La lagune de Khnifiss a été étudiée d'un point de vue hydrochimique et courantologique lors d'une campagne océanographique en septembre 1998. Sept stations ont fait l'objet de mesures et d'analyses des paramètres de l'eau (température, salinité, oxygène dissous, nitrates, phosphates et chlorophylle??a??) et deux stations pour la mesure des courants à l'intérieur de la lagune. L?étude se propose de dresser un premier bilan de fonctionnement de cet écosystème. Les résultats ainsi obtenus ont permis de présenter les caractéristiques essentielles de ce milieu parallique. Il ressort donc que cette lagune est sous la dépendance des influences océaniques générées par le courant de marée alternatif. Par contre, les influences continentales sous forme d'apports en eaux douces, sont quasiment absentes en période estivale, ce qui traduit des taux élevés de certains paramètres du milieu, notamment la salinité des eaux pendant le jusant. De même, la réserve nutritive et la biomasse chlorophyllienne sont en relation avec le phénomène de remontées d'eaux au large (Upwelling) qui se produit en été dans la zone Sud du Maroc.
Au Maroc, les lagunes constituent des écosystèmes de fortes potentialités aquacoles et peuvent jouer un rôle important dans l'économie et le développement du pays. Il est donc nécessaire d’évaluer et de décrire les différentes composantes de ces écosystèmes côtiers avant l’installation de tout projet d’aménagement dans le milieu. La lagune de Khnifiss offre des atouts potentiels sur le plan d’aquaculture et d'aménagement touristique à affinité écologique. C’est aussi une réserve biologique d'intérêt mondial pour l'avifaune et un des quatre sites retenus par la convention RAMSAR pour la conservation des zones humides d’importance internationale. Dans l’état actuel de nos connaissances, cette lagune a fait l’objet de rares études portant.
Mots Clés : Courant de marée, fonctionnement, influences océaniques, jusant, lagune de Khnifiss, hydrochimique, upwelling
sur son fonctionnement et son organisation écologique. On peut citer les travaux de Beaubrun (1976) et El Agbani (1988).
Cette étude constitue une contribution à la caractérisation d'un milieu lagunaire situé dans un climat saharien à hiver chaud, et ce par une évaluation des paramètres hydrochimiques et courantologiques de la lagune de Khnifiss étudiés du 21 au 28 septembre 1998.
Situation géographique et traits généraux
La lagune de Khnifiss, appelée aussi Naila, est la plus grande lagune située au Sud du Maroc sur la façade Atlantique, à 120 km au Sud de Tan-Tan et à 70 km au Nord de Tarfaya (figure 1). Elle est orientée selon un axe NE-SW et ses coordonnées géographiques sont 28°02'54" Nord et 12°13'66" Ouest. Sa passe, d'une centaine de mètres et d'une profondeur de 5 à 6 m, permet à la lagune de communiquer avec l'océan Atlantique. Le chenal de la lagune s'étend sur une longueur de 20 km ; il s'appuie contre une falaise sur sa rive gauche et contre des dunes de sable sur sa rive droite (figure 2). Le climat est de type saharien à hiver chaud marqué par la présence des vents Alizés. D’après Ouchcham (1996), les vents forts, moyens et faibles sont respectivement N-N-E, N-E et Nord. La pluviométrie annuelle se situe entre un maximum de 250 mm à la plaine de Souss et un minimum de 41 mm à la ville de Tarfaya. En ce qui concerne l'hydrologie de la lagune, elle est largement influencée par les caractéristiques hydrologiques de la zone située entre cap Drâa (Sidi Ifni) et cap Juby (Tarfaya). Selon Orbi et al. (1992), cette zone fait partie des quatre principales zones de l'Atlantique marocain où se localisent les centres actifs de remontées d'eaux froides ou « Upwelling » (c'est une remontée en surface des eaux profondes froides riches en éléments nutritifs).
Matériels et méthodes
Les prélèvements d'eau ont été effectués au niveau de sept stations représentatives de la lagune de Khnifiss (figure 2). Les prélèvements ont été effectués en surface et au fond, à basse mer (BM) et à pleine mer (PM) à l'aide d'une bouteille à renversement de type Nansen. Les mesures de température et de salinité ont été prises à l'aide d'une multisonde de marque Aanderaa. Les analyses chimiques d’oxygène dissous, des nitrates, des phosphates et de chlorophylle « a » ont été effectuées selon les méthodes suggérées par Aminot et Chaussepied (1983). Les mesures de courant ont été effectuées, du 21 au 28 septembre 1998, à l'aide de deux courantomètres de marque Aanderaa au niveau de deux stations situées en aval « aval » (1) et en direction de l’amont de la lagune « amont » (2) (séparées de 2 km l'une de l'autre). La figure 2 et le tableau 1 décrivent les mouillages des deux courantomètres durant notre période d’étude.
Tableau 1 : Description des mouillages des courantomètres dans la lagune de Khnifiss du 21 au 28 septembre 1998
Courantomètre 1 (réf. n° 11752) | |
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Position : | 28°02'54 12°13'65 |
Profondeur max. : | 5 m |
Date et heure début enregistrement : | 21/09/1998 à 8 h 00 |
Date et heure fin enregistrement : | 28/09/1998 à 9 h 05 |
Courantomètre 2 (réf. n° 11726) | |
Position : | 28°02'34 12°16'44 |
Profondeur max. : | 5 m |
Date et heure début enregistrement : | 21/09/1998 à 8 h 00 |
Date et heure fin enregistrement : | 28/09/1998 à 9 h 05 |
Résultats et discussions
Pour ce qui suit, il est important de signaler que les paramètres pris en compte dans cet article ont été présentés et traités uniquement en fonction de la marée (BM et PM).
tout en négligeant la variation verticale de la masse d’eau (surface-fond). Cette dernière présente moins d'informations en comparaison avec celle de la marée, mais qui mérite d'être bien étudiées lors des études ultérieures. Les paramètres présentés sont donc des moyennes calculées sur toute la colonne d’eau.
Les paramètres de l’eau
La température
La figure 3 montre que l’évolution spatiale de la température au niveau des sept stations est fonction de la marée et de l’éloignement par rapport à la mer. À basse mer, la température de l'eau s’élève de l’aval vers l’amont ; elle varie entre 22,8 °C à la station 1 et 24,4 °C à la station 7. À pleine mer, les eaux deviennent plus froides en particulier dans la zone aval et la zone centrale de la lagune ; les températures fluctuent entre 20,8 °C et 24,8 °C. Par ailleurs, la température dans la lagune de Khnifiss dépend également et de façon cyclique de la température de l’air. L’étude temporelle de ce paramètre, du 21 au 28 septembre 1998, a montré que lors d'un cycle journalier, les hausses températures sont enregistrées le matin et le début de la nuit pendant les marées de jusant, alors que les basses températures sont enregistrées l’après-midi et l’après-minuit (Lakhdar et al., 2000).
La salinité
La variation de la salinité (figure 3) est en rapport avec le type de marée et les apports continentaux notamment les sources d’eaux douces. Dans le cas particulier de la lagune de Khnifiss, l'absence de ces apports induit des hausses brutales de salinité dans la lagune qui atteint en cette période de l’étude 40,8 psu (psu = practical salinity unit) à basse mer. À pleine mer, les eaux marines envahissent la lagune et jouent alors le rôle d’effet tampon et régulateur des eaux lagunaires qui se fait sentir jusqu’à la station 6. Les salinités fluctuent entre 35,7 psu à la station 2 et 40,7 psu à la station 7 située en amont de la lagune. De même, l’évolution temporelle de la salinité, du 21 au 28 septembre 1998, montre que les périodes de vive-eau présentent les taux les plus élevés (44,6 psu), alors que les taux les plus bas (36 psu) sont enregistrés lors des marées de morte-eau (Lakhdar et al., 2000).
L’oxygène dissous
Les niveaux d’oxygène dissous sont assez importants dans la lagune (figure 4) et varient en moyenne entre 7,6 mg/l (station 1) et 5,4 mg/l (station 7). Cette chute d’oxygène observée en amont de la lagune est due principalement à un réchauffement des eaux de faible hydrodynamique et à la dégradation des algues et des cellules phytoplanctoniques en amont de la lagune. Pendant le flot, le renouvellement des eaux améliore les niveaux d’oxygène à l’intérieur de la lagune, fluctuant ainsi entre 6,5 mg/l et 8 mg/l. En comparant les deux courbes de température et d’oxygène à partir de la même figure 4, on constate que les variations d’oxygène sont inversement proportionnelles à celles de la température. Cette corrélation est bien justifiée dans cette lagune du fait que son écosystème est caractérisé par une absence en eaux douces : une telle évolution est nette-
…ment observée à pleine mer où les eaux plus chaudes et plus salées sont les moins oxygénées.
Les nitrates et les phosphates
Pour la réserve nutritive, on étudie uniquement les nitrates (NO3) et les phosphates (orthophosphates : PO4) étant donné qu’ils constituent les éléments de base essentiels à la productivité des eaux lagunaires.
Les teneurs moyennes des nitrates dans la lagune sont comprises entre 1,7 µg/l (station 7) et 10 µg/l (station 1) (figure 5). Pour les phosphates, les concentrations fluctuent entre 54,6 µg/l (station 2) et 265 µg/l (station 4). Tout d’abord, on constate que les eaux de la lagune à pleine mer sont nettement riches en nitrates qu’à basse mer. Ceci montre que pendant le flot dans la lagune de Khnifiss, et contrairement à ce qu’on trouve habituellement dans les lagunes atlantiques marocaines, notamment les lagunes de Oualidia (Orbi et al., 1995) et Sidi Moussa (Sarf et al., 2001) où les eaux à pleine mer sont moins riches en nitrates qu’à basse mer. Dans la lagune de Khnifiss, la remontée des eaux marines fait plutôt augmenter les teneurs des nitrates dans le milieu. Par contre les faibles concentrations en cette saison d’été peuvent être attribuées à l’absence des apports d’eaux douces dans la lagune et au phénomène de dénitrification (Martin et al., 1976).
Pour les phosphates, ils sont nettement élevés dans la lagune. D’après Nisbet (1970), une concentration des phosphates supérieure à 190 µg/l dans un milieu parallique indique un indice de pollution organique. Ce seuil est dépassé localement en certains endroits de la lagune (stations 4 et 7) (figure 6). Ces résultats montrent une forte productivité en ces endroits et également un début d’eutrophisation locale.
La chlorophylle “a”
La figure 7 traduit l’évolution spatiale de la chlorophylle “a” dans la lagune. Les résultats montrent une faible variation entre les stations, mais tout de même, les eaux sont assez riches en chlorophylle “a” notamment à pleine mer. Cette richesse du milieu en biomasses chlorophylliennes prend sa source du phénomène d’Upwelling qui caractérise la zone sud du Maroc en saison d’été. De même, les travaux de Frisoni (1984) et Lefebvre et al. (1997) sur les bassins paralliques ont montré que la biomasse chlorophyllienne est relativement élevée surtout durant les phases de croissance (printemps et été). En comparant nos résultats avec ceux trouvés dans des lagunes similaires durant la même saison, on remarque que les valeurs sont en moyenne comparables à celles trouvées par Rharbi (1990) dans la lagune de Moulay Bousselham (valeurs comprises entre 0,2 et 9,2 mg/m³) mais nettement supérieures à celles trouvées par Lakhdar et al. (1997) dans la lagune de Oualidia (valeurs comprises entre 0 et 2 mg/m³) et par Dafir (1986) et Berraho (1995) dans la lagune de Nador (valeurs comprises entre 0,2 et 6 mg/m³).
Les courants
Les résultats de la variation de la direction du courant sont portés sur la figure 8. Ils montrent que les directions privilégiées du courant à la station aval (1) sont 40° et 210° par rapport au Nord géographique. Par contre, elles sont de 130° et 320° par rapport au Nord géographique à la station amont de la lagune (2). Cela s’explique par l’orientation de chaque station par rapport au Nord géographique. Les relevés de courant montrent que les vitesses maximales ont été observées à la station située en aval de la lagune (110 cm/s).
Le courant devient moins important à la station 2 située en direction de l’amont ; son intensité maximale ne dépasse pas 56 cm/s (figure 9). Ces valeurs de courant sont relativement supérieures à celles trouvées par Hilmi et al. (1997) dans la lagune de Oualidia (valeurs comprises entre 50 et 78 cm/s). Nous avons également pu déduire à partir de cette courbe que les vitesses maximales dans la lagune sont enregistrées pendant la période de vive-eau à marée descendante (jusant) alors que les vitesses minimales sont enregistrées à marée montante (flot).
Conclusion
Les aspects étudiés dans cette étude, durant l’été 1998, nous ont permis de dresser un premier bilan du fonctionnement de l’écosystème de Khnifiss. Les résultats ont montré que ce milieu paralique dépend étroitement du cycle de marées. L’absence d’apports continentaux, sous forme de sources d’eaux douces, provoque une variation importante de ses paramètres hydrologiques et, notamment, la salinité qui présente des taux très élevés à marée descendante. En effet, la passe est l’unique point par lequel se font les échanges lagune-océan. Les eaux de la lagune sont bien oxygénées et présentent des taux assez importants en nitrates et surtout en phosphates d’origine marine. L’étude de la biomasse phytoplanctonique évaluée à partir de la chlorophylle “a” a montré la richesse du milieu en cette période d’été. Cette richesse s’explique par le fait que la lagune se trouve dans une zone de remontées des eaux ou “Upwelling” riches en chlorophylle “a” qui se manifeste toute l’année dans la zone sud du Maroc.
La circulation des eaux à l’intérieur de la lagune est essentiellement influencée par le courant de marée alternatif et la morphologie de la lagune qui présente d’une part une forme particulière, et d’autre part un lit du chenal qui se présente différemment dans la lagune. Le courant dans la lagune est plus fort dans la zone située en aval et moins fort lorsqu’on se dirige vers l’amont.
La complexité dans la compréhension de ces systèmes de transition entre le milieu continental et le milieu marin nécessite le concours de plusieurs études étalées dans le temps et l’espace.
L’objectif visé par cette étude est de contribuer à comprendre le fonctionnement et à maintenir les propriétés naturelles de l’écosystème de cette lagune de manière compatible avec une gestion bénéfique pour la région afin de ne pas mettre en péril notre patrimoine national.