Études expérimentales, calculs et modélisations ont permis jusqu’à présent de bien appréhender certains paramètres du comportement des tuyaux enterrés sous charges statiques et dynamiques ; toutefois, les conditions de pose sont nécessairement dépendantes des sujétions de chantier et des risques de déstabilisation de l’environnement immédiat de la canalisation.
Pour tenter d’évaluer la sécurité disponible selon différentes configurations, le Centre international de l'eau (NANCIE) et la société Pont-à-Mousson SA ont confié au Laboratoire Régional des Ponts-et-Chaussées (LRPC) de Nancy (CETE de l'Est) l'étude du comportement de tuyaux d’assainissement en fonte, fibre-ciment et PVC sous charges statiques.
Il s’agissait d’évaluer dans des conditions de pose reproduites en caisson, d'une part la sécurité mécanique disponible pour trois types de matériaux de canalisation : fonte, fibre-ciment et PVC par référence aux critères limites (élasticité et/ou rupture) et, d’autre part, l’influence sur cette sécurité de la nature des sols et du mode de compactage des remblaiements de tranchées.
Protocole expérimental
Trois natures de tuyaux ont été testées :
- — fonte – DN 250 – épaisseur du tuyau (hors ciment) e = 6 mm,
- — fibre-ciment – DN 250 – épaisseur du tuyau e = 13 mm,
- — PVC compact – DN 250 – épaisseur du tuyau e = 5,3 mm.
Trois matériaux de remblai ont été mis en œuvre : sable roulé de Meurthe 0/5 mm, gravier de Meurthe 6/20 mm, argile.
Deux conditions de pose ont été comparées : matériau compacté à l’Optimum Proctor Normal et matériau non compacté.
Dans tous les cas d’expérience, les tuyaux ont reposé sur un lit de 0,25 m de sable 0/5 mm compacté. Le chargement a consisté à couvrir le tuyau sur un mètre d’épaisseur au-dessus de sa génératrice supérieure avec le matériau de remblai, compacté ou non, selon le cas.
Après interposition d'une tôle de répartition dont on mesure l’enfoncement au fur et à mesure de l'expérience, on a disposé des surcharges destinées à simuler une hauteur de 3 m au-dessus de la tôle soit 4 m sur la génératrice supérieure d’un remblai de densité 2.
Équipement métrologique
Deux sections circulaires de chaque tuyau sont équipées chacune de six jauges de contraintes. Ces deux sections, distantes de 2 m l'une de l'autre, sont équidistantes de la section médiane du tuyau.
Deux capteurs de déformations solidaires d’une poutre sont placés à l’intérieur du tuyau. Ils sont rigoureusement positionnés sous la génératrice supérieure, en section médiane et en section 2. Ils enregistrent l’ovalisation progressive du tuyau sous les charges croissantes.
La tôle de répartition, disposée à l’interface sol-surcharge de gueuses, est équipée de deux piges fichées au fond du caisson. L'enfoncement de la tôle, coulissant le long de ces piges, est contrôlé pour déterminer un module de réaction du sol dans chaque configuration expérimentale.
Résultats
Modules des sols
La seule caractéristique de déformation d’un sol dont la définition soit sans ambiguïté est le module de Young qui suppose le sol élastique. Son évaluation recourt à différentes méthodes (essais à la plaque, triaxiaux, œdométriques, pressiométriques, etc.). Compte tenu de conditions d’essais fondamentalement différentes, les valeurs de modules peuvent être très différentes. Des rapports de 2 à 3 sont fréquents pour un même matériau selon la nature de l’essai.
Afin de définir une plage de valeurs à l’intérieur de laquelle les résultats des essais en caisson — tels qu’ils ont été menés dans cette expérience — doivent nécessairement se situer, une assimilation à deux méthodes d’évaluation extrêmes a été réalisée :
- — assimilation à une compression simple : contraintes latérales nulles,
- — assimilation à un essai œdométrique : déformations latérales nulles.
Ont été pris en compte :
- — la surcharge de gueuses de fonte (soit 60 kPa),
- — les valeurs mesurées sur les piges du tassement du sol,
- — l'ovalisation des tuyaux (ΔD),
- — le tassement corrigé (Wc = W – ΔD).
Les calculs de modules selon les deux méthodes d’essais (compression simple et œdométrique) ont été réalisés et un module moyen en a été extrait. Il s’agit donc bien d’un ordre de grandeur significatif lorsque l’on établit la comparaison.
entre les différentes configurations (tableau I).
Comportement des tuyaux
Deux types de mesures ont été effectuées : d’une part les contraintes de déformation (en µm/m) à l’aide de jauges et, d’autre part, les ovalisations par les capteurs positionnés sur les diamètres verticaux des secteurs S2 (équipées de jauges) et M (médiane entre S1 et S2).
Les contraintes
Enregistrées sur les 12 jauges à chaque évolution de phase d’essais, les mesures ont permis de visualiser la répartition des contraintes, mais surtout de situer celles-ci par rapport aux critères limites des matériaux de tuyaux testés. Afin de déterminer ces critères limites sur la fonte et la fibre-ciment, des viroles découpées dans les tuyaux, après les essais en caisson, ont été soumises à écrasement sous presse au Centre de Recherches de Pont-à-Mousson avec le concours du LRPC Nancy (figure 2).
Les déformations sous presse ont été enregistrées en fonction de la charge jusqu’à la limite élastique pour la fonte et jusqu’à la rupture pour la fibre-ciment.
À partir de ces déformations aux limites et en les rapportant à celles mesurées en caisson sous charges statiques, il a été possible d’appréhender des coefficients de sécurité pour chaque configuration d’essai (tableau II).
En rapprochant le coefficient de sécurité le plus faible de chacune des deux jauges 4 ou 10 de la sécurité minimum exigée par le fascicule 70 (1,3 pour la fonte – 1,5 pour l’amiante-ciment), il vient (tableau III) :
Il ressort des résultats expérimentaux que le cas le moins favorable vis-à-vis de la sécurité est : — pour la fonte : la pose avec remblaiement d’argile non compactée, — pour la fibre-ciment : la pose avec remblaiement de sable non compacté. Dans ce cas, la limite de sécurité exigée par le fascicule 70 est atteinte.
Les ovalisations
Les mesures d’ovalisation (modification du diamètre vertical) sont adaptées aux tuyaux « semi-rigides » comme la fonte, ou souples comme le PVC. Le tableau IV donne les ovalisations absolues en mm et les ovalisations relatives en % dans les différents cas de figure.
Tableau I : modules des sols selon les différentes configurations.
Modules | Sable compac. | Sable non compac. | Concassé compac. | Concassé non compac. | Argile compac. | Argile non compac. |
---|---|---|---|---|---|---|
Module comp. simple E1 (kPa) | 14 150 | 2 100 | 11 720 | 3 150 | 3 370 | 625 |
Module édom. E2 (kPa) | 7 580 | 11 300 | 6 280 | 1 690 | 1 810 | 330 |
Module moyen E (kPa) | 10 860 | 1 610 | 9 000 | 2 420 | 2 390 | 480 |
Tableau II : coefficients de sécurité selon les configurations(Sous une charge de terre correspondant à 4 m de hauteur).
Nature du sol | Mode de mise en œuvre | Déform. max. en jauge 4 (µm/m) | Sécurité | Déform. max. en jauge 10 (µm/m) | Sécurité |
---|---|---|---|---|---|
FONTE | |||||
Sable 0/3 compacté | –275 | 0,2 | –398 | 3,6 | |
Sable 0/3 non compacté | –678 | 4,7 | –755 | 3,0 | |
Concassé compacté | –300 | 7,5 | –381 | 5,9 | |
Concassé non compacté | –426 | 5,3 | –263 | 8,5 | |
Argile compactée | –433 | 3,2 | –762 | 3,0 | |
Argile non compactée | –324 | 4,3 | –851 | 2,6 | |
AMIANTE-CIMENT | |||||
Sable 0/3 compacté | –360 | 3,7 | –564 | 2,4 | |
Sable 0/3 non compacté | –818 | 1,7 | –920 | 1,5 | |
Concassé compacté | –485 | 2,9 | –629 | 2,3 | |
Concassé non compacté | –699 | 2,0 | –582 | 2,4 | |
Argile compactée | –554 | 2,6 | –683 | 2,1 | |
Argile non compactée | –560 | 2,5 | –530 | 2,7 |
(1) par rapport à la limite élastique (2) par rapport à la rupture
Pour la fonte, sous la charge maximale simulant 4 m de remblai, le rapport d’ovalisation exprimant la réduction du diamètre vertical ΔD/D du tuyau varie de 0,28 % à 0,68 % selon les configurations.
Si l’on compare le résultat le plus défavorable à la valeur limite admise de 3 % (qui tient compte du revêtement ciment), le coefficient de sécurité est alors de l’ordre de 4,4. On notera que ce coefficient est cohérent avec ceux résultant de l’approche par les contraintes (tableaux II et III).
Pour le PVC, bien que la norme NF P 16-352 précise la méthodologie d’un essai de résistance à la déformation
des canalisations d’assainissement en PVC — essai consistant à déterminer la charge nécessaire pour obtenir la déformation d'un élément de tube égale à 15 % du diamètre nominal — il n’a pas été procédé à ce genre d’essai. La référence retenue ici est la recommandation technique ISO pour PVC, qui donne les valeurs suivantes pour ΔD/D :
— 1 à 3 mois après la pose : 5 %— 2 ans après la pose : 10 % pour les séries 20, 16,5 et 8 % pour la série 25.
À la lecture des résultats enregistrés au cours des expériences de chargement des tuyaux PVC (tableau V), on observe que la déformation maximale est obtenue avec l’argile non compactée ; dans ce cas, la limite ISO est dépassée de 10 % dès la pose de la dernière surcharge. Si l’on tient compte d’un fluage probable au cours de la période de 1 à 3 mois prise en compte par l’ISO, on peut considérer qu’au terme de cette période, l’ovalisation dans la configuration argile non compactée dépassera nettement le seuil requis.
De la même façon, les deux autres configurations non compactées (sable et concassé) seront proches du seuil de 5 % ; en tout état de cause, on notera la très forte différence de comportement du tuyau PVC avec un compactage soigné et ce, quel que soit le matériau. Ceci s’explique par le fait qu’un tuyau rigide comme la fibre-ciment, en se déformant peu, est sollicité par une forte proportion des charges verticales exercées, sans retransmettre ces charges au sol encaissant. Inversement, le tuyau PVC a un comportement flexible. Se déformant…
Tableau III : Coefficients de sécurité calculés et coefficients exigés.
Nature du sol | Sable 0/3 | Concassé | Argile | |||
---|---|---|---|---|---|---|
Mode de mise en œuvre | compacté | non compacté | compacté | non compacté | compacté | non compacté |
FONTE – Sécurité minimum (jauges 4 et 10) par rapp. TE | 5,6 | 3,0 | 5,9 | 5,3 | 3,0 | 2,6 |
Sécurité minimum exigée par le fascicule 70 | 1,3 | |||||
AMIANTE-CIMENT – Sécurité minimum (jauges 4 et 10) par rapp. à rupt. | 2,4 | 1,5 | 2,3 | 2,0 | 2,1 | 2,5 |
Sécurité minimum exigée par le fascicule 70 | 1,5 |
Tableau IV : Ovalisation en mm mesurée sur le diamètre vertical sous la charge maximale (1,9 t/m³ de matériau + 6 t/m³ de surcharge).
Tuyau | Section | Ovalisation | Sable 0/5 | Concassé 3/87 | Argile | |||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
compacté | non compacté | compacté | non compacté | compacté | non compacté | |||
FONTE | ||||||||
S.2 | Δmm | 2,1 | 0,9 | 1,2 | 1,0 | — | 1,7 | |
ΔD/D % | 0,83 | 0,37 | 0,46 | 0,41 | — | 0,54 | ||
M | Δmm | 1,5 | 0,5 | 1,2 | 0,5 | — | 0,7 | |
ΔD/D % | 0,53 | 0,20 | 0,56 | 0,20 | — | 0,25 | ||
P.V.C. | ||||||||
S.2 | Δmm | 11,2 | 1,8 | 8,1 | — | — | 13,8 | |
ΔD/D % | 4,8 | 0,8 | 3,2 | — | — | 3,5 | ||
M | Δmm | 4,1 | 0,2 | 4,6 | — | — | 13,0 | |
ΔD/D % | 1,64 | 0,2 | 1,6 | — | — | 5,2 |
…beaucoup sous les charges, il retransmet celles-ci au remblai. C’est ainsi que la stabilité du complexe sol-tuyau est très fortement tributaire du sol et de son compactage lorsque l’on emploie des tuyaux souples. Les résultats présentés dans le tableau V en apportent confirmation. La stabilité du tuyau souple étant due au sol et à son bon compactage, l’estimation d’un coefficient de sécurité disponible sur un tuyau en remblai compacté n’est plus une valeur intrinsèque du tuyau mais de l’ensemble sol-tuyau, donc très sensible à sa tenue dans le temps.
Dans le tableau VI, ces coefficients non représentatifs du tuyau en milieu compacté n’ont donc pas été calculés.
Conclusion
Trois types de tuyaux : rigide (fibre-ciment), semi-rigide (fonte) et souple (PVC), ont été testés sous charges statiques selon des protocoles strictement identiques.
Les comportements observés sous les charges expérimentales ont été comparés :
— aux contraintes mesurées à la limite élastique lors d’un écrasement sous presse d’un tuyau fonte,
— aux contraintes mesurées à la rupture lors de l’écrasement sous presse d’un tuyau fibre-ciment,
— aux recommandations de la norme ISO pour un tuyau PVC.
Tableau V : pourcentage d’ovalisation du tuyau PVC selon les configurations expérimentales.
ΔD / D |
---|
ΔD / D % sous 4 m de surcharge |
ΔD / D % maxi par ISO, 1 à 3 mois après pose |
Tableau VI : Coefficients de sécurité calculés pour le tuyau PVC.
sécurité mini (ΔD / D % observé) |
---|
ΔD / D ISO |
sécurité mini exigée par le fascicule 70 |
Les coefficients de sécurité en résultant, comparés aux coefficients requis par le fascicule 70 (pour fonte et fibre-ciment) et par la norme ISO (pour le PVC) déterminent la sécurité disponible dans chacun des 18 cas testés.
L’expérience qui a été réalisée permet de situer les domaines et les conditions d’utilisation de chaque type de tuyau :
— tout matériau de remblai propre (sable roulé ou gravier concassé) compacté soigneusement est un gage de pérennité de l’ouvrage,
— ce constat est d’autant plus clair que le tuyau a un comportement plus souple.
L’intégration des coefficients de sécurité, déterminés pour chacune des dix-huit configurations testées, prend toute sa signification dans les choix technico-économiques d’un projet. En effet, à conditions de pose identiques, les matériaux n’offrent pas la même sécurité disponible pour faire face notamment aux aléas liés à la déstabilisation ultérieure des remblais.
En conclusion, lorsqu’un projet nécessite un niveau de sécurité particulier, il est plus sûr de fixer au niveau des matériaux des caractéristiques supérieures, plutôt que d’exiger des conditions de pose sophistiquées et donc aléatoires.