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Histoire d'eau : abaissement des eaux de la Beauce

30 mars 1992 Paru dans le N°153 à la page 71 ( mots)
Rédigé par : Ardouin DUMAZET

L'article d’Ardouin Dumazet, extrait de la revue « La Science Illustrée » datant de 1905, fait part d’une curieuse théorie concernant les fluctuations du niveau des nappes souterraines de la Beauce, dont les variations trentenaires annoncées à l’époque n’ont pas été remarquées, semble-t-il, dans les trois périodes de trente ans qui se sont écoulées depuis. Les premiers châteaux d’eau construits à cette époque lointaine ont fort heureusement permis, avec les suivants, d’alimenter les Beaucerons sans qu’ils aient eu à attendre la remontée hypothétique des nappes...

On sait que les hydrologues nous annoncent, pour l'année 1905, un abaissement du plan d’eau dans le bassin de Paris ; le tarissement de nombreuses sources serait proche. Les périodes pluvieuses par lesquelles nous venons de passer et qui se prolongent encore feront sans doute cesser ces craintes. D’ailleurs, à en croire une tradition fermement enracinée en Beauce, nous serions à l’entrée d'une phase nouvelle : la nappe souterraine, à laquelle on atteint par des puits d'une profondeur énorme, arriverait à la fin de la période trentenaire remarquée par les populations et l’on verrait bientôt naître des fontaines au fond des ravins secs qui sont le seul accident topographique du plateau beauceron.

J'ignore si ce phénomène a été scientifiquement prouvé, si les traditions ont subi le contrôle d’expériences sérieuses. En tout cas, j’ai constaté des idées très nettes sur ce point, au cours d'une série d’excursions entre Étampes, Voves et le point où commence à se creuser la dépression de la Conie.

La Beauce nous apparaît de toute antiquité ce qu'elle est aujourd’hui : une immense contrée sans eau courante, où les hommes doivent s’abreuver à l’aide de puits profonds, où le bétail n’a que l’onde stagnante, verdâtre, nauséabonde de grandes mares qui occupent le centre ou les abords de chaque village et dans lesquelles s’amassent les eaux de pluie.

Cela remonte si loin que les vers d’un poète latin du VIᵉ siècle, Fortunat, sont devenus une sorte de dicton cité par tous ceux qui ont eu à parler de ce pays :

Belsa, triste solum, cui desunt bis tria solum,  
Fontes, prata, nemus, lapides, arbusta racemus.

Donc, aux temps mérovingiens, il n'y avait ni fontaines, ni prés, ni bois, ni pierres, ni vergers, ni vignobles.

Le tableau n’est plus tout à fait exact : on a fouillé le sous-sol, il produit en abondance une pierre excellente dont on s’est servi pour élever ce poème d’architecture qu’est la cathédrale de Chartres ; les fourrages artificiels compensent l'absence de prairies et bien des bosquets de pins ou de chênes ont été plantés de tous côtés. Mais, cependant, dans l'ensemble, la brève description de Fortunat reste exacte.

On ne peut douter cependant que la Beauce dut être arrosée et fraîche. Le souvenir d’un pays des Carnutes couvert de forêts où des sources jaillissaient à l’ombre des chênes persiste vaguement. En tout cas, la trace implacable de l’existence de ruisseaux abondants reste dans les nombreux plis, véritables thalwegs sans eau, analogues aux oueds sahariens qui sillonnent surtout la Haute-Beauce entre Pithiviers, Étampes et Orléans. Ces plis aboutissent tous à des zones où les sources sont nombreuses, abondantes parfois. La jolie rivière d’Étampes est due à ces fontaines qui forment d’abord les clairs ruisseaux de Louette, Chalouette et Juine. Le flot est assez puissant pour que la Juine ait pu longtemps être utilisée comme voie de navigation.

Les sources ont évidemment reculé ; on peut remonter les vallons jusqu’à quatre ou cinq lieues parfois, en trouvant l’évidente trace des eaux ; des souvenirs d’hommes encore vivants signalent la pérennité, persistant plusieurs années, de ruisseaux que les orages même ne suffisent pas à faire renaître. On a vu pendant deux ou trois ans, et quelquefois plus, un flot clair vivifier des thalwegs qui n’offrent plus actuellement la moindre trace d’humidité.

Pour beaucoup de géologues, ce retour des eaux n’est qu'un fait passager, dû à des années où la précipitation des pluies a été anormale ; d’autres admettent que le calcaire lacustre, perméable et fissuré, ne cesse d’accroître son caractère de crible par l'effet mécanique des eaux qui attaquent la roche ; la nappe, selon eux, devra de plus en plus s’abaisser, au point de ne pouvoir, en effet, être ramenée au jour que par des moyens mécaniques puissants.

Cette théorie rencontre des incrédules ; se basant sur une longue suite d’observations qui n’ont malheureusement pas été fixées par écrit : des Beaucerons tiennent pour article de foi le rythme d’exhaussement et d'abaissement de la nappe aquifère en trente ans. Nous serions à la fin de la période des eaux basses et l’extrême difficulté actuelle à ramener du sous-sol le liquide bienfaisant serait la marque même d'un prochain relèvement du plan d’eau.

Car depuis deux ou trois ans il y a asséchement. Beaucoup de puits sont taris. Ceux que les chemins de fer créèrent pour les gares et les maisons de garde ne sont plus que des abîmes secs. Pour alimenter notamment les stations et les postes de la ligne de Voves à Toury, section récemment construite, exploitée par un détachement du 5ᵉ génie, on doit envoyer par wagon des tonneaux remplis aux puits creusés à grande profondeur afin d’assurer l’alimentation des locomotives. À Pussay, où de grandes usines ont pu s’installer en opérant de profonds forages, le niveau des puits s’est abaissé de 5 mètres. Sur nombre de points l’existence humaine est devenue de ce chef très compliquée, mais on espère le retour trentenaire qui va d’année en année faire remonter l'eau dans les puits, atteindre son maximum en faisant renaître les sources et sera suivi par une nouvelle période d’abaissement.

J'expose cette théorie sans en assurer la justesse, mais elle est de celles qu’il serait intéressant de soumettre à un examen attentif. En attendant, les communes de la Beauce entrent dans une voie nouvelle pour assurer l’alimentation de leurs habitants. Les moteurs à pétrole ou à essence, par la facilité de leur installation et de leur conduite, permettent d’élever à peu de frais une quantité d’eau bien supérieure à celle que les pompes à bras ou les manèges donnaient à la population. À Voves, on va chercher l'eau à 70 mètres de profondeur pour remplir un réservoir qui alimente des fontaines publiques ou les concessions de quelques habitants. À Angerville, on vient d’inaugurer un château d'eau renfermant 100 mètres cubes et alimentant non seulement la ville, mais deux hameaux situés à 5 kilomètres. La profondeur du puits est environ de 30 mètres, la galerie inférieure a un volume total de près de 40 mètres cubes.

Ces centres, désormais abreuvés, éprouvent une véritable résurrection. Aussi l'exemple est-il suivi, de nombreux projets de captation sont élaborés. La dépense première est lourde : Angerville n’a pas dépensé moins de 100 000 francs pour son service hydraulique, mais les avantages sont tels que les dernières hésitations ne sont pas de longue durée. Bientôt la Beauce qui n’offrait la vue, au-dessus de la plaine, que la pointe grêle des clochers ou les paillers disséminés autour des hameaux, montrera, comme signe distinctif, le château d'eau en tôle ou ciment armé, profilant sa masse ronde sur l’horizon.

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