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Face à des sécheresses tout sauf accidentelles, la forêt prépare son avenir en mode mosaïque

31 octobre 2023 Paru dans le N°465 ( mots)

Des chênes et des pins maritimes s’y trouvaient principalement. Des châtaigniers, des charmes, des hêtres, des bouleaux, des frênes, des oiseaux nicheurs, des amphibiens et des insectes l’habitent désormais, témoignant de la stratégie de gestion que l’ONF met en œuvre face au changement climatique. Nous sommes dans la forêt domaniale de Moulière, le plus grand espace forestier du département de la Vienne.

C ’est une histoire d’eau un peu particulière que celle de cette forêt mosaïque de plus de 8000 hectares située à 15 km de Poitiers. La forêt domaniale de Moulière, puisque c’est d’elle dont il est question, tire son nom des pierres à moulin qui étaient extraites de son sol argileux. Dans sa partie nord, elle abrite un paysage de landes à mares qui fait partie de la réserver naturelle du Pinail, labellisée RAMSAR depuis 2022. La forêt de Moulière n’est pas seulement une ancienne forêt royale composée de peuplements de feuillus et de résineux, de landes à bruyères et milieux humides, mais l’illustration de la stratégie d’adaptation aux effets du changement climatique que l’ONF déploie depuis 2018.

UNE DÉCENNIE MOUVEMENTÉE 

En théorie, il pleut chaque année près de 450 milliards de m3 d’eau sur la France métropolitaine, soit un peu plus de 800 litres par m2. Considérant qu’un mètre cube de bois produit dans ses forêts nécessite 150 mètres cube d’eau transpirés par les arbres, la forêt française transpire près de 13 milliards de m3 d’eau chaque année. Dans la pratique, depuis 2018, les forêts ont soif. L’une des conséquences majeures du changement climatique est selon le dernier bilan de l’IGN le phénomène lent de dépérissement de certains peuplements qui a entraîné une division par deux du puits de carbone forestier en 10 ans. De fait, les sécheresses estivales et hivernales aggravées par des températures élevées ont affecté plus de 300000 hectares de forêts publiques dont 50000 hectares fortement détruits, démontrant que sous l’effet du climat, de l’augmentation de biomasse sèche ou d’érosion sur les pentes, les questions de sécurité et de risques se renforcent en France.

«Si 2022 a été une mauvaise année pour les forêts dans notre pays, il a été très bien expliqué et démontré que ça n’était pas une catastrophe mais que c’était un état de risque qui s’était matérialisé sous forme de catastrophe, du fait d’un contexte météorologique dans le cadre de l’évolution du changement climatique, introduit Jean-Yves Caullet, président du conseil d’administration de l’ONF lors de la visite de presse consacrée à la forêt mosaïque. C’est l’augmentation de ce risque, sa montée vers le nord et sa surrection plus fréquente qui occasionne ainsi la catastrophe»

Due à l’Homme et face à la violence du choc thermique anticipé à horizon 2100, la course à l’adaptation au changement climatique justifie qu’on fasse revivre cet écosystème précieux par une stratégie d’adaptation reposant sur l’intervention humaine explique Valérie Métrich-Hecquet, directrice générale de l’Office. Et d’insister sur «une stratégie qui soit graduée, proportionnée au risque, car on ne fait pas la même chose au même endroit, et fondée sur la diversité, comme condition de la résilience». Il faut dire qu’une enquête effectuée en 2019 auprès de 171 unités territoriales a révélé que sur 9343 forêts étudiées, 45% d’entre elles étaient en situation de dépérissement particulièrement sur le Grand Est, la Bourgogne-Franche-Comté, le nord des Alpes, la Normandie et la Picardie.

MOULIÈRE, GRAND INTÉRÊT SCIENTIFIQUE ET ÉCOLOGIQUE

Si la forêt domaniale de Moulière intéresse les forestiers et les chercheurs, c’est qu’elle constitue une base d’observation et de connaissance intéressante à plus d’un titre. A travers 4 parcelles représentatives de milieux forestiers, elle est idéalement située pour étudier les phénomènes liés à l’alternance des essences. De plus, elle est révélatrice des mesures de gestion visant à renforcer la vitalité de l’écosystème forestier. Mais surtout, elle s’appuie sur l’outil de compatibilité climatique ClimEssences, développé par les équipes de chercheurs de l’ONF et du Centre national de la propriété forestière (CNPF), qui guide dans le choix des espèces et la stratégie de réponse graduée au risque à mettre en œuvre, souligne Albert Maillet, directeur forêts et risques naturels. 

Sur cette parcelle, la présence de chênes du même âge et d’un sous-étage de hêtres et de charmes permet d’augmenter la récolte des glands.

«Car, si on est certain de la trajectoire climatique, on n’en connait pas pour autant bien les détails. Aussi on se projette dans des scénarios probables basés sur un réchauffement qui peut aller jusqu’à 4 °C d’ici 2100 pour disposer d’une palette de combinaisons essences/hétérogénéité des traitements sylvicoles. En croisant les 128 essences forestières recensées en France aux quatre zones biogéographiques alpine, méditerranéenne, atlantique et continentale-, l’outil ClimEssences génère près de 4 millions de réponses, ce qui nous permet d’affiner les diagnostics et les modes de gestion à privilégier dans l’espace et dans le temps ». Face à cette tempête silencieuse, la forêt française a de quoi résister, rassurent les spécialistes de l’ONF. Elle est diversifiée en essences et hétérogène en structure comparée à d’autres forêts européennes.

LA PREUVE PAR 4 

Des dendromètres sont installés sur les arbres de la parcelle pour permettre de relever leur croissance tous les ans.

Sur la parcelle de futaie régulière représentative de chênes, ici, un travail particulier a été mené par les techniciens de l’ONF autour de fruitiers et surtout de hêtres (plantés en sous étage) et de charmes dont la présence a été privilégiée afin d’augmenter la diversité dans le gainage des chênes et la biodiversité associée. C’est en effet sur cette parcelle de 12 hectares, dans le sud du bassin ligérien, que l’on peut retrouver les plus beaux peuplements de chênes d’Europe et du monde. Inscrite dans les peuplements classés pour la récolte des glands du chêne sessile, le réseau national de suivi RENECOFOR, étudie la réaction de l’écosystème de cette parcelle depuis 25 ans. 

Un peu plus loin, sur la parcelle de futaie irrégulière composée d’une dizaine d’essences, le dépérissement des châtaigniers en lien avec l’analyse des zones plus ou moins humides ou limoneuses, a conduit à favoriser la diversité des essences et la représentativité de toutes les classes d’âge. On trouve donc au sein de cette station de 8 hectares, des chênes qui côtoient des pins maritime et laricio, des châtaigniers, des alisiers torminaux, des charmes, des hêtres, des bouleaux, des frênes à des degrés de maturité divers.

Les plans introduits dans un premier temps sont protégés de la dent des grands animaux. Ils seront retirés et recyclés à une certaine hauteur.

Sur la parcelle de 7 hectares qui abritait historiquement des pins sylvestres et des chênes sessiles adultes, le choix de la régénération par dosage lumineux a été privilégié. En effet, du fait des été plus chauds et secs, la proximité des deux essences crée un conflit d’usage, menant à une évapotranspiration plus importante chez le pin sylvestre qui a donc tendance à dépérir en présence du chêne. Bénéficiant du plan France Relance destiné au reboisement des forêts françaises, ici l’ONF a misé sur l’introduction du chêne sessile en provenance de Turquie et du chêne pubescent, pour rendre la parcelle la plus résiliente possible. 

Dans un premier temps, pour protéger les arbustes de la faune qui raffole des jeunes pousses notamment, des gaines de protections ont été posées par les techniciens de l’ONF, renchérissant le prix des plans mécaniquement. Au nord de la forêt de Moulière, la Petite Forêt constitue probablement l’héritage de peuplements de pins maritimes semés dans les années 70 ans, pour transformer 1000 ans d’extraction de pierres meulières puis de surexploitation pour la fourniture de bois et de pâturage. Ce paysage de landes est aussi saturé en mares. «Ici, l’enjeu de restauration de la parcelle n’est pas sylvicole, assure Magalie Crèvecoeur, responsable environnement de l’agence Territoriale Poitou-Charentes de l’ONF. Il est de restaurer 15 hectares de landes à mare et son potentiel faunistique et floristique, ce qui au regard des peuplements est un pari assez risqué»

Restauration de mares sous pinède. 

Sur 4 zones, la mission drones qui a eu lieu en décembre 2021 a révélé plus de 600 mares. Le travail intermittent pendant 18 mois qui a bénéficié du soutien du Plan France Relance montre que l’on retrouve déjà dans cet écrin d’eau des espèces protégées. A l’échelle de la forêt, plus de 200 espèces végétales, et près de 1200 espèces animales ont été dénombrées : busards cendrés, busards Saint-Martin, engoulevents d’Europe, crapauds sonneurs à ventre jaune, tritons crêtés, lucarnes cerf-volant… Sans doute ce qui explique que cette zone nord, soit labellisée RAMSAR depuis 2022.

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