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Etude sur pilote du comportement de l'eau en réseau

30 mars 1989 Paru dans le N°126 à la page 27 ( mots)
Rédigé par : F. COLIN, F. DAMEZ, M. DUTANG et 2 autres personnes

Le Syndicat des Eaux d'Île-de-France a toujours eu comme objectif prioritaire la qualité de l'eau. Or sa ressource essentielle provient de l'eau de surface prise en amont de Paris sur les trois cours d'eau qui alimentent le Bassin parisien, la Seine, la Marne et l'Oise, qui sont affectés par une pollution chronique et sujets en outre à des pollutions accidentelles. Produire de l'eau potable à partir d'eau brute de mauvaise qualité a donc toujours été pour le Syndicat une contrainte de base, face à une obligation de résultat : l'eau produite doit satisfaire aux normes de potabilité les plus sévères, édictées par la Communauté européenne et adoptées en France.

Le respect de cet objectif sous une telle contrainte est cependant assuré grâce à un énorme effort engagé sur les techniques de traitement qui ont abouti aux filières actuelles du Syndicat des Eaux d'Île-de-France, fruits d'un travail de recherche mené par la Compagnie Générale des Eaux qui a mis au point des traitements de pointe comme la préozonation, la filtration biologique sur sable, l'ozonation couplée à la filtration biologique sur charbon actif, la chloration sans saveur, etc.

Évolution de la qualité de l'eau distribuée

Mais entre l’usine et l'abonné, il y a un réseau de distribution qui, dans le cas du Syndicat des Eaux d'Île-de-France, a une extension considérable : plus de 8 000 km de canalisations. Le problème qui se pose alors est de transporter sans détérioration cette eau de qualité entre les usines et le robinet du consommateur. Or, le temps du transport dans le réseau et les réservoirs de distribution peut être relativement long. Pendant ce temps, l'eau, qui n’est jamais une substance inerte, est susceptible d'évoluer, ce qui veut dire que ses caractéristiques physico-chimiques et biologiques vont se modifier progressivement au cours du temps en fonction de trois paramètres : ses caractéristiques de qualité à la sortie de l'usine de traitement, la nature des parois des canalisations qui vont la transporter et les traitements de stabilisation (essentiellement la chloration) assurés en cours de transit.

Pour assurer le maintien de la qualité de l'eau jusqu’à l'extrémité du réseau, on utilise actuellement un certain nombre de méthodes :

  • — la première consiste à produire en sortie d'usine une eau de qualité supérieure aux normes exigées, de telle sorte que même si elle évolue durant son transport, cette marge de sécurité permette de respecter les normes à son arrivée chez l'abonné ;
  • — la deuxième consiste à freiner l'évolution de l'eau, d'une part en limitant la quantité de nutriments capables de provoquer des développements biologiques (carbone organique assimilable), et, d'autre part, en maintenant en permanence un léger résiduel de désinfectant stable (chloration) qui limitera les développements potentiels ;
  • — la troisième méthode est la pratique d'une politique de nettoyage systématique du réseau par divers procédés ;
  • — enfin, la quatrième action est la gestion des mouvements de l'eau dans le réseau, ce qui entraîne une réduction du temps de transit et, surtout, supprime les zones d'eau morte.

Jusqu'à présent, l'application de ces méthodes se faisait avec un certain empirisme et en prenant des marges de sécurité considérables ; compte tenu de l'enjeu, il fallait passer au stade de l'étude scientifique.

C'est dans cette optique que le District Urbain de Nancy, la Compagnie Générale des Eaux, le Syndicat des Eaux d'Île-de-France, l'Agence Financière de Bassin Seine-Normandie, le NAN.C.I.E., Pont-à-Mousson S.A. et le GIP Stelor ont lancé un programme de connaissance de l’évolution de l'eau dans le réseau de distribution.

Ce programme s’articule autour de trois thèmes principaux :

  • — création d'un critère de mesure de l'évolution de l'eau,
  • — connaissance du comportement hydraulique en réseau,
  • — connaissance des interactions entre l'eau, les parois de canalisations et des réservoirs où les bactéries se développent et constituent un biofilm.
[Photo : Schéma du système pilote expérimental composé de six bacs associées en série]

L'ensemble de ces trois axes est étudié grâce à un pilote installé dans les locaux du NANC.I.E., Centre international de l'eau de Nancy, qui simule de façon la plus fidèle possible un réseau de distribution réel.

Conception du pilote

Le pilote a été réalisé à la suite d’études approfondies de similitude hydraulique, qui ont permis de retrouver à l'échelle réduite les paramètres essentiels qui gouvernent le comportement de l'eau en réseau : température, vitesse et temps de séjour.

Le réseau-pilote comporte 180 m de canalisations en fonte revêtue de ciment, réparties en 6 boucles de 30 mètres disposées en série (figure 1). Il est possible de régler indépendamment le temps de séjour et la vitesse de circulation de l'eau dans les tuyaux. De plus, ce système reproduit fidèlement les conditions de contraintes de cisaillement aux parois, ainsi que les coefficients de transfert de masse entre le centre de la colonne d'eau et la périphérie, ce qui est d'un intérêt capital pour l'étude des biofilms. En définitive, les conditions d’écoulement y sont très proches de celles rencontrées dans un réseau réel comme le montrent les courbes de la figure 2 qui correspondent à un traçage du pilote.

Le mini-réseau est agencé de telle sorte qu’on puisse y introduire différents matériaux pour simuler des canalisations de type et d’âge différents. On peut aussi y effectuer des prélèvements en tout point pour analyser l'eau en cours de circulation et des échantillons du biofilm accroché aux parois des canalisations. Enfin, il peut être alimenté par de l'eau ayant subi différents traitements de potabilisation afin de tester l'efficacité des diverses étapes sur l'évolutivité de l'eau.

[Photo : Courbe du réacteur (Fig. 2)]

Parallèlement à cet instrument, des études analytiques et de suivi de comportement des eaux sont menées sur des réseaux en vraie grandeur pour vérifier la similitude des phénomènes observés sur le pilote avec ceux qui se produisent sur des réseaux réels.

Cinétique de colonisation des matériaux

Les figures 3 et 4 représentent l’évolution du nombre de bactéries fixées sur la fonte revêtue de ciment et sur le PVC, au cours des sept premières heures d’exposition à l'eau circulante. Les numérations sont effectuées par épifluorescence.

On constate que la colonisation s'effectue très rapidement. En une heure, la densité bactérienne dépasse 10⁵ bactéries par cm². Ensuite la croissance est plus lente.

On peut noter que les deux matériaux testés ne présentent aucune différence significative en matière de vitesse de colonisation.

[Photo : Cinétique de fixation des bactéries sur le ciment (Fig. 3)]
[Photo : Cinétique de fixation des bactéries sur le PVC (Fig. 4)]

Biofilm et bactéries libres

La formation du biofilm résulte de plusieurs mécanismes :

  • — transfert et dépôt de microorganismes de l'eau vers les parois,
  • — croissance bactérienne dans le biofilm,
  • — mortalité et lyse bactérienne,
  • — arrachage et érosion de la biomasse fixée qui est fonction du régime hydraulique ainsi que de l’épaisseur et de la densité du biofilm.

Les valeurs mesurées montrent que l'accumulation du biofilm est due principalement à la multiplication des bactéries fixées et que le taux de dépôt des bactéries libres est beaucoup plus faible. Les bactéries en suspension dans la colonne d'eau proviennent à la fois du flux de cellules apporté par l'eau à l'entrée du réseau pilote et de l'arrachage du biofilm mais non d'une croissance bactérienne dans l'eau.

L'essentiel de la biomasse bactérienne existant dans les conduites est fixé sur les parois des canalisations. Cela confirme qu'un réseau est un milieu propice aux développements bactériens et que le biofilm joue un rôle prépondérant sur ces développements. En d'autres termes, le contrôle microbiologique traditionnel des eaux met plus en évidence une prolifération bactérienne sur les parois des conduites qu'une contamination de l'eau traitée en usine.

Influence du temps de séjour sur la qualité de l'eau

La figure 5 représente les densités de bactéries fixées dans chaque boucle successive sur des canalisations revêtues de ciment.

Trois types de dénombrement ont été employés : la numération par épifluorescence, les numérations de bactéries actives, la reviviscence sur gélose. L'eau circule à 1 m/s dans le pilote, soit un temps de séjour de 40 heures par boucle.

On constate que les densités des bactéries fixées évoluent peu au cours du temps, même s'il s'amorce une légère diminution dans les dernières boucles. L’analyse de cette évolution conduit à l'hypothèse d’une variation contradictoire de deux phénomènes :

— une diminution du taux de croissance résultant d'une limitation en nutriments,

— concomitamment, une augmentation du taux de dépôt.

Pour les bactéries libres, au fil de l'eau, on observe que leur nombre (5,5 log/ml pour les numérations par épifluorescence) reste constant dans le temps.

La figure 6 présente l'évolution du carbone organique total en fonction du temps de séjour dans l'eau ; on constate une chute importante de COT dès la première boucle puis une légère augmentation dans le réseau.

La figure 7 détaille l’évolution du carbone organique en fonction de ses deux composantes : le carbone organique assimilable, susceptible de servir de nutriment pour les bactéries, et le carbone organique réfractaire, qui ne peut pas être biodégradé. On constate que le COA est presque intégralement consommé dans les premières heures, ce qui correspond à la phase de croissance bactérienne. On peut penser que l'augmentation progressive au cours du temps du COT traduit un relargage de molécules organiques.

La figure 8 présente l'effet d'une chloration de l’eau d’alimentation du pilote (à un taux de 2,44 mg/l) sur le nombre total de bactéries fixées.

[Photo : Fig. 5 : Densité bactérienne par unité de surface apparente des éprouvettes ciment.]
[Photo : Fig. 6 : Évolution du carbone organique (total TOC et assimilable AOC) dans les eaux au cours de la distribution.]
[Photo : Fig. 7 : Dosage du carbone organique assimilable.]
[Photo : Fig. 8 : Nombre moyen de bactéries totales dans l’eau en fonction des résiduels moyens de chlore total.]

Effet de la chloration

Seules les deux premières boucles sont affectées par le chlore. On constate ensuite que le biofilm est insensible à des concentrations inférieures à 1,25 mg/l de chlore total.

En fait, la chloration du réseau ne limite que très partiellement la formation du biofilm, mais elle masque le relargage continu. Les bactéries présentes dans l’eau circulante sont alors presque toutes inactivées.

Une telle résistance du biofilm à l’action du chlore est difficile à expliquer, d’autant qu’elle apparaît presque indépendante du matériau-support. L’explication de ce phénomène pourrait être la forte densité du biofilm qui limite la diffusion de l’oxydant et une adaptation des bactéries fixées au chlore.

Conclusion

Le pilote, tel qu’il a été réalisé, permet de reproduire de manière significative les phénomènes biologiques qui se déroulent dans un réseau de distribution.

Les premiers résultats d'études montrent que les parois des canalisations sont le siège d'une activité bactérienne très intense dont le nutriment serait le carbone organique assimilable.

La croissance bactérienne dans un réseau se produit par le biais des bactéries fixées sur le biofilm et non par croissance des bactéries libres dans l'eau.

Il en résulte qu’un contrôle microbiologique défectueux met plus en évidence une prolifération bactérienne sur les parois des canalisations qu’une contamination de l’eau traitée en usine.

Le maintien de la qualité bactériologique de l'eau distribuée passe donc par les actions suivantes :

— mise en place de filières de traitement minimisant la quantité de COA dans l’eau produite,

— nettoyage périodique des parois de canalisation,

— adoption d'une politique de chlorations successives et d’une gestion du transit de l’eau dans le réseau telles que le temps de séjour après chloration ne dépasse pas quarante heures.

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