Cette étude présente une nouvelle approche de la modélisation de la biodégradation des hydrocarbures dans les milieux poreux souterrains, approche étudiée dans une optique de développement industriel des procédés in situ de réhabilitation des sites pollués. L'aspect novateur du modèle est de considérer que la biodégradation de la phase huile résiduelle ne se fait pas seulement par couplage dissolution de l'hydrocarbure résiduel / biodégradation de l'hydrocarbure dissous, mais essentiellement par des mécanismes spécifiques mettant en jeu des facteurs d'émulsification et de pseudosolubilisation et permettant une croissance par contact " direct " de la biomasse bactérienne sur les gouttelettes d'hydrocarbure. Après vérification et calibration sur des tests en laboratoire, le modèle a été utilisé dans le cadre d'une opération commerciale sur une friche industrielle.
Lors d’un déversement accidentel d’hydrocarbures pétroliers sur ou sous la surface du sol, le polluant s’infiltre en profondeur sous l’action préférentielle des forces de gravité. Si le volume déversé dépasse la capacité de rétention capillaire de la zone non saturée, la phase huile atteint la nappe au toit de laquelle elle s’étale. Du fait des variations du niveau de la nappe, une fraction du stock d’huile mobile présent au toit de la nappe est piégée par capillarité (sous forme de gouttelettes d’huile de quelques dizaines à quelques centaines de µm de diamètre) dans la zone de battement de la nappe (Fried et al., 1979 ; Lenhard et al., 1993). En termes de bilan de masse, le stock d’huile piégé (phase huile résiduelle) dans la zone de battement de la nappe représente dans bon nombre de cas de pollutions une part importante du volume déversé, voire la part essentielle. Par ailleurs, en termes d’analyse des risques, ce stock représente la source essentielle de pollution de la nappe, la dissolution de la phase huile étant proportionnelle à la surface interfaciale huile/eau.
Dans un tel contexte, la littérature montre que parmi les procédés de réhabilitation de site, les techniques de biodégradation aérobie in situ s’avèrent particulièrement intéressantes (Wilson et al., 1986 ; Impero et Wimberly, 1993) : bonne efficacité pour des coupes pétrolières de type essence, kérosène ou gazole, traitement complet intéressant le polluant sous toutes ses phases, suppression de la pollution (et non pas déplace
ment comme c'est le cas pour les procédés d'extraction liquide/gaz, pas ou peu de formation de métabolites, faible coût, impact médiatique positif.
Les modèles relatifs à la biodégradation des hydrocarbures dans un milieu poreux souterrain considèrent généralement une phase dissoute et parfois une phase adsorbée sur les sédiments (Moles et al., 1986 ; Borden et Bedient, 1986 ; Kinzelbach et al., 1991). Dans ces modèles, la biomasse consomme uniquement les hydrocarbures dissous : la fraction adsorbée est désorbée progressivement par le déplacement de l'équilibre hydrocarbures dissous / hydrocarbures adsorbés induit par la biodégradation. Plus récemment, Malone et al. (1993) et Seagren et al. (1993) ont proposé un modèle prenant en compte une phase huile résiduelle et une phase dissoute, mais le processus de biodégradation a lieu uniquement sur les hydrocarbures dissous, le transfert de la phase huile résiduelle vers la phase aqueuse se faisant par dissolution. Nicol et al. (1994) ont proposé de leur côté un modèle de biodégradation de la phase huile résiduelle prenant en compte un mécanisme spécifique décrit sous le vocable d’actions de pseudosolubilisation. Les auteurs se basent sur des études en fermenteurs sur hydrocarbures liquides, lesquelles mettent en évidence trois mécanismes possibles de dégradation : (i) contact direct entre les bactéries et les gouttelettes de phase huile, (ii) contact direct des bactéries avec des gouttelettes submicroscopiques de phase huile (pseudosolubilisation), (iii) dégradation des hydrocarbures dissous.
L'étude présentée ici a trait à une nouvelle approche de la modélisation de la biodégradation d'une phase huile résiduelle dans les milieux poreux souterrains, approche comparable, sur un plan conceptuel, à celle proposée par Nicol et al. (1994).
L'aspect novateur du modèle, qui s'appuie sur des observations en fermenteur de croissance bactérienne sur une phase huile émulsionnée (synthèse proposée par Comte, 1996), est de considérer que la biodégradation de la phase huile résiduelle ne se fait pas seulement par couplage dissolution de l'hydrocarbure résiduel / biodégradation de l'hydrocarbure dissous, mais essentiellement par des mécanismes spécifiques mettant en jeu des facteurs d’émulsification et de pseudosolubilisation et permettant une croissance par contact « direct » de la biomasse bactérienne sur les gouttelettes d’hydrocarbure. Le formalisme mathématique associé est ensuite intégré dans un code de calcul (dénommé BIOS), lequel comprend un module d’écoulement monophasique avec prise en compte des saturations résiduelles en huile et un module de transport couplant la convection / dispersion à la dissolution et à la biodégradation, cette dernière prenant en compte deux cinétiques, l'une spécifique pour l’huile résiduelle, l'autre classique pour l'huile dissoute. Après vérification et calibration sur des expérimentations en laboratoire, le code est confronté aux résultats d'une opération commerciale de biodégradation aérobie in situ sur une friche industrielle.
Modèle de biodégradation de l’hydrocarbure résiduel
Modèle conceptuel proposé
Le modèle phénoménologique proposé stipule une croissance par colonisation progressive de la surface des gouttelettes d'huile jusqu’à formation d'un film bactérien continu (figure 1), à l’instar des observations faites par McLee et Davies (1972). Les bactéries se multipliant génèrent des composés hydrophobes pour former une surface lipophile. Ces composés pourraient être liés à la fois à la capacité d’adhésion des bactéries aux gouttelettes (Rosenberg et Kjelleberg, 1986) et à leur capacité à solubiliser localement la gouttelette (Mallee et Blanch, 1977 ; Zosim et al., 1982). De cette interaction entre la gouttelette et des composés extracellulaires hydrophobes résulte une adhésion de la cellule sur la gouttelette et une solubilisation locale et progressive de la gouttelette. La consommation des hydrocarbures « solubilisés » se fait à la fois par les bactéries situées à proximité immédiate de la gouttelette mais également par les bactéries plus externes (qui ne sont pas en contact « direct » avec la gouttelette) par diffusion au travers du « biofilm ». La forme assimilable de l'hydrocarbure est composée de gouttelettes submicroscopiques qui pénètrent sans être complètement métabolisées au travers des parois cellulaires (McLee et Davies, 1972 ; Kennedy et al., 1975).
La croissance bactérienne associée à ce modèle mécanique comprend 4 phases :
Phase de latence
Au début du processus, le facteur limitant est la production par les bactéries de composés hydrophobes (destinés à l'adhésion et à la solubilisation). Cette production dépendrait en priorité de la concentration en biomasse (Rosenberg et Rosenberg, 1981). Nous proposons un concept de concentration critique pour l'adhésion/solubilisation défini comme la concentration en biomasse à partir de laquelle la production de composés hydrophobes n’est plus limitante pour la croissance. La diffusion de l'hydrocarbure solubilisé et de l'oxygène dissous au travers du « biofilm » en formation et la surface interfaciale hydrocarbure/eau n’est pas limitante du fait du faible développement bactérien (colonisation très partielle de la surface interfaciale).
Phase exponentielle
Cette étape correspond à la colonisation progressive de la surface interfaciale hydrocarbure/eau durant laquelle aucun facteur
n'est limitant mises à part les concentrations en oxygène dissous et en hydrocarbure résiduel : la surface interfaciale hydrocarbure/eau n'est pas limitante puisque non recouverte complètement par les bactéries ; la concentration en biomasse est suffisante pour que la production d’hydrophobeurs ne soit pas limitante ; l’épaisseur du « biofilm » en formation est suffisamment faible pour que la diffusion de l’oxygène et de l’hydrocarbure solubilisé au travers du « biofilm » ne soit pas limitante. La fin de la phase exponentielle, correspondant à la couverture complète de la surface interfaciale hydrocarbure/eau par un « biofilm » de quelques cellules bactériennes d’épaisseur, est définie par un concept de concentration en biomasse correspondant à l’épaisseur limite du « biofilm » ne générant pas de limitation de la croissance par diffusion au travers du « biofilm ».
Phase linéaire
Cette phase correspond à l'accumulation de biomasse sur une surface interfaciale saturée en bactéries, ce qui se traduit par un épaississement progressif du « biofilm ». L’épaisseur du « biofilm » devient limitante pour la diffusion de l'oxygène et de l’hydrocarbure solubilisé avec une spécificité vis-à-vis des biofilms classiques : l’oxygène est limitant pour les bactéries les plus profondes du « biofilm » (situées à proximité de la gouttelette), alors que l’hydrocarbure solubilisé est limitant pour les bactéries les plus externes.
Phase stationnaire décroissante
L’épaisseur du « biofilm » a atteint un point d'équilibre correspondant à une croissance fortement limitée par la diffusion de l’oxygène et de l’hydrocarbure solubilisé au travers du « biofilm » contrebalancée par l’apparition de phénomènes de déchirement ou de décrochage du « biofilm ». D’où une phase stationnaire. Mais au fur et à mesure de leur croissance, les bactéries consomment les gouttelettes d’hydrocarbure, ce qui se traduit par une réduction de la surface interfaciale hydrocarbure/eau et donc par des décrochages plus massifs du « biofilm ». D’où une phase décroissante. L’épaisseur maximale du « biofilm » est définie par une concentration limite (maximale) en biomasse. Ce concept s'appuie sur les travaux de Nguyen (1989), lequel propose un modèle basé sur l'aspect physiologique, et consistant en la définition d’une biomasse active responsable de la dégradation du substrat et d’une biomasse désactivée responsable de l’accumulation du biofilm. Après la phase dynamique, la biomasse active est constante. Dans notre modèle, nous considérons que les deux types de biomasse sont confondus pour les phases précédentes, mais qu’elles sont distinctes pour la phase stationnaire décroissante. La biomasse considérée dans notre modèle est la biomasse active au sens donné par Nguyen.
Modèle mathématique
Le modèle proposé est dérivé du modèle classique de Herbert avec prise en compte de deux types de facteurs limitants : l’expression de Harris et Hansdorf (1976) pour rendre compte de la limitation de la croissance par l’oxygène dissous et par l’hydrocarbure résiduel, un facteur ymp adimensionnel pour rendre compte des difficultés d'accessibilité dans le milieu poreux par rapport à un milieu liquide.
Par ailleurs, nous proposons une fonction originale baptisée fcx (fonction liée à la concentration en bactéries) définie entièrement à partir de trois valeurs de concentration en biomasse et qui possède les propriétés suivantes :
- fcx varie linéairement entre 0 et 1 lorsque la concentration en biomasse augmente de 0 à Xcrit, Xcrit étant la concentration critique pour l'adhésion/solubilisation ;
- fcx est constante et égale à 1 entre Xcrit et Xanw, Xanw étant la concentration en biomasse correspondant à l’épaisseur limite du biofilm ne générant pas de limitation de la croissance par diffusion au travers du « biofilm » ;
- fcx varie linéairement de 1 à b/(umax. ymp) entre Xanw et Xmax, Xmax étant la concentration maximale en biomasse atteinte à la fin de la phase stationnaire. Le terme b/(umax. ymp) correspond à l'état d’équilibre en l’absence de facteurs limitants (concentration en hydrocarbure résiduel et en oxygène dissous et surface interfaciale huile/eau) ;
- fcx est constante et égale à b/(umax. ymp) au-delà de Xmax.
Cette fonction fcx décrit ainsi successivement les phases de latence, exponentielle, linéaire et stationnaire stricte.
L’équation de croissance bactérienne liée à la consommation de gouttelettes d’hydrocarbure résiduel s’exprime par une équation dérivée du modèle de Herbert, laquelle comprend un terme de croissance fonction de la concentration en hydrocarbure résiduel et en oxygène dissous et un terme de dégénérescence pondéré par la diminution de surface interfaciale huile/eau au cours du temps :
L’équation de consommation de l’hydrocarbure résiduel associé comprend un terme de dégradation biologique fonction de la concentration en hydrocarbure résiduel et en oxygène dissous et un terme de dégradation par dissolution fonction de la concentration en hydrocarbure dissous :
Modèle mathématique de transport couplé à la dissolution et la biodégradation
L’équation de croissance de la biomasse
consommant les hydrocarbures dissous à une forme comparable à celle de la biomasse consommant l’hydrocarbure résiduel, hormis la fonction fex et le terme de consommation progressive de surface interfaciale :
\[ \frac{dC_d}{d\tau} = \left( \frac{\text{max}^-_Y \text{prod}}{Y \times K_{uca} + HCl \times K_{co} + \theta} \right) l_d \]
Les équations de consommation de l’hydrocarbure résiduel et les deux équations de croissance de la biomasse sont couplées à deux équations de transport. L’équation de transport de l’oxygène dissous comprend, outre un terme classique de convection et de dispersion, un terme puits de consommation par la biomasse (\(r_b\)) :
\[ \frac{dO_2}{d\tau} = O_2(\phi) - a_2(\phi) + O) - aH_{eb}i aera v_g \]
avec
\[ O_{io} = Hd \]
L’équation de transport de l’hydrocarbure dissous comprend, outre un terme classique de convection et de dispersion, un terme de consommation par la biomasse (\(r_d\)) et un terme d’apport par la dissolution de l’hydrocarbure résiduel (\(\nu_d\)) :
\[ \nu_d = \frac{\text{max}^{\text{propri}}}{Y \times K_{uca} + HCl \times K_{co} + O} l_d \]
\(k = K_d(t)\) (\(RCA_{HCA}\)) \( \text{Anw}(t = 0) \)
Calibration du modèle
La calibration du code de calcul est menée à partir de données provenant de tests en colonne (longueur 1 m et diamètre intérieur 10 cm) avec un mélange constitué par 50 % de sol pollué et par 50 % de sable. Une solution nutritive aérée en permanence percole en continu au travers de la colonne (débit 10 ml/min). Deux expérimentations sont menées en parallèle, la première avec une biomasse non adaptée (biomasse autochtone), la seconde avec une biomasse adaptée. Deux séries d’expériences sont réalisées selon ce protocole (45 et 120 jours). Les résultats obtenus montrent qu’après 45 jours la biodégradation des hydrocarbures résiduels est pratiquement nulle sur la colonne avec flore autochtone et atteint seulement 10 % dans celle avec flore adaptée. Par contre, après 120 jours de traitement, les taux de dégradation sont élevés (tableau 1).
Tableau 1 : Résultats des tests sur colonne
colonne avec biomasse autochtone |
---|
– concentration initiale en HC : 1 800 mg/kg |
– concentration en HC à t = 45 j : 1 755 mg/kg |
– taux de dégradation à t = 45 j : 2,5 % |
– concentration en HC à t = 120 j : 960 mg/kg |
– taux de dégradation à t = 120 j : 47 % |
– cinétique moyenne de dégradation : 7 mg/kg/j |
colonne avec biomasse adaptée |
– concentration initiale en HC : 1 800 mg/kg |
– concentration en HC à t = 45 j : 1 620 mg/kg |
– taux de dégradation à t = 45 j : 10 % |
– concentration en HC à t = 120 j : 360 mg/kg |
– taux de dégradation à t = 120 j : 80 % |
– cinétique moyenne de dégradation : 12 mg/kg/j |
La colonne est modélisée à l’aide d’un maillage unidimensionnel de 20 éléments de taille 5 cm. Les résultats numériques indiquent qu’un modèle de type dissolution couplé à la biodégradation des hydrocarbures dissous n’est pas capable de représenter les cinétiques élevées de dégradation des hydrocarbures résiduels (figure 3). Il est par contre possible de caler de manière satisfaisante un modèle de type dissolution couplé à la biodégradation des hydrocarbures résiduels (figure 4). La prise en compte supplémentaire d’une biomasse dégradant les hydrocarbures dissous ne génère pas d’augmentation sensible de la masse d’hydrocarbure enlevée du système. En conséquence, en terme de bilan de masse, il est possible de négliger le rôle de la biomasse dégradant les hydrocarbures dissous, ce qui correspond à l’hypothèse retenue par Nicol et al. (1994).
Par ailleurs, le calage du modèle montre que le rapport oxygène/hydrocarbure est de 0,45, valeur sensiblement inférieure à celle obtenue généralement dans la littérature (de l’ordre de 3). Cette faible valeur est cependant cohérente avec certaines observations en fermenteur montrant une métabolisation incomplète des hydrocarbures : de nombreuses évidences expérimentales indiquent la capacité des levures et des bactéries à accumuler, par diffusion au sein de la paroi cellulaire, des hydrocarbures non modifiés (Kennedy et al., 1975 ; Mallee et Blanch, 1977). S’il est confirmé, ce résultat se traduira, dans une optique opérationnelle, par une diminution du coût du procédé.
Expérimentation in situ sur une friche industrielle
Cette expérimentation sur le terrain est menée sur une friche industrielle de grande
envergure exploitée entre 1963 et 1984. Le contexte hydrogéologique comprend en surface des limons de débordement d’un cours d’eau voisin (environ 1 m d’épaisseur) surmontant des alluvions quaternaires constituées par un mélange de sables, de graviers et de galets. La nappe phréatique est située à une profondeur moyenne de 2 à 3 m avec un battement annuel de l’ordre du mètre, le substratum de l’aquifère étant constitué par une couche d’argile située vers 35 m de profondeur.
L’activité industrielle du site a généré une pollution du milieu souterrain par des hydrocarbures pétroliers (pétrole brut et distillats), laquelle a été partiellement enlevée par des opérations de pompage/écrémage qui se sont poursuivies jusqu’en 1991. Dans le cadre de la cession du terrain, différents diagnostics de l’état de contamination du milieu souterrain ont été réalisés. Ceux-ci, menés en novembre 1989, avril et octobre 1991, ont permis de préciser la localisation et la nature de la pollution : la zone contaminée couvre une superficie d’environ 25 ha avec un stock de polluant localisé essentiellement dans la zone de battement de la nappe (concentrations de l’ordre de 5000 mg/kg) ; l’épaisseur d’hydrocarbures dans les piézomètres est faible ou nulle ; les chromatogrammes montrent des coupes de nature diverse avec néanmoins une prépondérance de gazole partiellement biodégradé ; la flore bactérienne aérobie dans la zone de battement est importante (de l’ordre de 10⁵ germes/g de sol) avec une part non négligeable de flore adaptée à la dégradation des hydrocarbures (de l’ordre de 10⁴ germes/g de sol) ; les concentrations en nutriments et en oxygène dans la phase aqueuse sont faibles ou nulles (inférieures à 1 mg/l) ; les concentrations en BTEX¹ sont comprises entre 5 et 400 µg/l selon les puits.
La pollution étant essentiellement sous forme d’une phase huile résiduelle, la superficie importante des terrains à décontaminer, et les résultats positifs des tests de biodégradabilité effectués en laboratoire sont trois facteurs rendant ici la biodégradation aérobie in situ particulièrement appropriée comme procédé de réhabilitation du site.
Le dispositif hydraulique comprend une ligne de 35 pointes filtrantes espacées tous les 6 mètres avec une hauteur crépinée variant entre 3 et 5 m. Le débit injecté (100 m³/h au début du traitement) est pompé dans un forage profond (14 m) situé à environ 800 m de la ligne d’injection. Une unité de traitement de surface permet l’ajout en continu des nutriments et du peroxyde d’hydrogène dans la conduite de refoulement à la sortie du forage. Le peroxyde d’hydrogène est utilisé comme générateur d’oxygène, un modèle simplifié étant utilisé pour convertir le peroxyde d’hydrogène en oxygène dissous. Les concentrations à l’injection au démarrage du traitement sont de 50 mg/l en H₂O₂, 10 mg/l en azote et 2 mg/l en phosphore (elles seront augmentées respectivement jusqu’à 150, 20 et 4 mg/l). Une première phase de traitement s’est déroulée du 25 avril 1992 au 13 avril 1993. La ligne d’injection a ensuite été déplacée de 25 m en aval hydraulique.
Tableau 2 : Concentrations en hydrocarbures dans les sols prélevés au carottier sous gaine (N.A. = non analysé)
n° sondage | distance à l’injection (m) | profondeur (m) | concentration en HC mesuré le 6/11/92 (mg/kg) ±10 % | concentration en HC mesuré le 2/06/93 (mg/kg) ±10 % |
---|---|---|---|---|
C1A | 10 | 2.0-3.0 | 45 | 18 |
C2A | 10 | 2.0-3.0 | 196 | 0.4 |
C3A | 10 | 2.0-3.0 | 710 | 0.4 |
C4A | 10 | 2.0-3.0 | 21 | 24.8 |
C5A | 10 | 2.0-3.0 | 52 | 248 |
C6A | 20 | 2.0-3.0 | 3.0 | N.A. |
C7A | 20 | 2.0-3.0 | 2970 | 48 |
C8A | 20 | 2.0-3.0 | 1450 | 35 |
C9A | 20 | 2.0-3.0 | 2400 | 35 |
C10A | 20 | 2.0-3.0 | 710 | N.A. |
C11A | 20 | 2.0-3.0 | 2400 | 675 |
C12A | 20 | 2.0-3.0 | 710 | 48 |
C13A | 20 | 2.0-3.0 | 42 | N.A. |
C14A | 20 | 2.0-3.0 | 64 | N.A. |
C15A | 20 | 2.0-3.0 | 3628 | N.A. |
¹ Benzène, toluène, éthylbenzène, xylènes
Afin de poursuivre le traitement sur une seconde tranche de terrain. À cette occasion, en raison de problèmes de colmatage, les pointes filtrantes ont été remplacées par des drains horizontaux de 2 m de long espacés tous les 15 m.
Les résultats relatifs aux concentrations dans les sols en hydrocarbure (réduction des teneurs supérieure à 90 % – tableau 2) et en flore bactérienne adaptée (augmentation des teneurs d’un facteur 1000) indiquent que la biodégradation est très active dans une zone d’environ 15 m de large en aval hydraulique de la ligne d'injection. Contrairement à ce qui est généralement admis, il ne semble pas exister de seuil de concentration en
hydrocarbure résiduel au-dessous duquel la biodégradation est bloquée. En considérant l’existence toujours probable de zones mortes d’écoulement, ce résultat crédibilise le postulat de l'existence de phénomènes de chimiotaxie (mobilité propre des bactéries) et constitue un argument en faveur de la biodégradation vis-à-vis d’autres procédés de réhabilitation.
De même, les ratios stœchiométriques oxygène/hydrocarbure semblent nettement inférieurs à ceux observés communément dans la littérature. Par ailleurs, le facteur limitant principal du procédé est l'oxygène dissous : les fortes concentrations mesurées (entre 3 et 10 m en aval de l’injection) coïncident
[Encart : texte : Liste des symboles Anw surface interfaciale fluide non mouillant / fluide mouillant [L?] b taux de dégénérescence spécifique [T'] D tenseur de dispersion [L? T'] Hcd concentration en hydrocarbure dissous (phase aqueuse) [ML''] Hcd* concentration en hydrocarbure dissous à l’équilibre [ML°] Hcr concentration en hydrocarbure résiduel (phase huile) [ML''] Ki coefficient cinétique de transfert de masse PN/A/phase dissoute [T'] KHcd concentration de demi-saturation en hydrocarbure dissous [ML''] KHcr concentration de demi-saturation en hydrocarbure résiduel [ML''] Ko concentration de demi-saturation en oxygène [ML''] O concentration en oxygène [ML''] q débit injecté ou pompé [L' T'] Rs rapport massique stœchiométrique oxygène / hydrocarbure sans unité uD vitesse de Darcy [L T'] xr concentration en biomasse consommant les hydrocarbures résiduels [ML''] Xd concentration en biomasse consommant les hydrocarbures dissous [ML''] y rapport massique de conversion substrat hydrocarboné / biomasse sans unité nme facteur d’accessibilité lié au milieu poreux sans unité ow teneur volumique en eau sans unité Lmax taux de croissance spécifique exponentiel [T']]globalement avec la zone où une forte biodégradation des hydrocarbures est observée dans les sols (figure 6).
Validation du modèle sur les données de la friche industrielle
L’expérimentation sur la friche industrielle est modélisée en deux étapes, la première pour le calage de l'écoulement, la seconde pour la validation du transport couplé à la dissolution et à la biodégradation.
Le calage du modèle d’écoulement est réalisé à l'aide de plusieurs maillages bidimensionnels. Ces modèles permettent de préciser la profondeur maximale atteinte par un traceur non réactif (environ 15 mètres) et montrent la nécessité d’imposer à proximité de la ligne d’injection de fortes hétérogénéités spatiales des perméabilités à saturation (rapport maximum de 140). Les simulations du transport couplé (modèle du type dissolution couplé à la biodégradation des hydrocarbures résiduels et des hydrocarbures dissous) sont réalisées avec un maillage bidimensionnel horizontal de 160 éléments et le jeu de paramètres issu du calage sur les données en colonne.
Les résultats numériques montrent qu'il est possible de reproduire grossièrement (en ordre de grandeur) les concentrations mesurées sur le terrain.
Ceci est vérifié en particulier pour l'hydrocarbure résiduel : les ordres de grandeur observés à la fin du traitement sont environ 200 et 2000 mg/kg à 10 et 20 m de l’injection.
Alors que les simulations montrent des taux de dégradation de 6, 60, 75 et 80 % à respectivement 20, 10, 6 et 3 m de l’injection, compte tenu des hétérogénéités spatiales de concentration en hydrocarbure résiduel à l’instant initial du traitement et après 200 j de traitement, il paraît illusoire de chercher davantage de précision dans la modélisation numérique.
Des difficultés spécifiques de calage/validation concernent l’oxygène dissous : les simulations mettent en évidence des variations fortes et brutales (dépression des concentrations jusqu’à des valeurs nulles) qui ne sont pas observées sur le terrain (figures 7 et 8). La mauvaise restitution des données expérimentales pourrait avoir plusieurs causes : (i) la non-prise en compte d’interactions géochimiques entre l’oxygène et des espèces chimiques autres que les hydrocarbures ; (ii) des hypothèses erronées concernant la transformation du peroxyde d’hydrogène en oxygène dissous ; (iii) une surestimation de la cinétique de la phase de croissance exponentielle de la biomasse.
L’évolution des concentrations en hydrocarbure dissous montre des variations difficilement interprétables (figure 9). Qualitativement, ces variations sont néanmoins cohérentes avec les observations de terrain et sont interprétées comme une succession de phases d’équilibre précaire et de rupture d’équilibre entre les cinétiques de dissolution et les cinétiques de biodégradation.
Ces observations originales devront être confirmées sur d’autres expérimentations et prises en compte à l’avenir dans l’interprétation de l’évolution de cette variable.
Conclusion
La prise en compte d’une phase huile résiduelle dans les procédés de dépollution par biodégradation in situ des aquifères constitue une thématique encore presque vierge, tout particulièrement sur le plan de la modélisation.
Le modèle proposé jette les bases d’une approche conceptuelle neuve et propose un cadre de réflexion à partir duquel d’autres études pourront être menées. Si les résultats numériques montrent que seul un modèle spécifique de biodégradation de l’hydrocarbure résiduel est capable de représenter de manière satisfaisante les cinétiques élevées observées sur les expérimentations en laboratoire, la forte variabilité spatio-temporelle des paramètres mesurés sur site et le manque de données limitent actuellement la capacité du modèle à quantifier de manière précise les phénomènes à l’échelle du site.
La priorité des recherches doit actuellement être donnée à la validation du modèle. Celle-ci est menée plus particulièrement aujourd’hui au travers du code de calcul SIMUSCOPP, lequel utilise pour modéliser la biodégradation de l’huile résiduelle le formalisme mathématique présenté ici.
Ce code, développé dans le cadre du programme EUREKA/RESCOPP, permet par ailleurs d’ouvrir le champ d’application du modèle à la zone non saturée et aux hydrocarbures halogénés.
* Les partenaires du développement du code SIMUSCOPP sont l’Institut Français du Pétrole, BURGEAP et SNAM.
Remerciements
Ce travail a été réalisé dans le cadre d’une thèse de doctorat menée conjointement au Centre Informatique Géologique de l’École des Mines de Paris et au Département Environnement du BRGM. Les données de laboratoire et de terrain ont été acquises dans le cadre d’un partenariat de développement industriel entre les sociétés BRGM et ESYS (groupe Compagnie Générale des Eaux) avec le soutien de Elf Aquitaine Production et d’Atochem.
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