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Histoire d'eau : L'eau à Marseille

30 mars 1986 Paru dans le N°99 à la page 50 ( mots)
Rédigé par : J.-p. LESBROS

Créée en 1943, la Société des Eaux de Marseille a entrepris dès 1945, sur la base des plans d'urbanisme, l'élaboration du plan directeur de la distribution de l'eau de la ville de Marseille qui avait accumulé dans ce domaine un retard considérable et dont l'expansion démographique était déjà prévisible. Ce schéma a servi de base pendant de longues années à la modernisation et à l'évolution du réseau d'eau potable. Il a dû être revu en 1980 en fonction des nouvelles données établies par la ville.

Nous évoquerons successivement : l'adduction, le traitement, la distribution, le contrôle de la qualité de l'eau et enfin, le dernier outil dont nous venons de nous doter, le contrôle centralisé.

L'ADDUCTION

L'agglomération marseillaise, largement ouverte à l'ouest sur la mer, est située à l'intérieur d'un demi-cercle presque parfait formé de collines calcaires. C'est une région aride où seules quelques plaines, qui ont longtemps constitué la ceinture maraîchère de Marseille, étaient jadis cultivées. Les quelques petits cours d'eau que l'on y trouve présentent un caractère torrentiel et sont pratiquement à sec en été ; le seul qui soit permanent est l'Huveaune dont le débit à l'étiage n'est que d'une centaine de litres par seconde. Leur exploitation ainsi que celle des ressources locales, puits et citernes publics ou privés, permettait cependant aux 120 000 habitants du début du XIXᵉ siècle de disposer chacun d'environ 75 litres par jour, cette quantité tombant à 12 litres en période de sécheresse.

C'est vraisemblablement en raison de la sécurité apportée aux navires par le Lacydon que les marins phocéens choisirent ce site vers l'an 600 avant J.-C. pour fonder Massilia, l'antique Marseille. La présence d'eau douce sur le rivage dut contribuer au choix de cet emplacement. L'eau provenait probablement d'un marécage existant en bordure du rivage, vers le bas de l'actuelle Canebière dont le nom rappelle son existence. Devant une telle pénurie d'eau, on peut se demander comment Marseille a pu assurer son développement jusqu'au milieu du siècle dernier alors qu'elle devait faire face à l'expansion de son port et de ses industries.

En 1834, à l'issue d'une redoutable épidémie de choléra qui fit plusieurs milliers de victimes, le maire de l'époque, Maximilien Consolat, décida que l'on irait chercher l'eau de la Durance coûte que coûte pour l'amener dans l'agglomération par un ouvrage à réaliser, « le Canal de Marseille ».

Ce canal, achevé en 1847, apporta à toute la région une eau abondante, issue d'une rivière alpestre, aux flots parfois tumultueux, qui s'écoule d'une région peu industrialisée et qui a permis à notre ville d'atteindre son apogée dans le premier tiers de ce siècle.

Cependant, l'ingénieur de génie que fut Franz Mayor de Montricher, créateur du Canal de Marseille, n'avait pas pensé aux apports considérables de sédiments dus aux crues parfois fantaisistes de la Durance.

Environ cinquante ans après la création du canal, il fut donc nécessaire de construire un certain nombre d'ouvrages pour décanter ces eaux, lesquelles entraînent parfois plusieurs grammes de matières solides par litre. Ce furent : le bassin de décantation de Saint-Christophe, remarquablement aménagé et toujours en service dans sa forme primitive, le bassin décanteur de Sainte-Marthe et celui de Saint-Barnabé. Ces deux derniers permirent également la création, à la fin du siècle dernier, de réserves d'eau importantes, de l'ordre de 500 000 m³, à l'intérieur même de la ville.

[Photo : Le bassin de Saint-Christophe.]

Par ailleurs, les équipements industriels réalisés par Électricité de France au cours de ces trente dernières années ont affranchi le Canal de Marseille des pénuries relatives aux grandes sécheresses saisonnières ainsi

que des apports importants de vase dus à la Durance. Enfin, au cours de la période de grands froids de janvier 85 on a constaté, avec satisfaction, que l’eau arrivant au Canal de Marseille en provenance du canal usinier d’Électricité de France n’est jamais descendue au-dessous d’une température de 3 °C, ce qui a évité le gel du canal comme cela s’était produit en 1956. En effet, cette eau stockée à Serre-Ponçon, premier ouvrage équipant la Durance, à l’amont, possède une inertie thermique remarquable telle que, même par des hivers très rigoureux, sa température reste supérieure à 3 °C.

Malgré sa valeur incontestable, le Canal de Marseille, qui a mis fin à des siècles de pénurie d’eau, présentait le défaut de toutes les adductions uniques, c’est-à-dire la vulnérabilité. Notons en passant que l’aqueduc de Roquefavour a reçu en 1944 une bombe qui n’a heureusement fait qu’effleurer son admirable structure de pierre. On a donc songé dès 1943 à une deuxième adduction de secours qui vit le jour en 1971, à l’aide des ouvrages réalisés par la société du Canal de Provence pour aboutir en 1974, dans la réserve de Vallon Dol d’une capacité de 3 millions de m³, établie à la cote 251 NGF, bien au-dessus de l’agglomération marseillaise.

En attendant la réalisation de cette deuxième adduction, la SEM avait mis en service dans les années 1950 une station de pompage située à 83 mètres sous terre, sur le parcours du canal d’évacuation à la mer des eaux d’exhaure des mines de Gardanne. Cette adduction peut encore fournir au réseau de Marseille environ 50 000 m³/j d’une eau de nappe d’excellente qualité.

[Photo : L’aqueduc de Roquefavour.]

LE TRAITEMENT

Jusqu’en 1934, date de la création de l’usine de Ste-Marthe, les eaux distribuées à Marseille étaient simplement décantées et javellisées, les quartiers périphériques étant alimentés directement avec de l’eau brute prélevée sur le Canal de Marseille.

[Photo : Au premier plan : l'usine de Sainte-Marthe et son bassin ; au fond : la réserve de Vallon-Dol.]

En 1943, date de sa création, une des premières tâches de la SEM fut d’installer 63 postes de chloration disséminés sur le parcours du canal, en tête des petits réseaux d’eau brute. Ces postes seront supprimés au fur et à mesure de l’extension du réseau d’eau filtrée ; dès lors, l’endémie typique, hélas bien connue à Marseille à cette époque, commencera à régresser.

Les eaux de la Durance ou du Verdon, reçues dans les usines de traitement, sont bicarbonatées calciques, pauvres en matières organiques, bien oxygénées et peu incrustantes. Sur le Canal de Marseille, le bassin décanteur de St-Christophe dont on a parlé plus haut élimine les pointes de turbidité élevées ; ce bassin est également équipé pour traiter au bioxyde de chlore, voire au charbon actif en cas de pollutions chimiques caractérisées.

L’usine de Sainte-Marthe

D’une capacité de 420 000 m³/j, c’est actuellement la plus ancienne et la plus importante des trois usines en service. Sa conception initiale a été entièrement remaniée, en particulier par la transformation des filtres, la création de nouveaux moyens de lavage (turbo-soufflantes de 14 000 m³/h notamment), l’utilisation de nouveaux réactifs, l’inversion du circuit hydraulique de l’eau (à l’origine l’eau filtrée était stockée dans le grand bassin découvert qui est devenu, après exhaussement des parois, un bassin de « storage » de 450 000 m³), l’installation dès 1960 de régulateurs de débit Polhydra et en 1970 l’automatisation complète du décolmatage des filtres. Enfin, en 1981, une station d’ozonation est venue fort heureusement compléter la chaîne de traitement. Il faut signaler que la réduction de l’excès de l’ozone résiduel au moyen de bisulfite de sodium est pratiquée depuis la mise en service de cette station.

Il est important de souligner que ces profondes transformations ont été réalisées par étapes suc-

cessives en tenant compte à la fois de l'urgence des besoins, des possibilités de financement et sans jamais cesser d’alimenter les réseaux. À cet effet, il a fallu imaginer des solutions originales maintenant adoptées par beaucoup de traiteurs d'eau : c'est le cas des fonds de filtres en béton poreux et des régulateurs de débits Polhydra.

L'usine de Saint-Barnabé

Cette usine, d'une capacité de 100 000 m³/j, a été mise en service en 1947, venant ainsi améliorer la distribution dans une partie appréciable de la ville. Elle présente quelques analogies avec celle de Sainte-Marthe, notamment par l'utilisation en pré-traitement du bassin de 150 000 m³, ce qui améliore grandement la qualité de l'eau amenée sur les filtres.

Ces derniers sont assez particuliers : du modèle Bolman, ils peuvent fonctionner à des vitesses de 16 m/h ; en raison de leur forte épaisseur de sable, celui-ci est décolmaté par de très puissants moyens de lavage : soit par contre-courant, soit par éjection du sable dans un tube central.

Une station d’ozonation y a été mise en service en 1982 et nous sommes en train de préparer sa gestion informatique.

L’usine de Vallon Dol

Les deux usines de Sainte-Marthe et de Saint-Barnabé ont été saturées en 1974 et la ville avait alors besoin d'une troisième usine pour satisfaire la demande croissante de la population. Celle-ci a été construite à proximité de la réserve de Vallon Dol qui l’alimente gravitairement. Elle est prévue pour une capacité de 540 000 m³/j à atteindre en six étapes correspondant à des tranches de production de 90 000 m³/j ; aujourd'hui deux tranches sont en service, soit 180 000 m³/j ; elle constitue avec l’usine de Sainte-Marthe un véritable complexe de production d'eau filtrée avec une double adduction : Canal de Marseille / Canal de Provence et un double départ d’eau filtrée à des cotes différentes.

[Photo : L'usine de Vallon-Dol.]

Les principes de traitement y sont les mêmes qu’à Sainte-Marthe, le « storage » se faisant ici dans une capacité de 3 000 000 m³, ce qui permet de réduire de façon peu banale les taux de traitement au chlorure ferrique (moyenne 2 g/m³). Dès 1976, date de sa mise en service, elle traitait l'eau filtrée à l'ozone.

La caractéristique originale de cette usine est le fait qu'elle a été conçue pour être télégérée et télécommandée depuis Sainte-Marthe où se trouve du personnel posté. L'informatique contribue largement à la sécurité du traitement, toutes les opérations étant supervisées par un calculateur Solar 16-40 comportant deux postes de contrôle dont un déporté à Sainte-Marthe et relié par ligne P.T.T.

Trois automates programmables assurent l’acquisition des données et le traitement des automatismes par les fonctions principales ci-après : régulation de l'eau brute et des réactifs de désinfection ; automatisme du fonctionnement des filtres ; gestion de l’usine.

[Photo : Vue partielle du laboratoire (Vallon-Dol).]

LE CONTROLE DE LA QUALITÉ DE L’EAU

À tous les stades de l'adduction, du traitement et de la distribution, des contrôles rigoureux sont assurés, soit d’une manière continue et automatique, soit au moyen d’échantillons régulièrement prélevés et transmis au laboratoire. Ce dernier est doté d’équipements modernes permettant de procéder à l’ensemble des examens physiques, chimiques et bactériologiques imposés par les règlements.

Ce laboratoire qui a reçu l’agrément du ministère de l’Environnement procède actuellement à plusieurs dizaines de milliers d’examens tous les ans.

LA DISTRIBUTION

Marseille, ville qui couvre 20 000 ha, possède un réseau comportant 2 200 km de canalisations de natures différentes selon leur diamètre : les feeders

[Photo : Pose d'un feeder de Ø 1200.]

sont constitués par des tuyaux en béton armé avec âme d’étanchéité en tôle type Bonna ; les canalisations au-dessous de 500 mm sont en fonte grise ou ductile et parfois, pour de petites antennes, en polyéthylène haute densité.

Ce réseau, en expansion régulière, fait l'objet d'une politique d’entretien et de vérifications systématiques, notamment au niveau de la recherche des fuites avec utilisation du corrélateur.

Un service cartographique assure en permanence le relevé et la mise à jour des plans de situation au 1/2000° et au 1/200°.

Caractéristiques de la distribution

La grande différence d’altitude entre les points extrêmes à alimenter (350 mètres) a conduit à la création de cinq étages de distribution.

Du fait de leur implantation à diverses altitudes, les usines de traitement sont à l’origine d’un certain nombre de feeders, successivement :

  • — Sainte-Marthe : étage 1 (0-50 NGF) ;
  • — Saint-Barnabé : étage 2 (50-100 NGF) ;
  • — Vallon Dol : étage 3 (100-150 NGF).

Les étages 4 (150-200 NGF) et 5 (au-dessus de 250 NGF) sont alimentés par pompages successifs. Une trentaine de stations de pompage assurent leur alimentation. Tous les étages comportent des interconnexions.

Une cinquantaine de réservoirs ont permis de constituer une réserve supplémentaire de 150 000 m³ environ d’eau filtrée sur les différents étages.

Parallèlement au réseau d’eau potable, il existe dans le centre-ville un réseau d’eau brute destiné aux besoins de la voirie et à l’arrosage des espaces verts.

LE CONTRÔLE CENTRALISÉ

Une surveillance constante est assurée sur les installations de l’adduction (en particulier la qualité de l’eau brute), des stations de pompage et de la distribution par le Centre de contrôle de Montfuron. Ce dernier est averti en cas de changement d’état de certains paramètres de fonctionnement et peut télécommander un certain nombre d’opérations. Il alerte les services d’exploitation en cas d’anomalies ou d’accidents.

L’utilisation de l’informatique permet, outre la tenue du journal de bord et la sélection minutieuse des changements d’état, le stockage et la gestion d’un grand nombre d’informations qui sont très utiles pour élaborer des statistiques et des prévisions. Les informations et les télécommandes sont retransmises par liaisons hertziennes entre les ouvrages concernés et le Centre. Il existe actuellement une centaine de stations satellites comprenant 200 télémesures, 500 télésignalisations, 450 téléalarmes, 350 télécommandes. La console de visualisation permet de sortir 35 images synoptiques. L’un des prochains objectifs est la régulation du canal de Marseille à partir des informations reçues au Centre.

[Photo : Le contrôle centralisé.]

CONCLUSION

Depuis 1943, la SEM consacre ses efforts à l’amélioration et à l’extension des installations qui lui ont été confiées par la ville de Marseille, et ce, en liaison étroite avec les schémas d’urbanisation établis par celle-ci. L’efficacité et la rigueur de sa gestion lui ont gagné la confiance des autorités municipales dont les efforts financiers méritent d’être soulignés. Ceux-ci ont permis à une ville située dans une région sèche et aride de devenir, en matière de distribution d’eau potable, un exemple de sécurité, d’abondance et de qualité.

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