L' eau adoucie est-elle bonne pour la santé? Régénérée par une saumure, les résines qui retiennent le calcium et le magnésium modifient les caractéristiques de l'eau. Quel impact cette modification peut-elle avoir sur les besoins nutritionnels des personnes ? Michel Franck met le probleme à plat et en tire ses conclusions.
L’adoucissement par cation-résines
Le procédé d’adoucissement mis en œuvre dans les collectivités et les habitations individuelles fait appel aux résines échangeuses de cations. Ces résines sont chargées en ions sodium dont les sels sont très solubles ; elles ont la propriété de pouvoir fixer les ions calcium et magnésium contenus dans l'eau en libérant leurs ions sodium.
Lorsque les résines sont saturées en calcium et magnésium, elles sont régénérées à l’aide d'une solution de chlorure de sodium (saumure) : le sodium se fixe sur la résine qui est ensuite rincée afin d’éliminer chlorures et excès de sel. La résine retrouve ainsi sa nature originelle.
L'eau, après passage sur la résine, est complètement adoucie (TH = 0°). Pour obtenir le TH désiré, l’adoucisseur est installé avec une vanne de mélangeage permettant d’effectuer le mélange adéquat eau dure – eau adoucie.
L'adoucissement modifie donc les caractéristiques de l'eau et l'on peut s’interroger sur les conséquences d'une telle modification pour la santé. Toutefois, afin de poser les bonnes questions, il convient auparavant de définir les caractéristiques de l'eau adoucie.
L’eau adoucie : ses caractéristiques
Contrairement à ce que certains affirment, l'eau adoucie n’est pas une eau déminéralisée : l’adoucissement de l'eau entraîne même une légère augmentation de la minéralisation (exprimée en mg/l).
La confusion entre eau adoucie et eau déminéralisée provient du fait que les eaux douces naturelles sont en général très peu minéralisées (Massif Central – Bretagne – Vosges).
En ce qui concerne la teneur en sodium dans l'eau adoucie, il faut savoir que l’élimination de 1° TH entraîne la présence de 4,6 mg de sodium/litre.
À titre d'exemple : l'adoucissement total d'une eau dont le TH initial est égal à 30° introduit 138 mg de sodium par litre ; pour un adoucissement à TH = 5°, cette dose s’élève à 115 mg/litre.
Diminution de la teneur en calcium, augmentation de la concentration en sodium, telles sont les modifications majeures engendrées par l’adoucissement par résines échangeuses de cations.
Par suite, plusieurs questions viennent à l’esprit :
- — la résine ne présente-t-elle pas de risques pour l’usager ?
- — le calcium de l’eau n’est-il pas indispensable à l’équilibre alimentaire ?
- — le sodium n’est-il pas néfaste pour la santé ?
- — relations entre dureté de l’eau et maladies cardio-vasculaires ?
Résines échangeuses de cations
La mise en œuvre des résines échangeuses d’ions utilisées pour l'adoucissement des eaux destinées à la consommation humaine est autorisée en France par circulaire ministérielle du 27 mai 1987.
Cette circulaire précise :
- — « Les résines utilisées doivent être agréées dans les conditions définies par la présente instruction » (la liste des résines agréées est parue dans la circulaire du 7 mai 1990).
- — « Les sels de régénération sont des sels spécialement réservés à cet effet et présentent une qualité sans risque pour la santé du consommateur » (ces sels ont fait l'objet de la norme NF T 90 612).
Ainsi, dans la mesure où l’usager s’est assuré que la résine est agréée par le Ministère de la Santé et qu'il utilise pour la régénérer du sel conforme à la norme mentionnée ci-dessus, il ne court aucun risque.
Calcium de l’eau de boissonet équilibre alimentaire
Afin de fixer les idées, sont repris dans deux tableaux les apports en calcium de quelques aliments courants et les apports normaux en calcium d'une alimentation équilibrée (1).
* Expert judiciaire près la Cour d’Appel de Paris, Président de la Commission Technique de l’U.A.E.
Dans les pays développés, les apports en calcium d'une alimentation équilibrée sont largement supérieurs aux besoins réels et, même si le calcium de l'eau de boisson n’est pas indispensable pour satisfaire ces derniers, on peut néanmoins s’interroger sur son absorption intestinale.
Le Professeur Desgrez, membre de l’Académie Nationale de Médecine, suite aux études qu'il a menées (2), apporte une réponse à cette question :
« Le calcium apporté par l'eau de boisson ne passe pas préférentiellement dans l’organisme et ne modifie pas sensiblement la calciurie d'un sujet dont le régime alimentaire est équilibré » (3).
Le Docteur Cottet, membre de l’Académie Nationale de Médecine, lors de la séance du 30 mars 1982 a déclaré :
« ... Le calcium de l'eau n’est pas absorbé par l’intestin... l'apport d’éléments minéraux par l'eau de boisson est quasiment nul par rapport à celui de l’alimentation ».
On ne peut être plus clair... ! Ces affirmations sont d’ailleurs rassurantes pour les habitants de nombreuses régions de France, d'Europe et du monde où les eaux distribuées ont un TH faible (Massif Central — Vosges — Bretagne — Madrid TH = 2 °f — New York TH = 5 °f etc.).
Le sodium
Les besoins journaliers de l'homme en sodium sont de 1,2 à 1,5 g.
Un régime normal, « peu salé » apporte par jour 3 à 5 g de sodium. Un régime désodé strict apporte jusqu’à 900 mg de sodium par jour.
Ces chiffres mettent en évidence qu'une eau apportant 100 à 120 mg par jour ne joue qu'un rôle extrêmement mineur si ce n’est dans les régimes désodés les plus stricts (4). Il est d’ailleurs important de préciser que le décret du 3 janvier 1989 (5) « Eaux destinées à la Consommation Humaine » admet une concentration maximum en sodium de 150 mg/litre, ce qui correspond à une diminution du TH par adoucissement, supérieure à 30 °F (en supposant que l'eau ne contienne pas initialement de sodium).
Comme il a été mentionné précédemment, les adoucisseurs sont installés avec une vanne de mitigeage qui permet d’effectuer le mélange adéquat eau dure — eau adoucie pour obtenir le TH désiré et pour maintenir la concentration en sodium en deçà de la valeur maximum admise.
À titre d'information et comme sujet de réflexion, sont données ci-après les concentrations en sodium de quelques eaux minérales.
- Vichy Saint-Yorre : 1700 mg de sodium/litre
- Vichy Célestins : 1400 mg de sodium/litre
- Vals : 453 mg de sodium/litre
- Badoit : 130 mg de sodium/litre
Dureté de l'eau et maladies cardio-vasculaires
Entre 1970 et 1980, de nombreux articles contradictoires sont parus dans la presse spécialisée et la presse « Grand public ».
L’Académie Nationale de Médecine a apporté une contribution capitale dans ce débat grâce à une communication faite par Messieurs Cottet et Cristol le 30 mars 1982 (6).
Nous reproduisons ci-après les conclusions de cette communication.
« Le problème des relations de la dureté de l'eau et des maladies cardio-vasculaires paraît simple et prometteur à la lecture des premiers travaux consacrés à ce sujet, ceux de Schroeder principalement. Il paraissait bien séduisant de diminuer le nombre des accidents artérioscléreux en buvant une eau d'un degré hydrotimétrique élevé.
Les premiers auteurs intéressés par ces études épidémiologiques ont commis plusieurs erreurs ; ils ont oublié que le calcium de l'eau n'est pas absorbé par l'intestin, que l'apport d’éléments minéraux par l'eau de boisson est quasiment nul par rapport à celui de l’alimentation. Ils ont oublié que la maladie artérielle est une maladie plurifactorielle, et, en l’étudiant sur des centaines de milliers de sujets à l’échelon national et international, de nombreux co-facteurs ont été omis ».
G. Huel et coll. ont parfaitement résumé la question en écrivant : « La relation négative entre dureté de l'eau et mortalité cardio-vasculaire a été retrouvée dans plusieurs conditions d’observation, et il semble difficile de mettre en doute son existence même. Il existe par contre de nombreux arguments qui permettent de douter du caractère causal de la relation. D'abord ceux qu’on oppose habituellement à une interprétation dans toute étude épidémiologique et qui résultent du fait qu’il ne s’agit que d’études d’observation, donc potentiellement soumises à des biais. Mais aussi d’arguments venant de ce qu'il semble bien qu'on ait négligé de prendre en compte des facteurs de contiguïté entre unités géographiques utilisées, et qu'on ait de ce fait artificiellement accru dans des proportions importantes le nombre de degrés de liberté nominal des coefficients de corrélations étudiés, et, par la même, leur pouvoir de conviction quant à la spécificité de la relation mise en évidence ».
D’ailleurs, dans un second temps ont paru des travaux où il était tenu compte de l’environnement (latitude, pluie,...) et la corrélation eau dure et artériosclérose a perdu de sa signification.
Dans un troisième temps les chercheurs ont fait porter leurs observations à l’échelon domestique, et il n’a pratiquement pas été constaté de différence entre l'eau douce et l’eau dure. De ce fait, il a été écrit qu’il n’y avait pas de contre-indication aux adoucisseurs d'eau.
Apport en calcium :
mg par 100 g d’aliment
Viande : | 10 |
Poisson : | 60 |
Œufs : | 50 |
Lait : | 130 |
Fromage : | 150 |
Aliments
Pain blanc : | 25 |
Légumes verts : | 45 |
Pommes de terre : | 15 |
Légumes secs : | 137 |
Fruits (pommes) : | 6 |
Apport en calcium de quelques aliments courants.
(Il s'agit naturellement de moyennes ; la composition présentant des variations assez importantes suivant l’espèce considérée).
Apport en calcium :
mg par jour
Enfant (1 200 à 1 500 cal) : | 700 |
Adolescent (2 300 à 3 200 cal) : | 1 300 |
Homme sédentaire | |
Catégorie 1 (2 400 à 2 800 cal) : | 850 |
Travailleur de force (4 000 à 5 500 cal) : | 1 500 |
Femme sédentaire (2 000 à 2 400 cal) : | 850 |
Femme enceinte (2 800 à 3 200 cal) : | 1 700 |
Apports normaux en calcium d'une alimentation équilibrée.
(Ils ne représentent pas les besoins réels mais l’apport effectif d’une ration alimentaire normale).
L’anatomie pathologique ne confirme pas l’action bénéfique des eaux dures.
Nous adopterons les conclusions de Comstock de 1979 (auteur qui a commencé à travailler ce sujet en 1971) : « s'il y a un facteur eau associé avec le développement
des maladies cardio-vasculaires, son existence est loin d'être certaine ».
On peut ajouter que, si le moindre doute concernant une éventuelle causalité — maladies cardio-vasculaires/eau douce — existait, les pouvoirs publics français et étrangers responsables de la santé de la population, qui ont connaissance de cette question depuis plus de vingt ans, n'autoriseraient pas aujourd'hui la distribution d'eau douce. Or, rappelons-le, de nombreuses villes et régions en France et dans le monde sont alimentées en eau douce.
Conclusion
L'adoucisseur, qui permet de résoudre de nombreux problèmes engendrés par la technicité de plus en plus sophistiquée des installations, n’a pas pour but de rendre l'eau « encore plus potable » même s’il peut fixer certains éléments toxiques ou indésirables : l'adoucissement de l'eau de boisson (qui, rappelons-le, représente moins de 1 % de la consommation en eau des ménages) ne présente aucun avantage particulier.
Il est cependant important, à la lumière de ce qui a été dit précédemment, de savoir que l'eau adoucie par résines échangeuses de cations conserve sa qualité « d’eau destinée à la consommation humaine ».
Toutefois, on ne saurait trop insister sur le fait qu'un adoucisseur doit faire l'objet d’une maintenance sérieuse et régulière assurée par des sociétés spécialisées.
BIBLIOGRAPHIE
[1] Table de composition des aliments Lucie Randoin et coll. Édition 1976.
[2] Desgrez P., Thomas J. et Thomas G. « Lithiase rénale — Étude de la calciurie selon la consommation d’eau minérale Vittel, Volvic, Evian », Ann. Inst. Hydi Clim. 1970, 41, 1-9.
[3] Journées et Étude « AFPE » du 24 novembre 1982 au Sénat, « Eaux de boisson et maladies cardio-vasculaires », exposé de M. le professeur P. Desgrez, « Absorption intestinale du calcium de l'eau ».
[4] Congrès de l'AGTM 1974, Techniques et Municipales, n° 10 — 1974.
[5] Décret du 3 janvier 1989, « Eaux destinées à la consommation humaine », paru au Journal Officiel du 4 février 1989.
[6] Bulletin Académie Nationale de Médecine, 1982, n° 3, 421-431, séance du 30 mars 1982.