Your browser does not support JavaScript!

Histoire d'eau : la domestication des réserves d'eau en Grande Bretagne

30 avril 1993 Paru dans le N°163 à la page 70 ( mots)

(La domestication des réserves d’eau en Grande-Bretagne)

Rien d’étonnant au fait que les premiers établissements humains qui aient vu le jour en Angleterre soient situés auprès des sources d’eau : le long des rivières ou des lacs et, en altitude, à proximité des bassins de rosée. Il n’est pas rare que les noms des rivières contiennent des racines celtes désignant l’eau comme, par exemple, la rivière Ouse (aujourd’hui utilisée par la Compagnie des Eaux d’Essex en période de sécheresse) et dont les rives paraissent avoir connu certains établissements celtes.

Les bassins de rosée, peu profonds, contenant de l’eau de condensation atmosphérique, peuvent être excavés dans des terrains crayeux, ou revêtus avec de la paille, des roseaux ou de l’argile ; ils ne s’assèchent pas totalement, même en période critique. Avant l’arrivée des Romains en 43 avant J.-C., les bassins de rosée constituaient l’unique source d’alimentation en eau créée par l’homme.

L’âge romain

Les Romains ont dépassé de beaucoup tout autre peuple grâce à leur énergie et leur aptitude à l’ingénierie appliquée à la construction des réseaux d’eau, et les beaux vestiges en pierre et briques que l’on admire à Rome et à travers leur empire témoignent de cette habileté. Ils avaient compris le principe du siphon, savaient fabriquer des tuyaux (avec du plomb exporté des Îles Britanniques) et même des robinets d’arrêt, généralement en bronze.

En colonisant l’Angleterre, ils sont venus avec leur habileté et leur savoir-faire, et ils ont rapidement réalisé des adductions d’eau pour alimenter leurs camps, en construisant de longs aqueducs, canaux ouverts maçonnés, lesquels — contrairement à leurs routes — suivaient les contours du terrain. De tels aqueducs alimentaient les campements romains établis le long du Mur d’Hadrien, barrière défensive de 73 miles de longueur, construit entre Wallsend et Bowness afin de repousser les maraudeurs venus d’Écosse. On a ainsi retrouvé les traces d’un aqueduc de 6 miles et de 3 à 4 pieds de profondeur, qui alimentait le fort de Great Chesters.

Les fouilles effectuées au campement romain de Birdoswald (situé le long du Mur d’Hadrien) ont permis de découvrir les restes d’un système ingénieux destiné à filtrer l’eau à travers du charbon de bois… Des conduites plus courtes, destinées à l’alimentation des villas individuelles, ont été mises au jour, montrant la variété des dessertes intérieures existant dans les campements : elles comprenaient des bains chauds communaux (suffisamment grands pour accueillir plusieurs centaines de personnes), des chambres chaudes et froides et même des latrines avec nettoyage à l’eau, du type utilisé par les Romains dans leur propre pays…

Dans un campement important de South Shields, dans la zone dénommée « The Lawe », les Romains avaient creusé un puits, le Bodlewell, qui demeura jusqu’au milieu du XIXᵉ siècle la principale ressource d’eau locale.

Depuis la découverte d’une inscription sur la pierre, trouvée en 1893 dans cette région, on sait qu’une nouvelle alimentation en eau avait été installée vraisemblablement par aqueduc pour desservir la Cinquième Cohorte des Gaules, sous l’empereur Sévère Alexandre (222-235). Les Romains utilisaient aussi des sources et des puits tels que ceux situés près du Parc de l’Amiral et du Centre civique, qui faisaient partie des premières prises d’eau utilisées par Chelmsford Corporation (maintenant incorporée à Essex Water Company).

L’âge médiéval

Pendant plusieurs siècles après le départ des Romains, on continua à utiliser les facilités offertes par les sources naturelles et le creusement de puits. Dans le périmètre des châteaux-forts il existait — dans la plupart des cas — des puits profonds qui permettaient aux assiégés de résister longtemps à leurs agresseurs. À Newcastle l’ouverture du puits avait été intelligemment surélevée jusqu’à l’étage supérieur du bâtiment afin de disposer d’eau même si les étages inférieurs tombaient aux mains des adversaires. Des tuyaux et des caniveaux disposés de part et d’autre du puits distribuaient l’eau à travers le château.

À partir du XIIᵉ siècle, la multiplication des monastères et des couvents entraîna de nouveaux efforts en vue de leur desserte par canalisations enterrées : à partir des sources, l’eau était ainsi acheminée par gravitation par des tuyaux en céramique ou en bois, dans les enceintes des monastères. Toutefois l’eau était utilisée plutôt pour les soins corporels et non comme boisson, en application des règles monastiques de l’époque qui enseignaient aux moines les principes de base de l’hygiène. Dans l’Essex, la confrérie de Moulsham déposa en 1341 une demande d’autorisation pour l’établissement d’une conduite entre un puits et leur confrérie.

Les gens riches (peu nombreux) qui pouvaient s’offrir de telles alimentations privées utilisaient l’eau pour faire la cuisine et pour se baigner, mais ne disposaient pas du moyen d’en contrôler le débit. En effet, l’utilisation des robinets par les Romains était déjà tombée dans l’oubli et, en période d’abondance, l’eau coulait sans arrêt à partir d’un jet ou dans des caniveaux en pierre. À la suite de la dissolution des monastères, au XVIᵉ siècle, les fournisseurs locaux passaient — en général — leurs

* Extrait de « Voyage Water Network », publié à l’initiative de Lyonnaise UK, filiale de Lyonnaise des Eaux-Dumez, que nous remercions de nous avoir autorisés à en publier ce court extrait, qui a été traduit en français par Madame Valentina Mironesco.

installations à des promoteurs privés pour réaliser une distribution publique.

L’âge des conduites

Aux xvie et xviie siècles, on construisait des fontaines publiques dans les centres-villes, alimentées à partir des sources environnantes, par des conduites en plomb ou en bois. C’était un progrès important par rapport aux adductions ouvertes, exposées à la pollution et au gel, ce qui pouvait interrompre l’alimentation. Les installations de cette nature étaient souvent financées par des souscriptions publiques et entretenues par des bienfaiteurs privés. Les fontaines, qui comportaient un petit bac pour les chevaux, pouvaient comporter des décorations ; dans son article « La fontaine divine » (Les environs d'Essex, 1964), Frédéric Roberts décrit celle construite en 1708 à Chelmsford comme étant surmontée par une naïade supportée par des dauphins, de la bouche de laquelle sortait une source permanente d’eau pure.

Certaines localités possédaient des installations d’eau plus sophistiquées : l’une des plus connues, la plus ancienne de Plymouth, avait été inspirée en 1591 par Sir Francis Drake, à la suite de la nécessité d’alimenter en eau les bateaux, de nettoyer le port et de constituer des provisions contre les incendies, aussi bien que de répondre à la demande publique. Le projet le plus ambitieux de l’époque fut celui de la Nouvelle Rivière, qui, en 1613, alimentait Londres par un canal ouvert, long de 40 miles transportant l’eau provenant de sources du Hertfordshire. Mais, ici encore, le souci de satisfaire les besoins domestiques ne constituait pas la considération la plus importante, les 2/3 de cette eau étant destinés au nettoyage des rigoles de la cité, des canaux du port et des douves.

À l’intérieur des villes, seulement un petit nombre de maisons aisées bénéficiaient de conduites d’eau ; les autres étaient obligées d’utiliser les services des vendeurs d’eau, qui roulaient en charrette à travers la ville, en criant : « Voulez-vous de l’eau de source, pure et fraîche ? ».

La reine Elisabeth I instaura la mode de la propreté, en prenant un bain chaque mois (pratique considérée par la plupart des gens comme très excentrique !). Entre-temps, en 1596, Sir John Harrington avait dessiné le projet des premiers cabinets à eau courante ; leur utilisation restait toutefois réservée aux classes supérieures de la société.

À l’époque de George III, les habitants de Sunderland pouvaient acheter pour la moitié d’un penny, un « skeel » (du mot islandais « skeola », qui signifie « seau de lait »). Celui-ci, un baril en bois, plus large à sa base, et d’une capacité variant entre 3 et 5 gallons, était porté en général sur leur tête par les femmes, posé sur un coussin en laine, nommé « weeze ». Un couvercle en bois flottant à la surface de l’eau servait à préserver le contenu du « skeel » durant le transport jusqu’à la maison. Les transporteurs d’eau de la proche région de Monkwearmouth étaient moins chers, demandant seulement le huitième d’un penny pour un « skeel » ; ils tentaient leurs clients avec des refrains comme celui-ci :

« Elle est claire et libre de toute vase,  
« Cette eau que je vends pour le bien du public,  
« Ses excellentes vertus personne ne peut les raconter,  
« Tellement excellente est l’eau de la Source de l’Union. »

Ceux qui ne pouvaient pas se permettre d’acheter de l’eau vendue par un transporteur devaient aller la chercher eux-mêmes à la pompe publique ou à la fontaine. Archie Potts décrit une scène de ce genre dans son « Histoire du Sunderland » (1892) : « Quand le travail de la maison était fini, les femmes, après avoir fait un brin de toilette, devaient aller à la pompe chercher de l’eau. Elles devaient la payer ; quelques-unes étaient des clientes fidèles et payaient une fois par mois ou par trimestre ; d’autres étaient obligées de payer à chaque fois. Parfois, le soir, la cour de Madame Salmon était remplie de femmes et de jeunes filles qui attendaient leur tour à la pompe. »

Il semblerait, quand même, que dans certaines régions (Newcastle et Great Yarmouth, par exemple) l’approvisionnement en eau était gratuit pour les pauvres ; dans le South Shields on ne trouve aucune trace de paiement effectué pour de l’eau obtenue directement à la source.

L’âge des turbines et des pompes

Un Hollandais, Peter Morice, avait utilisé dès 1581 une roue hydraulique pour pomper l’eau de la Tamise afin d’alimenter la ville de Londres. Le Conseil municipal de la cité lui accorda l’utilisation de la première arche du Pont de Londres pour une durée de 500 ans.

Pourtant, ce ne sera qu’un siècle plus tard que cette technique put avancer, grâce à un ingénieur du Derbyshire, George Sorocold, qui inventa un système de pompes capable de faire monter l’eau dans des citernes surélevées. La distribution de l’eau de ces citernes, ou châteaux d’eau, générait une pression suffisante pour permettre à celle-ci d’alimenter directement les locaux dont les occupants pouvaient payer ces services.

Cette technique ayant apporté une amélioration considérable dans l’alimentation en eau, le maire et les conseillers de Derby permirent à Sorocold de construire une « maison d’eau » et de creuser les rues pour y poser des tuyaux.

Son succès à Derby conduisit à d’autres projets, dans Norwich, Leeds, Bristol et, partiellement, Londres. En 1694, Sorocold obtint l’agrément du Conseil de Great Yarmouth pour organiser l’alimentation en eau de la ville à partir de tuyaux amenant l’eau de puits à un réservoir situé à Denes, mais on ne trouve aucune trace des travaux qu’il aurait exécutés dans cette ville.

Quelques années plus tôt, Cuthbert Dykes avait construit une machine destinée à extraire l’eau de la rivière Tyne pour l’alimentation des habitants de Newcastle. Mais le choix de ce site situé en aval de la ville et pollué par les égouts rencontra la désapprobation des futurs clients, qui nommèrent ces travaux « La Folie ».

En 1697, William Yarnold, un procureur, réalisa des aménagements hydrauliques à Oxford, Windsor, Deptford et Greenwich. Il avait obtenu une loi du Parlement et un consentement du Conseil de Newcastle qui l’autorisaient à construire des canalisations et des citernes — projet pour lequel il avait obtenu un bail de 300 ans, moyennant une rente de 13 shillings par jour. La canalisation en bois de Yarnold transportait l’eau des sources vers les villes de Newcastle et Gateshead à travers un lac naturel, le Swan Pound, afin d’alimenter des bassins publics et un petit nombre de maisons privées. En 1712, le paiement des fournitures d’eau à 161 propriétés avait rapporté à la société de Yarnold 111 livres et 12 shillings pour une période de six mois, mais cela ne correspondait qu’à une fourniture réalisée une fois par semaine.

L’eau restait encore une commodité très rare, et elle le restera jusque vers 1840 dans tout le pays.

Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements