Au cours des siècles, la problématique de l'eau et les modes d’intervention dans ce domaine ont évolué en fonction des besoins et des technologies disponibles. Dès les premiers âges, l'eau a été perçue comme un élément nécessaire à la vie. Ainsi, une des préoccupations essentielles de l'homme a-t-elle été de disposer d’eau de qualité à proximité de son habitat. De même les ressources alimentaires que pouvaient procurer les lacs et les rivières conduisirent certaines peuplades primitives à se fixer dans des villages lacustres. En tant que moyen de communication, l’eau a par ailleurs joué un rôle important dans le développement des relations économiques et culturelles. Les sites favorables soit à l'installation de ports, soit à la traversée des fleuves, ont été privilégiés pour le regroupement de l'habitat et l'installation de centres urbains.
Les premiers travaux en matière d’aménagement de rivières ont été réalisés soit pour se prémunir contre les risques d’inondations, soit pour faciliter la navigation. Les travaux d’endiguement de la Loire ou du Rhin constituent des exemples significatifs d’aménagements qui ont modifié les paysages des vallées fluviales.
Par la suite, l'homme s’est davantage intéressé aux ressources économiques qu'il pouvait tirer de l’eau et des milieux aquatiques : énergie pour les moulins, besoins d'eau pour les industries artisanales ainsi que pour l'agriculture, ressources alimentaires par la pêche et l’élevage piscicole, gisements de matériaux de construction, moyens de communication et de transport. Les vallées sont ainsi devenues des axes privilégiés de communication et de développement économique.
Jusqu’au milieu du XIXᵉ siècle, ces travaux ont contribué à modeler les paysages des vallées fluviales, mais en raison des faibles moyens techniques utilisés, ils n’ont pas apporté de modifications remettant en cause les équilibres naturels. Réalisés de manière douce, ils ont amélioré la valeur de ce patrimoine, notamment par l'entretien régulier des berges.
Pour ces différentes raisons, les premiers textes réglementant la gestion de l'eau et la pêche ont porté sur le droit de propriété de l’eau, sur son utilisation en tant que moyen de communication, sur la protection contre les inondations ainsi que sur le droit de pêche.
À partir du XIXᵉ siècle, les progrès technologiques, les moyens techniques disponibles ont permis la réalisation de travaux importants pouvant entraîner de graves déséquilibres écologiques. Dans le cadre du processus d'industrialisation qui a marqué cette période, les rivières et les lacs ont souffert d’avoir trop souvent été considérés uniquement comme un gisement d’eau, un gisement d’énergie, un gisement de granulats ou un mode d’évacuation des déchets. La dégradation importante et rapide de la qualité de l’eau au cours des années 1945-1960 a particulièrement sensibilisé les populations concernées et conduit le Parlement à prendre des dispositions pour une meilleure utilisation des ressources en eau. La loi de 1964 sur l'eau avait pour objectif de mettre en place des moyens de planification permettant de conduire simultanément une politique d'industrialisation représentant potentiellement des risques pour l’environnement et une action déterminée de protection des ressources en eau. Les cartes départementales d’objectifs de qualité des eaux établies dans les départements depuis 1971 constituent, en réponse à cette demande sociale, un des outils essentiels de la politique de qualité de l’eau conduite au cours des quinze dernières années. Ces cartes fixent par cours d’eau des objectifs de qualité à atteindre sur une période de dix ans ; elles définissent par ailleurs les contraintes qui sont imposées aux usagers de l'eau pour respecter ces objectifs.
Cette politique s'est révélée rapidement insuffisante dans la mesure où la gestion quantitative de l’eau n’était abordée que dans le cadre d’autorisations ponctuelles et sans planification d’ensemble. Dès 1978, à la demande du comité interministériel d’actions pour la nature et l’environnement, le ministre de l’Environnement a demandé aux administrations locales d’élaborer des schémas départementaux d’aménagement des eaux. Alors que les cartes d’objectifs de qualité des eaux ne concernent que leurs qualités, les schémas d’aménagement portent sur l’aménagement quantitatif de la ressource ainsi que sur la nature, l’estimation et l’échéancier des moyens à mettre en œuvre pour satisfaire les divers usages de l’eau. Il s’agissait en fait, face au grand nombre de décideurs, d’établir un guide rationnel aux décisions individuelles et d’élaborer des programmes d’équipement cohérents satisfaisant les besoins des usagers de l'eau tout en tenant compte dans la mesure du possible de l’impact des aménagements sur l’environnement ; c’est ainsi que l’on peut attribuer au défaut d'une politique cohérente, la quasi disparition sur nos rivières de la ressource touristique et économique que constituait le saumon atlantique. Or, les rivières, lacs, étangs ne servent pas seulement à recueillir et à contenir l'eau. Ils constituent des unités biologiques complexes qui jouent un rôle important dans le maintien de la qualité et des quantités disponibles des ressources en eau, qui participent aux équilibres biologiques de notre pays et en même temps caractérisent la qualité de nos paysages.
La procédure des schémas d’aménagement des eaux a donné lieu à de très riches concertations entre élus, usagers, administrations, et a permis de mettre en place, comme dans le cas de la Sèvre Niortaise, des solutions très valables. Toutefois, en étant très schématique, on peut remarquer que cette démarche conduit à
Effectuer les aménagements hydrauliques des rivières et des lacs prioritairement en fonction des besoins des usagers de l’eau. Les ressources en eau étant limitées et les milieux naturels aquatiques fragiles, « cette politique de consommation » de la ressource et du milieu a rapidement trouvé ses limites, notamment pour ne pas prendre en compte la gestion des milieux naturels aquatiques et de leur faune.
Par ailleurs, le développement touristique récent des zones rurales fondées sur des activités de loisir telles que la pêche, le canoë-kayak, la baignade, les randonnées et l’importance des ressources piscicoles des cours d’eau ont montré l’intérêt de mieux préserver et gérer les milieux naturels et de mettre en œuvre, parallèlement aux procédures intéressant la gestion de l’eau, une planification de l’utilisation des milieux aquatiques, lieux privilégiés de détente. C’est dans le cadre de ces préoccupations que le législateur, d’une part, a attribué au ministre chargé de l’Environnement la mission de définir par bassin des orientations de protection et de gestion des milieux aquatiques (article 417 du code rural) et, d’autre part, a prévu dans chaque département l’élaboration d’un schéma de vocation piscicole (article 415 du code rural). De la même manière que les schémas d’aménagement des eaux et les cartes départementales d’objectif de qualité des eaux fixent pour une période de dix ans les objectifs et les programmes de gestion des ressources en eau, les schémas départementaux de vocation piscicole déterminent pour la même période les règles et les contraintes d’utilisation des milieux aquatiques. Établis dans le cadre d’une concertation entre les élus, les usagers des milieux aquatiques (collectivités piscicoles agréées, usagers de l’eau, associations de protection de la nature) et l’administration, ces schémas constituent des guides de l’aménagement des lacs et des rivières pour l’administration et les collectivités territoriales.
À la lumière des difficultés qui se posent aujourd’hui dans certaines régions et en fonction d’une politique décentralisée, on doit s’interroger sur l’opportunité d’une approche régionale des problèmes de développement socio-économique plus équilibrée et prenant en compte la protection des milieux naturels et la gestion de leurs ressources. Par exemple, il serait souhaitable que la localisation des activités industrielles ou agricoles soit mieux définie en fonction des ressources en eau disponibles. Pour cela, il est nécessaire de mettre en œuvre à la fois des économies régionales plus économes de l’eau et davantage fondées sur des priorités entre les usages, et une gestion intégrée des milieux aquatiques associant l’ensemble des partenaires concernés.
Enfin, une politique d’amélioration de la qualité de l’eau passe par des actions de traitement des rejets et de prévention des risques de pollution, mais aussi par une diminution des conséquences des accidents industriels qui ne peuvent être totalement exclus. À l’avenir, les industries traitant des produits toxiques ne seront certainement plus autorisées à s’implanter à proximité immédiate des cours d’eau ou des nappes phréatiques.
En allant plus loin, on peut également s’interroger sur le point de savoir si les programmes d’aménagement hydraulique décidés dans le cadre de schémas d’aménagement des eaux ne devraient pas être liés à des contraintes d’aménagement du territoire. Quelques exemples sont significatifs : les travaux qu’il est nécessaire de réaliser pour consolider les berges d’un cours d’eau et limiter leur affouillement à la suite d’abaissement des lignes d’eau provoquées par les extractions de granulats ne seront efficaces que si en amont il n’est plus procédé à de telles extractions ; de la même manière, les travaux de protection contre les inondations des habitations construites à proximité des cours d’eau ne seront valables que si en amont les collectivités territoriales décident de ne plus construire dans les zones inondables, zones naturelles de régulation des crues…
Ces interrogations appellent la mise en place au niveau du bassin et des sous-bassins de contraintes d’aménagement du territoire qui pourraient être prises dans le cadre de schémas de secteur dont les directives s’imposeraient à l’État et aux collectivités territoriales. Dans la mesure où une évolution juridique du droit de l’eau donnerait à celles-ci plus de responsabilités dans la gestion des cours d’eau non domaniaux, un lien direct serait ainsi établi entre les décisions d’aménagement du territoire et leurs conséquences financières en matière de gestion des ressources en eau et d’entretien des cours d’eau.
Une nouvelle stratégie du développement socio-économique des zones rurales doit être définie pour répondre au défi des prochaines années. Cette stratégie ne peut ignorer les contraintes d’une gestion rationnelle des milieux aquatiques. Solidarité entre usagers, cohérence des décisions, intérêt général, sont les mots-clés de la réussite d’une politique intégrée de l’eau et des milieux naturels qui lui sont associés.
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