La filtration sur charbon actif granulé (CAG) s’est largement développée au cours des dernières années. Son intérêt s’est tout d’abord révélé par l'économie qu’il était possible de réaliser en remplaçant le charbon actif en poudre par cette technique de filtration sur granulé (1) (2). Les études réalisées (3) (4) ont, très rapidement, étendu le champ d’application du CAG et montrent un intérêt pour l'élimination des nombreux polluants, outre, bien sûr, l'amélioration des qualités organoleptiques de l'eau.
Depuis 1970, nous avons largement développé l’utilisation du CAG : la capacité installée à ce jour donne la possibilité de filtrer journellement plus de 1 200 000 m³.
LES TECHNIQUES MISES EN ŒUVRE
CAG en premier étage
Dans un premier temps, et afin de réduire les frais d'investissement, le CAG a été mis en œuvre en retirant le sable des filtres existants et en le remplaçant par le CAG : c’est la filtration en « premier étage ». Les modifications à apporter aux filtres et à la séquence de lavage sont peu coûteuses, mais leur importance est grande pour obtenir un bon fonctionnement des installations (2). Cette filtration en premier étage impose de choisir un charbon dont la granulométrie se rapproche de celle du sable (taille effective de 0,8 à 1 mm), le charbon ayant non seulement une fonction d’adsorption, mais également un rôle de matériau filtrant. Une taille effective trop faible impose des lavages trop fréquents. Mais cette taille de 1 mm conduit à des fronts de filtration importants et à une régénération fréquente ; le bilan d'utilisation du CAG n’est alors pas aussi bon que celui que l'on serait en droit d’espérer de cette technique.
CAG en deuxième étage
Afin d’améliorer l'efficacité du charbon actif, et d’espacer les régénérations, le CAG est donc maintenant utilisé généralement en deuxième étage de filtration. Dans cette filière, la filtration sur sable est conservée avec son rôle d’élimination des matières en suspension et du floc s’échappant des décanteurs (ou flottateurs) situés en amont. L’eau filtrée sur sable est alors dirigée vers un deuxième étage de filtres garnis de CAG. Cette eau étant exempte de matières en suspension, il est alors possible d'utiliser un charbon de taille effective plus faible (taille effective de 0,5 à 0,8 mm) permettant de mettre en valeur au mieux les qualités adsorbantes du CAG.
Il est à remarquer que, jusqu’alors, le type de filtre utilisé pour cette filtration en deuxième étage a été une simple adaptation des techniques de filtration usuelles.
UN NOUVEAU TYPE DE FILTRE : LE FILTRE À DOUBLE FLUX
L'expérience acquise par Degrémont (1) (2) (3) (4) (5) a permis d’optimaliser les principaux paramètres de fonctionnement : hauteur de couche, vitesse de filtration, taux de travail exprimé en vol/vol/h et sens de passage de l’eau à travers le charbon actif.
Des études plus récentes (6) ont également permis de montrer que le charbon actif travaille en deux phases : une phase d’adsorption rapide et une phase d’adsorption lente. C’est dans la phase d’adsorption rapide que le charbon élimine le mieux les matières organiques de l'eau. La phase d’adsorption lente est souvent masquée par les phénomènes biologiques qui apparaissent au sein du lit de charbon : les matières organiques biodégradables sont alors éliminées par l'action des bactéries se développant à la surface des grains de charbon actif d’une part, et par la phase d’adsorption lente d’autre part.
Optimisation des paramètres
Hauteur de couche et vitesse de filtration
On a étudié (3) l'influence de la hauteur de couche et de la vitesse de filtration sur différents filtres dont les hauteurs étaient 1 m et 2 m. Le rapport des vitesses varie dans un rapport de 1 à 2 (à savoir 6,5 et 13 m/h) pour travailler à des taux de travail identiques, égaux à 6,5 vol/vol/h (tableau 1).
TABLEAU 1
Étude de l'influence de la hauteur de couche Fonctionnement hydraulique
FILTRE | A | B |
---|---|---|
Vitesse de filtration (m/h) ... | 13 | 6,5 |
Hauteur de couche (m) ........... | 2 | 1 |
Taux de travail (vol/vol/h) ..... | 6,5 | 6,5 |
Temps de contact (mn) ........ | 9 | 9 |
Les résultats obtenus lors de ces essais ont montré que si l'élimination des matières organiques est sensiblement la même dans les deux cas, l'élimination des mauvais goûts est meilleure sur le système à forte hauteur de couche.
Le tableau 2 montre que, dans les conditions de l'expérience, le filtre à faible hauteur de couche (1 m, 6,5 m/h) fournit 16 600 m³ d'eau sans goût par mètre cube de charbon, tandis que le filtre à forte hauteur de couche (2 m, 13 m/h) délivre 23 300 m³ d'eau sans goût par mètre cube, soit 40 % d'eau filtrée en plus.
TABLEAU 2
Étude de l'influence de la hauteur de couche Élimination des mauvais goûts
FILTRE | Charge « polluant goût » appliquée par kg de charbon | Charge « polluant goût » retenue par kg de charbon | Vol. d'eau traitée/vol. de charbon pour un seuil de 1 |
---|---|---|---|
A | 305 | 296 | 23 300 |
B | 230 | 227 | 16 600 |
Filtre à flux ascendant ou à flux descendant
Classiquement, le flux descendant est utilisé en filtration sur charbon actif selon le même procédé que la filtration sur sable.
Cette technique a l'inconvénient de mettre en contact les polluants à adsorber d'abord avec les grains de charbon les plus fins. La concentration en polluant décroît à travers le filtre (front d'adsorption) alors que la taille des grains augmente. Or, la cinétique d'adsorption sur les grains les plus gros est plus faible puisque la surface extérieure développée par les grains dans un même volume de lit filtrant est plus faible.
Il apparaît donc intéressant de commencer l'adsorption en filtrant à travers le matériau le plus gros, pour terminer par l'affinage sur les grains les plus fins. C'est ce que le flux ascendant permet de réaliser.
La filtration à flux ascendant présente les avantages suivants :
- - une élimination légèrement meilleure des matières organiques à grosses molécules. Les essais de la figure 2 ont été effectués sur un filtre à flux ascendant et un filtre à flux descendant qui fonctionnaient à 10 vol/vol/h sur une hauteur de couche de charbon de 1 m ;
- - une meilleure élimination des mauvais goûts ; le filtre à flux ascendant permet d'obtenir un volume d'eau traitée d'environ 30 à 40 % plus important.
Du point de vue hydraulique, la perte de charge d'un filtre à flux ascendant augmente plus faiblement, ce qui a pour effet de diminuer la fréquence des lavages. Par contre, la filtration à flux ascendant doit toujours être suivie d'une filtration pour éliminer les fines de charbon provenant éventuellement de l'usure des grains de charbon frottant les uns contre les autres durant le fonctionnement du filtre.
Le filtre à double flux
Principe du filtre
Le filtre à double flux, présenté sur la figure 3, est un bassin filtrant constitué de deux cellules contenant le charbon actif granulé (CAG) et fonctionnant en série. Alors que dans un filtre ordinaire, le flux est descendant, le débit se répartissant également à travers les deux cellules, dans le filtre à double flux, tout le débit traverse d'abord l'une des cellules en flux ascendant puis l'autre cellule en flux descendant.
Originalité du filtre à double flux
Le filtre à double flux profite simultanément des différentes techniques évoquées précédemment, à savoir :
— utilisation d’une forte hauteur de couche ; pour une même surface au sol, le filtre à double flux permet de disposer d'une forte hauteur de couche, double de celle d’un filtre classique, pour un même taux de travail ;
— utilisation partielle du flux ascendant ; dans la première cellule, le flux ascendant permet, pour la première moitié du temps de contact, de profiter de la meilleure efficacité du lit ascendant ;
— rétention sur la deuxième cellule des particules fines de charbon s’échappant éventuellement de la première cellule. Si de fines particules de charbon s'échappent de la cellule à flux ascendant, ces particules seront retenues sur la deuxième cellule à flux descendant.
— Utilisation maximale de la capacité d’adsorption
Le front d’adsorption se situe, au démarrage du filtre, dans la première cellule. Lorsque l’avancement du front d’adsorption fait que la première cellule est complètement saturée vis-à-vis du niveau de pollution de l'eau à traiter, le front d’adsorption est alors situé au sein de la deuxième cellule. Il est alors possible : de prélever le charbon situé dans la première cellule pour l’envoyer à la régénération, de transférer par voie hydraulique le charbon de la deuxième cellule dans la première et de remplir la deuxième cellule avec du charbon neuf ou régénéré.
On réalise, ainsi, à chaque opération, la régénération de la partie la plus saturée du charbon mis en place dans le filtre. Cette façon de procéder est plus avantageuse que la filtration classique sur un seul lit de matériau filtrant : en effet, dans ce cas, lorsque la concentration en polluant de l’effluent atteint la valeur maximale admise, tout le lit de charbon doit être régénéré, alors que seule une partie du charbon est saturée pour la concentration en polluant de l'influent.
— Destruction de l’ozone résiduel
Dans de très nombreuses installations, il est prévu de traiter l'eau à l’ozone avant de la filtrer sur charbon actif. Il est nécessaire de couvrir les filtres d'une couverture étanche pour limiter la diffusion de l’ozone résiduel dans l'air au-dessus du filtre.
Le passage de l’eau dans la première cellule permet la destruction de l’ozone résiduel. L’atmosphère située au-dessus du charbon est donc exempte d’ozone et il n’est plus nécessaire de prévoir une couverture étanche des filtres pour protéger l’environnement. Une couverture légère, beaucoup moins onéreuse, permettant d’éviter le développement des algues à la surface du charbon, est alors suffisante.
LES PREMIÈRES RÉALISATIONS
Deux installations sont construites à ce jour sur le principe du filtre CAG à double flux (photos).
L’installation de Nantes est une installation de traitement d’eau de Loire. Le débit traité est de 11 700 m³/h. La filière de traitement est la suivante :
— préchloration,
— coagulation floculation décantation (Pulsator),
— filtration sur sable (filtre Aquazur V),
— ozonation,
— filtration CAG,
— désinfection au chlore.
L’installation de filtration sur CAG comporte 7 filtres double flux (soit 14 cellules) dont la surface unitaire est de 102,5 m², soit une surface totale de 717,5 m².
Chaque filtre comporte deux cellules de 51,25 m² chacune, garnies de charbon chacune sur une hauteur égale à 1 m.
Le volume installé de charbon est de 1 435 m³ soit un taux de travail égal à 8,15 vol/vol/h. La vitesse de percolation est de 16,3 m/h. Cette installation a été mise en fonctionnement au printemps 1984.
L'installation du Mont Valérien traite les eaux de Seine. Le débit traité est de 2 200 m³/h. La filière de traitement, qui est en cours de modification, est la suivante : préozonation, coagulation-floculation, décantation en décanteurs Pulsator, filtration sur sable (filtres Aquazur T), ozonation, désinfection au dioxyde de chlore.
L'installation de filtration CAG comporte 6 filtres double flux (soit 12 cellules) de 82 m², soit une surface totale de 492 m². La hauteur de couche dans chaque cellule est de 0,9 m, soit un volume total de charbon de 443 m³. Le taux de travail est de 4,97 vol/vol/h pour une vitesse de percolation de 9 m/h. Cette installation sera mise en route à l'automne 1984.
CONCLUSION
Pendant longtemps, la filtration a été mise en œuvre selon les principes de la filtration classique. Le filtre double flux, particulièrement adapté à l'utilisation du CAG, doit désormais permettre d'utiliser au mieux la capacité d'adsorption du charbon actif et d'abaisser les coûts de fonctionnement dus à la régénération du charbon.
C’est une technique prometteuse, appelée à se développer dans les années à venir.
Bibliographie
1. Y. RICHARD, F. FIESSINGER, TSM l’Eau, 1973, p. 1-19.
2. Y. RICHARD, F. FIESSINGER, TSM l'Eau, 1975, n° 7, 8-9, 10.
3. Y. RICHARD, M. CONAN, TSM l’Eau, 1978, 3, p. 189-197.
4. F. FIESSINGER, L. BRENER. Activated Carbon Adsorption of Organics from the Aqueous Phase, Vol. 2, edited by M. J. Mc GUIRE and I. H. SUFFET, Ann Arbor Science Publishers, Inc., 1980, p. 489-506.
5. F. FIESSINGER, Y. RICHARD. Annual Conference of the American Water Works Association, Atlanta, Georgie, juin 1980.
6. R. PEEL, A. BENEDEK. Journal of the Env. Eng. Div. ASCE, 1979, Vol. 10 C (août), 797-813 (1980).