Les propriétés remarquables du chlore l'ont depuis longtemps imposé comme décolorant et antiseptique énergique. Mais sa toxicité, qui en rend fort dangereux le maniement, est fait obstacle à son emploi courant si l'on n'avait observé les mêmes précieuses qualités chez certains de ses composés oxygénés, communément groupés sous le vocable de « chlorures décolorants », et dont l'innocuité est bien connue de tous.
Pratiquement, on n'use plus que du chlorure de chaux et de sa dérivée l'eau de Javel. Chimiquement, ce sont des hypochlorites : de chaux dans le premier cas, de soude dans le second, corps instables, cédant leur chlore avec la plus grande facilité sous la moindre influence acide. L'acide carbonique, toujours présent dans l'atmosphère, suffit, en effet, à déplacer ce gaz dont on perçoit l'odeur si caractéristique partout où l'on répand du chlorure de chaux.
Le développement pris par l'industrie de la soude en partant du sel ordinaire — chlorure de sodium, NaCl — a conduit à une production considérable de chlore ; 445 000 tonnes de sel étaient, en effet, traitées chaque année dans nos souderies et chaque tonne transformée correspond à la libération de 555 kilogrammes de chlore. Préparé par voie électrolytique, ce gaz est particulièrement pur, et on l'oblige à venir aussitôt se faire absorber dans un lait de chaux, constamment remué et refroidi, car la réaction se faisant avec dégagement de chaleur, l'élévation de température qui
[Photo : L'EMBALLAGE AUTOMATIQUE DU CHLORURE DE CHAUX – Le chlorure de chaux tombe directement par des manches dans les tonneaux qu'une petite plate-forme sur rails permet d'amener sans effort exactement au-dessous des cylindres en vidange. À remarquer que l'ouvrier est néanmoins muni d'un appareil respiratoire mettant ses yeux, et ses poumons surtout, à l'abri des émanations corrosives de chlore. Son masque est alimenté par un générateur d'oxygène qu'il porte sur son dos.]
* NDLR : l'équipement des ouvriers s'est nettement simplifié depuis 1920 !
s'ensuivrait conduirait à l'obtention de chlorure de calcium — CaCl₂ — corps qu'il ne faut pas confondre avec le chlorure de chaux — Ca(OCl)₂ — dont les propriétés sont très différentes.
Il est, du reste, très difficile, quelque précaution que l’on prenne, de n’obtenir que l'hypochlorite Ca(OCl)₂, le seul qui puisse dégager la totalité de son chlore. En plus ou moins grande proportion, suivant le soin qu'on y apporte, on le produit mélangé avec le chlorure CaOCl, moins intéressant à beaucoup près, puisque, sous l’action des acides, il ne livre guère plus de la moitié du chlore qu'il contient. En fait, c’est ce dernier chlorure qui représente en presque totalité le chlorure de chaux industriel.
Il convient de serrer d’aussi près que possible la saturation du lait de chaux par le chlore, en raison de la stabilité plus grande des solutions plus concentrées.
Outre son emploi hygiénique de désinfectant et d’agent actif dans le blanchiment des tissus végétaux : coton, chanvre, pâte à papier, etc., le chlorure de chaux trouve application de ses qualités de chlorurant et d’oxydant dans la fabrication de certains produits chimiques, tels que le chloral, le chloroforme et l'oxychlorure de carbone. Mais son débouché le plus important lui est assuré par la fabrication de l’eau de Javel, autre chlorure décolorant, d’un emploi beaucoup plus général comme désinfectant et surtout dans les blanchisseries.
Primitivement, l’eau de Javel était un hypochlorite de potasse, l’hypochlorite de soude constituant la liqueur de Labarraque… Mais l’usage commercial a prévalu de nommer « eau de Javel » l’hypochlorite de soude, qu’on peut obtenir de plusieurs manières.
Au lieu de lait de chaux, si on reçoit le chlore des soudeurs dans une solution de carbonate de soude, on obtient une eau de Javel. Cette méthode ne peut être qu’industrielle, et, en fait, il n’y est à peu près jamais recouru.
Les quantités les plus importantes sont obtenues en partant de chlorure de chaux à 33 %, qu’on étend au quadruple, en le délayant dans trois fois son poids d’eau. On prépare, d’autre part, une solution de carbonate de soude dans cinq fois son poids d’eau, et on mélange, à froid, ces deux solutions dans la proportion de trois de carbonate pour quatre de chlorure. On brasse largement pendant trente minutes et on abandonne au repos pendant douze à quinze heures. De l’échange des bases, il est résulté du carbonate de chaux qui, insoluble, précipite au fond du récipient, et de l'hypochlorite de soude qui surnage en solution, formant l'eau de Javel.
On décante le liquide et lave abondamment le précipité calcaire avec de l'eau faiblement chargée de carbonate de soude qui enlèvera les dernières portions de chlore ayant pu échapper à la première action. Finalement, toutes eaux réunies, l'eau de Javel présente une réaction alcaline, et pour lui permettre d’être immédiatement active, on lui ajoute une petite quantité d’acide sulfurique — de 1 à 1,5 ‰ normalement — pour neutraliser exactement la liqueur en se servant de tournesol comme indicateur.
Lorsqu’il s’agit de petites quantités à faire pour l’usage domestique et qu’il n’est plus question de rigueur dans les résultats, on peut aisément faire de l’eau de Javel de la façon suivante : on délaye 100 g de chlorure de chaux dans 3 l d’eau. On agite énergiquement et on laisse reposer jusqu’à ce que les parties non solubilisées se soient bien rassemblées au fond du vase. On décante, et sur le résidu on recommence exactement l’opération avec la même quantité d’eau. On réunit les liquides et leur ajoute une solution obtenue avec 100 g de carbonate de soude cristallisé dans un litre et demi d’eau. On brasse vigoureusement les deux solutions pendant quelques minutes, à plusieurs reprises, et on abandonne le tout pendant vingt-quatre heures.
La réaction est naturellement exactement la même que dans le processus industriel.
Lorsqu’on dispose du petit outillage permettant l’électrolyse, l’obtention d’eau de Javel est plus simple et plus rapide encore. Dans un bain fait à raison de 175 g de chlorure de sodium — sel marin raffiné — par litre d’eau, on dispose les électrodes en platine : l’anode à la partie supérieure et la cathode à la partie inférieure, et l’on fait passer un courant d’une densité de 15 A/cm². La seule précaution importante à observer est le refroidissement, de façon à maintenir toujours le bain à une température inférieure à 25 °C.
[Encart : L’EAU, L’INDUSTRIE, LES NUISANCES présente ses vœux de bonne année à ses lecteurs et annonceurs avec une attention particulière envers les auteurs qui lui apportent leur précieuse collaboration.]