Le « microprocessing » constitue, personne n’en doute plus, le moyen de faire face aux exigences technologiques de notre temps ; pourtant sa mise en œuvre n’apparaît pas évidente à tous et la première impression qui est ressentie lorsque l’on aborde ce domaine est celle d’un décalage considérable entre la capacité ou la vitesse d’adaptation de l’utilisateur non informaticien et le rythme soutenu de production de moyens toujours plus perfectionnés et toujours plus compacts.
Pour le responsable d’entreprise qui n’a pas reçu pendant sa formation les éléments de base le familiarisant avec l’informatique, il est bien difficile de définir sa politique et surtout de juger de l’effort d’investissement en hommes et en moyens qui doit être envisagé.
Pour le jeune exécutant de projet, qui a été initié à l’informatique mais dont la mission principale, voire unique, n’est pas forcément le développement du microprocessing dans l’entreprise ou plus simplement dans son activité de base, la tentation est grande de vouloir résoudre seul son problème.
Le présent rapport a pour objet de décrire les travaux réalisés au sein d’une équipe de terrain dont la mission a un caractère industriel hors du domaine de l’informatique, d’illustrer les possibilités offertes par l’informatique tant sur le plan technique qu’économique, afin de faire part de quelques réflexions sur la méthodologie d’utilisation de l’informatique et du microprocessing.
1 – RÉALISATION D’UNE CENTRALE D’ACQUISITION ET DE TRAITEMENT DE PARAMÈTRES SUR LE TERRAIN
Le Service Technologies de l’Environnement de l’IRCHA est amené à effectuer sur le terrain, et dans des conditions souvent difficiles (travaux en égouts, sur installations extérieures) et variables (dimensions très variées des émissaires par exemple), des contrôles d’installations de traitement des eaux usées et des bilans sur rejets. Pour réaliser la mesure des paramètres les plus courants (température, pH, oxygène dissous, conductivité, débit), on est ordinairement amené à mettre en place autant de dispositifs autonomes que de paramètres à mesurer et ce pour chaque point étudié. L’acquisition se fait le plus souvent par enregistreur graphique, quelquefois par enregistrement magnétique, la restitution par transcription manuelle de l’enregistrement ou dans les meilleurs cas par traitement sur un ordinateur central coûteux et très vite encombré.
Enfin, l’accession directe à des valeurs réelles telles que le débit exprimé en m³/h est difficile, voire impossible en dehors du cas de quelques écoulements classiques.
Après la réalisation d’un débitmètre programmable en 1977 en utilisant des cartes analogiques et logiques câblées permettant une programmation des courbes spécifiques d’un écoulement, il a été décidé de mettre à profit les énormes possibilités du microprocessing non plus seulement pour étudier un paramètre mais pour :
- — centraliser et traiter plusieurs séries de paramètres acquis en des points différents ;
- — assurer l’étalonnage automatique et le contrôle permanent des capteurs ;
- — commander des dispositifs annexes, tels que prélèveurs automatiques d’échantillons ;
- — simplifier les outils de mesure eux-mêmes et les rendre interchangeables.
La réalisation économique d’un tel programme n’est apparue possible qu’en choisissant d’utiliser du matériel grand public.
Comme la plupart des équipes de terrain, le Service Technologies de l'Environnement - IRCHA ne comptait pas dans ses rangs d'informaticien mais, en revanche, un électronicien entraîné au maniement des outils de l'électronique. Par ailleurs, nous savions que des projets voisins existaient qui avaient été abordés par deux voies principales :
— la sous-traitance totale à une société spécialisée dans la réalisation d’ensembles sur la base d'un cahier des charges : cette procédure semblait longue et coûteuse ; elle nous faisait craindre une certaine rigidité de l'outil obtenu ;
— la réalisation au sein même de l'équipe et ce pour des raisons économiques ; cette procédure nous est apparue très vite comme utopique : en effet, si les modules de fonction existent, leur mise en œuvre dans un ensemble cohérent requiert souvent une longue expérience pratique.
1.1 - La centrale METRAPOL 800 - Conception - Description - Utilisation.
Dès le début de l'opération en 1979, il a été choisi d’associer les compétences :
— de l'utilisateur ayant la pratique des mesures sur le terrain (Service Technologies de l'Environnement - IRCHA) ;
— d'une entreprise spécialisée dans la mise en œuvre d'outils informatiques (Société INFOREL) ;
— après consultation de la profession, d'un constructeur d’organes de mesure (Société PONSELLE).
Cette association a permis de présenter à POLLUTEC 80 une centrale d'acquisition et de traitement de paramètres de terrain, la centrale METRAPOL 800.
Description de l'unité de traitement.
L'industrie électronique met à la disposition de l'utilisateur des éléments qui peuvent être associés aisément pour réaliser des fonctions multiples ; ainsi autour du microprocesseur AIM 65 (Rockwell International) qui est une simple carte de développement, il a été procédé à l'association de cartes entrées/sorties diverses (interface CTSC pour la mémorisation, le décodage des mots de commande et l'envoi d'ordres ; carte V 24 commande de périphériques ; carte 4 VSA pour la commande analogique ; carte VIM pour la conversion analogique/numérique des voies d'entrée ; cartes mémoires en extension de la capacité de la carte AIM 65 qui comporte elle-même 4 K.octets de mémoires vives pour les différents programmes (moniteur - éditeur de texte - assembleur et BASIC).
L'ensemble de ces cartes est regroupé dans un mini-châssis et mis en œuvre par l'intermédiaire d'un « bus » de raccordement 5 emplacements. Cette technologie confère à l'ensemble une grande facilité d'entretien et de dépannage (en particulier interchangeabilité des cartes unitairement peu onéreuses).
L'AIM 65 fait partie de la famille des microprocesseurs grand public, tels que APPLE, CHALLENGER, PET, KIM et VIM.
Les organes périphériques.
À l'acquisition : la carte VTM prenant en compte un signal analogique, il devenait possible de simplifier considérablement les analyseurs et de standardiser leur raccordement (voir plus loin les analyseurs - chap. 1.2.)
À la restitution : la carte Interface 4VSA permet le dialogue entre le microprocesseur et les organes de visualisation de l'information traitée : ces orga-
…nes sont une imprimante, un affichage alphanumérique, un magnétophone ou une disquette et, à condition d'envisager la programmation correspondante, la transcription sur écran cathodique et sur table traçante.
Utilisation.
Elle est double :
— acquisition des valeurs des paramètres et contrôle des capteurs – commande de dispositifs annexes ;
— traitement – restitution des valeurs des paramètres.
Il est intéressant de souligner que la centrale se contente de recevoir une information brute (signal analogique) car ceci permet :
— d'envisager des opérations fondamentales pour l'opérateur, telles que l'étalonnage automatique, la correction du signal (correction de température sur l'oxygène dissous par exemple), le contrôle d'une dérive de sonde, ou encore des indications sur un dysfonctionnement temporaire ou permanent ;
— d'envisager l'utilisation de programmes variés correspondant à des cas de figure particuliers.
Cette possibilité d’acquisition et de traitement par un même matériel peut se révéler très avantageuse sur le terrain puisqu’il devient possible, si l’on le désire, de procéder à la restitution sur le site et de prendre les dispositions qui pourraient s’imposer (exécution d’une série de mesures complémentaires, enquête complémentaire en cas de constat d’une anomalie dans un rejet ou dans le fonctionnement d’une station).
1.2 - Les analyseurs -
Simplification dans la conception.
Nous avons vu que la capacité de traitement du microprocesseur permet la prise en compte du signal analogique fourni par l’organe sensible (sonde proprement dite) : dans ces conditions, il devenait possible de revoir complètement la conception des analyseurs :
Simplification :
L’analyseur est réduit à l’organe sensible (sonde) et à sa carte amplification ; ces deux éléments vont pouvoir, si l’opérateur le désire, être installés au contact de l’élément à étudier tandis que la centrale sera placée dans de meilleures conditions d’exploitation.
Interchangeabilité :
Puisque le traitement est déplacé mais devient le même pour tous les signaux amplifiés, il devient possible de standardiser chaque connexion entre la sonde et sa carte d’alimentation.
Ainsi sont réalisés des boîtiers reliés à l’unité centrale par fil, téléphone ou ondes qui permettent, grâce à des prises devenues standard, de mettre en œuvre un grand nombre de sondes toutes différentes ou toutes identiques. Dans le boîtier, les différentes cartes d’alimentation sont embrochées sur une carte unique permettant la séparation des mesures basse et haute impédance.
Incidences économiques de la simplification :
La collaboration avec les constructeurs a permis une réduction sensible des coûts par le jeu de la simplification (voir chap. 2).
1.3 - La programmation - L’accès à la machine - Le langage.
À ce niveau, la collaboration avec l’entreprise spécialisée dans la commercialisation et la mise en œuvre des composants, d'une part, et l'utilisateur futur, d'autre part, apparaît indispensable.
En dépit d'une taille mémoire importante et éventuellement extensible, l'expérience montre que la programmation connue par l'utilisateur débouche rapidement sur une saturation des capacités. Le recours au langage machine devient très rapidement nécessaire pour désencombrer et accroître la capacité de traitement : la mise en œuvre de ce langage est l'apanage de la Société d'informatique.
De même, la nature particulière des travaux à effectuer et des paramètres à prendre en compte exclut que la Société d'informatique puisse en aborder seule la programmation.
Ainsi que nous le verrons plus loin (chap. 3), c’est donc une collaboration étroite d’équipes aux spécialités variées qui risque de s'imposer.
L’accès à la machine - Le langage.
C'est à ce niveau que se pose le problème des conditions de la diffusion de ce type de matériel : destiné à l'amélioration des conditions de réalisation de travaux relativement simples et courants, il importe que l'utilisateur accède aisément à la machine.
Pour ce faire, il convient de ne pas se contenter de réaliser la machine mais de faire un effort particulier pour la fourniture des programmes standards de mise en œuvre par des non-informaticiens.
Un travail important consiste donc à permettre un dialogue aisé entre manipulateur et machine et ce de préférence en « clair », la machine interrogeant le manipulateur dans sa langue et celui-ci répondant par « oui » ou « non » le plus souvent et fournissant les valeurs numériques qui lui sont demandées concernant les caractéristiques des déversoirs, la valeur de la température de référence ou le pH du tampon d’étalonnage par exemple.
Enfin, il convient que l'utilisateur puisse éventuellement adapter un programme standard à son problème particulier : le choix du langage BASIC répond à ce souci.
2 - ASPECTS ÉCONOMIQUES DE LA MISE EN ŒUVRE DU « MICROPROCESSING »
Un exemple va nous permettre d'illustrer les perspectives étonnantes de l'utilisation du microprocesseur : étude du fonctionnement d'une station d’épuration en deux points (entrée et sortie) et en contrôlant quatre paramètres : débit, température, pH, résistivité et en commandant des préleveurs.
Remarque préalable importante :
La comparaison économique qui va suivre n'a qu'une valeur limitée dans la mesure où seront comparés des moyens différents ; en effet : nous considérons que la véritable nouveauté apportée par l'emploi du microprocesseur et utilisée dans la Centrale METRAPOL 800 réside dans le fait que « le manipulateur, disposant sur le site de sa centrale d'acquisition et de traitement, va pouvoir contrôler immédiatement la qualité de son travail, mais aussi le personnaliser ».
Cette perspective est séduisante pour les Entreprises chargées de l’affermage de plusieurs unités, pour les Services d'assistance technique publics ou privés, etc.
Par commodité, nous emploierons l’unité 1 KF = 1 000 F.
2.1 - Situation classique.
- Mise en place de 8 capteurs avec enregistreurs (sécurité de terrain) au coût moyen unitaire de 10 à 12 KF = 80 à 100 KF.
- Traitement manuel des enregistrements au retour au laboratoire.
- Chaque point supplémentaire impliquera un coût supplémentaire de 40 à 50 KF.
2.2 - Situation améliorée.
- Mise en place de 8 capteurs avec enregistreurs (sécurité de terrain) : 80 à 100 KF.
- Équipement complémentaire en chaque point pour enregistrement sur cassettes : par point : 25 à 30 KF, soit 50 à 60 KF pour 2 points.
- Traitement sur ordinateur central avec organe de transcription : 150 à 250 KF selon les cas. On notera malgré tout la disponibilité pour d'autres utilisations de l’ordinateur central, ce qui réduit la part imputable à l'opération visée (admettons 25 % de cet investissement).
Les investissements correspondant à cette situation améliorée s'élèvent donc à un montant de l'ordre de : 170 à 250 KF selon les cas de figure ; chaque fois que l’on voudra accroître la possibilité de traitement d'un point il en coûtera 60 à 80 KF.
2.3 - Utilisation du microprocesseur.
L'équipement d'un point de mesure de 4 paramètres est de 15 à 16 KF (chaque paramètre supplémentaire sur le même point coûte 2,5 KF selon le cas), soit 30 à 32 KF pour deux points.
La centrale, équipée du microprocesseur et de ses enregistreurs divers, capable d'effectuer toutes les opérations évoquées au chap. 1, coûte 60 à 70 KF.
Si on ajoute le coût d'un traceur de courbe ou d'une machine à écrire — 10 à 15 KF —, on constate que le montant à investir est de l’ordre de 100 à 130 KF, soit à peine supérieur à la situation classique de traitement manuel ; il est inférieur à l'investissement permettant d’enregistrer les paramètres dans la « situation améliorée ».
Enfin, l'équipement d'un point supplémentaire ne coûte que 15 à 16 KF contre 40 à 80 KF dans les autres solutions.
Si l'on sait, par ailleurs, que la centrale pourra être utilisée pour d’autres applications très variées tant sur le terrain qu’au laboratoire, on ne peut plus parler de choix entre différentes solutions.
3 - RÉFLEXIONS SUR LA MÉTHODOLOGIE D'UTILISATION DE L'INFORMATIQUE ET DU « MICROPROCESSING »
Le travail de mise au point de la centrale METRAPOL 800 et les discussions que l’IRCHA a conduites tant avec les utilisateurs potentiels qu'avec les industriels intéressés par la diffusion ont permis un certain nombre de réflexions :
— Concernant la conception et la réalisation, il apparaît qu’un dialogue permanent doit s'instaurer entre différentes parties spécialisées : l'industriel de l'informatique doit être renseigné sur la pratique des opérations qu’il est chargé d'automatiser, l'utilisateur peut difficilement se contenter de la fourniture d'un cahier des charges à l'informaticien ; enfin, les deux premiers ne peuvent ignorer le fournisseur de l'organe sensible qui n’a pas le plus souvent pensé son matériel dans cette nouvelle optique, et ce sont leurs indications qui permettront à ce dernier de fournir un matériel mieux adapté et moins onéreux.
La mise en œuvre des microprocesseurs par le seul utilisateur aboutit le plus souvent à un sous-emploi de microprocesseur (difficulté de se tenir complètement informé des moyens de la machine ou des « astuces d'utilisation ») ou à une saturation rapide des possibilités mémoires de la machine (mauvaise utilisation du langage machine).
— Concernant l'utilisation du microprocesseur, il est évident qu'elle ne peut être totalement satisfaisante et rentable si les programmes d'utilisation ne sont pas livrés avec la machine. Sauf à disposer de moyens en personnel importants, il est le plus souvent hors de question que l'utilisateur s'attaque au SOFT ; notre expérience à ce propos est sans ambiguïté. Pour mettre au point le « SOFT », nous avons formé et mobilisé un spécialiste quasiment à plein temps.
— Concernant l'interface « réalisateur de l'outil et utilisateur », il est évident que l'industriel intéressé par la fabrication courante et la commercialisation doit disposer dès le départ d'un outil complet, c’est-à-dire pratiquement directement commercialisable (aux quelques adaptations près permettant l'insertion dans sa gamme) et aisément utilisable par le moyen de la commercialisation parallèle des programmes : les exemples à ce propos sont nombreux et révélateurs.
Enfin, et en guise de conclusion, on peut tenter de répondre à la question de l’attitude à adopter face au problème posé par le rythme de croissance et de développement de moyens nouveaux et toujours plus performants en matière d’électronique. Les techniciens de l'informatique et de l’électronique sont unanimes pour affirmer que le rythme de sortie de nouveaux moyens plus performants et plus compacts ne se ralentira pas dans les années à venir, et il est devenu courant de constater que le temps nécessaire pour adapter une technologie nouvelle à un problème courant est tel que l'outil informatique ou électronique se trouve « démodé » si on le compare aux moyens et aux performances apparus entre-temps.
Un tel décalage a toujours existé en matière de technologie, il était précédemment sans doute moins marqué.
Un examen plus complet permet de constater qu’en réalité il existe, en matière d'informatique et d’électronique, de grandes étapes de la progression technique : le principe du microprocessing est l'une de ces étapes.
On observera sans doute des améliorations quant aux performances ; des cartes de fonction qu’il avait fallu concevoir seront mises à disposition sur catalogue et permettront l'abaissement des prix de revient. L'une des solutions nous semble devoir être l'adoption de structures modulaires flexibles capables de recevoir les nouveautés.
Tel matériel qui avait imposé lors de sa conception une mise au point particulière étonnera par sa facilité et son faible coût d’entretien et de dépannage, et c'est ce dernier élément qui nous fait conclure au bien-fondé de l’adoption du microprocessing puisque nous sommes assurés que tout chiffrage du coût de l'exploitation et de l’entretien a les plus grandes chances d'être surestimé.