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Histoire d'eau : de la roche à l'électricité

30 novembre 1990 Paru dans le N°141 à la page 92 ( mots)
Rédigé par : André GéRARD

Lancé en 1987, le projet européen d'extraction de la chaleur des roches profondes devrait aboutir a la production d'électricité dans dix ans. Sa deuxième phase de faisabilité vient de commencer a Soultz-sous-Forêts en Alsace.

Comment réduire la facture pétrolière de la France ?

Il y a seize ans, le premier choc pétrolier et le quadruplement du prix des hydrocarbures avaient brutalement troublé la quiétude dans laquelle vivait notre pays. Cette prise de conscience avait soulevé l’inquiétude et aussitôt suscité des espoirs. On n’avait pas de pétrole, mais on avait des idées... Dans un même élan d’enthousiasme, chercheurs, industriels et hommes politiques se sont attachés à démontrer que la Terre recélait des richesses encore inexploitées. En somme, que le pire n’était pas pour demain... Parmi ces ressources énergétiques reléguées aux oubliettes par un pétrole aussi peu cher qu’abondant, la géothermie — autrement dit la chaleur de la Terre — figurait en bonne place. Malheureusement, les difficultés techniques enregistrées par quelques opérations (forte corrosion imprévue des canalisations) et les impasses financières qui en ont résulté (voir encadré) ont sérieusement entamé le crédit qui lui avait été accordé.

Le projet Soultz

Pourtant, on aurait tort de croire que la géothermie a dit son dernier mot. D’abord parce que bon nombre d’installations de chauffage continuent de fonctionner sans problèmes majeurs. Ensuite parce que l’extraction de la chaleur des roches profondes pour produire de l’électricité soulève l’intérêt des scientifiques, mais aussi des gouvernements et des industriels. Trois groupes de partenaires que l'on retrouve associés à des degrés divers dans le « projet Soultz »*, qui mobilise actuellement une cinquantaine de personnes au sein du BRGM.

Si la technologie d’exploitation des roches chaudes demande encore de nombreuses expérimentations, l’idée ne date pas d’aujourd’hui. Dès 1926, les Américains avaient réfléchi à l’utilisation du gradient géothermique naturel.

* Programme de recherche scientifique réalisé avec le concours de l’AFME et de la CCE.

« Plutôt que d’aller rechercher de l’eau chaude dans les profondeurs du sous-sol, explique , docteur-ingénieur en géophysique et responsable français du “projet Soultz”, il s’agit d’injecter de l’eau froide dans les roches profondes dont la température oscille entre 150 et 200 degrés, puis de la récupérer pour actionner une turbine et produire de l’électricité sans nuisances ni pollution ».

Dans le fossé rhénan

Une idée simple, soutenue par une perspective économique et écologique d’un grand intérêt qu’il convenait cependant de vérifier soigneusement in situ. À cet égard, la France a la chance de partager avec l’Allemagne une anomalie thermique propice à l’exploitation des roches chaudes, dans le sous-sol du fossé rhénan, au nord de l’Alsace. Ce site de 150 kilomètres de long sur 20 de large correspond également au champ pétrolifère aujourd’hui épuisé de

[Photo : Pechelbronn. « Alors qu’ailleurs, la température s’élève de 3 degrés par 100 m dans la couche sédimentaire, explique André Gérard, ici elle croît deux fois plus vite. Il n’est donc pas nécessaire de creuser des puits très profonds pour atteindre la température exploitable ».]

Un plan en trois phases

Le plan d’expérimentation cofinancé à parité par la Communauté européenne, l’Allemagne et la France, auxquelles s’est jointe récemment la Grande-Bretagne à hauteur de 10 %, comporte quatre phases. Au cours de la phase de préfaisabilité, de 1987 à 1989, il s’est agi de vérifier la qualité des terrains. Les mesures scientifiques effectuées à partir d’un forage à 2000 m sur la commune de Soultz-sous-Forêts ont confirmé l’existence d’un réseau de fracturations verticales dans le granit qui va permettre la réalisation d’un bon échangeur thermique entre la roche et l’eau injectée.

La seconde phase (1990/1991) qui vient de débuter nécessite de forer à 3500 m, profondeur où la température atteint 175°. Les chercheurs veulent étudier la vie d’un échangeur thermique. « À cette température,

[Encart : De l’électricité à quel prix ? Difficile de dire dix ans à l’avance quel sera le prix de revient d’un kilowatt/heure produit à Soultz. Néanmoins, le BRGM a fait plancher sur ce sujet neuf cabinets spécialisés répartis dans cinq pays du monde. Selon les études, ce prix pourrait varier de 33 centimes à 75 centimes, soit deux fois plus que le coût d’un kW/h produit par une centrale nucléaire, mais l’équivalent d’un kW/h de turbine à gaz.]

observe André Gérard, l’eau chaude dissout la roche et risque de colmater les fissures. Il faudra donc bien connaître ce phénomène pour le maîtriser, sous peine de déboires importants et coûteux ». Parallèlement, trois anciens puits pétroliers ont été approfondis à 1500 m pour y placer des capteurs sismiques afin d’étudier la circulation souterraine de l’eau.

L’objectif de la phase n° 3 (1992/1998) sera de faire fonctionner une boucle fermée avec de l’eau injectée à raison de 100 m³/heure. Ce n’est donc qu’à l’orée de l’an 2000 qu’un pilote industriel sera mis en service avec mission de produire de 1 à 2 mégawatts. À cet effet, sous l’égide du BRGM, un consortium est en cours de constitution avec Siemens en Allemagne, RTZ en Grande-Bretagne et vraisemblablement EDF en France. Mais l’établissement public doit encore faire connaître sa décision.

Jean-Michel Pétraru

* Cet article est publié avec l’aimable autorisation de l’auteur et de la nouvelle revue du Bureau de Recherches Géologiques et Minières, Explorer, dans le n° 1 de laquelle il est paru en juillet-août 1990.

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