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Histoire d'eau : En vadrouille autour de quelques sites du patrimoine fluvial de la moyenne Garonne

30 decembre 1996 Paru dans le N°197 à la page 66 ( mots)

Début juillet, dans le cadre de Garonne Le Festival, devait se tenir à Toulouse le Forum « Fleuve Garonne » qu’avait préparé avec passion Philippe Delvit, maître de conférences à l’Université de Toulouse. Ce forum devait réunir des chercheurs, des spécialistes et des élus autour du thème de l’aménagement fluvial, la reconquête du patrimoine fluvial, en particulier dans les espaces urbains, et les instruments nouveaux tels que les SDAGE et SAGE. Ce forum de deux jours a été annulé malgré son grand intérêt et, pour atténuer la déception de ceux qui s'étaient beaucoup engagés dans cette opération, Ph. Delvit avait organisé un petit voyage d’étude dont rend compte Annette Pinchedez, bien connue du milieu de la batellerie.

Délaissés parce qu’obsolètes, quelques témoignages du patrimoine fluvial du bassin de la moyenne Garonne méritent la redécouverte. Prenant Toulouse comme point central, la balade fut édifiante.

D'abord dans Toulouse en rive droite

1 - Le Bazacle. Il fournit actuelle-

[Photo : Toulouse - Bazacle Turbine Pelton]
[Photo : TOULOUSE]

ment l’électricité pour EDF. Mais cette immense usine hydroélectrique n’a pas toujours eu cette vocation. Le barrage est né progressivement par la construction d’une chaussée sur un gué moyenâgeux et sur laquelle ont été installés de nombreux moulins. Le passage des bateaux (le passelis) se situait dans la partie concave de la courbe de la Garonne où s’est juxtaposée l’usine. À cette époque, l’exploitation des moulins par des sortes de pionniers du capitalisme, les « pariers », a favorisé le peuplement du lieu, donnant naissance à Toulouse. De siècle en siècle, s’implantèrent les bâtiments d’une architecture hydraulique très conséquente dont certains ne sont plus exploités, mais comme ils sont toujours entretenus, ils procurent une visite fort intéressante.

[Photo : Toulouse Bazacle - l’emblème des « pariers » sur une échelle de crue]

2 - Le complexe d’aboutissement des canaux à la Garonne.

Ce vaste lieu d’échange « tri-canalien » englobe l’arrivée du canal du Midi, le départ du canal latéral à la Garonne et l’amenée du canal de Brienne qui prend son eau en Garonne à 1,8 km plus à l’amont. La vaste gare d’eau qui reçoit ces trois canaux est ornée d’un superbe bas-relief du sculpteur Lucas glorifiant la liaison mer - océan. Ces trois canaux, régulés par des écluses, sont reliés à un bassin de décantation appelé « filtren », donnant accès à la Garonne. L’ensemble se situe à l’ouest de la ville. La construction assez compliquée de ces ouvrages d’art vieux de deux siècles est réalisée en briques roses fabriquées dans les briqueteries implantées en périphérie. Hélas ! ce réseau d’eau est bien vide.

On le verrait pourtant utilisé pour le canotage ou tout au moins organisé en parcours pédestre commenté.

3 - La Garonnette (ou Petite Garonne).

Cette rue du quartier du Tounis fut un bras de la Garonne portant ce nom, très fréquenté par la batellerie si l’on en juge par les appellations voisines : pont du halage de Tounis prolongeant le quai de Tounis et la rue des bateliers le jouxtant.

[Photo : Ex-Voto - Bois polychrome XVIIe siècle à Saint-Pierre offert par la corporation des pêcheurs de Tounis-Toulouse]

4 - D’autres souvenirs liés à la Garonne :

dans l’église Saint-Pierre des Chartreux, un superbe ex-voto polychrome fut offert par les pêcheurs dont Saint Pierre était le saint patron. Le dessous de la chaire à prêcher est une sculpture en bois représentant une proue de bateau, transférée là quand la chapelle des mariniers fut détruite.

5 - Les ports.

Le port Saint-Pierre et celui de la Daurade témoignent, par leur retrait sur la berge (les quais actuels) du commerce qui se faisait dans la ville.

En rive gauche

1 - Hôtel-Dieu.

Au bout du pont Neuf, venant de l’autre rive, sur la droite, fut bâti l’Hôtel-Dieu sur l’axe d’un pont démoli. Les assises et l’amorce du parapet (XVIe siècle) sont encore en place. L’entrée de l’hôpital est libre, l’accès au site autorisé.

2 - Le Château d’Eau.

Il est sur le même site, et mérite aussi une visite. C’est maintenant une galerie de peinture en rez-de-chaussée et sous-sol où toute la superstructure reste apparente. Si sa fonction d’élévateur d’eau a pris fin, son architecture bien particulière est restée superbe.

3 - La Prairie des Filtres.

Dans les siècles passés, les habitants n’avaient pour leur consommation que les eaux de la Garonne. Pour la rendre plus saine, ils la filtraient au moyen de trous creusés dans le sable de la berge... jusqu’au jour où le choléra a frappé. L’espace est maintenant une vaste plaine herbeuse dévolue aux jeux et divertissements.

4 - L’ancienne écluse Saint-Michel.

Suite aux aménagements de la Garonne, son niveau d’eau monta. Il fallut modifier les ouvrages d’art. Ici, le rehaussement est très visible.

Tous les lieux du Toulouse fluvial seraient bien intéressants pour le public s’ils étaient englobés dans une journée spéciale que l’Office du Tourisme aurait dans ses programmes. Ils témoignent tous d’un patrimoine tangible ayant fait les beaux jours et la fortune des Toulousains.

Les environs de Toulouse

En prenant la voiture, on peut pousser quelques pointes dans les environs.

  • À 20 km au sud, le village du Fauga offre le dernier bac à traille en fonctionnement. Nous l’avons
[Photo : Villemur, 40 km Nord-Est de Toulouse sur le Tarn. Barrage usine Brusson, arrière petit-fils du fondateur. Vue de la rive droite prise depuis la rive gauche]
[Photo : Villemur, 40 km Nord-Est de Toulouse sur le Tarn. Vue du moulin, prise d'eau rive gauche, usine encore en activité. Propriété Brusson (vue prise de la rive droite)]

emprunté. Dans l'église du lieu, quatre peintures ex-voto dédiées à la Vierge, reprises sur quatre vitraux, racontent les accidents survenus dans ce passage de Garonne pas toujours commode.

  • - À 40 km au nord-est l'on arrive à Villemur où passe le Tarn. Un seul moulin fonctionne sur les deux existant jadis, tenu par l'actuel arrière petit-fils des Brusson qui créèrent cette énorme emprise industrielle sur la rivière. Les bâtiments sont restés tels qu'aux plus beaux jours (ou aux moins beaux quand le Tarn montait de 15 mètres et ruinait les machineries). Aujourd'hui, monsieur Jean Brusson y fabrique du pain de mie et des biscottes.
  • - À Montauban, l'accueil de la municipalité n'eut d'égal que son grand désir de faire renaître des activités nautiques sur la rivière. Elle a fourni quatre petits bateaux à quatre places, non polluants parce que mûs électriquement et rechargés à une borne idoine. Ces embarcations permettent une vue imprenable en passant sous le vieux pont classé par les Monuments Historiques. Un club nautique fut construit en 1934, à l'identique de celui de Nice, par l'architecte Janin. Désaffecté, il demande restauration pour resservir.
  • - Le Tarn est relié de Montauban au canal latéral à la Garonne par le canal de Montech. Le canal ne sert plus, il n'y a plus de navigation sur le Tarn. L'écluse de descente du canal en rivière est là, attendant on ne sait quoi qui la ferait servir à nouveau. Le plan d'eau constitué en amont de l'écluse sert au canoë-kayak.
  • - Ardus plage sur l'Aveyron. C'est la plage des Toulousains. Un moulin désaffecté lui aussi, sert d'arrière-plan photographique aux baigneurs des jours ensoleillés. La végétation l'envahit progressivement et il se délabre. Triste démantèlement d'un ouvrage hydraulique qui a connu une activité de plein rendement en des temps où la modernisation n'avait pas encore pointé ses flèches.
  • - Piquecos est aussi sur l'Aveyron. Citons qu'en ce lieu on peut encore passer la rivière à gué ! Étonnante expérience là où la chaussée recouverte de planches au ras de l'eau est accessible aux automobiles.

Garonne, Tarn, Aveyron... litanie de rivières portant des sites patrimoniaux oubliés !

Ces deux journées de découvertes n'ont pas été vécues innocemment. Elles avaient été décidées par une équipe résolue à faire revivre la mémoire des lieux. Si les villes ont éclipsé volontairement ou inconsciemment leur rivière, lui tournant le dos pour ne s'intéresser qu'à ce qui se faisait « terrestrement », il est temps qu'elles reprennent conscience du fabuleux héritage qu'est le leur et, à l'instar de nombreuses autres administrations territoriales partout en France, qu'elles redonnent à la rivière ses lettres de noblesse.

Annette PINCHEDEZ

Association des Amis du Musée de la Batellerie de Conflans-Sainte-Honorine

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