[Photo : Fig. 1 : Conduites d’eau en égout.]
Mais, avant de parler technique, il demanderait à cet agent de la Compagnie des Eaux de Paris, rencontré au croisement de deux égouts, de lui dresser un tableau d’ensemble du réseau que sa société a pour mission de surveiller, d’entretenir et de rénover.
Le réseau géré par la Compagnie des Eaux de Paris
Ce réseau couvre les 14 arrondissements de la rive droite de Paris. Il comporte 1 260 km de conduites d'eau potable et 1 220 km de conduites d’eau non potable.
78 % de ces conduites sont de diamètre inférieur ou égal à 300 mm. C’est dans ces mêmes diamètres que l'on trouve la plus forte proportion de conduites en fonte (97 %). Les sources essentielles d'incidents y sont les jonctions entre tuyaux et colliers de prise pour branchements, ceux-ci étant en plus grande densité dans les diamètres les plus faibles.
C’est donc essentiellement sur cette partie de réseau que la Compagnie des Eaux de Paris, dont le mandat a pris effet le 1ᵉʳ janvier 1985, a porté son effort de renouvellement, tout en développant par ailleurs des méthodes spécifiques de réhabilitation pour les conduites de moyen et grand diamètre.
Cet effort de renouvellement, qui porte annuellement sur 20 km de canalisations environ, ne peut avoir de sens véritable que s’il est accompagné d'une réflexion parallèle, tendant à rendre plus fiables les points faibles constatés, à savoir les zones de prise et de jonction entre tuyaux. À ce dernier titre, la réflexion ne fut pas trop longue pour aboutir à la conclusion que le meilleur moyen de limiter les problèmes de jonction consistait à en réduire le nombre. Le sens de cette boutade échappera sans doute à bien des lecteurs, mais non à notre Parisien rencontré au hasard d’un égout. Il aura en effet constaté que beaucoup de conduites, et non des plus anciennes, étaient constituées de tuyaux de 3 m et que les conduites en cours de pose l'étaient en grande majorité de tuyaux de 6 m. Il se sera alors fait expliquer que, coupés en deux, les tuyaux de 6 m pouvaient être acheminés à pied d’œuvre par les regards d’égout. Par contre, la pose de tuyaux de 6 m de longueur impose l'ouverture d'un puits de service et donc une emprise généralement sous chaussée, avec toutes les contraintes administratives qui en découlent. De même, le transport à bras d'homme en est beaucoup plus aisé dans un cas que dans l’autre. Mais, comme le répondit notre Parisien un peu facétieux en parodiant son bon roi Henri : « L’eau de Paris vaut bien une prouesse. »
L'amélioration de la fiabilité des joints des conduites d'eau posées en égout a fait, pour sa part, l'objet de recherches conjointes de la société Pont-à-Mousson et de la Compagnie des Eaux de Paris. Nous allons maintenant examiner ce point, après avoir satisfait la curiosité de notre Parisien de rencontre en lui précisant que le volume d'eau potable distribué quotidiennement par la Compagnie des Eaux de Paris était de quelque 400 000 m³. Si cette valeur ne sembla pas susciter en lui beaucoup de réaction, tel ne fut pas le cas lorsqu'il lui fut précisé que cela représentait en poids... celui de 40 Tours Eiffel !
Les divers types de tuyaux en fonte utilisés à Paris
Historique
Les divers types de tuyaux et joints fabriqués par la société Pont-à-Mousson et mis en œuvre sur le réseau d'eau de Paris ont été successivement les suivants :
- — avant 1948 : tuyaux en fonte grise, assemblés entre eux soit par bagues, soit par emboîtement, l'étanchéité étant toujours assurée par du plomb coulé ;
- — de 1948 à 1962 : les tuyaux sont toujours en fonte grise, mais l'assemblage entre tuyaux est réalisé par emboîtement et l'étanchéité assurée soit par du plomb, soit par un joint en caoutchouc : c’est le joint mécanique Express ;
- — de 1962 à 1969 : Pont-à-Mousson sort un nouveau joint : le joint automatique Rapid. C'est un joint qui, contrairement au joint mécanique Express, ne comporte ni boulon ni contre-bride. L'étanchéité est assurée par compression d'un caoutchouc (bague de joint) et la pression de l'eau ;
- — de 1969 à nos jours : c’est la grande révolution de la fonte GS (à graphite sphéroïdale), qui remplace la fonte grise pour la fabrication des tuyaux. Les joints Express (mécanique) et Rapid (automatique) demeurent, ce dernier étant alors appelé Standard. À Paris, cependant, et à de rares exceptions près, seul le joint Express était utilisé (figure 2).
[Photo : Historique des canalisations Pont-à-Mousson.]
Le joint mécanique Express
L’étanchéité est obtenue par la compression d’un caoutchouc (bague de joint) logé dans l'emboîtement au moyen d'une contre-bride serrée par des boulons prenant appui sur la collerette externe de l'emboîtement (figure 3).
Ce type d’emboîtement permet une plus grande déviation angulaire de pose que ne l'autorisait le joint au plomb. Il conserve également une bonne étanchéité en regard des déplacements du tuyau sous l'effet des vibrations et des déformations thermiques, ces deux contraintes étant prépondérantes sur le réseau parisien.
La mise en œuvre du joint Express est très simple, mais nécessite toutefois le serrage des écrous à l'aide d'une clé dynamométrique.
Les avantages et inconvénients en sont résumés sur le tableau I.
[Photo : Coupe d’un joint mécanique Express-GS.]
Tableau I
Avantages |
Facilité de mise en œuvre, pas d’appareil de montage, mise en place sans effort |
Déviation angulaire admise |
Pose facile pour conduites aériennes |
Démontage facile |
Aspect sécurisant du serrage |
Inconvénients |
Nécessité de serrage de boulons |
Limitation en pression |
Joints à contrôler après les essais (resserrage des boulons) |
Le joint automatique Standard
L'étanchéité est obtenue par compression d'un caoutchouc (bague de joint), lors de l'emboîtement de deux tuyaux consécutifs (figure 4). Pour éviter toute détérioration de la bague de joint lors du montage, le bout uni du tuyau emboîté doit être préalablement chanfreiné (chanfrein à réaliser sur place en cas de coupe du tuyau). La forme du caoutchouc a été conçue de façon à ce que la pression interne de l'eau contribue à augmenter la force d’application des lèvres du joint sur les parois de l'emboîtement et participe ainsi efficacement à son étanchéité. Cette conception lui autorise une tenue à la pression interne au moins égale à la résistance du tuyau à l’éclatement. Sa tenue à la dépression est garantie jusqu’à 7 bars.
Comme le joint Express, ce type d'emboîtement permet une déviation angulaire maximale variant de 5° à 4° pour les diamètres 60 mm à 300 mm.
La mise en œuvre du joint Standard nécessite que soit développée la force nécessaire à la compression du joint caoutchouc lors de son emboîtement.
Cet effort sera d’autant plus atténué (et l'état du joint préservé) que l'on aura respecté des consignes de pose (conformité du chanfrein et utilisation de pâte lubrifiante).
Ses avantages et inconvénients sont résumés sur le tableau II.
[Photo : Coupe d’un joint automatique Standard-2GS.]
Quel joint pour Paris ?
Le joint Standard présente donc un certain nombre d’avantages sur le joint Express, qui lui ont permis de supplanter ce dernier dans la quasi-totalité des
Tableau II
Avantages | Inconvénients |
Facilité et rapidité de pose | Pose plus délicate en aérien |
Simplicité d'assemblage | Démontage difficile. Chanfrein indispensable |
Très grande fiabilité | |
Déviation angulaire admise | |
Très bonne tenue à la pression et à la dépression | |
Pas de boulons ni contrebrides, donc encombrement moindre | |
Discontinuité électrique | |
[Photo : Fig. 5 – Courbe expérimentale des efforts d’emboîtement des joints automatiques Standard pour DN 60 mm à 400 mm.]
Chantiers de pose de conduites enterrées. Ces avantages sont :
— l’absence de boulonnerie et de contre-bride,
— une plus grande rapidité de mise en œuvre,
— une économie sur les dépenses de fourniture.
Cependant, les conditions particulières de pose du réseau parisien n’avaient pas jusqu’alors permis d’y introduire de façon significative le joint Standard ; en effet, ce dernier nécessite une force d’emboîtement de plusieurs centaines de daN (figure 5) aisée à développer à l’aide de la pelle hydraulique ou d’une barre à mine en cas de pose en tranchée. Développer la même force en égout, sur une conduite posée en élévation sur consoles et dans un ouvrage d’une largeur voisine du mètre est une autre affaire...
Une réflexion commune engagée par la Compagnie des Eaux de Paris, Pont-à-Mousson et les entreprises de pose Paridro et Darras & Jouanin a permis de résoudre cette difficulté grâce à un appareil très simple représenté sur la figure 6, dérivé d’un modèle commercialisé hors de France.
[Photo : Fig. 6 – Appareil à emboîter.]
Le poids et le gabarit de cet appareil devaient être aussi réduits que possible pour répondre aux conditions d’environnement spécifiées plus haut. Son fonctionnement est très simple : il se fixe derrière l’emboîtement de l’un des tuyaux et au bout uni de l’autre. Un bras de levier permet à un seul ouvrier de développer l’effort nécessaire à l’emboîtement de ces deux abouts, la longueur emboîtée étant repérée grâce à une marque réalisée en usine sur l’about mâle. Très rapidement, cet appareil à emboîter peut être transformé en appareil à déboîter si on le désire. À un diamètre de tuyau correspond un modèle bien déterminé.
Aux divers avantages du joint Standard rappelés plus haut s’en ajoute un complémentaire pour le réseau parisien : son moindre gabarit permet de rapprocher davantage la canalisation de la paroi de l’égout et donc à la fois de laisser un plus grand passage libre à l’intérieur de l’ouvrage et de diminuer le bras de levier de l’effort transmis à la maçonnerie par les consoles.
Bien entendu, un certain nombre de chantiers d’essai ont été nécessaires pour mettre au point cette technique et y former le personnel, avant d’envisager sa généralisation à l’ensemble des chantiers réalisés. Une question se posait notamment au niveau de la possibilité de faire tourner le tuyau sur lui-même après exécution des percements pour branchements. Le percement s’effectue en effet perpendiculairement à la paroi de l’égout, mais le tuyau doit ensuite faire l’objet d’une rotation en vue de positionner le départ du branchement parallèlement à la paroi. Il s’est avéré que les craintes que nous pouvions avoir à ce niveau n’étaient pas fondées : la pâte lubrifiante dont est enduite l’extrémité du tuyau conserve ses propriétés suffisamment longtemps pour que cette rotation s’effectue sans difficulté et sans mettre en cause la parfaite étanchéité du joint.
Si l’année 1988 vit se réaliser ces essais, l’année 1989 consacrera la généralisation du joint Standard sur les conduites de faible diamètre posées par la Compagnie des Eaux de Paris.
Conclusion
Un nouveau pas aura ainsi été franchi dans le sens de l’amélioration des techniques de pose du réseau d’eau, alliant la meilleure fiabilité des matériaux utilisés et une diminution des coûts. D’autres études sont menées par ailleurs, pour l’extension du joint Standard aux pièces spéciales (tés, coudes...), par exemple. Des recherches sont également en cours sur les supports de canalisation et leur fixation aux parois... et sur d’autres thèmes qu’il serait prématuré de citer. Pour que ces recherches aboutissent, nous croyons nécessaire qu’elles associent plusieurs compétences : celles de l’exploitant, celle de l’entrepreneur et celle du fournisseur.
Mais le dernier mot restera toujours au consommateur et c’est pourquoi nous avons demandé à notre ami parisien, pour qui le réseau de sa ville, bien que situé en égout, n’a maintenant plus beaucoup de mystère, de conclure :
« Si j’ai bien compris, pour vous aussi 1989 sera une année d’évolution, à défaut de révolution ! » nous répondit-il.