Le fameux navire rouleur d’Ernest Bazin empêchait M. Peter Beckman de dormir. Ce citoyen du Maine résolut de mieux faire encore, et il construisit le curieux engin flottant dont nos dessins donnent une idée. Non seulement il le construisit, mais il le lança sur les flots et n’hésita pas à s’y embarquer avec son fils pour un voyage à travers l’Atlantique.
Nous n’étonnerons personne en ajoutant que ce voyage fut désastreux et qu’après avoir roulé ou plutôt été drossé sur la mer pendant une quinzaine de milles, l’équipage s’estima heureux de pouvoir quitter
A la progression par roulement : le tonneau aquatique de M. Peter Beckman
sa plate-forme flottante pour le pont solide d'un navire.
Quoi qu'il en soit, l’appareil, tel qu'il avait été conçu, mérite d’être décrit.
C’était une sorte de tonneau cylindrique, d'environ 3 mètres de diamètre et 4 mètres de longueur. Il était fait de douves et cerclé de la même façon que les tonneaux ordinaires, mais portant, en outre, à sa surface extérieure une série de palettes parallèles dans le sens de la longueur. Autour de chaque extrémité du tonneau était fixé une sorte de rail circulaire en fer, sur lequel, au moyen de deux paires de roues, une plate-forme mobile pouvait glisser et se maintenir dans une position horizontale pendant la rotation du tonneau. Le bâti extérieur, légèrement plus large que le tonneau, portait à chaque extrémité une couple de montants verticaux, comme le montrent nos dessins. Portées par ces montants, quatre traverses horizontales pénétraient à l’intérieur du tonneau par des ouvertures pratiquées à chacune de ses extrémités. Là, elles étaient boulonnées avec une couple de cadres verticaux faisant partie d'une plate-forme intérieure ou cabine, servant de poste à l’équipage. Le poids de la plate-forme extérieure et de la cabine intérieure étaient calculés de façon qu’elles puissent flotter toujours dans une position horizontale. Le mouvement de rotation était imprimé au tonneau au moyen de manivelles mues de main d'homme et d'un pignon s'engrenant avec une large crémaillère circulaire, boulonnée aux extrémités du tonneau, comme l’indiquent nos coupes longitudinales et transversales. La marche en avant de l’ensemble était due aux palettes disposées sur la périphérie du tonneau. Les seuls contacts entre le bâti et le tonneau étaient les quatre petites roues tournant sur le rail circulaire. À l'intérieur étaient aménagées deux couchettes, une pièce renfermant les provisions et bagages, et même une sorte de cuisine rudimentaire.
M. Peter Beckman partit de Bar Harbor, dans l’État du Maine, le 23 septembre 1897 pour son premier et unique voyage et n’hésita pas à quitter le rivage et à gagner la haute mer. Sous l'action combinée des manivelles et du vent, l’étrange embarcation voyagea pendant une quinzaine de milles, à raison de six milles par heure.
Bientôt, l’intrépide marin s’aperçut que le vent devenait maître de lui. Après avoir été ballotté par la brise pendant encore environ quinze milles, il fut hélé par le vapeur Pentagoet, allant à New-York, et recueilli à bord.
On essaya de haler le bateau-rouleur mais la tentative ayant été reconnue impossible, on laissa l'appareil continuer seul son voyage à travers l’Atlantique...
Le plus récent bateau-rouleur
S. Geffrey
Il est difficile de se rendre compte du sentiment qui a poussé des inventeurs, tels que M. Bazin en France et M. Knapp au Canada, à essayer de construire des navires pour les voyages, en substituant à la progression par glissement la progression par roulement. Quels que soient les mobiles de cette inspiration, ses résultats sont bien loin d’avoir été encourageants. Le bateau-rouleur Bazin souleva les flots avec ses roues et essaya de se couler lui-même, avec une persistance qui apparut comme une protestation indignée contre la tentative de retirer un navire de son élément naturel et de le faire mouvoir par-dessus la mer, au lieu de le laisser se mouvoir à travers l’onde.
L’eau adhérait aux roues avec une telle ténacité qu’elles étaient bien loin de donner une vitesse supérieure à vingt ou trente nœuds à l'heure, comme on l'avait délibérément annoncé ; et lorsqu’en
[Photo : Coupe transversale et coupe longitudinale d’un bateau rouleur]
[Photo : Inauguration du bateau-rouleur de M. Knapp]
Désespoir de cause, l'inventeur voulut placer une machine plus puissante sur son bateau ; celui-ci coula à une telle profondeur qu'il ne fut plus même question de songer à le renflouer.
Quoique le bateau de M. Bazin ait abouti à un échec, cela n’a pas détourné M. Knapp de tenter une coûteuse expérience dans le même ordre d’idées.
En examinant son bateau, tel que le montre notre dessin, il faut reconnaître que si l'idée des navires rouleurs est déjà ancienne, son application présente est décidément nouvelle. M. Knapp a abandonné l'idée de faire les roues indépendantes du bateau ; si celui-ci peut être ainsi désigné, et a combiné bateau et roues en une seule pièce, de telle sorte que le bateau peut être considéré comme son propre moteur roulant. Le navire consiste en un vaste cylindre de 7 mètres de diamètre et de 27 mètres de longueur, dont les extrémités sont réduites presque brusquement à un diamètre de 5 mètres. Ces extrémités sont ouvertes, et c’est par là que l'on pénètre à l'intérieur du vaisseau.
À chaque extrémité du cylindre est disposée une série de rails d’acier qui s’étendent circulairement autour de l’enveloppe à laquelle ils sont solidement boulonnés. Sur chaque série de rails est montée une plate-forme mobile sur des roues à gorge, et susceptible, par conséquent, de conserver une position horizontale pendant la rotation de l’enveloppe.
Sur chaque plate-forme sont installés un générateur et une machine distincts. On aperçoit sur notre dessin la cheminée de l'un d’eux sortant de l’orifice du cylindre. On voit par cette description que la plate-forme est mobile circulairement sur les rails du cylindre et qu’elle peut rester stationnaire tandis que celui-ci tourne. Quand la machine est mise en marche, elle actionne les roues de la plate-forme, qui tend à remonter le long des rails circulaires ; mais, par l’effet de la pesanteur, c'est le cylindre qui, sous l’action des roues, entre en mouvement, tandis que la plate-forme conserve toujours sa position horizontale.
Sur la périphérie extérieure du cylindre sont boulonnées seize palettes de 5 mètres de long et de 20 centimètres de saillie, non pas disposées normalement, mais inclinées de façon à former une sorte d’hélice qui se visse dans l'eau et fait progresser le cylindre.
Le bateau est muni de deux grands gouvernails placés chacun à une extrémité sous la plate-forme.
L’essai de cette invention a été fait le 21 octobre 1897 à Toronto, sur le lac Ontario, où la construction avait été faite. Notre dessin montre la curiosité excitée par cette cérémonie. Quand les machines furent mises en marche, l’inventeur-constructeur, qui avait choisi pour surveiller l'expérience le pont d'un navire de construction normale, eut la satisfaction de voir son cylindre faire six révolutions par minute et avancer doucement sur les flots. Sa vitesse atteignait six nœuds par heure.
Mais quoique ce bateau rouleur ait marché, cet essai ne donne aucune raison de croire que la marine de l'avenir aura recours à ce nouveau mode de propulsion…
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