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Faut-il instituer une taxation de la ressource calorifique géothermique

28 février 1986 Paru dans le N°98 à la page 20 ( mots)
Rédigé par : M. CORDIER

Les Pouvoirs Publics comme les membres des professions concernées se sont déjà préoccupés de la taxation de la ressource calorifique géothermique, mais ils ne sont pas pour autant parvenus à résoudre de manière définitive les difficultés que soulèverait son instauration. Au moment où les forages géothermiques se développent, il paraît opportun de l’aborder à nouveau en esquissant quelques solutions pratiques susceptibles d’être envisagées, et cela au moyen d'une approche concrète du problème.

La législation française de la ressource en eau, qui se caractérise par sa diversité et sa complexité, ne règle pas les conflits d’usage de la ressource calorifique géothermique.

Elle ne met en effet en place que des règles techniques d’autorisation d’exploitation de cette ressource. Or, les conflits d’usage relatifs à l’utilisation des eaux souterraines (notamment — mais pas exclusivement — par suite de l’essor des PAC/eau) sont susceptibles d’apparaître soit entre utilisateurs pour un même usage, soit entre utilisateurs pour des usages concurrents, soit entre utilisateurs et autorités responsables de la gestion et de la protection des ressources en eau.

Il semble que la taxation de l’usage de la ressource calorifique géothermique serait de nature à aplanir ces conflits ; nous examinerons ci-après les avantages et les inconvénients d’une telle mesure.

LE CADRE GÉNÉRAL

La géothermie constitue un usage de la nappe aquifère ; elle met donc en œuvre une richesse naturelle qui n’est pas inépuisable (même si elle est abondante) et qui se trouve directement menacée par les pollutions de toutes sortes. Les prélèvements bruts à usage géothermique ont en effet des impacts de diverses natures sur les nappes phréatiques :

  • en premier lieu, des impacts hydrauliques : les prélèvements bruts ont les mêmes effets que ceux de toute exploitation d’eau souterraine chronique (sous réserve, toutefois, du fait qu’ils peuvent être atténués, voire neutralisés, par la réinjection) ;
  • en deuxième lieu, des impacts thermiques : les retours d’eau après « prélèvement des thermies » entraînent un abaissement de la température de la nappe ;
  • en troisième lieu, des impacts qualitatifs : les réinjections peuvent être la source de pollutions résultant d’incidents techniques provenant soit du processus d’utilisation géothermique, soit de l’opération proprement dite.

Il convient donc d’assurer la protection de la ressource calorifique géothermique. Par ailleurs, celle-ci constitue une ressource énergétique utilisée à des fins domestiques ou industrielles diverses. Elle donne ainsi naissance à des exploitations nombreuses, voire concurrentielles, de la nappe aquifère : le développement de l’usage géothermique de la nappe phréatique oblige donc à prendre en compte ce nouvel utilisateur. Il convient alors d’agencer les diverses actions sollicitant l’eau souterraine ou, en d’autres termes, de favoriser une gestion cohérente de la ressource calorifique géothermique.

Protection et organisation de la ressource calorifique géothermique : ces deux objectifs, mis en avant, en de nombreuses occasions, par toutes les parties prenantes, dans l’usage de la géothermie, peuvent évidem-

[Photo : Mise en place d'une pompe de puits à Mont-de-Marsan.]

ment être atteints par un renforcement de la législation. Celui-ci passe nécessairement par une modification de la réglementation dont l’objectif peut être d’en améliorer les instruments (avec une refonte plus ou moins profonde des textes) ou de se doter de pouvoirs réglementaires et financiers (avec l'institution d'une autorité particulière chargée d’appliquer concrètement la politique préconisée par tous les intervenants).

L’ESQUISSE D’UNE SOLUTION

La technologie ne doit pas créer la confusion ; cette taxation ne constituerait :

  • — ni un impôt au sens où l’entend le droit fiscal ;
  • — ni une concession, une autorisation ou un permis d’occupation du sol ou du sous-sol au sens où l'entend le droit public.

Par contre, elle devrait être un instrument financier de la police des eaux souterraines, c’est-à-dire d’une gestion bien comprise de la quantité et de la qualité.

À cet égard, un précédent vient immédiatement à l'esprit : le système des redevances que les Agences financières de bassin sont habilitées à percevoir, par application des dispositions de l'article 14 de la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 ; toutefois, ce système n'est pas toujours applicable, dans l’état actuel de la législation, notamment parce que les seuils d’exonération des redevances de prélèvement et/ou de consommation nette mettent les installations individuelles de faible capacité hors d’atteinte de ce moyen d'intervention. En effet, l'article 18 du décret n° 66-700 du 14 septembre 1966 modifié pose, dans son paragraphe 4°, le principe du seuil au-dessous duquel il n’y a pas lieu à perception des redevances (sauf en ce qui concerne celles établies au titre de la détérioration de la qualité de l’eau) (1) ; aussi conviendrait-il de faire œuvre nouvelle, soit en instituant un cadre spécifique, soit en adaptant le système actuel.

Un système de taxation s’insérant dans l’organisation administrative existante

L’adaptation du système connu présenterait a priori de nombreux avantages. Elle permettrait en effet :

  • — d’une part, de partir d'une expérience vécue ;
  • — d’autre part, d’utiliser un modèle d’intervention éprouvé ;
  • — enfin, de s'appuyer sur une organisation administrative qui met en œuvre une gestion cohérente des ressources en eau.

Aussi ne serait-il pas déraisonnable de faire appel aux Agences de bassin, les dispositions de la loi du 16 décembre 1984 pouvant, en raison de leur caractère succinct, être facilement modifiées. Dans cette perspective, la taxation, collectée par elles et à leur profit s’inscrirait dans le cadre des programmes pluriannuels d'intervention de ces dernières, confortant ainsi leur rôle d'instrument financier.

[Photo : Essai de pompage avant raccordement au réseau.]

L’institution d'une telle taxation soulèverait un certain nombre de difficultés techniques relatives à son débiteur, son assiette, son taux et sa liquidation.

Le débiteur de la taxe

Dans le système des redevances que les Agences sont autorisées à percevoir, la définition du redevable résulte de la combinaison des dispositions de la loi et du décret d’application. En effet, la loi ne définit pas les redevables : l'article 14 de la loi indique que des redevances peuvent être réclamées « aux personnes publiques ou privées » qui rendent nécessaire ou utile l’intervention de l’Agence. Par contre, le décret n° 66-700 du 14 septembre 1966 donne une définition, de manière claire et extensive, du redevable en édictant, dans son article 18, que « des redevances peuvent être réclamées aux personnes publiques ou privées qui rendent l'intervention de l’agence nécessaire ou utile :

  • — soit qu’elles contribuent à la détérioration de la qualité de l'eau ;
  • — soit qu’elles effectuent des prélèvements sur la ressource en eau ;
  • — soit qu’elles modifient le régime des eaux dans tout ou partie du bassin. »

La combinaison de ces dispositions permettrait à l’Agence financière de bassin d’instituer une taxation directe visant les initiateurs de toute opération géothermique. Nous pensons toutefois que le texte pourrait être amendé en visant les « prélèvements de toute nature sur la ressource en eau ».

L’assiette et le taux de la taxe

Dans le système des redevances que les Agences sont autorisées à percevoir, l’assiette est déterminée par référence à des unités de prélèvement ou de pollution :

  • — L'unité de prélèvement (ou de consommation) est tout naturellement le mètre cube ;
  • — L'unité de pollution est plus complexe : il s'agit d'un poids théorique de pollution dont la représentation est critiquable mais reste relativement simple et mesurable, sans erreur trop grossière.

Par ailleurs, il est institué un mécanisme de seuils.

Il conviendrait donc, d'une part, de supprimer ce mécanisme et, d'autre part, de rechercher une unité de prélèvement adaptée à l'usage géothermique. La notion de prélèvement, telle qu'elle est retenue jusqu'à présent par les Agences, correspond à une diminution en volume : cette fonction en effet se rapporte soit à la consommation de la ressource (c'est-à-dire à la différence entre ce qui est prélevé et ce qui est restitué) soit à la disparition de la ressource. Cette interprétation s'explique, semble-t-il, par des raisons historiques, dans la mesure où les prélèvements effectués sur la ressource en eau étaient constitués uniquement, lors de la création des redevances par des volumes d'eau. Or, l'expérience, à savoir l'essor de la géothermie, a montré que ces opérations pouvaient comporter également des récupérations de thermies.

L'adaptation de la notion de prélèvement à usage géothermique impliquerait donc de prendre en considération ses deux formes quantitatives possibles : le volume (avec pour référence le mètre cube) et la température (avec pour référence la thermie).

À notre avis, la variation de température de l'eau peut s'analyser comme un prélèvement ou une consommation de thermies et non comme une détérioration de la qualité de l'eau. La quantité de chaleur puisée étant mesurable et, dans les faits, mesurée, le choix de l'unité correspondante devrait être simple : la « thermie » permettrait de procéder à la mesure ou à l'estimation nécessaire au calcul de la taxation dont le taux pourrait, selon le cas, être uniforme pour l'ensemble d'un bassin ou spécifique à différentes zones.

Le recouvrement de la taxe

Le recouvrement de la taxation serait confié à une autorité spécifique, qui, si l'on se plaçait dans le cadre de l'Agence financière de bassin, serait l'agent comptable de cette dernière.

Par ailleurs, le contentieux lié à cette taxation relèverait de la compétence du juge administratif ordinaire (et non du juge fiscal) et les règles procédurales seraient celles du contentieux administratif de l'annulation ou de la pleine juridiction.

[Photo : Foreuse en cours de forage à la ZAC de Blagnac.]

Ces quelques réflexions ont pour seul objet d'engager plus avant un débat sur un thème qui est évoqué de manière sporadique. Certes, leur opportunité peut être contestée pour trois raisons :

  • — D'une part en raison de la relative faiblesse du poids du prélèvement à usage géothermique dans l'ensemble des prélèvements d'eau souterraine en France ;
  • — D'autre part, en raison du fait que l'usage de l'eau souterraine à des fins géothermiques est souvent suivi d'une restitution volontaire aux aquifères, ce qui réduit sensiblement les prélèvements nets pour cet usage par rapport aux prélèvements bruts ;
  • — Et enfin en raison des incidences financières de l'institution d'une telle taxation, qui risque de compromettre économiquement les opérations de géothermie.

Mais, aucun de ces arguments ne suffit, à lui seul, à écarter la nécessité d'éviter que l'usage géothermique des eaux souterraines ne contrarie la conservation de la ressource. Cette nécessité passe, à notre avis, par l'extension à tous usages géothermiques du régime de droit commun mis en place, avec des résultats satisfaisants, par la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 et adapté, par nécessité, à ces usages spécifiques.

(1) L'inapplicabilité du système des redevances n'est évidemment pas générale, mais concerne toutes les opérations à caractère individuel (les opérations à caractère collectif ou industriel se trouvant soumises à une redevance en raison de l'importance de leur prélèvement).

Si l'on prend l'exemple du Bassin Seine-Normandie, elle touche les opérations ne dépassant pas vingt équivalents-logements, qui échappent donc à toute redevance. Or, c'est en particulier cette situation de fait, à savoir : l'exonération d'opérations qui, par leur multiplication, présentent des risques au niveau de la ressource,

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