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Foisonnement filamenteux des boues activées

30 septembre 2002 Paru dans le N°254 à la page 70 ( mots)
Rédigé par : Bernard VEDRY

Le foisonnement filamenteux, apparu dès le début des boues activées, a longtemps été ?négligé? du point de vue bactériologique. À partir des années 1970, des travaux fondamentaux, rapportés dans la bibliographie, permettent dune approche expérimentale du problème filamenteux sans toutefois réussir à l'éradiquer. Les deux systèmes d'identification des bactéries filamenteuses des boues activées sont brièvement discutés. Les nombreux facteurs de sélection des bactéries filamenteuses sont mentionnés. Les moyens de lutte rationnels contre le foisonnement sont conçus pour précisément diminuer ou supprimer l'effet des facteurs de sélection. Les bactéries provoquant le moussage et qui trouvent dans les stations d'épuration des conditions favorables à leur croissance, sont combattues par des moyens spécifiques. Le foisonnement filamenteux est probablement une des limites du procédé d'épuration par boues activées.

Bien que sans relation directe avec les procédés d’épuration, il convient de mentionner que la référence constante et incontournable, présente dans tous les systèmes de classification des filaments bactériens des boues activées, est constituée des travaux de Serge Winogradsky qui étudia de 1890 à 1950, dans un tout autre contexte que l’assainissement, les Thiothrix, les Beggiatoa, les bactéries à gaine Sphaerotilus, espèces toutes d’une grande importance actuelle dans les boues activées. Il étudia aussi la sociologie des bactéries, imposant un concept essentiel pour comprendre les communautés bactériennes.

Une vue rétrospective des filaments bactériens occasionnant un foisonnement des boues activées montre que le phénomène est apparu très tôt avec le développement des boues activées, inventées en 1913, et n’a connu un développement industriel sensible qu’après 1920, principalement aux États-Unis, avec les stations d’épuration historiques, gigantesques pour l’époque, de Milwaukee et Chicago. C’est certainement la raison pour laquelle l’industrie et la recherche américaines sont fortement présentes, et depuis le début du procédé, sur ces questions. Le foisonnement est donc une propriété de naissance des boues activées. On apprend que les premières mesures de lutte par chloration sont signalées dès 1925.

Voici les étapes fondamentales de la compréhension du foisonnement filamenteux :

  • - 1971 : classification des filaments par Farquhar et Boyle ;
  • - 1975 : classification des filaments par Eikelboom ;
  • - 1968-75 : travaux de Chudoba sur l’influence des schémas d’alimentation des bas-

sur la sélection des bactéries filamenteuses ;

  • vers 1980 : la microscopie à contraste de phase disponible à des prix acceptables permet la diffusion de la méthode Eikelboom dans les grandes stations d'épuration ;
  • 1980 et décennies suivantes : développement des boues activées nitrifiantes et déphosphatation avec développement concomitant des boues activées moussantes.

L'histoire des sciences prétend comme toute recherche du développement des procédés, familiariser avec la dite technique, la démystifier en exposant la simplicité des concepts qui semblent obscurs, hermétiques, élitistes à ceux qui apprennent le procédé sans connaître les étapes de son développement.

En ce sens l'histoire des procédés stimule la recherche appliquée et est un incubateur de créativité.

Boues activées et

On entend par la présence dans un floc de bactéries filamenteuses qui perturbent les propriétés de décantation des flocs, et donc compromettent la qualité de l'eau épurée car l'état normal du floc de boue activée est considéré comme pas ou peu colonisé par les bactéries filamenteuses. Lorsque les nuisances sont manifestes, on parle de foisonnement filamenteux. Un floc filamenteux peut être monofilamenteux, colonisé par une seule espèce bactérienne filamenteuse ou plurifilamenteux, colonisé par plusieurs

[Photo : Bactérie à branchements vrais. Il s'agit de Nocardia amarae produisant des mousses. M.E.B.]

espèces à la fois. Dans le dernier cas on distingue l'espèce dominante des espèces sous dominantes.

Nuisances du foisonnement filamenteux

Une boue activée étant une biocénose bactérienne et protozoaire développée en milieu septique d'origine fécale, tellurique ou industrielle, riche en nutriments, il est normal qu'un grand nombre de bactéries aient la possibilité de se développer dans le floc, y compris les formes filamenteuses qui souvent sont présentes dans l'eau brute. Ce n'est pas la présence de filaments qui est gênante, c'est le développement excessif de ces filaments qui altère le fonctionnement idéal du floc. Les nuisances provoquées par les filaments bactériens sont proportionnelles à la densité des filaments dépendant également des espèces filamenteuses présentes, certaines étant plus pernicieuses que d'autres.

Altération des qualités analytiques de l'eau épurée

C'est en général la première alarme parce que cette nuisance est visible sur la station même au niveau du décanteur secondaire. Des flocs en suspension sont entraînés au déversoir. Le phénomène est surtout sensible au moment de la pointe de débit. La teneur en M.E.S. de l'eau épurée augmente. Les ordres de grandeur des pertes

[Photo : Bactérie filamenteuse à gaine colonisée par des bactéries épiphytes. Il s'agit de 0041 Microscope Électronique à Balayage (M.E.B.).]

mesurées en M.E.S. sont typiquement une augmentation des M.E.S. de 5 mg/l à 50 mg/l par rapport aux valeurs considérées normales. Parallèlement les eaux épurées sont troubles ; la turbidité augmente et atteint parfois des valeurs très élevées, de l'ordre de 30 à 50 NTU (Unités de Turbidité Normalisées). Mais cette turbidité altérée dépend du type filamenteux en présence dans la boue activée. Le voile de boue affleure le déversoir du décanteur.

Pertes des boues activées

Diminution de la concentration des boues activées et donc augmentation de la charge massique. Cette augmentation de la charge massique se traduit par une plus ou moins intense dégradation des qualités physico-chimiques des eaux épurées, non pas sur les M.E.S. déjà vues mais sur la DBO₅ après décantation, la DCO et la nitrification. L'effet de l'augmentation de la charge massique qui peut doubler dans les cas graves de foisonnement, s'exerce sur le floc zoogléal et sa biocénose.

Altération du conditionnement des boues et de leur déshydratation

Cette altération très grave dans le cas des foisonnements à filaments producteurs d'exopolymère se traduit par :

  • le colmatage des toiles des filtres à bande ou filtres-presses ;
  • impossibilité de floculer aux doses habituelles de floculants ;
  • altération des filtrats.

Ces nuisances proviennent principalement des exopolymères des filaments hydrophobes qui ne floculent pas. On a l'impression de traiter une boue grasse. Les conséquences sont :

  • des retards dans l'atelier de filtration dus
[Photo : Floc de boue activée composée de bactéries unicellulaires agglomérés par un gel d’exopolymère. Trois trichomes de bactéries filamenteuses traversant ce floc. Il s'agit de 021N caractérisé par des cellules plus larges que longues et l'absence de gaine, M.E.B.]
  • * aux nettoyages,
  • * mauvaise déshydratation des gâteaux de boue pressée,
  • * difficulté de stockage de ces boues,
  • * mauvaise qualité des filtrats qui retournent en tête de la station et aggravent le phénomène.

Altération de la digestion

Dans le cas où la digestion méthanifère existe, les boues foisonnantes provoquent une production d'écumes qui ont tendance à envahir l'espace gazeux. On sait que certaines espèces filamenteuses survivent à l'étape de digestion (Nocardioformes). Les boues digérées sont plus visqueuses et leur traitement s'en trouve altéré.

La centrifugation qui est encore plus sensible au dosage et au choix du polymère de floculation que les autres procédés de déshydratation, est considérablement perturbée : le taux de capture est altéré, les filtrats sont turbides et la déshydratation des gâteaux dégradée.

Effets sur le milieu récepteur

C'est le prolongement des pertes de matières en suspension. Les boues foisonnantes se déposent à l'exutoire et forment à la longue une zone de dépôt qui fermentera en été. Les dépôts contribuent à l'eutrophisation du milieu naturel. L'analyse des dépôts permet de reconnaître sans ambiguïté leur origine grâce aux filaments bactériens dont les formes persistent longtemps dans les sédiments.

Formation des mousses

Les foisonnements de type moussant, lorsqu'ils sont prononcés, créent plusieurs types de nuisances :

  • * Esthétique : la station est recouverte de mousses dont la couleur varie de beige à marron foncé d'une épaisseur étonnante, jusqu'à 1 m dans les cas d'aération par bullage à fines bulles.
  • * Sécuritaire : la mousse visqueuse interdit tout passage, envahit les marches et provoque des accidents.
  • * Détournement d'activité du personnel : le nettoyage indispensable occupe alors le personnel et le détourne des tâches habituelles.
  • * Mauvaises odeurs : la mousse stable sur les bassins en été fermente et dégage des odeurs désagréables.
  • * Mauvaise décantation avec ses conséquences.
  • * Mauvaise utilisation de l'oxygène dissous. Le foisonnement, en modifiant les surfaces d'échange du floc zoogléal, réduit la diffusion de l'oxygène dissous dans le floc, d'où dégradation des rendements énergétiques de l'aération et augmentation des coûts du traitement.

Les systèmes d'identification des filaments

Les précurseurs

Un certain nombre de systématiciens bactériologistes se sont penchés sur les biocénoses bactériennes des boues activées et ont cherché à isoler les bactéries filamenteuses rencontrées dans les flocs. Ils montrent que de nombreuses espèces filamenteuses sont présentes qui, contrairement à l'usage abusif des assainisseurs, n'étaient pas toutes des Sphaerotilus natans Mulder : van Veen ; Pringsheim ; Cyrus et Sladka.

Système de Farquhar et Boyle

Le premier système apparu est celui de G. J. Farquhar et W. C. Boyle, dont il faut rappeler quelques éléments qui sont toujours d'actualité. Les deux chercheurs de l'Université de Waterloo avaient pour mission de caractériser les différents filaments et de les nommer.

Ils s'appuyaient sur les données de la systématique bactérienne alors existante et en adoptaient les méthodes, à savoir réactions biochimiques et cultures pures. Ils recherchaient à reconnaître dans les bactéries filamenteuses des boues activées les espèces déjà découvertes et nommées des milieux naturels dont de très nombreuses espèces avaient été identifiées. Farquhar et Boyle ont ainsi identifié et nommé dix-sept bactéries filamenteuses portant des noms de genre déjà connus dans la nature. Ils les divisent en deux groupes :

Les sources des recherches de Farquhar et Boyle sont le manuel de bactériologie de Bergey et les travaux de Mulder, van Veen et Pringsheim. Leur méthode de caractérisation des espèces comporte :

  • * des colorations,
  • * des tests d'oxydation du fer et du manganèse.
[Photo : Bactérie filamenteuse à gaine discrète ; les cellules ont les extrémités arrondies. La disposition parallèle des trichomes indique la présence d’un mucus légèrement adhérent sur la gaine. M.E.B. Il s’agit de la bactérie 1701 de Eikelboom.]

Trichomes avec gaine plus ou moins prononcée

  • Bactoseira
  • Beggiatoa
  • Crenothrix
  • Leptothrix
  • Leucothrix
  • Microseira
  • Pelonema
  • Pelagothrix
  • Phormidiothrix
  • Sphaerotilus
  • Thiopaca
  • Thiothrix
  • Toothrix
  • Vitreoscilla

Sans gaine et formes mycéliennes

  • Bacillus
  • Micromonospora
  • Nocardia
  • * dépôt de soufre
  • * de polyhydroxybutyrate (PHB),
  • * isolation sur milieux adaptés,
  • * étude à l'état frais au microscope à fond clair et au contraste de phase,
  • * test de dépôt de soufre intracellulaire,
  • * test d'accumulation de PHB,
  • * motilité,
  • * taille et forme des cellules dans le trichome régulières ou irrégulières.

Le système d'Eikelboom

En 1975, Eikelboom propose une nouvelle classification des filaments des boues activées. Il a fait son étude sur plus de mille stations d'épuration hollandaises à boues activées. Eikelboom retient un certain nombre de bactéries de la classification de Farquhar et Boyle, mais en reconnaît d'autres comme étant absolument originales. Devant l'impossibilité de les cultiver et retrouver les caractères, il décide de les nommer d'après des numéros arbitraires, ceci pour qu'il soit bien clair que ces filaments inconnus n'ont pas à être associés à des espèces connues.

Eikelboom utilise pour la reconnaissance le microscope à fond clair et surtout le contraste de phase. Ses critères d'identification sont morphologiques : taille et forme cellulaire, gaine ou non, vrais, faux ou absence de branchements.

Le système d'Eikelboom est immédiatement bien accepté parce que ses descriptions sont sans ambiguïté et ses méthodes simples à réaliser. Il n'y a pas de cultures longues et difficiles de bactéries ; l'usage du microscope à contraste de phase est systématique.

[Photo : Floc de boue activée colonisé par deux types de filaments bactériens : type 1863 en forme de chaînette et type 021N à long trichome. Ces deux types de filaments sont gram négatif (couleur rouge), fond clair, grossissement × 1000.]

Cette classification fait toujours référence vingt-cinq ans après ses premières publications. Pourtant cette classification a quelques insuffisances : le nombre de bactéries est loin d'être exhaustif. Les cas douteux sont fréquents.

Certains auteurs ont apporté des modifications en ajoutant à la liste initiale de Eikelboom quelques bactéries de Farquhar et Boyle qui avaient été bien décrites.

Eikelboom reconnaît sept groupes de bactéries, caractérisés par :

  • * la présence ou l'absence de gaine,
  • * coloration gram- ou gram+,
  • * la forme du trichome, contourné ou droit,
  • * motilité du trichome,
  • * forme des cellules dans le trichome,
  • * absence de parois intercellulaires décelable au contraste de phase,
  • * branchements vrais ou faux.

À l'intérieur de ces sept groupes, un certain nombre de bactéries sont décrites portant un numéro d'identification et, dans quelques cas, sans ambiguïté, le nom déjà connu de la dite bactérie. Le tableau ci-contre des espèces nommées par Eikelboom montre les particularités de ces bactéries.

Parmi la trentaine de filaments identifiés, certains sont responsables de foisonnements intenses et sont donc importants à connaître et à identifier en priorité : ce sont Thiothrix, 021N, Sphaerotilus, 0041, 1701, Haliscomenobacter, Beggiatoa et le groupe des bactéries provoquant le moussage des boues activées, Microthrix et les Nocardioformes.

[Photo : Bactérie filamenteuse à gaine présentant deux faux branchements formant deux fourches. Il s'agit de Sphaerotilus natans M.E.B.]

Quelques cas particuliers

La question du 021N et Thiothrix I et II

Eikelboom appelle 021N une bactérie filamenteuse longue disposée en écheveau et qui possède des cellules plus larges que longues. Elle est fréquente dans les stations à moyenne charge. Elle est souvent confondue avec les formes appelées Thiothrix I et II qui, elles aussi, envahissent les boues activées en longs écheveaux de filaments parallèles. Les cellules, par contre, sont rectangulaires et parfois très longues. Les deux formes sont en fait probablement la même espèce mais représentent des stades morphologiques différents. Les deux formes, en effet, sont capables de fixer le soufre minéral. On les rencontre en présence d'effluents septiques.

Facteurs de sélection des filaments bactériens Eikelboomiens

Concept de facteurs de sélection

Il s'agit de rechercher les causes de la présence des vingt-cinq filaments rencontrés dans le système d'Eikelboom pour espérer pouvoir les com-

battre. Or l’affaire n’est pas facile car une boue activée est une biocénose à interactions multiples entre les populations bactériennes. Pourtant un certain nombre d'études confirmées par l'expérience des exploitants de station ont permis de dresser un tableau des facteurs de sélection. Ils sont bien entendu liés au fonctionnement des stations d'épuration mais il doit en exister quantité qui échappent à l'observateur. Certains sont susceptibles d'être contrôlés par l'exploitant de la station, d'autres sont nécessairement subis. On comprend que les foisonnements de type plurifilamenteux sont plus difficiles à comprendre et, par suite, à combattre que les types monofilamenteux à cause des multiples facteurs de sélection concernés et de leurs interactions sur la croissance de la biocénose.

Les facteurs de sélection se classent en plusieurs groupes

Le groupe des facteurs liés à l'exploitation de la station :

  • Teneur moyenne en oxygène dissous (OD) de la boue activée,
  • Concentration des boues activées dans le bassin,
  • Charge massique = âge des boues.

Le groupe lié au plan de construction de la station d'épuration :

  • Digesteur,
  • Réseau d'égout,
  • Profondeur,
  • Système d'aération,
  • Charge massique,
  • Recyclage,
  • Décanteur secondaire,
  • Possibilité d'empêcher l'accumulation des mousses,
  • Nitrification/dénitrification/anoxie,
  • Traitement des boues,
  • Intensité de l'aération.
[Photo : Exemple de prédation naturelle exercée contre les filaments bactériens par une Thécamide du genre Arcella. La bactérie filamenteuse ingérée est Thiothrix (fond clair, grossissement x400).]

Le groupe des facteurs liés à la qualité du substrat :

  • Déficit en nutriment minéral,
  • Nature de la DCO ou DBO (propriété du nutriment carboné) :
    • graisses,
    • amidon,
  • Influent septique ou non,
  • Substrats sélectifs particuliers.

Groupe lié au mode d'application du substrat sur les boues :

  • Alimentation en mélange intégral,
  • Alimentation étagée.

Groupe lié aux biocénoses dans les boues activées :

  • Prédateurs de filaments,
  • Composition du floc zoogléal (taille du floc, forme).

L'analyse d'un foisonnement filamenteux aboutit obligatoirement à l'évaluation du ou des facteurs de sélection des filaments bactériens.

[Photo : Microthrix parvicella coloration gram positif (couleur violet foncé), bactérie produisant des mousses, fond clair, grossissement x1000.]

Les moyens de lutte

Ils s'appuient sur les analyses des causes d'apparition de foisonnements déjà décrites. On reconnaît :

Les physico-chimiques :

  • Floculants minéraux (FeCl₃, FeClSO₄, sels d'alumine) ;
  • Composés oxydants toxiques : H₂O₂ (eau oxygénée), Cl₂ (chlore), O₃ (ozone).

Les biologiques :

  • Modification du schéma d'alimentation du bassin : théorie du sélecteur :
    • (a) Alimentation séquentielle,
    • (b) Alimentation dans une zone de contact (sélecteur) ;
  • Correction des carences : N ; P ;
  • Correction de la carence en oxygène dissous ;
  • Modification des eaux brutes :
    • (c) Lutte contre la septicité : H₂O₂, FeSO₄·6H₂O, (NO₃)₂, sels d'alumine polycondensés, O₂ pur,
    • (d) Suppression des graisses, entretien des réseaux, dégraisseur ;
  • Modification dans la station :
    • (e) Dispositif d'évacuation des mousses,
    • (f) Étage tertiaire : lagune ou biofiltre ou autre.

Le moussage

Le moussage des boues activées est un cas particulier de la croissance filamenteuse qui est actuellement en expansion. Il y a

deux types de moussage :

Mousses blanches

Détergents ou agents tensio-actifs provenant de l'eau brute

Elles apparaissent à l'endroit de l'alimentation des boues activées par l'influent et tendent à disparaître dans les zones non alimentées et en fin de bassin d'aération. Ce sont des mousses qui contiennent peu ou pas de boues activées, ce qui explique leur couleur. Elles ont pour origine la teneur en détergent de l'eau brute. Les mousses sont d'autant plus hautes et permanentes que le bassin d'aération possède des diffuseurs à fines bulles. Ces hauteurs de mousse diminuent lorsque l'aération est diminuée. On rencontre souvent ces mousses au démarrage des boues activées quand on aère l'eau brute et chaque fois que la concentration des boues activées est basse et donc que l'adsorption des détergents sur les flocs est insuffisante.

Agents tensio-actifs provenant des biomasses

La deuxième source de mousses blanches est la production d'agents tensio-actifs par les boues activées elles-mêmes. Ces produits tensio-actifs sont d'origine biologique. Ce sont par exemple les exsudats de certains filaments tels que Thiothrix ou 021N qui produisent de belles mousses blanches mais aussi, à moindre degré, des bactéries filamenteuses pourvues de gaines (Sphaerotilus 0041). Les bactéries synthétisent des exopolymères, longues chaînes polysaccharidiques, plus ou moins solubles dans l'eau. Ces exopolymères produisent des mousses lorsqu'elles sont violemment brassées. Ces mousses sont blanches parce qu'elles ne retiennent pas de composés liposolubles, souvent colorés susceptibles de se concentrer sur les films hydrophobes. Étant hydrophobes, elles ne concentrent pas les composés liposolubles souvent colorés.

Mousses colorées (jaune-orange à brun-chocolat)

Ce sont des mousses produites par certaines bactéries filamenteuses ayant des propriétés hydrophobes. Trois groupes principaux sont à l'origine de ces mousses :

  • Genre Nocardia ou plus généralement le groupe des Nocardioformes. On reconnaît deux espèces, N. amarae et N. pinensis.
  • Rhodococcus, morphologiquement identique à Nocardia, est différentiable par sa préférence thermique. Les Rhodococcus poussent à une température entre 10 et 20 °C, alors que les Nocardia poussent à des températures plus faibles.
  • Microthrix parvicella.

Test de stabilité de mousse

On mesure avec ce test les propriétés des mousses d'une station d'épuration.

Les hauteurs des mousses indiquent les teneurs en tensio-actifs de l'eau brute avec ses détergents, des filtrats avec ses polymères introduits lors du conditionnement et des boues activées avec leurs exopolymères d'origine biologique. Les différentes origines des mousses sont donc reconnaissables ainsi que les évolutions au cours du temps avec ou sans modification de l'exploitation de la station. Par cette méthode, les effets de ces interventions sur la production de mousses peuvent être objectivement évalués.

Mise en œuvre du test de stabilité de mousse

  • Tube de 2 m de longueur avec un diamètre intérieur de 4 cm ;
  • Diffuseur d'aquarium ;
  • Pierre poreuse ;
  • Débit constant de 0,2 l/sec.

Le test consiste à buller successivement :

  • dans 100 ml d'eau brute,
  • dans 100 ml d'eau épurée,
  • dans 100 ml de filtrat, et
  • dans 100 ml de boue activée.
[Photo : Tableau général de la classification de Eikelboom.]
[Photo : Figure 10 : Tableau des principales bactéries filamenteuses du système Eikelboom.]

et à noter la hauteur de la mousse stable formée (attention, les trains de bulles montent jusqu'en haut du tube ne sont pas à considérer comme mousse stable).

Les causes du moussage

Métabolismes des bactéries produisant des mousses

Les deux principaux types de bactéries générant des mousses sont les Nocardioformes et les Microthrix parvicella. Elles ont toutes deux une structure identique de la capsule (partie extérieure de la paroi cellulaire), toutes deux prennent la coloration gram+, possèdent des vacuoles de gaz dans leur protoplasme qui les font flotter. La capsule est de plus hydrophobe présentant une affinité aux corps gras et de façon générale aux composés hydrophobes (pesticides, hydrocarbures, ...). Des études nombreuses ces dernières dix années ont confirmé que ces deux bactéries métabolisent (assimilent) les corps gras. Elles sont capables de se développer en présence de NO₃⁻ et de NH₄⁺. Dans le groupe des Nocardioformes on distingue les Nocardia amarae et les Nocardia pinensis plutôt dans le cas de températures chaudes >10 °C. Les Nocardioformes et Microthrix parvicella ont d'autre part, et de façon caractéristique, des temps longs de doublement correspondant à des bassins à faible charge et des temps de résidence longs.

Par ailleurs, leur disposition dans le floc et en bordure du floc sous forme d'enchevêtrements épais favorise le piégeage des bulles d'aération (à l'extérieur du floc) ou des bulles de gaz de dénitrification (N₂) à l'intérieur du floc) de sorte que trois types de bulles de gaz participent à la propriété de flottation de ces bactéries moussantes : les bulles d'air d'aération, les bulles de gaz de dénitrification (N₂) et les bulles de gaz métaboliques intracellulaires.

La réserve de mousses en surface des boues activées

C'est la flottation des trichomes et leur piégeage dans la surface du bassin d'aération qui permet la multiplication des bactéries moussantes dans les mousses et leur ré-ensemencement permanent dans la boue activée à la faveur de la circulation de la liqueur mixte de boue activée sous la

couche des mousses. On notera que le mode d'aération existant dans le bassin d'aération a une grande importance, puisqu'il accentue et favorise la flottation des flocons de boues activées contenant des trichomes hydrophobes. L'aération à fines bulles favorise grandement la flottation. Mais aussi les bassins profonds dans lesquels des phénomènes de dégazage d'azote ou d'oxygène sont observés à la faveur de la circulation de la liqueur mixte en surface, zone où la faible pression s'exerce. Les concentrations en poids des mousses sont considérables malgré l'apparente légèreté des mousses : on rencontre des concentrations de l'ordre de 10 à 30 g/l de matière sèche alors que la boue activée n'a que de 2 à 4 g/l. Cette propriété paradoxale vient du fait que le film de mousses est hydrophobe et que l'eau interstitielle des biomasses entraînée lors de la flottation retombe gravitairement par ressuyage dans le bassin en sorte que la mousse représente une masse considérable de bactéries moussante d'ensemencement. Le métabolisme micro-aérophile et anaérobie facultatif de ces bactéries autorise leurs développements dans les mousses elles-mêmes ce qui n'est pas sans causer des nuisances olfactives sur certains sites.

Propriétés sélectives des Actinomycètes

Les Nocardioformes appartiennent au groupe des Actinomycètes, et comme la plupart des bactéries de ce groupe, elles doivent émettre des sécrétions inhibitrices pour les bactéries des autres groupes, à la façon des antibiotiques.

Absence apparente de concurrence de prédateurs dans les boues activées

Enfin la prédation spécifique par un métazoaire ne semble pas exister si ce n'est peut-être par les mangeurs de flocs : Oligochètes (type Aelosoma). Mais ce cas de figure n'est pas trop rencontré et n'est peut-être même pas inhibiteur puisque le passage dans le tube digestif n'est pas nécessairement destructeur. L'auteur n'a jamais vu d'Aelosoma proliférant dans une boue activée à foisonnement sévère à Nocardioformes ou Microthrix. Les prédateurs habituels de filaments Thiothrix, 021N, Sphaerotilus : les protozoaires Arcella, Chilodonella n'ont pas été rencontrés prélevant des filaments générateurs de mousse. Alors ces filaments seraient-ils exempts des prédations habituelles des autres filaments ? L'auteur pose la question et invite à des recherches.

L'occupation des niches, en somme la surface intérieure du floc, par des bactéries explique leur propension à entraîner le floc en flottation et explique aussi la difficulté de les éliminer par des mesures simples.

Moyens de lutte

Méthode de lutte constructive

La première consiste à construire des bassins sans possibilité d'accumulation de flottants, c'est-à-dire des systèmes de déversoirs pour les boues activées. Sinon d'installer des suceurs permanents à mousse. Ensuite, construire des puits de dégazage après un bassin profond de façon à éliminer les flottants. Éviter les jupes anti-bruit et anti-aérosol autour des turbines de surface qui retiennent des mousses. Éviter les bullages fins en utilisant par exemple des apports d'oxygène pur. Souvent, l'exploitant est amené à réduire l'aération pour limiter le volume des mousses. On sait que là ces bactéries sont capables de pousser en milieu micro-aérophile et anaérobie et que dans ces conditions, elles continuent leur croissance. Par conséquent cette mesure ne donne que des avantages momentanés.

Méthode métabolique

Suppression des substrats préférentiels, graisses, acides gras et influents septiques. Un influent septique est sélectif des bactéries moussantes en ce sens que les graisses déposées et accumulées dans les réseaux d'égout sont hydrolysées en acides gras solubles et ne sont donc pas retenues dans le dégraisseur. Un traitement à la source de toute industrie susceptible de rejeter des composés lipidiques dans les égouts est vivement conseillé. Évidemment pousser l'entretien des installations de dégraissage et déshuilage.

Destruction par Cl₂

Une méthode très fréquemment utilisée en dernier recours quand l'exploitant est dépassé est la chloration de la boue activée. La méthode donne des résultats encourageants, très rassurants, pendant quelque temps. Elle a pour effet de détruire les trichomes libres mais de coaguler une partie des bactéries zoogléales, précisément celles qu'on souhaite développer. La coagulation a pour effet d'augmenter la densité des boues, d'améliorer la décantation et de diminuer pendant quelque temps l'aspect moussant. Mais ce procédé n'a de sens que si la réserve de mousse est enlevée mécaniquement car l'ensemencement en trichomes moussants reste présent et le développement en filaments moussants continuera. Certaines stations d'épuration importantes d'ailleurs pratiquent la chloration préventive par petites doses régulières d'eau de Javel par semaine ou par quinzaine. Mais ceci n'est qu'emplâtre sur jambe de bois, et ce recours satisfait les chimistes et les mécaniciens, ne saurait séduire un biologiste car entraînant production massive de composés organo-chlorés toxiques avec sélection de bactéries résistant au chlore et destruction des biocénoses utiles dans le processus épuratoire dans le floc (protozoaires, métazoaires, bactéries).

Avenir du moussage des boues activées

Le moussage a un très grand avenir car les stations d'épuration seront de plus en plus nitrifiantes, déphosphatantes par voie biologique, et par conséquent sélectives des trichomes moussants au point qu'on peut prédire que l'avenir est aux biomasses filamenteuses moussantes qui déplaceront les autres types filamenteux dont les croissances sont liées à d'autres propriétés d'âge des boues. Ceci bien sûr, si les progrès en construction ne permettent pas la suppression des masses flottantes de mousses.

Mais les filaments, qui provoquent le moussage sont un des points négatifs du procédé des boues activées, par ailleurs extrêmement polyvalent et relativement rustique et c'est probablement à cause de cette limite du procédé que des techniques concurrentes, telles que la biofiltration, pourront prétendre à le supplanter.

Examen d'un floc filamenteux

Il se fait au microscope à contraste de phase. Il a pour but d'évaluer :

  • l'ampleur de la colonisation bactérienne filamenteuse ;
  • les espèces filamenteuses en présence et notamment l'espèce dominante ;
  • l'effectif des bactéries zoogléales susceptibles de se multiplier et de reconstituer un floc considéré comme souhaitable ;
  • les signes de perturbation du fonctionnement de la station qui sont probablement à l'origine du développement filamenteux ;

Références bibliographiques

* Chudoba J., Madera V., Ottova V. Control of activated sludge filamentous bulking (I). Effect of the hydraulic regime or degree of mixing in an aeration tank. Wat. Res., 1973a, 7, 1163.

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* Il permet d’établir un suivi et un contrôle des changements intervenus sur une boue, évolution naturelle ou suite à des interventions de l’exploitant.

Ampleur du foisonnement

On reconnaît qualitativement cinq niveaux de colonisation filamenteuse :

Le 1er : sans filaments

Le 2e : développement de filaments mais les bactéries zoogléales unicellulaires sont largement dominantes et les propriétés générales de la boue ne sont pas altérées. Un risque existe : c’est que l’effectif filamenteux se développe.

Le 3e : la surface apparente des flocs observés sous le microscope présente autant de filaments que de bactéries zoogléales. Le floc est nettement envahi de filaments. Le foisonnement débute et de légères perturbations sont sensibles ; départ des boues aux heures de grand débit d’eau brute.

Le 4e : la biomasse filamenteuse est supérieure à la biomasse zoogléale ; boue nettement filamenteuse ; perturbations permanentes sous forme de mousses ou sous forme de pertes de boues ; tassement très dégradé (indice de décantation).

Le 5e : la biomasse est pratiquement uniquement filamenteuse. Les perturbations sont très graves et se répercutent sur tous les points de la station d’épuration.

Un certain nombre de tests complètent l’observation microscopique

* Test de stabilité des mousses, qui mesure la production des mousses ainsi que leur origine biologique dans les boues et les effluents de la station.

* Test de cohésion des boues activées, qui mesure pour quelles vitesses ascensionnelles un voile de boue activée est entraîné et quels flocs sont entraînés en priorité.

* Dans le cas où les boues activées foisonnantes altèrent le traitement des boues, à savoir conditionnement et déshydratation, le test de succion capillaire est recommandé. Il mesure en gros l’eau libre d’une boue et dans le cas d’un foisonnement, la migration de l’eau libre est clairement retardée.

Conclusion

Le constructeur de stations d’épuration conçoit sa station avec l’hypothèse d’un floc théorique idéal de bactéries zoogléales.

Or, cette notion de floc théorique idéal semble aujourd’hui, au bout de 90 ans d’existence du procédé des boues activées, dont les dernières vingt années bien étudiées, peu adaptable aux exigences des nouvelles normes de rejets. Un floc normal contient des filaments, mais leur présence n’altère pas les propriétés de métabolisation et de décantation des flocs. Tant que les altérations du « floc théorique » par les filaments ont été tolérées par les exploitants des stations, le procédé des boues activées pouvait continuer, d’autant plus qu’il connaissait des perfectionnements admirables : nitrification/dénitrification, déphosphatation biologique, etc.

Mais les normes de rejets de plus en plus restrictives ont fait apparaître les limites des boues activées, précisément dues aux bactéries filamenteuses, en sorte que les boues activées aujourd’hui sont pénalisées par rapport à d’autres procédés concurrents qui peu à peu s’imposent.

Mais en attendant que de nouveaux procédés plus performants supplantent les boues activées, il faudra vivre avec les nuisances filamenteuses et améliorer la connaissance biologique du foisonnement pour espérer le contrôler.

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