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Histoire d'eau : De l'eau douce sous la mer : NYMPHEA® (2ème partie)

28 février 2002 Paru dans le N°249 à la page 58 ( mots)

À la fin de la première partie, grâce à l'exemple de la source du Cap Mortolla près de Menton, nous avons vu comment une source karstique émergeant en milieu terrestre peut devenir une source sous-marine à l'occasion d'un changement géoclimatique ou tectonique majeur (Voir 1ère Partie / EIN n° 248). Les sources sous-marines sont donc le résultat d'une longue, très longue, histoire tectonique, hydrogéologique, géochimique et climatique. Il en existe sur toutes les côtes de la planète, essentiellement au droit des massifs calcaires littoraux, mais toutes ne se sont pas formées à la même période et de la même façon. Certaines n?ont même aucun lien avec les phénomènes karstiques.

2ème partie : Le procédé de recherche et de captage d’eau douce en mer

À la fin de la première partie, grâce à l’exemple de la source du Cap Mortolla près de Menton, nous avons vu comment une source karstique émergeant en milieu terrestre peut devenir une source sous-marine à l’occasion d’un changement géoclimatique ou tectonique majeur (Voir 1ère Partie / EIN n° 248). Les sources sous-marines sont donc le résultat d'une longue, très longue, histoire tectonique, hydrogéologique, géochimique et climatique. Il en existe sur toutes les côtes de la planète, essentiellement au droit des massifs calcaires littoraux, mais toutes ne se sont pas formées à la même période et de la même façon. Certaines n’ont même aucun lien avec les phénomènes karstiques.

Un grand nombre de sources sous-marines sont répertoriées sur tout le pourtour méditerranéen. En Espagne, à proximité du Cap de la Nao ou en France à proximité de Marseille ou de Monaco. En Italie, dans le Golfe de Policastro des sources jaillissent au pied du Monte Bulgheria et à proximité de Maratea. Dans le sud du pays à Alessano ainsi qu’à Citro Citrello, des sources à fort débit sont connues des pêcheurs et des plongeurs, tout comme en Sardaigne dans le Golfe d’Orosei. En Grèce, le littoral découpé et karstifié permet l’émergence de dizaines de sources réparties sur l'ensemble de l’Archipel. Les sources d’Ovacik au large du littoral turc ainsi que les multiples émergences d’Antalya, drainent les eaux des Monts Taurus. En Syrie, les sources sous-marines sont connues depuis l’Antiquité, comme celle de Lattaquié ou celle de l’île d’Arwad. Cette der-

[Photo : La cloche bleue du système NYMPHEA®, lors de la mise en place à La Mortolla]

Une source alimentait, au temps des Phéniciens, la ville d’Amrit en eau potable grâce à un astucieux système constitué de manchons de terre cuite qui coiffaient la source. Au Liban, la baie de Chekka renferme de nombreuses sources visibles de la surface. Non loin du pourtour méditerranéen, les sources d’Imsouane, sur le littoral atlantique marocain, jaillissent à une dizaine de mètres de profondeur.

Dans le Golfe Persique, l'île de Bahreïn, ainsi que la presqu'île du Qatar sont riches en sources d'eau douce dont le bassin d'alimentation provient d'Iran, à plusieurs centaines de kilomètres de la zone d’émergence.

Dans les Caraïbes ainsi que dans le Golfe du Mexique, la diversité des systèmes hydrogéologiques, qu’ils soient karstiques ou volcaniques, permet l’émergence de nombreuses sources. En Floride, ces sources ont fait l'objet d'abondantes études. La source de Crescent Beach peut avoir un débit de plus de 10 m³/s.

Le littoral de la péninsule du Yucatan, au Mexique, ainsi que l'île de Cuba et la République dominicaine possèdent aussi de nombreuses sources sous-marines.

Ces sources émergent des massifs karstiques mais d'autres peuvent aussi provenir de massifs volcaniques. Aux Antilles, qui connaissent une forte pluviosité, les eaux infiltrées sont drainées à travers la porosité des cendres et scories et peuvent se concentrer dans d’anciens couloirs de lave, véritables tuyaux d’où la lave en fusion s'est écoulée dans sa gaine de lave refroidie au contact de l'air et ce jusque sous la mer. Ces sources, dont certaines sont chaudes, émergent en Guadeloupe, Dominique ou Martinique, ainsi qu’au large des nombreuses îles qui composent l'archipel.

[Photo : Plongeur effectuant des mesures sur la source de La Mortolla. L'aspect trouble matérialise la colonne d’eau douce.]

Les îles du Pacifique, souvent volcaniques, connaissent de nombreuses émergences d'eau douce sous-marines. On en trouve à Hawaï, à Tahiti, aux Samoa ou à l'île de Guam.

Ces sources sont une attraction pour les plongeurs sous-marins qui peuvent, à quelques dizaines de mètres de profondeur, observer le flux trouble de l'eau douce qui remonte à travers l'eau de mer. Ce trouble n'est qu'apparent, ce n'est pas une turbidité due à un apport d’érosion quand le massif karstique vient de recevoir des pluies abondantes.

Ce trouble est tout à fait comparable à la vibration thermique de l'air au-dessus d'une route surchauffée par le soleil estival qui provoque un effet de mirage. Il est l'effet optique de trois phénomènes physiques conjoints : la turbulence du mouvement ascensionnel de l'eau douce émergeant du fond marin sous l'effet de la pression hydrostatique du conduit karstique ; le courant ascensionnel et turbulent est entretenu par la différence de densité, l'eau douce étant plus légère que l'eau salée à environ 35 ‰ ; la différence de température entre les deux eaux joue aussi un rôle à la fois séparateur et turbulent.

Que se passe-t-il en fait ? Les différences de température et de salinité augmentent l'indice de réfraction à l’interface eau douce/eau salée, déformant la vision de toute image traversant la colonne d’eau douce. Cette déformation étant constamment modifiée par le mouvement relatif et turbulent de l'eau douce par rapport à l'eau salée moins mobile, tout observateur proche de l’émergence a cette vision trouble de la colonne d’eau douce. Après plusieurs dizaines de mètres, ce trouble apparent s'atténue du fait du mélange des deux eaux et de l’approche de l’équilibre thermique et salin.

[Photo : Thermographie aérienne (janvier 1999) de la côte vers Menton (06). La tache en rouge est la zone où il y a une anomalie thermique correspondant à la source de la Mortola : elle est plus chaude que l'eau de mer environnante. En hiver l'eau des sources sous-marines est en effet plus chaude.]

Les bilans hydrologiques que l'on a faits sur un certain nombre de ces massifs karstiques ou volcaniques côtiers prouvent qu'une grande quantité d’eau s’écoule dans les océans à travers ces émergences et que de nombreuses sources restent encore à découvrir. Dans certaines des régions où existe cette ressource occulte en eau douce, les besoins qui dépassent largement la disponibilité en eau continentale incitent vivement à la récupération de cette manne sous-marine. Aussi les dernières décennies ont vu se développer des techniques de reconnaissance et d’étude de sites

[Photo : Illustration représentant un bateau avec un sonar de coque et remorquant un sonar latéral.]

d'émergence et les premières tentatives de captage de l'eau douce avant la contamination saline. C'est ce qu’a fait Geocean avec son procédé NYMPHEA®.

Avant d’être un procédé breveté, NYMPHEA® a d’abord été un projet un peu fou pour tous ceux qui n'ont qu'à tourner la poignée du robinet pour avoir de l'eau. Heureusement, d'autres ont été plus clairvoyants et conscients des enjeux pour soutenir ce projet. En voici brièvement l'histoire.

Pierre Becker, actuel PDG de Nymphea Water, a pris conscience de l'importance des gisements d'eau douce en mer au cours de ses nombreux voyages professionnels (en tant que plongeur puis directeur commercial de la Comex). L'idée lui est venue d’exploiter cette ressource et la première mission de reconnaissance, réalisée par une équipe de Geocean, eut lieu en 1997 dans le Golfe de Corinthe.

Après de nombreux essais sur des modèles réduits, une opération de captage d’une source sous-marine, soutenue par l’ANVAR, a été menée en septembre 1999 sur la source sous-marine de La Mortolla choisie pour son débit régulier, qui fut donc coiffée par le système NYMPHEA®. Cet équipement est constitué par une coupole hémisphérique souple de huit mètres de diamètre et de trois mètres de hauteur ancrée par des plots en béton, avec une cheminée haute de 12 mètres et une pompe immergée disposée au pôle de la calotte. La souplesse de l’ensemble assure une excellente résistance aux courants sous-marins.

Cette opération de captage qui permit de valider le système, fut filmée par une équipe de Thalassa et diffusée le 7 avril 2000 sur France 3. Suite au succès remporté par le film et à l’engouement manifesté par de nombreux pays, l'entreprise Nymphea Water est née en octobre 2000. Elle a pour but de rechercher, de capter et de produire l'eau douce des sources sous-marines.

Parallèlement au développement du système de production, une méthode de recherche fut mise au point (utilisant les derniers progrès de la technologie dans le domaine de la thermographie aérienne et du "survey" maritime). Cette méthode de recherche testée sur la source de la Mortolla et brevetée depuis, permet à l'équipe de Nymphea Water de localiser les émergences sous-marines.

Schématiquement, le repérage des sources sous-marines d'eau douce est fait par des campagnes géophysiques et océanographiques qui précisent les paramètres physico-chimiques de l'eau. Grâce à des photos satellites, à des clichés aériens et au positionnement fourni par le GPS (système de positionnement global) et après une longue série de plongées, on arrive à estimer le débit et les caractéristiques topographiques et structurales de l’émergence. Cette exploration scientifique permet d’évaluer le "gisement". Quand celui-ci paraît économiquement valable et son débit suffisamment régulier, on met en place un dispositif de récupération de l'eau douce qui respecte l'environnement naturel de la source.

Depuis septembre 1999, de nouvelles campagnes d’exploration ont eu lieu dans différents pays de la Méditerranée, en Mer Rouge et dans le Golfe Persique. Les gisements sont plus nombreux que prévu.

Une découverte a également été faite par 400 mètres de fond, ce qui tendrait à prouver que l'étendue des gisements irait au-delà du simple plateau continental.

La phase de recherche proprement dite se décompose en quatre grandes étapes : l’étude géologique, l'enquête de proximité, la thermographie aérienne et la recherche par moyens maritimes tels que l’électroacoustique et la mesure des variations de salinité.

Pour l'étude géologique régionale, Nymphea Water s’appuie sur les nombreuses campagnes géologiques précédemment réalisées et sur un réseau d’experts internationaux, afin de situer les zones favorables ou, à contrario, d’écarter les régions qui structurellement ne peuvent présenter ces phénomènes sous-marins.

Cette étude est réalisée à partir de cartes géologiques, puis est affinée par une étude de terrain.

L’enquête de proximité, effectuée auprès des professionnels locaux de la mer (pêcheurs, scaphandriers, marins,...) est un moyen pertinent pour localiser les sources connues. Nymphea Water consacre donc beaucoup d’importance à ces enquêtes de terrain, car elles remplacent dans de nombreux cas les lourdes opérations d’exploration.

Néanmoins les témoignages négatifs ne sont pas nécessairement signe d'une absence effective de sources, car à partir d'une certaine profondeur, les traces visuelles disparaissent. Il faut alors avoir recours à des technologies plus sophistiquées telles que décrites ci-après.

Pour la thermographie, dans les zones délimitées par l'étude géologique, un avion équipé de caméra infrarouge enregistre les variations de température de la surface de la mer (au dixième de °C près). Chaque image est corrélée avec un positionnement par satellite. Les surfaces couvertes sont importantes et les acquisitions sont réalisées à divers moments de la journée afin d’éliminer

le maximum de phénomènes parasites.

On passe ensuite à des moyens plus légers (ULM hydravion) afin de réaliser une cartographie plus fine des zones préalablement découvertes. Ces hydravions sont équipés, outre le système de mesure par infrarouge, de sondes de salinité sous la coque des flotteurs. Cela permet de pouvoir se poser sur la zone d’anomalie thermique et de vérifier la présence de remontée d’eau douce.

Enfin, pour la dernière étape de la localisation, Nymphea Water utilise à partir de son bateau océanographique, plusieurs méthodes pour détecter les sources sous-marines (voir photo 4).

  • - La première est la détection acoustique : l'eau douce étant plus légère que l'eau salée, elle est animée d'un mouvement ascendant qui peut être détecté par l’envoi d’ondes acoustiques à partir d'un sonar immergé.
  • - La seconde méthode employée repose sur l'analyse des variations de salinité : une sonde de salinité est remorquée derrière le navire et enregistre toutes les variations de salinité par la suite retranscrites sous forme de carte permettant de détecter les anomalies intéressantes. Finalement, une intervention sous-marine (par plongeur et sous-marin) permet de repérer précisément la source et d’en observer les premiers paramètres (débit approximatif, nature du fond autour de la source).

La source localisée, la phase d’étude de la source débute. Elle est instrumentée afin de recueillir les données essentielles dans le cadre d'une production future. Le couple salinité-débit est enregistré sur une période d'un an.

(Crédit photographique : NYMPHEA WATER)

[Photo : Schéma du système installé sur la source de la Mortolla.]

En outre, une étude bathymétrique précise du site est réalisée afin d’adapter le système de production au relief sous-marin.

À partir des relevés effectués sur la source (couple salinité-débit) et du relief sous-marin environnant, le système de production est adapté puis installé sur la source.

Le procédé permettant de capter l'eau douce repose sur deux principes simples :

  • - L'eau douce ayant une densité plus faible que l'eau salée, elle flotte et remonte naturellement à la surface. Canalisée par une cheminée souple, cette eau douce ne se mélange pas à l'eau salée et est piégée dans une cloche souple. L’eau douce est ensuite pompée pour être ramenée en surface.
[Photo : Carte des anomalies de salinité obtenue sur le même site de la Mortolla. La position de l’anomalie coïncide spatialement avec celle de la thermographie de la figure 3.]

(Crédit photographique : NYMPHEA WATER)

  • - L’autre principe fondateur est de ne pas perturber l’écoulement naturel de la source : les sources sous-marines sont le résultat d'un équilibre hydrogéologique qu'une petite modification (comme une surpression sur la source) peut rompre. L’eau douce irait jaillir ailleurs et la source risquerait de se tarir. L’eau ainsi produite présente un faible taux de salinité (3,4 g de sels dissous par litre d’eau) nécessitant un léger traitement pour être rendue complètement potable.

Depuis l’opération de la Mortolla en 1999, Nymphea Water développe le système de production industriel : Plus qu'un système de démonstration destiné à valider les principes du captage, le nouveau système appelé SeaDome est une version industrielle permettant de produire l’eau d'une source sous-marine pendant plus de 40 ans.

C'est en quelque sorte l'histoire du pétrole offshore qui va probablement se rejouer pour cette eau qui nous est si vitale.

Cette histoire d’eau a été inspirée par la conférence que Pierre Becker a faite au Congrès Hydrotop, fin avril 2001 à Marseille. Nymphea Water nous a aimablement fourni des documents plus détaillés et une abondante iconographie que nous n’avons pu présenter complètement faute de place. Mais l'originalité du procédé et l'importance des enjeux qui lui sont liés font que nous reviendrons bientôt sur ce sujet novateur et passionnant.

Jean-Louis Mathieu

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