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Histoire d'eau : Et l'eau vint à manquer?

30 avril 2010 Paru dans le N°331 à la page 104 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET

Ils maîtrisaient parfaitement le calendrier, l'alphabet, les mathématiques et disposaient de connaissances approfondies en astronomie. Ils pratiquaient une agriculture variée et faisaient montre d'une maîtrise architecturale avancée. Pourtant, en quelques décennies à peine, la civilisation Maya, constituée de plus de 1 200 cités florissantes, va s'effondrer et disparaître à jamais sans que nul n?en connaisse les véritables raisons. Jusqu'à ce que des équipes de scientifiques ne se livrent tout récemment à des expériences éclairantes.

[Photo : JLP]

L'histoire connue de la civilisation Maya commence environ 1000 ans avant Jésus-Christ.

Les Mayas occupent alors un territoire d'environ 400 000 km² qui s'étend sur les actuels États mexicains du Yucatan et du Chiapas ainsi que sur le Honduras et le Guatemala. Une région tropicale composée de hautes terres volcaniques au relief montagneux et au climat tempéré, de basses terres au sud traversées de grands fleuves comme le Motagua ou l'Usumacinta et couvertes d'une forêt tropicale dense et humide. Au nord, les Mayas occupent le plateau calcaire aride du Yucatan, recouvert d'une végétation maigre et éparse, au climat sec, presque dépourvu de cours d'eau autres que souterrains.

La civilisation Maya est organisée en une multitude de cités-États, chacune dirigée par un souverain héréditaire. La structure sociale s'organise autour de la cellule familiale.

L'économie Maya repose essentiellement sur l'agriculture et plus particulièrement le maïs. Contrairement à une croyance bien établie, les connaissances générales des Mayas sont peu étendues : ils ne connaissent ni l’élevage ni la métallurgie. Ils n'ont pas d’animaux de trait et ne connaissent pas la roue. Ils ne disposent pas de système précis de pesage. Leurs outils sont en pierre taillée. Mais leurs connaissances astronomiques sont extrêmement développées et atteignent un degré auquel les Européens ne parviendront que bien plus tard. Ils développent leurs connaissances en mathématiques pour calculer les mouvements du ciel. Au contraire des Grecs ou des Romains, les Mayas maîtrisent parfaitement le concept du chiffre zéro. Le calendrier Maya est aussi bien plus précis que le calendrier grégorien qui ne sera introduit en Europe qu'en 1580.

L'apogée de la culture Maya coïncide avec l’émergence de grandes cités, centres de pouvoir religieux, commercial et politique, comme Chichen Itza, Tikal et Uxmal.

D'immenses ouvrages sont édifiés à l'aide de techniques souvent très rudimentaires.

Les cités mayas s'ordonnancent autour de larges places où le symbolique joue toujours un rôle prépondérant. Tout autour se concentrent les bâtiments officiels, temples, stades, palais et pyramides, tous orientés en fonction d’événements célestes. L'apogée de la civilisation maya se situe au VIIIᵉ siècle et correspond à l'ère classique, de 290 de notre ère jusqu'à 880, soit peu avant la conquête espagnole. Une démographie dynamique, la diffusion des pratiques culturelles et religieuses, la recherche constante de l'esthétique dans l'architecture et le développement très rapide des connaissances scientifiques traduisent clairement le dynamisme de cette période.

Mais vers 900, en à peine quelques décennies, une rupture apparaît : les cités se vident, on cesse de graver des stèles, de construire des édifices religieux et la population rurale se met à chuter brutalement. La civilisation maya se disloque.

La civilisation maya se disloque

Au IXᵉ siècle, les cités mayas les plus développées comptent jusqu'à 160 000 âmes. La population globale est estimée à 12 millions d'individus. L'agriculture s'est considérablement développée. En raison des importants besoins de cette population, les Mayas défrichent beaucoup. Ils pratiquent l'agriculture en brûlis, cultivent le maïs, le coton et le cacao. Pour nourrir ces populations de plus en plus nombreuses, les Mayas vont jusqu'à exploiter les terres les moins fertiles en pratiquant l'agriculture en terrasse. Dans les zones marécageuses, ils aménagent des parcelles surélevées, creusent des canaux de drainage, mettent en culture des parcelles remblayées. Ils multiplient les ressources en pratiquant la pisciculture dans les canaux.

[Photo : Le contrôle du peu d'eau disponible fut l'une des forces de la civilisation maya. Des recherches ont mis en évidence d'énormes réservoirs et bassins de captages à l'intérieur et autour des cités.]
[Photo : À leur apogée, on estime à plus de trois mille le nombre de sites habités, cultivés et approvisionnés grâce à un ingénieux système d’irrigation et de transports. Chacune des cités-États mayas rivalise alors de prestige.]

C'est l'âge d'or de la civilisation maya. Il va durer jusqu'au VIIIᵉ siècle, date à laquelle on constate un arrêt progressif de toute activité de construction dans les cités des basses terres du sud, au Guatemala et au Mexique actuels. La dernière inscription monumentale connue remonte à 822 pour Copán au sud-est, 869 pour Tikal au centre et 909 pour Tonina à l'ouest. Les chercheurs constatent également une forte baisse de la démographie à cette période. Et les basses terres du nord, au Yucatán, ne tardent pas à suivre : les cités d’Uxmal, Labná, Kabah, Sayíl sont également désertées au cours du Xᵉ siècle. Certes, la chute n'est pas brutale mais s’étale sur plusieurs décennies. Et chose étonnante, les ruines mayas ne sont pas des villes détruites mais des cités abandonnées.

Des cités abandonnées

De nombreuses théories ont été avancées pour tenter d’expliquer les causes de ce dépeuplement quasi total et si soudain au regard du déclin qui affecta d’autres civilisations aujourd'hui disparues. On a successivement évoqué des conflits, voire des guerres entre cités, des catastrophes naturelles, une érosion des sols due à une agriculture trop intensive, des famines et même des révoltes paysannes contre les

[Photo : La constatation est aussi simple qu’inexplicable : les cités mayas ont été abandonnées au début du Xᵉ siècle, bien avant l'arrivée des conquistadors espagnols puis englouties par la forêt. Ce n’est qu’au cours de la seconde moitié du XIXᵉ siècle et au début du XXᵉ qu’elles seront retrouvées et restaurées.]

classes élevées de la civilisation maya.

Mais toutes ces théories ont été tour à tour démenties par les faits. Aucune étude n’a relevé la survenue d'une catastrophe naturelle. Aucun charnier, fosse commune ou trace quelconque d’hécatombe n'a été retrouvée qui aurait pu étayer une mortalité massive (guerre, épidémie, etc.). La constatation est aussi simple qu'inexplicable : les cités mayas ont été abandonnées au début du Xᵉ siècle, bien avant l'arrivée des conquistadors espagnols puis englouties par la forêt. Ce n'est qu’au cours de la seconde moitié du XIXᵉ siècle et au début du XXᵉ qu’elles seront retrouvées et restaurées. Mais ce qui a pu causer l'abandon de ces gigantesques cités demeure mystérieux. L'hypothèse la plus fréquemment avancée par les chercheurs repose sur une conjonction d’événements politiques avec une sécheresse qui aurait sévi durant les IXᵉ et Xᵉ siècles, à plusieurs décennies d'intervalle et qui perdurèrent plusieurs années, sapant les fondements de la civilisation maya.

On en était là jusqu’à ce que des carottages effectués au large du Venezuela ne confirment, au début des années 2000, la validité de la piste climatique.

La piste climatique

En 2001, des explorations océaniques menées au large des côtes vénézuéliennes mettent en évidence une importante zone sédimentaire protégée des effets des mouvements telluriques. Les carottages effectués révèlent, avec une précision inférieure à une année, quatre périodes d’intense sécheresse. Lors de ces épisodes, le fleuve Orénoque, du fait de son plus faible débit, charrie moins de sédiments vers le large. Les carottages effectués au large de son embouchure montrent des couches nettement plus fines pour trois périodes s'échelonnant au VIIIᵉ et IXᵉ siècle. Des mesures confirmées par d'autres études menées sur les sédiments de certains lacs du Yucatan suggèrent un stress hydrique très marqué au cours de ces périodes.

Mais c'est paradoxalement de Chine que viendra la confirmation de cette hypothèse lorsqu’une équipe de paléo-climatologues décide d’analyser les sédiments du lac Huguang Maar, dans le sud-est du pays. Pourquoi ces sédiments ? Parce que leurs propriétés révèlent l'empreinte précise des phénomènes météorologiques et permettent de reconstituer le comportement de la zone de convergence intertropicale, une zone de basses pressions équatoriales qui dicte le rythme saisonnier des pluies sous les tropiques. L'étude révèle qu’au cours des 16 000 dernières années, il y a eu trois périodes où le climat était sec en Chine comme dans la zone tropicale. Ces trois épisodes coïncident avec l'effondrement de la dynastie chinoise des Tang, comme avec celle des Mayas de l’autre côté du Pacifique.

La suite est reconstituée par les historiens. Ces sécheresses successives portent des coups très durs aux cités mayas. La raréfaction des ressources provoque des soulèvements et surtout décrédibilise les rois et les dignitaires religieux censés être les garants de la fertilité des cultures. L'agriculture ne suffit plus à subvenir aux besoins des populations et, dans les cités, l'eau vint à manquer. Protégées par une meilleure organisation et un contrôle de l’eau plus efficace, certaines cités ont pu faire face au premier épisode de sécheresse, voire au second, avant de céder au troisième et d’être à leur tour abandonnées de leurs habitants.

Lorsque les Espagnols arrivèrent, un peu plus tard, la région n’était plus occupée que par des tribus désorganisées.

[Photo : Ces sécheresses successives portent des coups très durs aux cités mayas. La raréfaction des ressources provoque des soulèvements et surtout décrédibilise les rois et les dignitaires religieux, censés maintenir la fertilité des cultures.]
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