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F420 : un outil de diagnostic simple et performant

31 octobre 2013 Paru dans le N°365 à la page 35 ( mots)
Rédigé par : Thierry ARNAUD, Jérôme DENIS, Aude FOURCANS et 3 autres personnes

Compte-tenu du nombre croissant d'installations de méthanisation en France et à l'étranger, la demande des opérateurs s'est récemment accentuée pour obtenir des moyens de diagnostic rapides et fiables de l'activité biologique anaérobie in situ. La technique d'observation microscopique « F420 » appliquée au diagnostic de la biomasse anaérobie à l'état frais a démontré son efficacité de façon équivalente à une observation de boues floculées dans un bassin d'aération. Cette technique permet d'observer rapidement la biomasse méthanogène, révélatrice de l'état de santé du réacteur anaérobie. Veolia présente dans cet article deux exemples d'applications pratiques issues de ses trois dernières années de mise en application du diagnostic.

[Encart : Aude Fourcans, Cécile Rouillon, Jérôme Denis, Anne-Sophie Lepeuple VERI SNC - Centre de Recherche de Maisons-Laffitte Thierry Arnaud, Emmanuel Cronier Veolia Eau - Direction Technique]

Compte-tenu du nombre croissant d’installations de méthanisation en France et à l’étranger, la demande des opérateurs s’est récemment accentuée pour obtenir des moyens de diagnostic rapides et fiables de l’activité biologique anaérobie in situ.

La technique d’observation microscopique appliquée au diagnostic de la biomasse anaérobie à l’état frais a démontré son efficacité de façon équivalente à une observation de boues floculées dans un bassin d’aération. Cette technique permet d’observer rapidement la biomasse méthanogène, révélatrice de l’état de santé du réacteur anaérobie.

Veolia présente dans cet article deux exemples d’applications pratiques issues de ses trois dernières années de mise en application du diagnostic.

La Direction Technique de Veolia Eau et le Centre de Recherche VERI (Veolia Environnement Recherche et Innovation) sont régulièrement sollicités par les exploitants de méthaniseurs industriels et de digesteurs anaérobies de boues urbaines sur des problèmes de fonctionnement biologique pour lesquels les paramètres de régulation classiquement utilisés sur site n’apportent pas de réponses.

Contexte

Certaines situations nécessitent de vérifier l'état de la biomasse anaérobie présente dans les réacteurs, notamment les micro-organismes directement impliqués dans l’étape finale de production du méthane, les archées méthanogènes.

Ces situations sont le plus souvent :

  • Des diagnostics d’activité biologique après passage accidentel d'un composé inhibiteur ou toxique dans le réacteur,
  • Une évaluation de la qualité d’une biomasse anaérobie en vue de l’ensemencement d’un nouveau réacteur (densité, diversité, adéquation avec le type de substrat à méthaniser),
  • Le suivi d’une montée en charge d'un réacteur anaérobie, ou de l’évolution à long terme de la biomasse d’un réacteur,
  • La prévention des dérives de rendement.

Dans un premier temps, une réponse simplement « binaire » (cellules vivantes ou mortes) peut suffire à l’exploitant, ainsi que quelques informations complémentaires sur la diversité des espèces méthanogènes ou encore leur proportion par rapport à la biomasse totale.

Même si l'information demandée est relativement simple dans tous les cas précédemment évoqués, il est très important d’apporter à l’exploitant une réponse rapide, quasi instantanée, compte tenu des contraintes de terrain (forts débits à traiter, contraintes de résultats et contractuelles, pression réglementaire et environnementale, fonctionnement général de la station d’épuration, communication avec le client, notam-

[Photo : Figure 1 : A. Répartition des points d’échantillonnage sur la hauteur du lit fluidisé. B. Aspect macroscopique des 4 échantillons.]

ment en situation de crise). Or les techniques actuelles d’analyse et de dénombrement microbiologique des archées méthanogènes requièrent un délai de réponse d’au moins une semaine.

Pour répondre à cette problématique, une technique d’observation microscopique des boues anaérobies à l’état frais a été identifiée d’après d’anciens travaux publiés (Mink et al, 1977 ; Doddema et al, 1978) : la détection des méthanogènes par F420. Cet outil est basé sur la propriété d’auto-fluorescence du coenzyme F420, transporteur d’électron impliqué dans les réactions redox chez les méthanogènes. Il a la caractéristique d’émettre une fluorescence bleue lorsqu’il est excité à une longueur d’onde de 420 nm. Cette spécificité permet de visualiser les méthanogènes dans des échantillons environnementaux sans marquage préalable.

Cette technique a été mise en œuvre avec succès dès octobre 2008 sur un site industriel des Alpes-Maritimes où Veolia Eau exploite un méthaniseur de type « lit fluidisé ». Le diagnostic a permis de sélectionner, à partir de différentes sources d’approvisionnement, la biomasse la plus appropriée pour une montée en charge rapide du réacteur. Par la suite, plusieurs autres sites industriels et municipaux ont demandé ce type de diagnostic.

Vu l’augmentation des demandes depuis 2009, il est apparu nécessaire de développer cette prestation dans le Pôle d’Assistance Technique de VERI avec l’aide de microbiologistes. En 2010, les expériences d’assistance technique avec cet outil ont montré la rapidité et l’efficacité de cette application.

Résultats/Discussion

À partir de cas concrets issus de la R&D et de l’expertise développée en exploitation des méthaniseurs industriels, deux exemples d’applications utilisant cet outil microscopique sont présentés ci-après.

[Photo : Figure 2 : A. Biomasse totale (gris) et méthanogène (bleu) observée en lumière visible (B) et à 420 nm (A et C) dans le surnageant de l’étage 1. Grossissement x1000. B. Biomasse décrochée de la biolite provenant de l’étage 1 observée en lumière fluorescente (420 nm), Coques méthanogènes (bleu), biomasse non méthanogène (gris-noir). Grossissement X100.]

Cas n° 1 : Décrochage et perte de viabilité d’un biofilm anaérobie

Le premier cas concerne un réacteur anaérobie à lit fluidisé traitant les effluents

[Photo : Figure 3 : A. Biolite de l’étage 3 observée à 420 nm : cellules méthanogènes (bleu), grains de biolite (gris-noir). Grossissement X100. B. Biomasse méthanogène décrochée à partir de la biolite de l’étage 3, observées en lumière visible et fluorescente (420 nm) : longs bâtonnets Methanosaeta-like non fluorescents (gris), bacilles courts méthanogènes fluorescents (bleu). C. Observations à 420 nm. Grossissement X1000.]
[Photo : Figure 4 : Interphase de l’étage 3 observée en lumière visible superposée à la fluorescence 420 nm. A. Grossissement X100 : biomasse méthanogène (bleu) et non méthanogène (noir-gris). B. Grossissement X1000 : bacilles courts méthanogènes fluorescents (bleu), longs bâtonnets Methanosaeta-like non fluorescents (gris).]
[Photo : Concentration en Acides gras volatils (AGV), taux d’acidification et abattement de la DCO mesurés en sortie du méthaniseur durant la période de dysfonctionnement.]

industriels d'une industrie agroalimentaire des Alpes-Maritimes. Les exploitants ont remarqué une baisse importante de l’abattement de la DCO (demande chimique en oxygène), ainsi qu'une augmentation importante des AGV (acides gras volatils) en sortie de réacteur (durant les mois de juillet et août 2011). Après vérification des paramètres de conduite habituels (données hydrauliques, analyses physico-chimiques), la présence d’un composé inhibiteur ou toxique dans les effluents industriels a été suspectée.

Afin d’évaluer si ce dysfonctionnement a eu un impact sur le biofilm anaérobie fixé sur la biolite, le protocole d’analyse F420 a été mis en œuvre. Différents prélèvements de supports ont été effectués sur chaque étage du méthaniseur (figure 1A). L’aspect macroscopique des échantillons ayant révélé plusieurs phases de sédimentation et de couleurs distinctes (figure 1B). Chacune d’entre elles ont été observées en microscopie à fluorescence.

La biolite de l’étage 1 présentait une colonisation incomplète, avec environ 1/3 des supports colonisés par les méthanogènes (figure 2A). Après décrochage de la biomasse initialement fixée sur la biolite à cet étage, seules quelques coques ont pu être observées au sein des flocs décrochés (figure 2B et 2C). Ces observations confirmaient les faibles densités et diversités en méthanogènes, avec un ratio méthanogènes/biomasse totale évalué à moins de 0,1 %.

Au contraire, les observations F420 des étages 2, 3 et 4 ont mis en évidence un profil de colonisation similaire entre eux, avec un taux nettement plus élevé que dans l’étage 1 (figure 3A). Après décrochage, un seul type de méthanogène correspondant à des bacilles courts en amas (figure 3C) apparaissait fluorescent. Cette morphologie n’était pas présente à l’étage 1.

Cependant la superposition avec la lumière visible a permis de distinguer de nombreux bâtonnets longs et droits (15-20 µm) non fluorescents (figure 3B). Seules les méthanogènes du genre Methanosaeta-like ont cette morphologie typique. Ne fluorescant pas dans les 3 étages, ces cellules pouvaient donc être des méthanogènes ayant perdu toute viabilité.

Ces trois étages présentaient la particularité d’avoir une interphase « floconneuse » après décantation des échantillons. Cette fraction, pouvant correspondre à de la biomasse décrochée de la biolite, a été observée par voie microscopique. En effet, tous les flocs observés présentaient une forte fluorescence bleue typique des méthanogènes (figure 4A). De plus, la biomasse méthanogène fluorescente correspondait à celle fixée sur la biolite et décrite précédemment, à savoir des bacilles courts en amas (figure 4B). La morphologie typique du genre Methanosaeta non fluorescente y a également été observée comme sur la biolite.

Ces observations de biomasse méthanogène dans l'interphase confirmaient l’hypothèse d’un décrochage des méthanogènes fixés.

Ces résultats ont mis en évidence :

  • 1) une biomasse méthanogène viable, peu diverse, peu dense et distincte selon les étages ;
  • 2) une biomasse méthanogène non viable sur les 3 étages supérieurs, en forte quantité (Methanosaeta-like consommant de l’acétate uniquement) ;
  • 3) une colonisation de la biolite par les méthanogènes distincte selon les étages, couplée à un phénomène de décrochage sur les étages supérieurs.
[Photo : Aspects hétérogènes des granules en bas du réacteur : débris, tailles et couleurs différentes des granules. B à E : coupe transversale des différents granules montrant une structure multicouches (E et C) ou non (B et D).]
[Photo : Figure 7: Schéma représentatif d’un granule présentant une structure stable en multicouche. Extrait de Mc Leod et al. 1990. B. Observation d'un granule jaune à 420 nm (x100): cluster de coques au centre du granule.]

Un dysfonctionnement a donc atteint la viabilité de la biomasse méthanogène en causant la perte de viabilité d'une grande fraction méthanogène responsable de la dégradation d’un AGV principal : l’acétate. De plus, l'intégrité de la biomasse fixée sur la biolite a été fortement diminuée en provoquant un décrochage dans les 3 étages supérieurs. La biolite étant anormalement répartie jusqu’en haut du réacteur (figure 2B), près de 60 % de la biolite (étages 2, 3 et 4) a été touchée par ce phénomène de décrochage et de destruction d'une fraction des méthanogènes. Les 40 % restants correspondaient à de la biolite mal colonisée (étage 1).

La diminution des populations méthanogènes acétoclastes peut être corrélée avec l'évolution des AGV en sortie de méthaniseur (figure 5).

En effet, on observe une augmentation assez nette des AGV et du ratio AGV/DCO à partir du 25 juillet 2011. Ce déséquilibre reste permanent tout au long du mois d'août et se traduit par une chute progressive du rendement en DCO du méthaniseur. Au vu de ces courbes, on peut supposer que cet événement d’acidification a commencé à perturber l’activité méthanogène fin juillet et a contribué au lessivage apparent des supports de biolite et à la perte des méthanogènes du genre Methanosaeta.

À la suite des analyses F420 les opérateurs de la station ont pu rapidement prendre la décision de réensemencer le méthaniseur avec une biomasse appropriée afin de recoloniser les supports biolite qui avaient été lessivés à la suite du dysfonctionnement.

Cas n° 2 : Dégranulation dans un méthaniseur EGSB (Expanded Granular Sludge Bed)

Appliquée aux boues granulaires, l’association des observations macroscopiques couplées aux observations microscopiques permet la mise en évidence de phénomènes de dégranulation et de colonisation variable des méthanogènes au sein des granules.

L'EGSB de la station d’épuration de Manchester qui présentait des pertes de boue importantes suite à des épisodes d’acidification est une bonne illustration de cette approche combinée.

Trois prélèvements effectués sur la hauteur de ce réacteur ont été observés. De la même manière que dans l’exemple précédent, plusieurs phases de sédimentation ont été caractérisées (surnageant, interface « cotonneuse », granules, débris), à la loupe binoculaire (figure 6). Cette caractérisation a nettement montré une forte hétérogénéité de taille et de couleur des granules, ainsi que de nombreux débris significatifs d'une dégradation structurelle. De plus, des coupes transversales ont mis en évidence que seules quelques granules avaient une structure en multicouches typiques de granules stables.

Dans ce réacteur, les 3 étages analysés présentaient le même profil hétérogène de granules, illustrant un important phénomène de dégradation de celles-ci.

La structure en multicouches présente une organisation spatiale des communautés microbiennes impliquées dans la digestion anaérobie (figure 7A). Le cœur central est riche en méthanogènes, essentiellement de type Methanosaetae ou Methanobacterium, est entouré de couches hydrophobes de bactéries acidogènes et des bactéries impliquées dans le cycle de l'hydrogène. Cette structure stable favorise la production et la libération du biogaz. La décantation de ces granules est donc favorisée, au contraire des granules non structurées riches en bactéries acidogènes, présentant une surface externe irrégulière, avec de nombreuses fissures.

Grâce à leurs surfaces très régulières et leurs structures en multicouche, les granules de couleur jaune (figure 6E) ne semblent pas subir de dégranulation. Des observations à 420 nm et à faible grossissement ont permis de montrer une organisation spatiale type des méthanogènes au cœur d'un granule jaune (figure 7B).

Les observations microscopiques en lumière visible décrivent la présence de nombreuses bactéries filamenteuses dans l’interface, les débris et les granules (figure 8). Les filamenteuses, méthanogènes ou non, favorisent une structure stable de granules.

Cependant, un nombre important de filamenteuses peut générer un phénomène de gonflement et de flottaison des granules (Yamada et al. 2007). La présence dans l’interface et les débris de ces cellules filamenteuses confirme la dégradation des granules observée à l’échelle macroscopique.

La fluorescence du facteur F420 des méthanogènes au sein de ces échantillons a mis

[Photo : Figure 8: Observation microscopiques de l’échantillon situé à mi-hauteur du réacteur sous lumière visible (échantillons bruts, x1000) : (A) Granules : bactéries filamenteuses (flèche) (B) Interface, bactéries filamenteuses contenant des grains de soufre (flèche).]
[Photo : Figure 9 – Exemple de la diversité méthanogène (bleue) observée à 420 nm dans les granules de couleur grise (échantillon brut, x1000) : (A) en bas du réacteur : bacilles courts, moyens et longs ; (B) à mi-hauteur : large cluster de coques.]

en évidence une colonisation spécifique des méthanogènes selon les granules (figure 9), et a permis d’évaluer une densité de méthanogènes active autour de 50-60 % au sein des granules.

Les débris cellulaires entourant les granules, et l’interphase présentent les mêmes caractéristiques en termes de diversité méthanogène et de densité, confirmant ainsi le phénomène de dégranulation.

La confirmation de la dégranulation par l’analyse F420 a permis aux opérateurs d’orienter leurs recherches des causes du dysfonctionnement de façon plus appropriée et de trouver rapidement une solution pour éviter ce phénomène.

Conclusion

La quasi-totalité des demandes ont été satisfaites et ont donné lieu à des prises de décision rapides et fiables sur des choix initialement difficiles à faire avec les outils habituels de conduite des méthaniseurs. Malgré ce succès, il faut être conscient que cette technique reste très limitée en termes d’informations sur la microbiologie des réacteurs. En effet, elle ne permet pas d’évaluer précisément l’écologie microbienne des réacteurs (populations impliquées, niveaux d’activité, identification, relations syntrophiques ou de compétition). C’est pourquoi nous développons au sein du groupe des outils moléculaires pour détecter les microorganismes impliqués dans la méthanogenèse. Ces techniques sont en mesure de fournir des données précises et sont donc très utiles tant pour les exploitants qu’en R&D afin d’améliorer les processus anaérobies ou de permettre des diagnostics plus poussés.

En 2012, la majorité de nos assistances techniques ont désormais un volet moléculaire afin de suivre et décrire plus précisément, par exemple, les différentes phases de démarrage et fonctionnement des réacteurs.

[Encart : Références bibliographiques • Mink R.W., Dugan P.R. Tentative identification of methanogenic bacteria by fluorescence microscopy. Appl Environ Microbiol. 1977 Mar. 33(3):713-7. • Doddema H.J., Vogels G.D. Improved identification of methanogenic bacteria by fluorescence microscopy. Appl Environ Microbiol. 1978 Nov. 36(5):752-4. • MacLeod F.A., Guiot S.R., Costerton J.W. Layered structure of bacterial aggregates produced in an upflow anaerobic sludge bed and filter reactor. Appl Environ Microbiol. 1990 Jun. 56(6):1598-607. • Yamada T., Yamauchi T., Shiraishi K., Hugenholtz P., Ohashi A., Harada H., Kamagata Y., Nakamura K., Sekiguchi Y. Characterization of filamentous bacteria, belonging to candidate phylum KSB3, that are associated with bulking in methanogenic granular sludges. ISME J. 2007 Jul. 1(3):246-55.]
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