À l'heure actuelle, le traitement biologique est de plus en plus sollicité pour aborder le traitement des sols contaminés par les HAP (Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques). Ce type de traitement semble convenir en priorité aux cas où la pollution est constituée en majorité de HAP légers (2 ou 3 cycles). Dans le cas inverse où les HAP lourds sont présents de manière significative, l'efficacité des traitements biologiques n?est pas évidente. Anjou Recherche et GRS Valtech ont expérimenté le procédé américain MGP Biorem (Manufactured Gas Plant Bioremediation) qui consiste à combiner des étapes de traitement biologique avec une phase de dégradation par un oxydant chimique puissant. Les résultats de cette méthode ?forte? indiquent à nouveau certaines limites de la voie ?biologique? pour le traitement des HAP lourds et reposent la question des garanties de traitement par voie biologique.
En raison de leur faible coût de mise en œuvre, les techniques de traitement des sols par voie biologique connaissent à l'heure actuelle un regain d'attention. Ainsi, la dépollution des sols contaminés par des produits organiques, en particulier par les Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques (HAP), est de plus en plus fréquemment réalisée par ce type de techniques.
Concernant le traitement des HAP, les solutions de type biologique ont surtout démontré leur efficacité dans des cas où les HAP légers (2 ou 3 cycles, poids moléculaire < 200 g·mol⁻¹) étaient prédominants. Les HAP lourds (de 4 à 6 cycles, poids moléculaire compris entre 200 et 300 g·mol⁻¹) sont en effet beaucoup plus difficiles à dégrader. En particulier, la dégradation de ce type de HAP présente le risque de pouvoir produire des métabolites de dégradation, plus toxiques encore que les produits initiaux. C'est pourquoi GRS Valtech a fait l'acquisition d'un procédé de traitement nommé MGP Biorem dans le cadre d’un transfert technologique avec la société américaine IGT (Institute of Gas Technology), afin de tester plus avant les performances de ce procédé.
Le principe de ce procédé consiste à combiner des cycles de traitement par voie biologique avec une phase de dégradation par un oxydant chimique puissant. Cette phase d'oxydation par voie chimique, utilisée en prétraitement, doit permettre d’initier la dégradation des HAP lourds.
Ce procédé a été utilisé aux États-Unis pour le traitement de sols contaminés par les HAP, mais aussi par de nombreux autres contaminants organiques (PCB, BTEX et TNT), et est identifié par l’USEPA comme l’un des traitements biologiques les plus performants.
formants (EPA, 1994). Des essais intensifs de traitement au laboratoire ont été réalisés par ANJOU RECHERCHE et GRS Valtech de manière à évaluer l’efficacité de ce procédé pour le traitement des HAP, en particulier de la fraction lourde de ces derniers.
Principes théoriques du procédé MGP Biorem
La biodégradation des HAP est principalement limitée par leur faible solubilité dans l'eau et leur grosse structure moléculaire. Le principe fondamental du procédé MGP Biorem consiste à réaliser un prétraitement chimique pour faciliter une biodégradation ultérieure.
Le traitement des terres par ce procédé MGP Biorem comprend donc deux étapes :
- Une première étape d’oxydation chimique ;
- Une deuxième étape de biodégradation classique.
Ces deux étapes peuvent être réalisées en mode bioslurry (réacteur agité) ou en mode landfarming (traitement extensif en andains). Au cours de ces essais, seule l’option bioslurry, qui permet de travailler avec des temps de traitement nettement plus courts, a été testée.
Étape d’oxydation chimique
Le traitement chimique proposé consiste en une oxydation des HAP par le réactif de Fenton. Le réactif de Fenton résulte de l’association du peroxyde d’hydrogène et du sulfate de fer (H₂O₂ + FeSO₄). L’utilisation de sulfate de fer est destinée à améliorer le pouvoir oxydant du peroxyde d’hydrogène. L’oxydation du fer par le peroxyde d’hydrogène conduit à la formation de radicaux libres hydroxyles (OH) selon l’équation bilan suivante :
Fe²⁺ + H₂O₂ → Fe³⁺ + OH + OH⁻
Ces radicaux très réactifs attaquent les molécules organiques soit en leur ôtant un atome d’hydrogène, générant alors un autre radical, soit en s'additionnant à une double liaison. Ainsi se créent des produits plus polaires, certains étant solubles dans l'eau, d’autres pouvant être extraits par le dichlorométhane (CH₂Cl₂).
Une oxydation complète selon l’équation suivante peut se produire mais son rendement est faible :
HO· + CH₄ → xH₂O + nCO₂
L’ensemble des produits obtenus à l’issue de cette phase d’oxydation seront dégradés plus aisément par voie biologique en raison de leur masse moléculaire inférieure.
Étape de biodégradation
La biodégradation est réalisée de manière classique par apport d’un inoculum de bactéries endogènes et par l’ajout de nutriments nécessaires à leur développement. Une bonne agitation, améliorant la diffusion de l’oxygène dans le milieu, est nécessaire au développement des bactéries.
En effet, les bactéries utilisent l’oxygène pour oxyder les cycles aromatiques des HAP. La présence des groupements hydroxyles affaiblit la force des doubles liaisons du cycle aromatique et ainsi ces cycles deviennent plus facilement attaquables. Les bactéries peuvent alors couper plus facilement les doubles liaisons, laissant apparaître des groupements qui subiront une décarboxylation. Ainsi, l’ensemble des HAP de moins de quatre cycles peuvent être dégradés jusqu’à la minéralisation (Mahro et al., 1993).
Présentation des essais réalisés
Caractéristiques des sols étudiés
Deux sols (référencés Sol 1 et Sol 2) ont servi de support à l'étude. Ces deux sols ont des textures proches de celles d'un sable, comme l’indiquent les courbes de répartition granulométrique (figures 1 et 2).
Le tableau 1 récapitule l’ensemble des paramètres physico-chimiques principaux pour les deux sols étudiés.
L’analyse des paramètres carbone organique, azote organique total et phosphore est très importante puisqu’elle permet d’évaluer la richesse du sol en nutriments nécessaires au développement des bactéries pour la phase de traitement biologique.
Les analyses montrent que pour les deux sols, il faudra ajouter des engrais minéraux de manière à se rapprocher du rapport idéal C/N/P = 100/10/1.
Une caractérisation détaillée de la pollution par les HAP a ensuite été effectuée. Les mesures des concentrations en HAP ont été
Tableau 1 : principaux paramètres pour les sols 1 et 2
pH | Teneur en eau | Carbone organique (g/kg) | Azote organique NTK (g/kg) | Phosphore (PO₄, g/kg) | |
---|---|---|---|---|---|
Sol 1 | 8,2 | 4,8 % | 50,2 | 2,08 | 0,018 |
Sol 2 | 8,4 | 13,0 % | 252,4 | 2,28 | 0,070 |
réalisées par HPLC. Cette technique d'analyse permet également d'avoir accès à la répartition de la pollution par type de HAP. Les résultats obtenus figurent dans le tableau 2.
Tableau 2 : concentration en HAP des sols 1 et 2
Concentration totale en HAP (16 HAP, mg/kg) | Sol 1 : 1 485 | Sol 2 : 1 891 |
Répartition par type de HAP (%) | ||
---|---|---|
– 2 cycles : | Sol 1 : 9 % | – Sol 2 : 0 % |
– 3 cycles : | Sol 1 : 14 % | – Sol 2 : 5 % |
– 4 cycles : | Sol 1 : 64 % | – Sol 2 : 54 % |
– 5 cycles : | Sol 1 : 23 % | – Sol 2 : 23 % |
– 6 cycles : | Sol 1 : 6 % | – Sol 2 : 6 % |
D’une manière générale, la quantité de germes nécessaire à une bonne dégradation est de l'ordre de 10⁷ – 10⁸ bactéries par gramme de terre : les analyses précédentes confirment donc la nécessité de l'apport d'un inoculum de bactéries lors de la phase de biodégradation.
Les concentrations totales en HAP des sols étudiés sont comprises entre 1 500 et 2 000 mg/kg.
Plus de 80 % de cette pollution est composée de HAP lourds (4 à 6 cycles) : ces deux sols sont donc parfaitement adaptés à l’évaluation de l’efficacité du traitement pour les HAP lourds.
Une caractérisation biologique des sols a également été conduite afin d’estimer la quantité de bactéries à ajouter pour obtenir une bonne dégradation. Le tableau 3 indique les résultats des dénombrements effectués, ainsi que les résultats des tests de toxicité réalisés par la méthode Microtox. Ces deux sols sont classés dans la catégorie des sols qui présentent une toxicité importante.
Ceci n'est pas étonnant compte tenu de l'importance de la pollution par les HAP lourds. Ces résultats indiquent clairement qu’une phase de dégradation préalable des HAP lourds par voie chimique sera indispensable à la bonne efficacité du traitement par voie biologique.
Tableau 3 : caractérisation biologique des sols 1 et 2
Germes totaux 24 h à 37 °C (nbre/g) : | Sol 1 : 2,4 × 10³ | – Sol 2 : 7,7 × 10⁴ |
Germes totaux 72 h à 37 °C (nbre/g) : | Sol 1 : 3,2 × 10⁴ | – Sol 2 : 6,8 × 10⁵ |
Bactéries spécifiques au phénanthrène 26 jours à 20 °C (nbre/g) : | Sol 1 : 1,6 × 10⁵ | – Sol 2 : 6,1 × 10⁴ |
EC50 (Microtox) : | Sol 1 : 1,27 % | – Sol 2 : 0,51 % |
Protocole expérimental
L’ensemble des opérations de traitement a lieu en réacteur agité. Le traitement chimique des sols consiste en une oxydation par le réactif de Fenton (H₂O₂ + FeSO₄) à un pH de l'ordre de 4.
Après neutralisation des sols, le traitement biologique est effectué par ajout de l'inoculum préparé à partir de bactéries endogènes et d'une solution nutritive dans un rapport volume/masse de 5/1. L'inoculum aura été préparé préalablement en mélangeant pendant quatre jours à 25 °C la terre étudiée avec une solution de salicylate de sodium et avec une solution nutritive (solution de Winogradsky).
Deux modes de traitement combinant ces deux phases, chimique et biologique, ont ensuite été testés. Ainsi, le traitement du sol 1 a consisté en une phase de traitement chimique suivie d'une phase de traitement biologique.
Le traitement du sol 2 a, quant à lui, comporté deux phases successives de dégradation chimique suivies d'une phase de traitement biologique. Les durées de chacune des phases mises en jeu apparaissent dans le tableau 4.
Tableau 4 : durée des différentes phases de traitement
– Sol 1 | phase de traitement chimique : 7 jours | phase de traitement biologique : 23 jours |
– Sol 2 | phase de traitement chimique : 2 × 7 jours | phase de traitement biologique : 23 jours |
Un traitement biologique simple a été réalisé en parallèle pour les deux sols de manière à permettre la comparaison.
Figure 3 : évolution des concentrations en HAP au cours du temps – Sol 1
Figure 4 : évolution des concentrations en HAP au cours du temps – Sol 2
Les concentrations en HAP ont été suivies tout au long de la durée de traitement par analyse par HPLC et par mesure de l’indice HAP (obtenu à partir du spectre UV global de l’échantillon).
Résultats des essais
Les figures 3 et 4 présentent, pour les deux sols étudiés, l’évolution des concentrations en HAP obtenues au cours de chacun des deux types de traitement (biologique seul et chimique + biologique).
Sur les deux courbes, n’apparaissent que les 28 premiers jours de traitement, les courbes étant ensuite stabilisées.
[Tableau 5 : rendements d’élimination des HAP en fin de traitement Sol 1 : 30 % (traitement biologique seul), 41 % (traitement chimique + biologique) Sol 2 : 19 % (traitement biologique seul), 29 % (traitement chimique + biologique)]Les résultats montrent clairement l’intérêt de la phase préliminaire de dégradation par voie chimique, avec un surcroît de rendement de l’ordre de 10 % par rapport au traitement biologique seul (voir figure 5). Cependant, dans tous les cas, les rendements d’élimination restent moyens et ne permettent pas d’arriver à des concentrations résiduelles satisfaisantes : ceci montre à nouveau la difficulté de la biodégradation des HAP lourds. Une solution pour améliorer le rendement d’élimination des HAP pourra consister à répéter une ou plusieurs fois l’ensemble des phases (chimie + biologie).
Les concentrations en HAP ont été suivies également par type de HAP : les figures 6 et 7 montrent que les deux étapes de traitement agissent de manière homogène sur chacun des HAP (la phase de chimie n’agit donc pas uniquement sur les HAP lourds, mais aussi sur les HAP légers).
Les courbes obtenues (figures 3 et 4) permettent également de constater que dans les deux cas, et plus particulièrement encore pour le sol 1, les concentrations atteignent assez rapidement la valeur du seuil résiduel. Des investigations complémentaires ont donc été menées de manière à essayer d’interpréter ces observations.
Tout d’abord, un dénombrement de bactéries en début de traitement biologique (après injection de l’inoculum) et en fin de traitement biologique a été réalisé afin de s’assurer de la présence de bactéries en quantité suffisante. Les résultats figurent dans le tableau 6.
Le nombre de bactéries, de l’ordre de 10⁷-10⁸, est identique en début et en fin de traitement. Il est fort probable que le nombre de bactéries ait augmenté pendant le traitement et qu’il soit revenu à sa valeur initiale, les nutriments (N et P) ayant été rapidement consommés. Pour confirmer cette hypothèse, des analyses des paramètres agronomiques ont également été réalisées après traitement, et figurent dans le tableau 7.
Les résultats obtenus montrent clairement que les nutriments N et P ont été très largement consommés, puisque les concentrations après traitement sont inférieures aux concentrations initiales malgré l’apport de la solution nutritive. Ceci confirme donc l’hypothèse précédente : l’obtention d’un palier après 14 jours s’explique par une consommation trop rapide des nutriments.
Pour le sol 2, les résultats du tableau 7 mettent en évidence une diminution importante, de l’ordre de 75 %, de la teneur en carbone organique. On peut donc penser que pour ce sol, la biodégradation des HAP a été défavorisée par la dégradation concurrente de la matière organique.
Tableau 6 : dénombrement des bactéries avant et après traitement chimie + biologie
matière organique initialement présente en quantité importante. En effet, les HAP ne représentent pas plus de 1 % de la masse de matière organique initiale.
Compte tenu des diverses observations précédentes, de nouveaux tests ont été conduits avec un mode opératoire légèrement différent. Pour ces nouveaux tests, le traitement a consisté à répéter deux fois le cycle (chimie + biologie) utilisé précédemment, en adaptant le mode opératoire de manière à garantir la présence de nutriments en quantité suffisante tout au long de la phase de traitement biologique. Dans ces nouvelles conditions de traitement, le rendement d’élimination des HAP a pu atteindre environ 70 % pour le sol 1. Cependant, ces améliorations de rendement se sont clairement faites au prix d’un allongement très important du temps de traitement. Ceci se traduit à échelle industrielle, par une inflation des coûts de traitement rapportés à la tonne traitée, autant pour le traitement en mode bioslurry que pour le traitement en mode landfarming. Il est donc techniquement possible d’éliminer les concentrations présentes initialement en combinant les différents cycles de traitement, mais ceci nécessitera un coût opératoire qui pourra devenir rapidement rédhibitoire.
Tableau 7 : paramètres agronomiques dans les sols avant et après traitement
Conclusion
Les essais réalisés avaient pour but de tester l’efficacité du procédé MGP-BIOREM pour le traitement de sols contaminés par les HAP, en particulier par les HAP lourds. Ce procédé propose de combiner une phase de prétraitement par oxydation chimique avec une phase de dégradation par voie biologique classique. Les deux sols qui ont servi de support à l’étude sont caractérisés par une pollution composée en grande majorité de HAP lourds : ces deux sols sont donc tout à fait représentatifs des catégories de sols difficiles à dégrader par voie biologique classique.
Les résultats des essais de traitement ont permis de confirmer l’utilité de la phase préalable d’oxydation chimique pour permettre la dégradation des HAP lourds. Cependant, dans la configuration de traitement initialement choisie (traitement chimique + traitement biologique), les rendements de dégradation obtenus à l’issue des phases de traitement (respectivement 29 % et 41 %) restent moyens pour les deux sols. Le coût de traitement correspondant à cette configuration a été évalué à environ 700 francs par tonne de terre. Dans ce contexte économique, les perspectives d’utilisation des procédés biologiques complexes restent peu applicables à échelle industrielle.
Les solutions qui permettent en effet une amélioration de l’efficacité globale du procédé (ajout de nutriments pendant la phase de traitement biologique, répétition de plusieurs cycles de traitement chimique + biologique et allongement des durées des cycles) se traduisent par des surcoûts qui se répercutent sur les prix à la tonne. Le procédé testé pourra néanmoins être utilisé dans certains cas en prétraitement de sols très fortement contaminés, ou lorsque les concentrations à atteindre seront suffisamment proches des concentrations initiales.
Le procédé MGP-Biorem peut permettre la dégradation des HAP lourds, mais en ayant recours à des solutions techniques qui ne satisfont pas forcément pour l’instant aux exigences économiques de ce type de marché. Il semble donc que l’avantage supposé des techniques de traitement par voie biologique pour le traitement des pollutions de type HAP ne soit pas évident vis-à-vis des traitements de type thermique, et de leurs coûts de traitement. L’essor du traitement des techniques de biodégradation sur le marché de la décontamination des sols ne semble pas encore prendre en compte les difficultés spécifiques liées à la dégradation des HAP lourds.
Références bibliographiques
* Cemiglia C.E., 1992, Biodegradation of PAHs. Biodegradation 3 : 351-368, Kluwer Academic Publishers.
* EPA, 1994 : Emerging Technology Bulletin reference EPA/540/F-94/504.
* IARC (International Agency for Research on Cancer), 1984, Monographs on the evaluation of the carcinogenic risks of chemicals to humans, vol 32, Lyons, p. 1-477.
* Leahy J.-G., Colwell R.R., 1990, Microbial degradation of hydrocarbons in the environment, Microbiological Reviews, vol 54 n° 3 : 305-315.
* Mahro B., Kastner M., 1993, Mechanisms of microbial degradation of PAHs in soil-compost mixtures, Contaminated Soils 93 : 1249-1256.