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Évaluation des nuisances olfactives de boues d'épuration : un avantage des systèmes de traitement par macrophytes ?

28 decembre 2001 Paru dans le N°247 à la page 45 ( mots)
Rédigé par : Frédérique JOURJON, Édith HEREMEREAU, Ronan SYMONEAUX et 1 autres personnes

Dans le cadre d'une évaluation des systèmes de traitement de boues d'épuration par lits de macrophytes, le Laboratoire GRAPPE a mis en évidence des différences de nuisances olfactives entre des boues d'épuration de diverses provenances. Si certaines différences peuvent s'expliquer par la nature même du traitement ou du stockage de ces boues, d'autres paramètres sont susceptibles d'influencer leurs caractéristiques olfactives.

La maîtrise des nuisances olfactives devient aujourd’hui une nécessité dans la gestion des boues d’épuration.

Les mauvaises odeurs représentent le premier motif de plainte, voire même de refus de l’épandage de boues (CTP, 2000). Bien qu’il n’existe à ce jour aucune réglementation précise sur la maîtrise des nuisances olfactives, ce paramètre doit être pris en compte dans le choix d’une filière de traitement et d’élimination des boues.

Parmi les diverses techniques proposées aujourd’hui sur le marché, les lits de macrophytes sont réputés pour leur absence de nuisances olfactives. À l’occasion d’une étude sur ces systèmes de traitement et de stockage, nous avons évalué les nuisances olfactives des boues en fonction de leur mode de traitement.

Le Laboratoire GRAPPE de l’École Supérieure d’Agriculture d’Angers est réparti en deux pôles de compétences : un pôle environnement, et un pôle agro-alimentaire orienté vers l’analyse sensorielle de produits, et leur corrélation avec des mesures physico-chimiques. Ces deux ensembles de

compétences ont été conjuguées pour mettre en œuvre ce travail.

Au-delà de l'application directe des résultats obtenus (aide à la décision pour les acteurs de la filière, meilleure acceptabilité de l'épandage) cette évaluation doit avant tout son intérêt à l'originalité de sa démarche.

Les boues et leurs odeurs

Une odeur est un mélange de molécules organiques ou minérales volatiles qui peuvent être captées par le système olfactif. Des récepteurs au niveau de la muqueuse de la cavité olfactive adsorbent les molécules odorantes, et transmettent le message au cerveau par l’intermédiaire des neurones (ITP, 1998).

Les boues d’épuration se composent d’un mélange d’eau et de matière organique dont des micro-organismes, qui leur confère un caractère très fermentescible. De ce fait, elles sont susceptibles de générer des nuisances olfactives pour la population environnante (CTP, 2000). En conditions anaérobies, des processus fermentaires dégagent des gaz malodorants qui se rattachent à quatre familles principales : acides gras volatiles, amines, sulfures minéraux, et sulfures organiques (WIART, 1993).

Les mauvaises odeurs sont perceptibles pendant le stockage, mais surtout au moment de la manipulation des boues : reprise, épandage (WIART, 1993). Plusieurs solutions existent pour maîtriser ces nuisances.

D’une part, la stabilisation des boues réduit leur caractère fermentescible. L’épandage n’est d’ailleurs autorisé que pour des boues stabilisées (WIART, 1993). Si la parfaite stabilité des boues est difficile à obtenir – à moins de les incinérer –, elle sera d’autant meilleure que leur teneur en matière sèche et leur taux de minéralisation seront élevés. Il est reconnu qu’une siccité supérieure à 20 ou 30 % permet de diminuer notablement la fermentescibilité des boues (WIART, 1993). De même, les traitements biologiques de l’eau permettent déjà d’atteindre un premier niveau de stabilisation (CTP, 2000).

D’autre part, des règles et des consignes de stockage, de manutention et d’épandage — distances minimales par rapport aux habitations, enfouissement sous 48 heures — aident à diminuer les nuisances (CTP, 2000).

Les nuisances occasionnées par les boues d'épuration dépendent donc de la qualité du déchet produit et des conditions de manipulation. Dans le cadre de l’évaluation des systèmes de traitement de boues par lits de macrophytes, nous avons voulu tester l’influence du mode de traitement des boues sur leurs nuisances olfactives potentielles. Pour cela, nous avons fait appel à des techniques d’analyse sensorielle, couplées à des analyses physico-chimiques de gaz émis par des boues.

Méthodologie

a) Prélèvements

Pour la mise en œuvre de l’étude, 5 échantillons de boues ont été prélevés sur différentes stations de traitement d'effluents domestiques (Tableau 1). Pour des raisons de confidentialité, certaines données caractéristiques des stations ne peuvent être communiquées. Parmi les cinq stations, on compte trois systèmes de traitement de boues différents : lits de macrophytes, passage sur filtre-presse suivi d’un chaulage, et silos de stockage de boues liquides.

Au laboratoire, deux types de tests ont été appliqués sur ces échantillons : l’analyse sensorielle, et l’analyse physico-chimique des gaz émis par ces boues. Ces deux opérations ont été réalisées dans les 24 heures qui ont suivi les prélèvements, afin de limiter toute évolution des boues au cours du stockage.

b) Analyse sensorielle des boues

Par l’analyse sensorielle, il est possible d’évaluer l’acceptabilité des odeurs émises par les différents types de boues. La méthode adaptée pour répondre à cette demande est l’application d’un test hédonique : cette expérience, de type “test consommateur”, suppose de présenter des échantillons de boues à un ensemble de personnes non entraînées à l’analyse sensorielle de ce type de produits. Comme la percep-

[Photo : Figure 1 : Résultats de l’analyse sensorielle]

Appréciation

Extrêmement agréable 8
Très agréable 7
Agréable 6
Assez agréable 5
Assez désagréable 4
Désagréable 3
Très désagréable 2
Extrêmement désagréable 1

Tableau 1 : Caractéristiques des stations

N° de station Type de réseau – Mode de traitement des eaux usées Mode de traitement et stockage de boues Capacité de stockage (durée) Date de début de stockage des boues prélevées – Délai dernier apport - prélèvement Remarque
A Séparatif – Boues activées Lits de macrophytes > 1 an 02/2000 – 1 semaine
B Séparatif – Boues activées Silo couvert < 2 mois – < 1 semaine Ajout de perchlorure de fer dans la filière de traitement de l’eau
C Séparatif – Boues activées Silo ouvert 4 à 5 mois – Environ 3 mois – 1 semaine
D Séparatif – Boues activées Lits de macrophytes > 1 an – 02/2000 – > 2 semaines
E Séparatif – Boues activées Filtre-presse + chaulage – 0 < 1 journée Boues mélangées aux boues primaires

Source : Laboratoire GRAPPE

[Photo : Lits de macrophytes quelques mois après leur mise en fonctionnement]

La perception des odeurs est très variable d’une personne à une autre ; un minimum de soixante personnes est nécessaire pour obtenir des résultats statistiquement exploitables (ACTIA, 1999). Pour cela, nous avons sollicité le personnel ainsi que des étudiants de TESA.

Le test s'est déroulé en laboratoire d’analyse sensorielle normalisé (AFNOR, V09-105) éclairé par une lumière rouge pour ne pas être influencé par l’apparence visuelle du produit. Chaque juge a reçu un ensemble de six échantillons de boues conditionnés dans des flacons opaques et fermés, identifiés par un numéro à trois chiffres. À chaque échantillon correspond une station d’épuration. Un échantillon supplémentaire a été attribué comme une répétition de la station E, en vue de tester la fiabilité du jury. Par mesure d’hygiène, nous avons distribué des gants et demandé à l'ensemble des juges de porter une attention particulière aux risques que comporte le produit analysé. Ils devaient alors évaluer les produits un à un dans un ordre aléatoire prédéfini dans le plan de présentation, et répondre aux trois questions posées. L'une portait sur la perception hédonique de l’odeur, l'autre sur l’intensité de l’odeur sur des échelles prédéfinies (Figure 1). Dans la dernière question nous leur demandions d’exprimer librement leurs remarques et impressions.

Pour les deux premières questions, ce traitement des résultats s'est effectué à l'aide d'outils statistiques (analyse de la variance, Xi-Deux) tandis que les résultats de la question ouverte ont fait l'objet d'une analyse textuelle.

c) Analyse physico-chimique des gaz

Ce travail a été effectué à l'aide de tubes Dräger, qui permettent une détection rapide de gaz émis. Ils se présentent sous forme d'ampoules que l'on relie à une pompe spécifique. Nous avons ainsi analysé l’air présent au-dessus des échantillons de boues. Deux types de tubes ont été employés : ceux spécifiques de l’ammoniac (de 4 à 100 mg/m³) et ceux spécifiques du sulfure d’hydrogène (de 1,5 à 43 mg/m³). Ces deux gaz, particulièrement nauséabonds, se retrouvent fréquemment dans l’épuration des eaux usées.

Résultats et discussion

Soixante-trois personnes ont participé au test d’analyse sensorielle : trente-et-un hommes et trente-deux femmes. Les réponses ont été cohérentes au sein du jury : les deux échantillons identiques ont été jugés de la même façon. L’analyse statistique des résultats a permis de différencier les produits selon l’échelle hédonique et sur l’échelle d'intensité (Figure 1). D’ailleurs, on remarque que les échantillons sont ordonnés de façon identique sur les deux échelles de notation : l'acceptabilité de l’odeur est en fait très nettement liée à son intensité.

Si la boue chaulée ressort sans conteste comme la boue la moins acceptable, les autres sont jugées comme plus ou moins acceptables. Cependant, elles n'ont pas pu être différenciées en fonction de leur système de traitement ou de stockage.

À travers les questions ouvertes, de nombreux juges ont repéré « l’odeur d’ammoniac » ou une « impression de picotement », caractéristique de la présence d’ammoniac, dans la boue chaulée (station E). De façon générale, son odeur a été jugée « écœurante ». Les remarques relatives à la boue de la station A – lits de macrophytes – montrent que l’odeur était caractéristique « d’excréments », « désagréable », mais « peu intense ». La boue de la station B – silo – semble comporter les mêmes caractéristiques, mais avec une odeur supplémentaire « d’ammoniac ». Enfin, les boues des stations C et D sont perçues de façon semblable : l’odeur ne paraît « ni agréable, ni désagréable », elle est plutôt « neutre », caractéristique d'une « odeur de terre » et « d’humidité ».

L’analyse physico-chimique (tableau 2) a révélé la présence d’ammoniac dans les gaz des boues chaulées et de silos. Seules les boues issues de lits de macrophytes ne généraient pas d’ammoniac. Il existe donc une bonne relation entre ces résultats et ceux de l’analyse sensorielle.

Cette étude a mis en évidence des différences de nuisances olfactives potentielles entre des boues. Les boues chaulées sont apparues comme les plus nuisibles. Ce résultat peut s’expliquer par le processus même de traitement des boues : l’ajout de chaux.

Tableau 2 : Résultats de l’analyse physico-chimique des gaz

Station NH₃ (mg/m³) H₂S (mg/m³)
A non détecté non détecté
B non détecté non détecté
C 2 non détecté
D non détecté non détecté
E 14 non détecté

Remarque : Les résultats sont obtenus avec une fiabilité de ± 15 % Source : Laboratoire GRAPPE

[Photo : Figure 3 : Analyse sensorielle des échantillons de boues]

Les lits de macrophytes sont en effet réputés pour la bonne aération de leur massif de boues : efficacité du massif de filtration, apport d’oxygène par le système racinaire des roseaux. Ils permettraient un stockage en conditions aérobies, et limiteraient ainsi la production de certains gaz nauséabonds. Les autres différences peuvent être attribuées à d’autres facteurs : la qualité des boues en sortie du système de traitement de l’eau et leur temps de stockage influençant leur niveau de stabilisation, et donc leur potentiel de nuisances.

Références bibliographiques

(4) ACTA (1999) : Évaluation sensorielle, guide de bonnes pratiques, 127 p.

(2) CTP (2000) : Les boues de purification municipales et leur utilisation en agriculture, ABEEM, 49 p.

(3) ITP (1998) : Odeurs et environnement : des outils de la production porcine, ITP, 127 p.

(4) AGR (1993) : Les différents procédés de stockage des boues d’épuration avant valorisation en agriculture, ABEEM, 124 p.

Cette analyse a été effectuée à partir de boues en cours de stockage. Or les systèmes de traitement par lits de macrophytes amènent à des temps de stockage nettement plus prolongés que dans le cas de silos : les boues y sont stockées pour plusieurs années. Ce paramètre pourrait favoriser une meilleure qualité des boues de lits de macrophytes au moment du curage. La méthode développée ici a permis d’obtenir rapidement des résultats sûrs sur les potentiels de nuisances olfactives des boues. Elle montre que l’outil sensoriel peut être une étape supplémentaire des évaluations environnementales. Elle aide ainsi à mieux prendre en compte les exigences des citoyens, et à améliorer l’acceptabilité de certaines pratiques, telle que l’épandage.

Conclusion

Nous avons mis en évidence l’impact des systèmes de traitement de boues sur leur potentiel de nuisances olfactives. Toutefois, dans les conditions de l’expérience, il n’a pas été possible de conclure que les boues de lits de macrophytes génèrent moins de nuisances que celles de silos. Seule l’absence d’ammoniac dans les gaz émis permet de distinguer ces deux types de procédés.

Remerciements : Les auteurs remercient vivement Angers Agglomération pour sa participation à l’étude, ainsi que l’ensemble des personnes qui ont participé au test d’analyse sensorielle.

[Publicité : EDITIONS JOHANET]
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