Le problème de l'eau potable à l'usage des troupes en marche ou en cantonnement est un des plus difficiles à résoudre, et cependant la nécessité d'une solution s'impose, car il s'agit, avant tout, de parer à des menaces de maladies infectieuses qui se produisent aussitôt à la moindre négligence. L'expédient de l'ébullition est lent et coûteux ; les hommes n'ont pas la patience d'attendre que l'eau soit rafraîchie et aérée ; ils se précipitent sur la première eau venue, si suspecte soit-elle, et s'abreuvent à longs traits, sans souci des suites. La surveillance des chefs est déjouée, les règlements les plus sévères sont éludés, et cependant les médecins militaires sont unanimes à signaler les nombreux contingents de malades que leur amènent ces imprudences renouvelées.
Le service de santé (septième direction de la guerre), après de longues études sur la prophylaxie de la fièvre typhoïde, a adopté le filtre Chamberland pour le service des casernements qui ne sont pas desservis en eau de source de bonne qualité. Le filtre Chamberland est connu depuis longtemps, et chacun connaît la bougie en porcelaine dégourdie qui forme le corps filtrant de cet utile appareil. Dans la consommation courante, le filtre Chamberland a conquis droit de cité, et ses applications sont nombreuses. Ce que nous signalons ici, c'est l'application du système au filtre transportable que représentent nos gravures, et qui vient d'être introduit dans le service des troupes en déplacement.
Le filtre transportable comprend le récipient des bougies qui constitue le filtre proprement dit. Ce récipient, analogue à l'autoclave Chamberland, dont l'usage est courant dans les laboratoires pour stériliser par la vapeur sous pression, a la forme d'une chaudière qui, montée sur tourillons, bascule à volonté et se vide immédiatement.
Refoulée par une pompe aspirante et foulante, l'eau impure pénètre par un des tourillons, au moyen d'un raccord d'accouplement spécial qui suit le filtre dans tous ses mouvements.
Le système filtrant se compose d'une batterie de vingt et une bougies ; ces bougies ouvertes aux deux extrémités sont montées sur deux collecteurs en étain au moyen de manchons en caoutchouc qui assurent une jonction parfaite sans ligature.
Par la tubulure de sortie de l'eau pure, on peut souffler dans l'intérieur des bougies, afin de vérifier leur étanchéité, laquelle est prouvée par l'absence d'un dégagement de bulles d'air dans l'eau où elles plongent. Le remplacement des bougies s'opère d'ailleurs très simplement ; il suffit de desserrer un écrou, et l'on sort la batterie de bougies, en un bloc.
Le volume de l'appareil est réduit au minimum par la mobilité des brancards qui se rabattent sur les montants de la civière et par le déboîtage du levier de la pompe. Le nettoyage est non moins rapide ; la brosse spécialement établie à cet usage s'étale à la fois sur trois bougies, quelques coups de pompe ajoutent à cette opération un rinçage énergique, et comme l'ensemble de cette manœuvre ne prend que fort peu de temps, on peut la renouveler fréquemment.
En ce cas, le débit moyen demeure à peine inférieur au débit initial.
[Photo : Le filtre de campagne, petit modèle.]
* Extrait du n° 527 de la revue « La science illustrée » (1898).
Ce modèle permet de distribuer, en une demi-heure de filtrage, la quantité d’eau nécessaire à 200 hommes.
[Photo : LES INNOVATIONS NOUVELLES. — Le filtre de campagne, grand modèle.]
Nous croyons intéressant de citer un extrait du rapport de M. le Dᵣ Schneider, médecin-major, attaché à la direction du service de santé au ministère de la guerre, à l’occasion de la revue du 14 juillet dernier : « Le ministère de la guerre s’était préoccupé de la qualité de l'eau que devaient consommer les troupes pendant leurs repas, avant la revue. Or l’eau du bois de Boulogne provient de l’Ourcq ou de la Seine, en aval de Paris. Il était donc à craindre que les hommes altérés par la chaleur et n’ayant que cette eau à leur disposition, ne fussent atteints de diarrhée cholériforme et qu'il ne se créât des foyers d’infection dans toutes les casernes. Le ministre de la guerre décida que de l’eau irréprochable serait distribuée aux troupes et chargea la Direction du service de santé d’aviser aux moyens propres d’arriver à ce résultat.
« Le problème était assez difficile à résoudre. Transporter de l’eau potable pour 20 000 hommes, et dans des conditions convenables, il n’y fallait pas penser. La faire bouillir sur place était aussi impraticable.
« La Direction du service de santé téléphona à la Société du filtre Chamberland, système Pasteur, et à la maison Geneste et Herscher, pour leur demander s’il leur restait possible de mettre un nombre suffisant d’appareils de filtrage et de stérilisation de l'eau à sa disposition et d’installer dans les deux ou trois jours seulement qui nous séparaient du 14 juillet un service d’eau destiné à 20 000 hommes.
« L’ingénieur de la Société Chamberland nous répondit immédiatement qu’il pourrait nous fournir 8 000 litres d’eau filtrée au moyen de trois appareils, dont deux du modèle que la municipalité parisienne a adopté pour les fontaines Wallace, pendant les substitutions d’eau de Seine à l'eau de source, le troisième étant un filtre de campagne pareil à ceux dont le ministre de la guerre a doté les troupes de son département envoyées au Dahomey...
« Le ministre, ayant accepté ces propositions, voulut bien me désigner pour présider à l’organisation et au fonctionnement de ce service et, dans ce but, me mit à la disposition de M. le général Saussier.
« Je me préoccupai immédiatement du nombre de postes que je pourrais installer et des emplacements qu’ils devaient occuper, de façon à faire parcourir aux hommes de la corvée d’eau le moins de chemin possible.
« L’état-major du gouverneur me donna les indications nécessaires et il fut décidé qu’on installerait un filtre Chamberland (modèle des fontaines Wallace) vers le milieu de la route de la Seine à la butte Mortemart, l'autre filtre du même modèle dans le triangle formé par la route de Sèvres à Neuilly, l’allée des Moulins et le chemin de Suresnes à Bagatelle ; enfin le filtre de campagne à gauche des tribunes...
« L’expérience prouva la justesse des prévisions du ministre de la guerre. Quoique la température se soit considérablement rafraîchie le 13 et le 14 juillet, les troupes consommèrent les trois quarts de l’eau proposée, et le reste fut donné libéralement à partir de 2 heures aux personnes civiles et aux nombreux marchands de boissons plus ou moins hygiéniques qui se pressaient autour des appareils.
« Il est vraisemblable que, de ce fait, de nombreux cas de diarrhée et peut-être de choléra ont été épargnés à l’armée de Paris et à une petite partie de la population assistant à la revue...
« Qu’il me soit permis, en terminant, d’exposer sous forme de conclusion les résultats obtenus dans l’armée de Paris, grâce aux précautions hygiéniques ordonnées par l’autorité militaire et exécutées strictement par les corps de troupe. Alors que, comme vous le savez, l’épidémie cholérique et cholériforme actuelle faisait un assez grand nombre de victimes dans la banlieue ouest et nord de Paris, l’armée qui y entretient de forts contingents, 4 000 hommes environ, à Courbevoie, à Rueil, à Saint-Cloud, au Mont-Valérien, à Saint-Denis, en a à peine ressenti l’influence. »
Il est inutile d'ajouter quoi que ce soit aux conclusions de cette intéressante expérience ; on doit souhaiter que, sous peu, nos troupes en déplacement soient pourvues sans exception d’appareils qui assurent cette condition primordiale d’une alimentation hygiénique.
G. TEYMON.