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Histoire d'eau : L'eau à l'école

29 octobre 1999 Paru dans le N°225 à la page 68 ( mots)
Rédigé par : Gérard BACQUET

Après leur enquête auprès de monsieur Coache, meunier et sur Alphonse Sagebien (voir L?EIN n° 223), les élèves du collège d'Auxi-le-Château, avait fait une autre interview (L?EIN n° 224), mais aussi un recueil sonore de textes littéraires et poétiques. Nous l'avons élagué des plus connus, comme le secret de maître Cornille, le combat de Don Quichotte contre les moulins à vent ou la fable de La Fontaine titrée ?Le meunier, son fils et l'âne?. La transcription écrite de la cassette audio, en perdant les voix des enfants perd une grande part de son charme, mais nous espérons que les illustrations picturales qu'ils avaient aussi faites compenseront ce manque.

[Photo : Chaque enfant a délicatement illustré à sa manière la poésie de Franc Nohain.]

Crédit photographique :

Après leur enquête auprès de monsieur Coache, meunier, et sur Alphonse Sägebien (voir L’EIN n° 223), les élèves du collège d’Auxi-le-Château avaient fait une autre interview (L’EIN n° 224), mais aussi un recueil sonore de textes littéraires et poétiques. Nous l’avons élagué des plus connus, comme le secret de maître Cornille, le combat de Don Quichotte contre les moulins à vent ou la fable de La Fontaine tirée « Le meunier, son fils et l’âne ». La transcription écrite de la cassette audio, en perdant les voix des enfants, perd une grande part de son charme, mais nous espérons que les illustrations picturales qu’ils avaient aussi faites compenseront ce manque.

Une dernière fois, donnons la parole aux enfants d’Auxi-le-Château, amoureux des moulins du Val d’Authie.

Dès l’Antiquité, le vent et la rivière se disputaient déjà les faveurs de l’homme comme sources énergétiques. Que de querelles entre eux depuis ! Le poète Franc Nohain les connaissait bien, ces deux rivaux, lui qui habita à Auxi une maison au bord de l’Authie pendant la guerre 14-18.

Aussi écrivit-il sur le sujet une fable que nous allons vous dire. Peut-être, en l’écoutant, reconnaîtrez-vous la charmante Authie et ce diable de vent d’Ouest à l’humeur capricieuse et qui n’a pour bagage que les pluies océanes.

[Photo: Le vent et la rivière, une autre interprétation.]
[Encart: Les Moulins Tout courant, Et soufflant, Le vent Passait au long de la rivière : Qui donc vous presse ainsi compère ? Vous me gênez, vous troublez mes roseaux, Et vous ridez la face de mes eaux. Le pêcheur effaré craint pour son jonc flexible; Respectez d’un rêveur le divertissement : Vous transformez brutalement En un sport hasardeux ce passe-temps paisible. La barque amarrée à mes bords, Et par moi mollement bercée, Voit sa carcasse fracassée Par votre rage et ses transports ; Soufflez, de grâce, un peu moins fort!... Ainsi, tout en suivant sa route mesurée, Parlait au compagnon farouche de Borée La rivière au cours nonchalant. De violence redoublant : Chacun ma chère a ses talents, Dit l’autre, et c'est un art charmant que la paresse. Mais voyez le moulin, là-bas, Qui m'appelle et me tend les bras : Il faut, vers lui, que je m’empresse, Le blé à moudre n'attend pas... Un sourire à ces mots passe et glisse sur l'onde : Le blé? Il est déjà moulu, Et nous avons déjà fait pour nos sacs pansus De la farine blanche avec la moisson blonde; On ne vous a pas attendu. Ce n'est point pour vouloir contester vos mérites : Lorsque vous êtes bien luné, Vit-on jamais moulin tourner Mieux que les vôtres et plus vite? Mais vous êtes changeant; plein de fougue au matin, Vous flânez ensuite une journée entière, Cependant que mon eau va toujours au moulin, À petit bruit, tranquille et régulière. Ainsi, nous entassons la farine au grenier, Et la femme de mon meunier, (C'est un triste moulin qui serait sans meunière), Peut à bon droit de se montrer fière De sa robe de soie et de son beau collier; Quant au meunier, le meilleur vin rougit sa trogne. Qui mène grand fracas et s’agite le plus, Ne fait pas le plus de besogne, Et rien ne vaut un effort lent et continu.]

Notre moulin n’a pas toujours été facile, surtout lorsque le meunier a des exigences et attend beaucoup de vous à chaque instant de chaque jour de chaque saison.

Témoin, cette histoire vraie [probablement, mais si joliment racontée dans le style d'il y a tout juste un siècle], écrite par Paul Arène et que nous allons vous conter.

La roue du moulin

- Veux-tu venir à Fonfrédière? me dit mon père.

Si je voulais aller à Fonfrédière, où l’âne une fois l’an portait le blé en grain, puis le rapportait en farine! On m'eût dit : “Veux-tu venir à Rome?” que je n’eusse pas été plus joyeux. Nous voilà partis pour Fonfrédière.

Le fils du meunier était sur le point de prendre femme; et le vieux Siffrein, un ami de pêche et de chasse, qui “menait” encore le moulin malgré son grand âge, avait invité mon père à signer au contrat. Par bonheur, aussitôt arrivés, on voulut avant tout visiter le moulin, principal héros de la fête, et dès lors tout devint charmant. Il semblait vraiment que le moulin se rendit, ce jour-là, compte de son importance.

Jamais la grande roue aux mousses couleur d’émeraude n’avait fait jaillir de meilleur cœur le bouquet de ses perles d’eau, jamais, dans un tic-tac plus régulier ne s'était envolé nuage de plus odorante farine.

Tout en tenant l’œil à la meule, le vieux meunier, rajeuni pour la circonstance, célébrait non sans éloquence les mérites de son moulin. De moulins comme celui-là, il n’y en a plus ou il n’y en a guère. Avec les autres, on n’est jamais tranquille : c'est le barrage qui s’en va, la prise d’eau qu’une inondation emporte ! Et j’oublie ceux-là qui ne peuvent marcher ni l’été ni l’hiver, l’hiver à cause de la glace, l'été à cause de la sécheresse.

Ici, nul besoin de barrage ni de prise d’eau. La source suffit pour que le moulin tourne à fil, toujours tiède, toujours étale, sans jamais tarir ni geler.

Cependant le moulin, sous le flot de grains d’or tombant de la trémie, ronronnait doucement, comme s'il l’eût compris.

- Un moulin, le roi des moulins!... (...)

- Un moulin de toutes saisons, un vaillant moulin que rien n’arrête!...

Soudain, le moulin s’arrêta. Ah ! mon pauvre Siffrein, où s’en va ton mariage? Voilà que la fiancée pleure et que le beau-père fronce le sourcil.

- C’est sans doute un simple accident! Quelque chose qui se sera dérangé dans la grand’-roue!

Mais rien, hélas, ne s'est dérangé dans la grand’-roue. Secouant ses mousses qui semblent pleurer, elle se balance encore, ruisselante. Seulement, la vanne s'égoutte, la vanne a cessé de couler.

On a vu comme cela des sources disparaître sous terre subitement

[Photo : Le vent et la rivière, dans une version proche de l'expressionnisme allemand.]

s'attristent déjà rien qu'à l'idée du malheur irréparable. Le vieux meunier Siffrein se révolte et proteste :

- Non ! C'est plutôt quelque perdu ou quelque échappé de galère qui, par malice et jalousie, aura bouché, crevé les conduits. Courrons d'abord jusqu'à la « serve » !

Et tout le monde le suivant, même le notaire, nous nous mettons à remonter le petit ruisselet si gazouilleur naguère parmi son tapis de cresson, et dans le lit duquel maintenant plus rien ne murmure. Soudain, nous entendons Siffrein :

- À l'aide ! au secours ! à la garde ! je tiens les gaillards qui ont fait le coup.

Cependant sa voix est joyeuse ; ses gestes effarés s'accentuent d'un grand rire :

- Arrivez ! mais arrivez donc !...

Et savez-vous ce qu'il nous montre ? Le long du bief, vers l'endroit où traverse le chemin romain que suivent les bergers lorsqu'ils vont aux Alpes, il nous montre, buvant en ordre, par escouades, sous la surveillance des chiens, avec ses grands boucs d'avant-garde, ses baudets porteurs de bagages, un de ces interminables troupeaux transhumants dont l'effectif dépasse parfois mille et deux mille têtes. Mon professeur m'avait appris que l'armée de Xerxès, en se désaltérant, tarissait les fleuves. Je ne trouvais donc pas étonnant qu'un troupeau de moutons eût suffi pour arrêter ainsi, quelques minutes, dans son cours cette source de Fontfrédière, orgueil et richesse des Siffrein.

Mais, entre-temps, les bergers sifflèrent, les chiens poussèrent des abois, les boucs et les baudets firent retentir leurs sonnailles. Dans un nuage de poussière, le troupeau était reparti.

L'émotion passée, tous les cœurs étant à la joie et comme il fallait enfin déjeuner, on s'empressa de redescendre : l'eau courut plus vite que nous.

Pas assez vite, néanmoins, pour mettre en branle la grand-roue, dont quelques godets s'emplissaient déjà, avant que l'œil investigateur du notaire n'eût aperçu, entre ses ais de bois verdi, sous la chevelure des mousses, quatre tonnelets disposés symétriquement, de façon à respecter l'équilibre.

- Que signifie, maître Siffrein !... A-t-on l'habitude au moulin de changer la grand'-roue en cave ?

- Voilà : je me suis laissé dire que le bon vin gagnait à voyager par eau. Or, ceci est vin de baptême. Nous le boirons de compagnie le jour où je serai grand-père. Tenez, le voilà qui repart. Bonne chance, et d'ici à neuf mois ! Au train dont marche le moulin, j'ai calculé que dans neuf mois mon vin aurait fait le tour du monde.

Neuf mois plus tard, presque jour pour jour, ainsi qu'il nous l'avait prédit, on dut retourner à Fontfrédière boire le vin du vieux Siffrein.

Son vin se trouva délectable comme s'il eût doublé le Cap. Le dîner avait lieu à côté de la chute d'eau, dans l'herbe du pré, sous les saules. Ce furent des santés sans nombre.

Les moulins sont morts, ou presque. Dans la plaine des Flandres par un froid soir d'hiver, voici venir l'agonie, avec le poète Émile Verhaeren® pour témoin :

[Encart : Le moulin Le moulin tourne au fond du soir, très lentement, Sur un ciel de tristesse et de mélancolie. Il tourne et tourne et sa voile couleur de lie Est triste et faible et lourde et lasse infiniment. Depuis l'aube, ses bras, comme des bras de plainte Se sont tendus et sont tombés ; et les voici Qui retombent encor’ là-bas, dans l'air noirci Et le silence entier de la nature éteinte. Un jour souffrant d’hiver parmi les hameaux s'endort. Les nuages sont las de leurs voyages sombres. Et le long des taillis qui ramassent leurs ombres, Les ornières s'en vont vers un horizon mort. Sous un ourlet de sol, quelques huttes de hêtre Très misérablement sont assises en rond, Une lampe de cuivre est pendue au plafond Et patine de feu le mur de la fenêtre. Et dans la plaine immense est le vide dormeur, Elles fixent, les très souffreteuses bicoques, Avec les pauvres yeux de leurs carreaux en loques, Le vieux moulin qui tourne, et, las, qui tourne et meurt. ]

Ce n'est pas tant pour le poisson du vendredi que les moines défricheurs du Moyen Âge ont barré vallons et rivières pour retenir l'eau. C'est surtout pour que chaque étang ou bief éventuellement irrigue, mais en priorité, alimente un moulin, seule énergie mécanique alors disponible.

Elle est venue suppléer avec beaucoup plus de puissance l'énergie humaine ou animale. C'est ainsi qu'outre la meunerie de farine et d'huile, les moulins ont permis le développement des premières industries textiles (foulage du lin et du chanvre, puis filage, etc.) et métallurgiques (soufflets des forges et martinets des chaudronniers et dinandiers).

Le patrimoine des moulins, c'est l'histoire économique du pays – et de l'Europe – d'avant le charbon et l'électricité.

aussi l'histoire du constant progrès technique associé, dont le dernier exemple est la roue d’Alphonse Sagebien (EIN n° 223) avant les turbines hydroélectriques ; mais c’est aussi le métier à tisser de Jacquard qu’il fallait bien actionner avec un moulin ou les premières et encore rares machines à vapeur.

C’est aussi, par le progrès technique apporté par chaque meunier, par son mode de vie et sa place dans la société rurale ou urbaine (jusqu’au milieu du XIXᵉ siècle), le patrimoine culturel que représentent les moulins. Nous venons d’en avoir un aperçu dans ce dernier volet de « L’eau à l'école ».

Les enfants d’Auxi-le-Château concluaient avec nostalgie et compassion : « Les moulins ont disparu peu à peu par manque de travail, laissant la place aux minoteries. Que de drames humains derrière tous ces arrêts. Les meuniers auront été les premiers chômeurs de l’ère industrielle.

Qui aurait dit que ce qui semblait alors exceptionnel deviendrait un fait de civilisation et que les Maîtres Cornille du XXᵉ siècle se compteraient par milliers. »

Cette conclusion désolée peut aujourd’hui être teintée d’optimisme. En effet, la Fédération Française des Amis des Moulins œuvre maintenant fortement pour la sauvegarde, ou l’achat, la remise en état et la maintenance des moulins, à des fins touristiques et muséologiques, ainsi que l’évoquait madame Bailly (Histoire d’eau, EIN n° 224). La fréquentation touristique peut ainsi permettre d’amortir le coût de la conservation patrimoniale.

Jean-Louis Mathieu

[Photo : Comme une cavalcade, le troupeau traverse le bief du moulin.]
[Photo : Sous un soleil éclatant, la transhumance s’abreuve de l’eau du moulin.]
[Encart : Références bibliographiques (1) Franc Nohain, « Fables » aux éditions Grasset, mais aussi à la NRF/Gallimard. (2) Paul Arène, véritable écrivain provençal, ami et pourvoyeur de contes d’Alphonse Daudet. « La roue du moulin » est tirée du recueil Contes et nouvelles de Provence, récemment réédité par Plon. (3) Émile Verhaeren : poète belge d’expression française, 1855-1916. Le recueil « Toute la Flandre » 1904-1914 regroupe ses poésies sur les paysages de son pays natal. (4) Le secret de Maître Cornille, dans « Les lettres de mon moulin » d’Alphonse Daudet. (5) Fédération Française des Amis des Moulins – 5 rue Villot – 75012 Paris.]
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