne, avec une quille en orme. On a calculé qu'il avait fallu déboiser près de quinze hectares de chênaie pour produire le bois de construction d’un navire de cette taille : près de 38 m de long à la ligne de flottaison et 11,6 m de large. C’était sans aucun doute un magnifique outil guerrier accueillant en ses ponts 200 marins, 185 soldats et 30 canonniers.
Sa carrière navale prit fin en 1545 lors d'un de ces innombrables engagements avec la flotte française. La “Mary Rose” fut envoyée par trente brasses de fond avec la majeure partie de son équipage, ses munitions et tout son équipement. C'est là qu'elle reposa pendant plus de quatre cents ans, à un mille un quart au
[Photo : Bataille navale en 1564. Peinture à l’huile. (Musée Maritime National, Stockholm).]
Au large de Portsmouth, trésor d’objets anciens, témoin des aspects sociaux et militaires de l’époque Tudor, préservé pour l'histoire.
Exploration et inventaire
L’épave fut repérée en 1836 mais il fallut attendre les années 1960 pour que débute un programme intensif d’exploration et de récupération. On put établir que la moitié de la coque se trouvait incrustée dans le fond marin, bien protégée par des dépôts vaseux qui s’étaient rapidement formés à l’intérieur et avaient créé de bonnes conditions anaérobies pour la préservation des milliers d’objets s’y trouvant. On a retrouvé plus de 16 000 de ces objets sur le site, depuis les bouts de cuir, de laine et de soie (restes des vêtements de l’équipage) aux plantes médicinales du barbier-médecin du bord, en passant par les munitions des archers et canonniers. Après leur remontée par les plongeurs, nombre de ces objets ont été préservés par lyophilisation, processus consistant à imprégner d’un produit chimique comme le polyéthylène-glycol, l’objet déjà saturé d’eau, à le congeler et à en retirer ensuite l’eau par sublimation sous vide.
De nombreuses pièces de bois des ponts, cabines, cloisons et échelles de descente ne tenaient plus guère en place car leurs clous de fixation avaient été littéralement dissous par la corrosion. Après avoir scrupuleusement repéré leur position exacte, elles furent démontées et ramenées à terre. Sur ce, il ne restait plus qu’à remonter la coque vide...
Sauvetage de la coque
Cette remontée de la coque, en 1982, a constitué un véritable exploit en matière de techniques de renflouage. Une charpente tubulaire en acier, spécialement conçue pour l’occasion, fut abaissée juste au-dessus de la coque. Coque et charpente tubulaire ont été attachées l’une à l’autre par des câbles fixés à des boulons insérés en divers points de la coque. Pour y parvenir, les sauveteurs durent creuser sous la coque à l’aide de jets d’eau sous pression produits par des pompes Flygt. « Il nous a fallu nous tailler un chemin jusqu’à chaque position de boulonnement », explique Christopher Dobbs, aujourd’hui responsable de l’exposition de la fondation « Mary Rose Trust » mais qui, à l’époque, faisait partie de l’équipe de plongeurs. « Quand nous avons enfin soulevé la coque, les empreintes dans la vase ressemblaient au plan d’un terrier de lapins ! » C’est très progressivement qu’il fallut procéder à la première levée de la coque, afin d’éviter que la vase du fond marin ne produise un effet de succion. L’opération de soulèvement initial sur une hauteur de quelques dizaines de centimètres nécessita douze vérins hydrauliques en service permanent pendant quatre jours. Ayant ainsi libéré en douceur la coque de sa gangue de vase, la remontée put se poursuivre au moyen d’une grue flottante géante, qui procéda à son transfert sous-marin jusqu’à une nacelle spécialement conçue et disposée sur le fond marin, à proximité. La coque ayant été bien calée dans cette nacelle, c’est l’ensemble, pesant quelque 580 tonnes, qui fut remorqué vers le rivage. Lorsque la « Mary Rose » fit enfin surface, il fallut vider aussi vite que possible l’eau contenue dans sa coque, à l’aide de pompes Flygt, afin d’alléger la charge subie par la structure.
Arrosage et préservation
La coque fut couchée sur son flanc dans une péniche, arrosée d’eau de mer par des pompes Flygt. Aujourd’hui, elle est redressée et protégée par un abri en dôme qui recouvre sa cale sèche, ouverte au public toute l’année. Elle reste soutenue par sa nacelle de renflouage et son arrosage se poursuit avec de l’eau douce glacée pendant que l’on renforce et remplace ses structures et ponts internes. Ce traitement réduit la croissance des micro-organismes susceptibles de s’attaquer au bois et prévient les effets de fatigue mécanique qui ne manqueraient pas de se produire si l’on laissait le bateau sécher. On l’arrose donc au moins 20 heures sur 24 avec de l’eau glacée recyclée. Quatre gros compresseurs frigorifiques fournissent cette eau glacée, grâce à laquelle la température de la cale sèche demeure inférieure à 5 °C. Un système d’embuage maintient une hygrométrie relative élevée (supérieure à 95 %). L’eau du système de vaporisation est d’abord pompée par quatre pompes Flygt dans un réseau de conduites PVC aboutissant à des gicleurs qui assurent une distribution homogène de la vaporisation. Quand l’eau s’écoule de la coque, elle aboutit à une citerne de réception située plus bas, d’où elle passe en recyclage. De là, elle est pompée dans un séparateur centrifuge qui retient les fines particules de vase marine que l’eau continue d’extraire du bois de la coque. Ce premier arrosage à l’eau douce n’est rien d’autre qu’une simple « préservation ».
[Photo : Pompe utilisée pour les expériences pilotes.]
[Photo : Maquette du navire de guerre suédois Vasa.]
… dirigeait les opérations d’excavation et de sauvetage, souligne l’importance des relations avec les équipes suédoises : « On ne soulignera jamais assez l’importance qu’a revêtue notre lien avec les gens du “Vasa”. Ainsi par exemple, c’est l’expérience passive, qui empêche la contraction et le gauchissement du bois, alors que le froid contribue à réduire les attaques insidieuses des bactéries, moisissures et insectes. »
Arrosage au PEG
La prochaine phase de préservation consistera à arroser le navire avec du polyéthylène-glycol (PEG), méthode semblable à celle utilisée pour le “Vasa” à Stockholm. Dr Margaret Rule, aujourd’hui directrice de recherche de la fondation “Mary Rose Trust” et qui n’a pas fait moins de 600 plongées lorsqu’elle dirigeait les opérations d’excavation et de sauvetage, souligne l’importance des relations avec les équipes suédoises : « On ne soulignera jamais assez l’importance qu’a revêtue notre lien avec les gens du “Vasa”. »
L’expérience acquise avec le “Vasa” a révélé qu’il était essentiel de laisser se réaliser lentement le processus d’absorption dans le bois de ce polymère soluble dans l’eau, et qu’une accélération thermique était parfois indésirable. Le cas du “Vasa” a aussi suggéré qu’un traitement préalable avec une cire de faible poids moléculaire avant l’intervention du PEG 4000 de qualité supérieure pouvait donner de meilleurs résultats. Des essais de grande envergure sont en cours dans une série de chambres placées au fond de la cale sèche, le long de la coque du bateau.
On évalue diverses méthodes de traitement faisant appel à différentes qualités de polyéthylène-glycol. Un certain nombre de pièces de bois du pont ont été soumises à des imprégnations comparatives par arrosage de diverses solutions de PEG. Trois autres pompes Flygt en fonte alimentent ces systèmes de mini-arrosage.
[Photo : La “Mary Rose” dans la salle du Bateau, vue de la proue.]
Un bateau musée
Le public peut à présent visiter le bateau et ses trésors tout au long de l’année, mais les deux expositions se trouvent dans des bâtiments distincts de la base navale de Portsmouth. La fondation “Mary Rose Trust” envisage un musée permanent qui rapprocherait de la “Mary Rose” les objets découverts dans sa coque. La salle principale devrait être achevée en 1995, date à laquelle la majeure partie des bordages d’origine auront été remplacés. Dans cet environnement nouveau, il faudra, pour l’arrosage au PEG, que la température monte au-dessus de 30 °C. Il sera alors nécessaire d’appliquer un produit biocide pour contrôler les bactéries et les champignons. La première phase d’arrosage, effectuée avec un PEG de faible poids moléculaire, devrait durer jusqu’à 15 ans. Pendant toute cette période d’arrosage chimique, la galerie du public sera isolée par des baies vitrées. Quant à la seconde phase, où l’on utilisera un PEG à fort poids moléculaire, elle devrait durer trois à cinq ans.
On obtiendra enfin une coque sèche de 350 tonnes, qu’il faudra conserver à température et hygrométrie constantes. Plusieurs milliers d’objets retrouvés dans l’épave sont exposés et déjà près de 350 000 personnes visitent chaque année le musée et la salle du bateau. Ce nombre devrait doubler une fois la construction du nouveau musée achevée.
Cette histoire d’eau est tirée du numéro d’août 1994 de “Impeller”, la revue du groupe ITT Flygt, avec l’aimable autorisation de ITT Flygt s.a. (France).
[Photo : Voilier du milieu du XVᵉ siècle (Musée Maritime National, Stockholm).]
[Photo : Vaisseau trois mâts de guerre, datant de 1530, d’après un croquis par l’amiral Jacob Hägg (Musée Maritime National, Stockholm).]