Tout d’abord on lui opposa une offre des Sieurs Périer sollicitant le privilège exclusif d’établir à Paris des pompes et machines à feu pour relever les eaux de la Seine. Des lettres patentes leur furent même accordées à cet effet le 7 février 1777, sans abandon toutefois des autres projets. Leurs installations ne coûteraient que 1 800 000 livres, disaient-ils, et permettraient, comme le canal de l’Yvette, de supprimer les roues fixes ou sur bateaux et les moulins « pendans » qui encombraient les arches du Pont Notre-Dame et du Pont Neuf.
Le projet des Sieurs Périer fut lui-même vivement combattu devant l’Académie royale par Lavoisier qui lui reprochait, « même dans l’hypothèse très douteuse où l’on disposerait d’assez de charbon pour alimenter de telles machines, le grave inconvénient des fumées qui en résulteraient et qui rendraient irrespirable l’air à Paris par l’huile empyreumatique, l’alcali volatil etc. qu’elles contiennent ».
Une autre déception devait frapper M. Perronet sous la forme d’un contre-projet identique dans son principe présenté par M. Nicolas Defer de la Nouerre, qui ne s’élevait qu’à 5 760 000 livres contre 7 826 209 pour celui de M. Perronet. Mais cette économie était obtenue au prix du remplacement du canal maçonné d’amenée des eaux de l’Yvette et de la Bièvre par un simple canal en terre, de la suppression de certains ouvrages d’art, ainsi que grâce à une sous-estimation des dommages et indemnités dus aux riverains industriels et propriétaires de moulins notamment.
Malgré de pathétiques suppliques et avertissements répétés adressés au Roi par M. Perronet, le contre-projet de M. Defer fit l’objet d’un arrêt du Conseil d’État autorisant cet ingénieur à entreprendre les travaux à « ses risques, périls et fortune ».
* La première partie de ce texte est parue dans le numéro 133 de décembre 1989 de notre revue.
** Cet article, extrait du n° « Hiver 83 » de la revue Seine Normandie, est reproduit avec l’aimable autorisation de cette publication et de son auteur.
Le 3 novembre 1787, moyennant un cautionnement de 400 000 livres en couverture des dommages et indemnités précités, des actions furent aussitôt lancées et souscrites et les travaux commencèrent par le tronc commun de la Bièvre et de l’Yvette.
Mais aussitôt s’élevèrent de violentes réclamations et des plaintes au Parlement contre les déprédations commises, l’insuffisance et les retards des indemnités versées par la « Compagnie du canal de la Bièvre et de l’Yvette » ainsi créée, la mise en chômage des moulins qui obligeait notamment les habitants pauvres à « manger du pain blanc faute de pain bis », appuyés en cela par le prince de Condé, seigneur d’Amblainvilliers, propriétaire de nombreux moulins, de M. de Buffon, des syndics de la Conservation des Eaux de la Bièvre traitant le sieur Defer de spéculateur et comparant son projet à une « hydre à cent têtes qui, quand on en abat une, en montre une autre, etc. ».
Le projet Defer avait toutefois quelques défenseurs, tels que le duc de Penthièvre, actionnaire de la Compagnie, qui acceptait que le canal traverse son magnifique parc de Sceaux sans aucune indemnité.
Devant l’effervescence grandissante, un arrêt du Parlement du 29 novembre 1788, suivi d’un arrêt du Conseil d’État du 11 avril 1789, stoppa les travaux, suivant en cela les avis exprimés par les « Cahiers des plaintes, doléances et remontrances des Communes », tel que celui de Palaiseau du 15 avril 1789, demandant « que le projet du canal de la Bièvre et de l’Yvette soit anéanti, n’étant d’aucune utilité publique, mais seulement un objet de spéculation très préjudiciable à la paroisse de Palaiseau et de plus de 30 autres circonvoisines ».
La Révolution mit fin définitivement non seulement au projet Defer, mais aussi à l’idée d’amener à Paris les eaux de l’Yvette et de la Bièvre réunies, pour laquelle M. Perronet, décédé en 1794, guère plus d’un an après l’exécution de son roi bien-aimé, avait tant lutté et consacré les dernières décennies de sa vie.
[Photo : Carte « Plan général du canal projeté »]
Qu'est-il resté de ses études, à part les mémoires, les plans et les planches si magnifiquement gravées, les devis tellement précis et détaillés qu'on pouvait, comme leur auteur l'écrivait, les mettre à exécution à tout moment ?
Quelques bornes à Fleur de Lys perdues dans l'urbanisation de la banlieue sont pour certaines encore en place et rappellent de tout leur poids l'émouvante histoire de l'Yvette, rivière des Yvelines et de la Bièvre, rivière des castors, et du projet avorté de M. Perronet.
Et dans cet ordre d'idées, mes investigations, trop cursives, à la Bibliothèque Mazarine ou Nationale m'ont permis d'admettre l'hypothèse qu'une disposition particulière et spectaculaire du projet de M. Perronet s'est trouvée en fait réalisée lors de la construction par M. Belgrand, qui, pour l'amenée des eaux lointaines de la Vanne et de l'Yonne aux réservoirs de Montsouris, a retenu la solution de M. Perronet de surélever d'un 2e aqueduc l'aqueduc d'Arcueil, que Marie de Médicis avait fait construire de 1610 à 1625 (à l'emplacement des ruines d'un ancien aqueduc romain) pour conduire déjà à Paris les eaux de Rungis où elles arrivaient au Bouillon dit d'Arcueil.
L'aqueduc enjambe la vallée encaissée de la Bièvre à Arcueil. Ainsi que M. Perronet l'avait conçu, un second étage fut ajouté à l'ouvrage de Marie de Médicis. Seule la provenance des eaux s'est trouvée changée par rapport aux projets...
[Photo]