Il y a les gens sérieux et ceux que l'on ne prend pas au sérieux quand on occupe les étages élevés des centres décisionnaires de la gestion globale des ressources en eau et des zones humides, sans parler de la biodiversité? Les sérieux, ou du moins ceux qui sont craints et respectés, sont les grandes associations, reconnues, qui savent aussi se servir des médias. Les ?pas prises au sérieux? sont toutes les autres. Et c'est vrai que certaines ne sont pas du tout sérieuses ou avancent avec des faux nez écolo vite suspects et ont nuit à la réputation générale des petites associations, fédérées ou pas.
Les élus ou les responsables administratifs et techniques sont devenus sensibles aux critiques et propositions de négociations ou orientations avancées par les associations reconnues comme la SNPN (Fédération Nle des Sociétés de Protection de la Nature), France Nature Environnement (FNE), sans parler des ONG internationales comme Les Amis de la Terre ou, bien sûr, Greenpeace.
Depuis 1994, Espaces Naturels de France (ENF), mène une grande croisade en faveur de la protection des zones humides, intitulée “Fréquence Grenouille”. Les zones humides regroupent une extraordinaire diversité de milieux qui ont en commun leur situation entre terre et eau. Tout le monde sait maintenant qu’elles constituent des milieux originaux qui jouent un rôle fondamental dans l’équilibre de notre planète. Elles régulent les débits des rivières en absorbant les excédents d’eau en période de crue; elles filtrent et dépolluent les eaux et participent ainsi à la préservation de la ressource en eau.
Malgré leur immense valeur, maintenant prouvée et (en partie) reconnue, deux tiers des zones humides de France ont disparu depuis le début du siècle. En partie à cause de leur image culturelle négative, mais surtout pour fournir de nouveaux territoires d’agriculture et d’urbanisation au détriment, on l'a encore vu très récemment, des plus élémentaires règles de prudence quant aux risques d’inondation de ces terrains “conquis” comme les plus glorieux des polders...
Depuis longtemps, devant le désintérêt des citadins, des élus et des administrations pour une véritable connaissance de la nature et de ce qu’il convient d’en sauvegarder à tout prix, quelques hurluberlus se sont mobilisés pour qu’au moins les
enfants ne tombent pas dans le même obscurantisme. Le plus célèbre reste Pierre Déom, le fondateur de “La Hulotte”, journal dédié aux naturalistes en herbe de 7 à 77 ans ou plus, et dont le siège est dans une capitale ardennaise, Boult aux Bois, 140 habitants, dont la notoriété est maintenant nationale, voire internationale.
Non content de produire dans une pédagogie scientifique et drôle à la fois, quatre indispensables numéros par an superbement illustrés, il a fomenté en 1972 la création des CPN, les clubs “Connaître et Protéger la Nature” dont “La Hulotte” était d’abord le bulletin de liaison. Le succès aidant, “La Hulotte” vole de ses propres ailes, si l'on peut dire, et le journal des CPN est “La Gazette des Terriers”. Très vite des CPN se sont créés partout en France et même au-delà des frontières, au point qu'il a été utile de les fédérer. En 1997, la fédération comptait près de 130 clubs, 250 au printemps 98 et 340 fin 1999. Au vu d'une telle croissance quasi exponentielle, le siècle a été trop court pour qu'il y ait autant de CPN que de mares avant l’an 2000. En somme, il y a un peu plus d’hurluberlus de la nature qu’en 1972. Est-ce que ça se soigne, Docteur ? Non seulement ça ne se soigne pas, mais, parallèlement à l’opération “Fréquence Grenouille 1999”, que lançait Espaces Naturels de France, l'association ENF poussait à la contagion en recommandant aussi d’adhérer aux CPN et de participer à leur opération 1000 mares pour l'an 2000, étalée sur 1998 et 1999.
Pourquoi, dans la grande saga de la sauvegarde des zones humides s’intéresser aux mares des cours de ferme, des campagnes périurbaines ou aux bassins des pelouses pavillonnaires ?
C’est que la mare est un modèle réduit de zone humide, avec son fond, ses berges, sa végétation aquatique, mais aussi son environnement végétal terrestre. Une mare, quand on n’a que 7 ou 10 ans, il n’y a pas besoin d’affréter un Zodiac pour découvrir la diversité des plantes et des bestioles qui s’y sont établies. Un bocal, une petite épuisette d’aquarium, éventuellement une loupe et surtout une paire de bottes, vous transforment en explorateur des marais inconnus et en sauveteur averti de la biodiversité.
Mais quand on est un vrai membre de club CPN engagé dans une opération d’envergure nationale, on ne s’arrête pas là. On apprend à inventorier les mares existantes, souvent en grande partie comblées, ou devenues dépotoirs sauvages, à porter un diagnostic sur leur état de santé, à définir les opérations de restauration et de réhabilitation biologique, à mobiliser des bonnes volontés et des moyens pour restaurer, préserver ou créer si besoin des mares.
Pour le petit citadin, comme pour le petit campagnard (ça aussi c'est une espèce en voie de disparition), les mares sont des lieux méconnus, disparus pour cause de remembrement, d’élevage hors sol, de distribution de l'eau courante et d’expansion urbaine. La mare assurait l'apport d’eau pour le bétail et le jardin, même pour la maison. On y laissait naviguer quelques canards ou grossir quelques tanches ou perches ramenées des étangs. Sous l’œil curieux des petits paysans, ou le mufle humide des vaches à l'abreuvoir, foisonnait dans la mare un microcosme animal, hébergé par une flore agrémentée de fleurs d'iris, de renoncules, de joncs et quelquefois de nénuphars.
La mare est un écosystème en miniature, mais ouvert, relié aux terres environnantes. Pour certaines espèces, comme les anguilles, elle constitue un lieu d’étape entre deux rivières ou des étangs éloignés. Pour d'autres comme les crapauds, c'est le lieu de reproduction et d'un séjour de croissance puis de retour saisonnier. Pour la végétation aussi, le maillage des mares dans un territoire favorise la propagation de plantes aquatiques ou ripuaires qui peuvent ainsi recoloniser des sites aquatiques détériorés comme par exem-
Tel les gravières ou d’anciens méandres rendus à leur rôle hydrologique.
Tout ça, les petits membres des clubs CPN le savent, et bien souvent leur savoir impressionne les grands. Mais allez reconstituer une mare dans un site urbain où bitume et béton se sont alliés pour étouffer terre et eau dormante ! Pour les CPN constitués en zone urbaine le pari a été tenu. Des mares sont même apparues sur le toit d’un parking d’immeuble ou dans la cour d’une école. Quelquefois un club intervient à la demande d’un autre organisme associatif ou non. Un bon exemple est fourni par le club CPN des “Étourneaux 93” de Tremblay-en-France (93), associé à l’Agence régionale des Espaces verts pour restaurer une mare à salamandres en forêt régionale de Bondy. Mais le club est aussi intervenu pour la restauration d’autres mares dans le parc urbain de Tremblay-en-France, le parc de Sevran ou la forêt de l’Aulnoye.
L’association mène aussi des études départementales comme la réalisation d’un atlas des amphibiens de la région, ou sur d’autres thèmes, fournissant ainsi des données d’observations aux gestionnaires des sites privés, communaux ou départementaux. Mais c’est un club qui a « de la bouteille » : dix ans d’existence ; les grands sont eux-mêmes d’anciens enfants du club, toujours aussi motivés. Le nombre élevé de membres (70, et presque deux fois plus de sympathisants) et l’audience du club justifient un bulletin de liaison de huit pages.
D’autres clubs sont au contraire à une échelle quasi familiale mais, malgré leur modestie numérique, l’initiative et les activités viennent des enfants. Ceux qui sont trop soutenus par les adultes, où les enfants sont des « consommateurs » d’activités plus dirigées qu’initiées, ont beaucoup de mal à trouver une pérennité au-delà de la sortie de l’enfance ou de l’adolescence de leurs adhérents.
Mais ces disparités n’entament en rien la vitalité de la grande majorité des clubs. Et quand la Fédération des clubs CPN a lancé le projet, en l’appuyant sur la Gazette des Terriers avec un solide dossier d’information naturaliste et d’instructions techniques de près de 70 pages format Hulotte : « Créer une mare », l’intérêt de la campagne était d’emblée compris et partagé.
En 1998, quand a été lancée cette campagne, la Fédération ne comptait pas encore les 250 clubs. C’est donc en moyenne plus de quatre mares par club qu’il s’agissait de réhabiliter ou créer. Autant dire que, compte tenu des démarches d’appropriation contractuelle d’un site privé ou public, de l’évaluation et de la mise en place des opérations, de la végétalisation initiale des nouvelles mares et de leur colonisation animale, deux ans, c’est bien court. Surtout lorsque dans le meilleur des cas on n’a que le mercredi et le week-end pour s’occuper de cela.
Aussi, n’en déplaise aux puristes, le premier bilan après le 31 décembre 1999 ne s’exprime pas en beaux chiffres ronds et millénaristes. Il est tout de même fort honnête :
- – 620 mares inventoriées avec inventaire descriptif de leurs populations végétales et animales et diagnostic de santé.
- – Plus de 100 mares ont été restaurées ou réhabilitées, nécessitant la participation de 160 clubs CPN.
- – Enfin, plus de 70 mares ont été créées.
Soit en tout un minimum de 770 mares répertoriées avant le bilan définitif dans quelques semaines, club par club.
Autour du thème, on ne compte plus les expositions, conférences et sorties qui ont été organisées.
Il faut aussi mentionner 165 actions individuelles de particuliers.
que l'on peut marier nature et progrès, des petits CPN futés ont monté un poste d'observation sur une mare avec caméra vidéo qui alimente en continu un site Internet. Non contents de filmer, ils ont aussi instrumenté la mare avec des capteurs de mesures de température, de pH, d’oxygène dissous. Elle est ainsi suivie comme un site d’étude scientifique confié au CNRS ou à une université. Ce club “pointu” s’est constitué dans le lycée Albert Camus de Firminy dans la Loire. Par commodité et surtout par sécurité, la mare a été réalisée dans l'enceinte du collège. Elle est présentée sur le site web du lycée hébergé par l’académie de Lyon : www.ac-lyon.fr/etab/lycees/lyc-42/camus/index.html.
Le club du collège de Lagarde, dans le Var, lui, a impliqué toutes les disciplines d'enseignement dans la réalisation et la gestion de la mare : en cours de français, on a appris à rédiger les demandes de subventions pour financer la création de la mare ; en cours de math, on a fait des statistiques de populations de la faune de la mare et une étude de rendement de la biomasse. Vous devinez les sujets du cours de sciences évidemment... On pourrait énumérer ainsi autant de cas intéressants, d’initiatives originales et d'anecdotes qu'il y a de clubs.
L'intérêt soulevé par la campagne des clubs CPN, a trouvé sa confirmation, même, sa consécration par l’attribution du second prix de la Fondation Henry Ford European Conservation Awards en juin 1999. Ces prix sont placés sous le patronage de l’UNESCO et du Conseil de l'Europe. Les trois lauréats du prix 1999 avaient été sélectionnés à partir de 2850 dossiers enregistrés dans 31 pays.
Et comme l’argent reste le nerf de la guerre, même pour les causes les plus pacifiques comme la protection de la nature, les 170 000 FF du prix Henry Ford tombent à point dans la caisse de la Fédération des clubs CPN pour franchir une étape importante qui va encore les dynamiser et les faire connaître.
Cette cagnotte inespérée, crée en effet la base financière qui permet, avec les aides à la création d’emplois, de réorganiser la Fédération en réseaux régionaux animés par un coordonnateur permanent salarié. Il y a déjà six postes créés. Il est intéressant de noter que les six candidats recrutés sont d’anciens membres des clubs, donc toujours aussi motivés. En Ile-de-France par exemple, ce nouveau coordonnateur a un réseau de 40 clubs. Les autres sources financières sont aussi la vente de dossiers pédagogiques aux écoles, ou encore la rétribution de stages de formation à la nature. Les coordinateurs vont assurer le relais des campagnes nationales organisées par la Fédération, réaliser des bulletins régionaux de liaison, organiser des rencontres régionales ou des sorties interclubs ; ce ne sont pas les activités qui manquent...
Bien que les clubs CPN soient maintenant reconnus comme des interlocuteurs sérieux il n’est pas trop tard pour renforcer leurs rangs, ou tout simplement pour partager le plaisir de la découverte de la nature et sa protection avec leurs membres. Pour cela, il suffit de contacter la Fédération des clubs CPN, 08240 Boult-aux-Bois - Tél. : 03 24 30 21 90 - Fax : 03 24 71 71 30. C'est aussi l'occasion de signaler aux inconditionnels, comme aux curieux, que “La Hulotte” qui a son nid à la même adresse, l'a connectée à la Toile : http://www.lahulotte.fr/ Bien avant que les CPN lancent la campagne “1000 mares...” le n° 21 de La Hulotte, du premier semestre 1987 était un “spécial mare” qui a fait date et reste une référence incontournable...
Jean-Louis Mathieu