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Gestion des lixiviats d'une plateforme de compostage. Évaluation des impacts des jus de compost de déchets verts

30 novembre 2001 Paru dans le N°246 à la page 99 ( mots)
Rédigé par : Laurent KRAEUTLER

Le compostage des déchets verts ne fait pas l'objet de prescriptions techniques. Les lixiviats ne sont pas toujours récupérés. Une approche expérimentale pour quantifier la charge polluante de ces écoulements en a montré l'importance, au lendemain d'orages. Les matières oxydables et les matières en suspension notamment peuvent être excessifves. Les risques d'atteinte au milieu hydrologique, dépendent des distances aux points d'eau. La surface de sol affectée par les infiltrations est très limitée autour des andains.

Les années 80 ont été marquées par un engouement pour le compostage « rustique ». On dépassait les 10 % d'ordures ménagères compostées en 1984. Il a été préconisé l'utilisation agricole et même en maraîchage, de compost d'ordures brutes, de piètre valeur (figure 1). De plus, les nuisances sur les plates-formes de compostages sont réelles et peu réglementées : bruit, odeurs, germes, paysage et écoulements au milieu de la nature.

Réglementation des nuisances

Une plate-forme de compostage de déchets verts est une ICPE, rubrique n° 2170 « fabrication d'engrais et supports de culture » si le compost est conforme aux exigences de la loi du 13 juillet 79 relative aux matières fertilisantes. Elle est soumise à déclaration ou autorisation selon sa capacité :

  • déclaration si 1 t/j < capacité < 10 t/jour ;
  • autorisation au-delà.

La maîtrise des nuisances devient alors un élément important de la pérennité d'un projet (figure 2).

Depuis la déclaration du Ministre de l'Environnement de relancer les voies de valorisation matière (circ. 28 avril 98), l'intérêt des professionnels de la filière déchets a nettement augmenté.

Mots clefs : Compost, lixiviats, déchets verts, pouvoir épuratoire, impacts, sol, déchets

Plateformes de compostage

[Photo : Figure 1 : La médiocre qualité des composts d’O.M. brutes, a fait régresser cette filière à 7 % en 1996]

Mais, il n’existe pas d’arrêté type pour les plateformes de compostage.

En effet, seul un décret du 27 juin 1972 (!) stipule la présence de « fosse réception - broyeur - aire de fermentation - aire de stockage ». Il n’est pas fait mention d’équipement de récupération des écoulements. Ce texte concerne les résidus urbains. Le Règlement sanitaire précise les conditions de stockage de « fumiers et dépôts fermentés ».

[Encart : Compostage de déchets verts ; recommandations techniques aux USA (Wayne County & St Clair County) + 30 m d'un point d'eau, puits + 300 m d'une rivière + 15 m d'un fossé + 150 m des habitations + 2 ha minimum et 1 m³/m³ déchet + talus 1,20 m périphérique et arbres autour Eaux * pente = 2 % + lagune de stockage des jus + reprise rapide des jus pour traitement ou réaspersion]
[Photo : Figure 2 : Écoulements depuis un tas de compost, après un épisode pluvieux]

« cibles » (art. 158 titre VIII) : déclaration en mairie si le volume est compris entre 50 et 2000 m³, sinon autorisation préfectorale ;

obligation d’utiliser le dépôt en moins d’un an.

Les règles de gestion des jus ne sont pas clairement établies ; l’administration française préconise en général trois mesures :

  • - éloignement à plus de 200 m des habitations ;
  • - rotation rapide ;
  • - récupération des jus.

Le présent travail a pour but de comparer différentes approches de gestion des écoulements sur le site et d’en apprécier les impacts environnementaux.

Objectifs de l’expérimentation

Afin d’estimer les impacts potentiels des jus de compost, on évaluera le potentiel polluant de ces lixiviats, par une campagne de prélèvements et mesures de quelques paramètres physico-chimiques simples, sur une plate-forme de taille moyenne.

On comparera ces valeurs à la capacité d’épuration du sol et à la vulnérabilité du site ; en se basant sur le bilan hydrique local, on conclura sur le dimensionnement d’une lagune de stockage des jus.

Site et protocole expérimental

Aire de compostage

La plate-forme de compostage de Bruz reçoit environ 1 000 t de déchets verts par

[Photo : Figure 3 : La légère pente vers le champ voisin ne suffit pas à entraîner un ruissellement. Les jus s’infiltrent autour de l’andain]
[Photo : Profil de sol La plate-forme repose sur un sol hydromorphe, de type sol brun acide lessivé de texture argileuse. La roche mère est un sable pliocène (très perméable), recouverte d’un à deux mètres de limon argileux.]

Couche limoneuse de surface

Limon argilo-sableux de bonne porosité (52 %).

Perméabilité : 7 × 10⁻⁶

Argile limoneuse hydromorphe

R.M. : sables et poudingues

[Photo : Les andains de déchets verts sont fermentés sur sol nu.]

an provenant d'une population de lotissements et périurbaine. Broyés et compostés sur site, les déchets verts sont laissés à fermenter sur place.

Le compostage de deux andains tabulaires se fait avec un seul retournement, sans arrosage, en cinq à six mois, sur une aire de terre sommairement empierrée de 1 500 m².

Le compost est emporté par la population, des agriculteurs et quelques entreprises d’espaces verts.

La construction d'une lagune de stockage a été différée lors de l'ouverture de la plate-forme, en 1997. Un bilan des impacts éventuels a été entrepris en 1998, pour vérifier si la lagune est nécessaire.

Vulnérabilité du site

Le site est à environ 400 m de la nappe alluviale de la rivière Seiche. Il est situé à 200 m des premières maisons, à plus de 600 m de la rivière (figure 4).

Ce site implanté en zone agricole occasionne peu de nuisances perceptibles par la population.

Mais il est situé sur des sols fragiles, qui ne seraient pas déclarés aptes à l’assainissement autonome par épandage.

En effet, les critères actuels d’évaluation des capacités épuratoires des effluents d’une habitation demandent une profondeur de sol sain (exempt d’hydromorphie) de 90 à 100 cm. De nombreux sites de compostage de déchets verts infiltrent dans le sol les jus des andains en fermentation ou stockage (figure 5).

Protocole expérimental

Une portion de l’andain a été arrosée en juillet, pour reconstituer une pluie de 50 mm, correspondant à de très fortes précipitations (brumisation durant deux heures).

[Photo : Plan de situation de la plate-forme de stockage actuelle]

Des rigoles ont été creusées pour recueillir et évaluer les infiltrations à cinq distances progressives de l’andain. La proportion d’eau infiltrée a été calculée pour chaque distance, nommée taux d’infiltration.

Les jus recueillis au pied de l’andain ont été analysés au laboratoire de l’EME, pour en déterminer quelques indicateurs de charge polluante : MES, NO₃, NH₄ (figure 6).

Des prélèvements de sol ont été réalisés sous l’andain et à trois distances progressives, pour rechercher les conséquences des infiltrations.

La méthode est basée sur la norme d’échantillonnage NF X 31-100 : mélange homogène de six prélèvements unitaires (tarière D5) à 30 cm. Les analyses de sols ont été réalisées par le laboratoire départemental de Combourg.

Mesure du potentiel polluant des jus

Le suivi des indicateurs de charge polluante (MES, NO₃, NH₄) dans les jus a été réalisé

[Encart : Le suivi des indicateurs de charge polluante Pluie forte 17/07 | Pluie très forte 17/07 | Pluie forte 21/07 | Pluie très forte 21/07 Mes (g/l) ............................ 5 | 5,5 | 3,9 | 4,4 NH₄ (mg/l) ........................ 22,5 | 23 | 31 | 36 NO₃ (mg/l) .......................... 4,3 | 7,3 | 8,8 | 10,1 DCO (g/l) ............................ 1,7 | 2,3 | 2,7 | 2,9 Levratio NH₄/NO₃ < 0,5 indique un compost mûr]

Les taux de nitrates sont comparables à ceux couramment constatés dans les eaux de ruissellement d’un champ cultivé, à la sortie d’un épisode pluvieux.

[Encart : Comparaison des taux de compost Compost — Mesures sur deux prélèvements Humidité ............................................................. 23 % MS .................................................................... 7 pH ........................................................................ 6,7 % M.O. .............................................................. 18 N total ................................................................... 3,6 P₂O₅ ...................................................................... 4,9 C/N ........................................................................ 12,8 Les mesures montrent un ratio ammonium-nitrates bas, qui caractérise un lixiviat de compost mûr.]

Le compost dont proviennent ces jus était en effet un broyat fermenté (granulométrie moyenne : 4 % d’éléments grossiers > 25 mm) et maturé 5 mois, mais sans aération ni retournement.

Les jus présentent une forte charge en matières oxydables, dont les impacts ont été évalués ci-après.

Interprétation en termes d’impacts environnementaux

Infiltration

On remarque que les quantités de jus infiltrés (avec une pente de l’ordre de 2 %, comme recommandée aux U.S.A.), sont concentrées sur une faible superficie autour des andains (figure 7).

La superficie de sol concernée par les infiltrations est à peine 20 % plus grande que l’andain lui-même.

Les flux infiltrés après un épisode pluvieux d’orage (20 mm en 1 jour) sur un sol brut de pente = 2 %, sont donc de 20 × 0,8 = 16 litres/m²/j.

Indicateurs de charge polluante

Pluie très forte

Effets mesurés sur le sol

La matière organique du sol étant à l’origine, de l’ordre de 2 %, il est impossible d’observer un changement imputable aux infiltrations.

Teneur en azote dans le sol (% Nt)

Dans l’andain0,46 %
Sous l’andain0,24 %
5 m en aval0,11 %
10 m en aval0,11 %
Dans le champ0,15 %

L’azote minéral étant très dépendant des conditions climatiques de la semaine, on a préféré suivre une éventuelle évolution de l’azote total du sol, à plusieurs distances, en fonction du taux d’infiltration (figure 8).

Effets estimés sur le sol

La charge oxydable excède les capacités épuratoires du sol sur une semaine.

En effet, considérons [Henin] le taux d’oxygène lacunaire du sol de l’ordre de 15 % en été, sur les 40 premiers cm, et son renouvellement lent (10 % par jour) dans un sol de limon argilo-sableux.

Volume d’O₂ dans un sol de porosité 52 % à 20 % d’humidité et densité 1,25
V = 57 litres/m³ soit, sur 40 cm de profondeur biologiquement efficace,
V = 0,4 × 57 = 23 litres d’O₂ par m³

Besoin d’O₂ pour épurer les 16 litres/m²/jour à 2,7 g/litre de DCO : ils atteignent 2,7 × 16 = 43 g O₂/m²/jour, soit 30 litres d’O₂/m² par jour.

Par conséquent, la réserve d’oxygène d’un tel sol est insuffisante pour oxyder rapidement l’apport d’une forte pluie, et son taux de renouvellement est le facteur limitant pour recouvrer sa capacité d’oxydation. Mais en une huitaine de jours, on peut estimer que le sol aura pu fournir l’oxygène nécessaire.

Effets estimés sur l’eau

Si la plate-forme n’est pas située sur un sol sableux, au voisinage d’une nappe, et que les eaux de ruissellement n’atteignent pas un point d’eau ou le fossé (considérons que 20 à 30 mètres assurent une bonne distance de protection), alors le sol devrait pouvoir épurer correctement les jus en été.

En hiver, deux facteurs contredisent cette conclusion :

  • proche de la saturation, le sol entraîne un plus grand ruissellement vers les eaux de surface ;
  • s’il est hydromorphe, le sol trahit une remontée de nappe, qui sera en contact avec un effluent mal épuré.

Comparaisons avec d’autres seuils de rejets

Dose annuelle de MS autorisée lors d’épandage de boues :

[Photo : Figure 7 — Nos expériences de pluies reconstituées montrent en effet, une rapide absorption, sur des sols bruts, sommairement empierrés]
[Photo : Figure 8 : Quelques dépôts de déchets plastiques (ou autres) peuvent parfois apporter une source de polluants plus toxiques.]

L'arrêté du 8 janvier 98 prescrit 0,3 kg de MS/m² par an. Les flux annuels d'infiltration dépendent, bien sûr, du bilan hydroclimatique local.

En considérant la pluviométrie locale de 650 mm/an, à Rennes, et l'évapotranspiration du compost stocké après fermentation, à la moitié de l'évapotranspiration potentielle d'un sol enherbé (ETP = 700 mm à Rennes), on calcule une infiltration de (650 – 370) × 0,8 = 224 litres/m² × teneur en MES : 5 g/litre (cf. page 6) soit 1,1 kg MS/m² par an ! Coefficient qui serait à préciser par des travaux expérimentaux.

Sur ces bases, la dose annuelle de MS, apportée par les jus de compost, dépasserait de 3 fois le maximum prescrit pour les épandages de boues.

Normes de rejets d'effluents industriels

La valeur de 2000 mg/litre de DCO est la limite couramment imposée pour rejets industriels en station d'épuration communale. Les valeurs des jus qui s'écoulent au milieu naturel après un orage sont ici 40 % à 45 % plus élevées et 15 fois plus que les rejets au réseau hydrographique.

Conclusion sur la gestion des eaux de compostage

La charge polluante organique des jus de compost est considérable, au lendemain d'un fort épisode pluvieux ; elle reste concentrée sur une faible surface si elle s'infiltre naturellement. Les risques d'impact sol sont donc négligeables sur sol non saturé, malgré des dépassements des seuils issus de cadres réglementaires proches. Les risques d'atteinte aux eaux de surface existent dans le cas d'aires bétonnées. Les risques d'atteinte des eaux souterraines existent en hiver, si la nappe perchée remonte au contact des infiltrations. Par conséquent, il est préférable de disposer d'une lagune de récupération de ces effluents. Ils seront vidangés rapidement, soit par ré-aspersion, soit envoyés en traitement : station d'épuration, ou épandage correctement dimensionné, afin d'en limiter les impacts et nuisances.

Références Bibliographiques

  • - Ademe : Plateforme Végéterre ; janv 93
  • - Anonyme : Guide to yard waste composting ; Biocycle 1989
  • - Germon J.C. : Le sol épurateur. Revue du Palais de la découverte N° 133
  • - Le Bozec A. : Compostage des déchets verts aux U.S.A ; Cemagref. Sept 93
  • - Le Chevallier : Compostage des déchets végétaux ; L'Eau, Industrie, les Nuisances. Mai 1990
  • - Mustin M. : Le compost ; éd° Dubuscq. 1987
  • - Ropert L. : Les déchets verts à Bruz ; mémoire d'ingénieur EME 1997
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