Your browser does not support JavaScript!

Fiabilité et sûreté de fonctionnement d'ouvrages d'épuration : étude et application chez Maubeuge Construction Automobile

30 novembre 1983 Paru dans le N°78 à la page 99 ( mots)
Rédigé par : A. HERMAN et D. BOGUSZ

L’Agence de l’Eau Artois-Picardie a fait réaliser en 1980 une étude de fiabilité de fonctionnement de la station d’épuration de l’atelier de peinture de l’usine MCA à Maubeuge. Cette étude a débouché sur une application industrielle.

Le présent résumé du rapport d’étude expose :

  • - les motivations qui nous ont amené à entreprendre ce travail ;
  • - les enseignements et résultats réels ;
  • - les coûts d’une telle démarche.

Pourquoi une étude de sécurité de fonctionnement d’une station d’épuration ?

Est-il besoin de rappeler ici l’impérative nécessité d’obtenir des ouvrages d’épuration (existants ou à construire) un fonctionnement constant et efficace ?

Actuellement cette qualité de fonctionnement n’est pas atteinte dans de nombreuses installations industrielles ou urbaines, preuves en sont les rapports des services d’assistance technique ou les mesures de pollution.

Comment améliorer cette situation ?

Nous avons, les uns et les autres, des éléments de réponses : pièces de rechange, personnel compétent, doublement de tel appareillage, etc. Quelle est l’influence d’une de ces actions sur le résultat final ? Son coût relatif ? A-t-on choisi la bonne intervention ?

Autant de questions qui n’obtiennent que des réponses évasives.

La fiabilité (ou sécurité des systèmes) est une science toute jeune qui semble pouvoir participer de façon décisive à l’amélioration et au fonctionnement efficace et constant des stations. Initialement réservée aux domaines stratégiques, elle connaît aujourd’hui un développement important dans des branches industrielles classiques telles que la construction mécanique ou l’informatique.

L’Agence a voulu éprouver cette méthode dans le domaine qui l’intéresse.

Les principes de la fiabilité

« La réunion de sous-systèmes optimaux ne constitue pas un système optimal » ; cette proposition aujourd’hui démontrée précise les limites de l’analyse classique qui visait à optimiser indépendamment chacun des éléments d’un système.

La sécurité du système saisit globalement les problèmes complexes ; elle implique l’utilisation de modèles qui permettent de présenter la structure des éléments et leurs interactions. La fiabilité envisage toute circonstance normale ou anormale susceptible de se produire avant, pendant et après l’utilisation.

Le succès de la méthode fiabiliste est directement lié à la rigueur et à l’exhaustivité de l’analyse.

La méthode utilisée

Elle est dite « arbre des causes » ou « arbre des défaillances ».

Partant d’un événement indésirable (ex. : dépassement d’une norme de rejet), on en recherche les causes et l’on poursuit la démarche jusqu’à aboutir à des événements dits élémentaires, dont les caractéristiques (probabilité d’apparition, temps de réparation) sont connues. Les différents niveaux de l’arbre sont reliés par des portes logiques.

Exemple :

Un calcul de probabilité classique permet de connaître le taux d’apparition de l’événement indésirable et sa durée. De même, la dérivée des lois de combinaisons d’un arbre donne la sensibilité de l’événement indésirable à une modification des caractéristiques d’un événement élémentaire. Ainsi, plus la sensibilité de l’événement élémentaire sera élevée et voisine de la probabilité de l’événement indésirable, et plus une modification des caractéristiques de ce dernier influera sur le résultat final.

La probabilité ne peut seule rendre compte de la gravité d’une panne. Il n’est pas indifférent d’avoir une panne par an dont les conséquences s’étendent sur un mois ou un défaut durant 30 secondes toutes les heures.

Dans cette étude on a défini la gravité d’une panne comme étant égale au produit de la probabilité d’apparition par la durée de présence (détection, réparation).

LE CADRE DE L’ÉTUDE ET LESMOYENS MIS EN ŒUVRE

LE CADRE

Cette étude de fiabilité a été menée chez MCA pour plusieurs raisons :

  • - bonne réceptivité de la part de l’industriel ;
  • - possibilité de mettre immédiatement en application les résultats obtenus au traitement des effluents du nouvel atelier de peinture par cataphorèse.

MCA, filiale de Renault, est une usine de montage automobile comprenant les ateliers suivants :

  • • emboutissage d’une partie de la carrosserie du véhicule ;
  • • assemblage de la caisse ;
  • • traitement de surface de la caisse et des accessoires (dégraissage, phosphatation, passivation chromique) ;
  • • peinture électrophorèse cationique des caisses ;
  • • peinture des apprêts et des laques ;
  • • montage des organes mécaniques et de l'habillage ;
  • • essais et expédition.

MCA emploie 3 000 personnes et produit environ 90 000 véhicules par an.

L'étude de fiabilité a porté sur la station de traitement des effluents issus de l'atelier de peinture par cataphorèse des caisses.

Les caractéristiques de l’effluent de peinture par cataphorèse sont rassemblées dans le tableau I.

La filière d’épuration retenue a été la suivante :

  • — homogénéisation dans un bassin de 40 m³ ;
  • — neutralisation à la soude (ou à l'acide) ;
  • — coagulation par chlorure ferrique ;
  • — floculation par polyélectrolyte ;
  • — flottation par mélange air-eau pressurisé.

TABLEAU I

Effluent Valeur moyenne Valeur maxi Valeurs maxi visées après traitement
Débit m³/h 8 20
MeS mg/l 5 000 20 000 30
DCO mg/l 5 000 100 000
Plomb mg/l 20 50 1
pH 3-4 8,5-5,5

LES MOYENS

Les études de dimensionnement et de mise au point de la station ont été réalisées en même temps que l'étude de fiabilité. Celle-ci a été menée par un groupe composé de personnes de l'Université de Technologie de Compiègne (chargé d’étude), de MCA, de l'Agence, du futur constructeur et de la S.N.I.A.S. Ont aussi été sollicités des sous-traitants du constructeur pour les appareillages de mesures, détection, etc.

APPLICATION DE LA FIABILITÉÀ LA STATION D’ÉPURATION MCA

Pour mesurer l'impact des améliorations, le calcul fiabiliste sera mené sur une station fictive comportant le minimum d’organes nécessaires et sur la même station améliorée. On considérera qu'il y a pollution lorsque l'une des normes sur les MeS, le plomb ou le pH n'est pas respectée.

Station « Minimum » (figure 1)

Cette station délivre un effluent hors normes une fois tous les 4 jours. Ce chiffre est la combinaison de :

MeS inacceptable : 5 fois par mois. pH inacceptable : 1 fois par mois. Plomb inacceptable : 1,5 fois par mois.

Le temps moyen de réparation est de l'ordre d'une journée.

Les facteurs de panne sont, dans l’ordre décroissant d’importance :

  • — absence de détection des défauts (appareils et personnel) ;
  • — défaut de mesure de pH ;
  • — pompes : doseuses, d’alimentation, de pressurisation, sondes de niveau, encrassement des cuves par des boues.

Les sensibilités de ces pannes sont de l’ordre de grandeur de la probabilité de l’accident.

Station améliorée (figure 2)

Les améliorations mises en œuvre peuvent être classées en deux catégories :

a) celles que l'on rencontre assez couramment dans l'industrie sur les stations équivalentes :

  • - doublement des pompes doseuses et des canalisations de réactifs ;
[Photo : Schéma de la station « Minimum »]
  • — doublement de la pompe d'alimentation des effluents ;
  • — alarmes diverses (niveaux, etc.) ;
  • — débitmètre sur l'alimentation ;
  • — pH mètre autonettoyant.

b) celles qui ne sont que très rarement mises en œuvre :

  • — stockage de réactifs préparés conséquents et indépendants de la cuve de préparation ; filtration des réactifs dilués ; robinet automatique arrêtant le remplissage de la cuve au niveau haut ;
  • — bacs de coagulation et floculation équipés de cônes et de vannes (Ø 100 mm) à la base permettant une vidange des boues accidentellement déposées ;
  • — doublement de la pompe de pressurisation ;
  • — vis d'extraction des matières denses du flottateur ;
  • — turbidimètre avec alarme commandant le recyclage des eaux en cas de mauvais traitement ;
  • — présence continue d’un personnel compétent et instruit ;
  • — disposition judicieuse des outils permettant d’éviter toute pollution due à une fuite de canalisation, une manipulation malheureuse, etc.

Les résultats

Moyennant ces améliorations, les probabilités suivantes sont obtenues.

Rejet non conforme de la station : 1 fois par an.

  • — dû au MeS : 1 fois sur 7 ans ;
  • — dû au pH : 1 fois sur 3 ans ;
  • — dû au Pb : 1 fois sur 3 ans.

La valeur d'une panne par an a été jugée satisfaisante et les investigations dans le domaine des équipements de fiabilité n'ont pas été poussées au-delà.

On s'est attaché par contre à la gravité de cette panne, c’est-à-dire au produit (probabilité × temps de réparation). On s’aperçoit ainsi que certains éléments ayant une probabilité d’apparition faible (ex. : pompe de réactifs hors service) ont par contre un temps de réparation élevé (ex. : approvisionnement du matériel) et sont déterminants pour le fonctionnement satisfaisant de la station.

Classement des améliorations

On attribue à chaque amélioration un coefficient d’augmentation de la fiabilité ; on obtient le classement suivant.

[Photo : Schéma de la station améliorée (les améliorations sont signalées par un tramé)]

Optimisation fiabilité-coût

À chaque amélioration correspond un coût et un coefficient d’amélioration de fiabilité.

On peut établir le graphe amélioration-coût qui permet :

  • — soit de choisir les améliorations les plus intéressantes en fonction de la somme d’argent disponible ;
  • — soit de définir le coût des aménagements connaissant le niveau de fiabilité recherché.

Le graphique coût-efficacité pour le pH est reproduit sur la figure 3.

[Photo : Graphique coût-efficacité pour le pH]

TABLEAU II

Nature de l'aménagement Coefficient d'augmentation de fiabilité
Turbidimètre sur le rejet 1 000
Personne qualifiée, instruite et présente 1 000
pH mètre à nettoyage automatique 100
Fonds de cuves coniques avec purgeurs 10
Sondes de niveaux, stockages intermédiaires performants sur la préparation des réactifs 10
Doublement des pompes d’alimentation 10
Doublement des pompes doseuses de réactifs 10
Doublement de la pompe de pressurisation 10

TABLEAU III

Nature de l'aménagementCoefficient d'augmentation de fiabilitéCoûts en francs
Turbidimètre sur le rejet1 00040 000
Personne qualifiée, instruite et présente1 000
pH-mètre à nettoyage automatique10024 000
Fonds de cuves coniques avec purgeurs10
Sondes de niveaux, stockages intermédiaires performants sur la préparation des réactifs1023 000
Doublement des pompes d’alimentation1013 500
Doublement des pompes doseuses de réactifs1013 000
Doublement de la pompe de pressurisation107 950
TOTAL121 450 francs 1981

Le couple efficacité-coût pour les trois paramètres pH, Pb et MeS combinés est indiqué dans le tableau III.

Aide de la fiabilité à la définition de la maintenance

La maintenance a déjà été effleurée à propos de l'approvisionnement des pièces de rechange, basé sur le critère « probabilité × temps de réparation ».

L’étude précédente a été bâtie avec l'hypothèse que tout le matériel était en état normal de fonctionnement ; or cet état se dégrade dans le temps, le matériel vieillit, etc. Les probabilités de panne augmentent donc et il arrive un moment où la probabilité de défaillance de la station devient inacceptable. Il faut donc s’efforcer de remettre le matériel dans un état satisfaisant.

On établit ainsi les périodes entre deux entretiens (préventifs). Un calcul basé sur les lois de défaillance permet, pour chacun des composants élémentaires, de déterminer la fréquence des entretiens. On peut ainsi simuler la dégradation de la station.

[Figure : Figure 4]

Le graphique reproduit sur la figure 4 donne l'évolution de la probabilité d'apparition de l'événement indésiré en fonction du temps s'il n'y a pas d'intervention humaine (remise en état).

Coût absolu et relatif de la fiabilité

La station d’épuration a coûté 2,1 MF (1981) dont 0,12 MF, soit 6 %, pour les améliorations de fiabilité (voir liste et coût précédemment donnés).

Les frais d’exploitation correspondent à une personne sur 16 h/j, à raison de 5 jours par semaine.

Le coût des études se décompose comme suit :

– Marché UTC 235 200 F TC (1979), soit : enseignant en fiabilité : 1 mois, étudiant DEA : 1 année universitaire, expert en fiabilité : 10 jours.

– Participation de MCA : 500 heures d’ingénieur.

– Participation de l'Agence : heures d’ingénieur.

– Participation du constructeur : 50 heures d'ingénieur.

Remarques concernant les participations de MCA, Agence et constructeur

Ces valeurs élevées intègrent l’indispensable acquisition des techniques fiabilistes ; on peut estimer à 40 % le temps passé à cette instruction. Cette charge n’est supportée que pour la première étude de fiabilité.

Autres remarques

Les valeurs absolues et les ratios établis ci-dessus doivent être utilisés avec prudence :

– le doublement d’une pompe d’alimentation que nous avons présenté comme élément de fiabilité ne ressort-il pas simplement des classiques « règles de l'art » ?

– les études de fiabilité et de traitabilité de l'effluent ont été menées de concert, la frontière entre les deux thèmes est imprécise.

CONCLUSION

Les calculs fiabilistes ont été conduits à partir de données statistiques ou expérimentales (probabilités, temps de réparation) et de lois mathématiques ; ces bases sont

entachées d’erreurs et il est indispensable de vérifier la validité des résultats obtenus.

Un événement indésirable par an est prévu par calcul. Ayant démarré en septembre 1980, la station n’a pas encore failli à sa tâche. Cela semble indiquer que les valeurs utilisées n’ont pas été trop optimistes.

Par contre de nombreux défauts ont été enregistrés sur différents composants, tous ont été maîtrisés par le système de sécurité.

On peut scinder ces défaillances en deux classes :

  • — pannes de jeunesse : cartes électroniques, mauvais montage, corps étrangers dans les canalisations, etc. ;
  • — pannes normales : encrassement du ballon de pressurisation, déversement accidentel de réactifs.

Les organes de détection (pH mètre, turbidimètre, débitmètre, etc.) couplés avec des alarmes et un automatisme de recyclage, ont toujours réagi correctement et les temps de réparation sont restés compatibles avec les possibilités de secours des installations (capacité de stockage, ralentissement des débits, etc.).

La station fonctionne parfaitement depuis bientôt deux ans ; aurait-elle fonctionné de la même façon sans étude de fiabilité ?

La réponse est négative : sans l’étude de fiabilité, les pompes, qui sont toutes tombées en panne au moins une fois, n’auraient pas été doublées ; le turbidimètre n’aurait pas provoqué le recyclage de l’effluent, pas plus qu’il n’aurait averti l’opérateur qui n’aurait vraisemblablement pas été présent.

Sur le plan de la sécurité de fonctionnement le succès de l’opération ne peut être nié.

Cette sécurité coûte-t-elle trop cher ?

  • — certainement pas en aménagements complémentaires : moins de 10 % ;
  • — par contre les études paraissent très lourdes.
[Publicité : Fiwes]
Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements