par Jaime COSTA Ingénieur en Génie Chimique de l'Université de PORTO Boursier du Centre International des Étudiants et Stagiaires
et François COLIN Directeur Scientifique de l'Institut de Recherches Hydrologiques à NANCY
I. — ORIGINE DU SULFATE FERREUX RÉSIDUAIRE ET APERÇU DES POSSIBILITÉS DE VALORISATION EN TRAITEMENT DES EAUX USÉES
Le sulfate ferreux cristallisé FeSO₄·7H₂O constitue un déchet issu de deux branches industrielles :
— la sidérurgie où il constitue un sous-produit du décapage sulfurique de l'acier ordinaire et où il est obtenu par refroidissement des bains usés de décapage. Le décapage d'une tonne d'acier produit environ 22 kg de sulfate ferreux pur. En 1974, la production de sulfate ferreux sidérurgique fut de 83 627 tonnes dont 28 % fut mis au crassier et le reste cédé à un prix qui ne dépasse guère le coût du transport ;
— la fabrication du dioxyde de titane à partir de minerai (ilménite) pouvant contenir jusqu'à 50 % de fer. La fabrication d'une tonne de dioxyde de titane conduit au rejet d'environ 4 tonnes de sulfate ferreux cristallisé et l'ordre de grandeur de la production de sulfate ferreux à l'échelle nationale serait de 300 000 tonnes par an. Cette source de production est en régression du fait de l'utilisation de minerai enrichi en oxyde de titane et ne contenant plus de fer (slag).
En dehors du traitement des eaux, les utilisations du sulfate ferreux sont peu nombreuses et sont surtout relatives au domaine de l'agriculture : désinfection des sols, lutte contre la chlorose de la vigne et des végétaux, destruction des mousses dans les prairies et les pelouses, additif d'oligo-éléments dans l'alimentation du bétail. Considérées sur le plan quantitatif, ces utilisations correspondent à des consommations qui ne peuvent en aucun cas régler le problème de l'élimination de la majeure partie du sulfate ferreux résiduaire.
Par contre, la généralisation de l'utilisation de ce produit en traitement des eaux lui assurerait un très large débouché et permettrait simultanément une double action favorable à l'environnement : l'élimination d'un déchet et l'épuration des eaux usées. Encore faut-il que le produit en question conduise à des performances acceptables et à une mise en œuvre intéressante sur le plan économique.
Dans le domaine du traitement des eaux usées, différentes applications sont possibles dont le principe est basé sur les propriétés suivantes :
— le sulfate ferreux est un réactif coagulant susceptible d'agglomérer les particules solides polluantes de très petite taille (colloïdes) contenues dans les eaux usées. Le mécanisme d'action est double : neutralisation de la charge électrique négative des colloïdes par les ions Fe²⁺, et formation d’un précipité d’hydroxyde Fe(OH)₂ susceptible d’adsorber les colloïdes. Il en résulte que le sulfate ferreux ne sera vraiment efficace qu'à pH supérieur à 9,5 qui est la limite de précipitation de l'hydroxyde.
Par contre les sels ferriques contenant l'ion Fe³⁺ seront plus efficaces du fait d'une charge ionique plus importante et d'un pH de précipitation de l'hydroxyde beaucoup plus bas (pH = 4). On aura donc souvent intérêt soit à travailler avec le sulfate ferreux en milieu basique, soit à oxyder les ions ferreux Fe²⁺ en ions ferriques Fe³⁺ préalablement au traitement ou simultanément ;
— le sulfate ferreux éventuellement oxydé in situ est capable de précipiter les ions phosphates en solution sous la forme de phosphate de fer insoluble qui peut ensuite être séparé de l'eau. Cette précipitation des phosphates peut permettre d’éviter les phénomènes d'eutrophisation (prolifération d’algues et pollution qui en résulte) dans les cours d'eau et surtout les lacs.
Les modes d'utilisation possibles du sulfate ferreux en épuration résultent des propriétés précédentes :
Utilisation en traitement d'élimination des matières en suspension décantables et colloïdales
Ce type de traitement est également appelé traitement physico-chimique. Il permet, dans le cas des eaux usées urbaines, d’éliminer environ 80 à 90 % de la pollution insoluble et 65 à 70 % de la pollution organique biodégradable, si bien qu'on peut l'envisager à la place du traitement biologique conventionnel. Le procédé permet, en outre, d’éliminer une partie importante des phosphates présents dans l'eau d’égout. Un traitement complémentaire physico-chimique ou biologique peut être envisagé pour obtenir des performances d’épuration accrues.
Pour ce type de traitement le sulfate ferreux en solution est ajouté à l'eau à traiter, seul ou conjointement avec de la chaux, et après un temps de contact suffisant, la phase solide est éliminée par décantation.
Utilisation en traitement de déphosphatation
Plusieurs possibilités d'utilisation existent :
- — la précipitation lors du traitement physico-chimique direct tel qu’envisagé ci-dessus, on l'appelle également procédé de pré-précipitation ;
- — la précipitation dans le bassin de boues activées d'une station d’épuration biologique. Ce procédé, appelé procédé de précipitation simultanée, présente l’avantage de ne nécessiter aucun investissement supplémentaire au niveau de la station d’épuration sinon le poste de mise en solution et dosage du réactif. D’autre part, l'aération dans le bassin de boues activées permet une oxydation partielle du fer ferreux en fer ferrique qui améliore les performances du procédé ;
- — la précipitation des phosphates dans l'eau sortant d'une station d’épuration biologique conventionnelle. C'est le procédé de post-précipitation. Il présente l’inconvénient de nécessiter des ouvrages supplémentaires : bassin de contact et décanteur.
Utilisation pour la fabrication de réactifs ferriques
Le sulfate ferreux peut être facilement oxydé en sels ferriques par la mise en œuvre d’oxydants puissants. L'utilisation de chlore gazeux conduit à la formation de chlorosulfate ferrique FeSO₄Cl qui est commercialisé et se compare favorablement aux autres réactifs à cations métalliques trivalents (chlorure ferrique, sulfate d’alumine, etc.).
Dans cet article, nous nous attacherons à démontrer les possibilités d’utilisation du sulfate ferreux résiduaire dans le domaine de la déphosphatation des eaux usées urbaines, à partir de résultats tirés d’une recherche systématique menée par l'un des auteurs pour la présentation d’une thèse de doctorat dont la soutenance est imminente (1).
Les travaux réalisés avec du sulfate ferreux sidérurgique ont bénéficié d’une aide financière de l'Institut de Recherche de la Sidérurgie Française (IRSID) que nous tenons à remercier.
Nous exclurons l’étude de l'utilisation du dérivé oxydé, le chlorosulfate ferrique, dont l’application en traitement d’eaux usées a été évoquée dans un récent article de cette revue (2).
II. — Possibilité d’utilisation du sulfate ferreux pour la déphosphatation en traitement physico-chimique direct ou pré-précipitation
Le traitement physico-chimique direct d’eaux usées urbaines a pour but principal l’élimination de la pollution organique (DBO₅ et DCO) des matières en suspension et colloïdales, et doit être optimisé dans ce but. L’élimination concomitante du phosphore ne peut, dans ce cas, être considérée que comme un avantage additionnel mais cependant déterminant dans la comparaison avec les filières concurrentes d’épuration par voie biologique qui donnent lieu au rejet de phosphates.
Une seconde possibilité consiste à combiner un traitement au sulfate ferreux avec une épuration biologique. Dans ce cas, une élimination des composés phosphorés et des matières en suspension (pré-précipitation) est réalisée en amont du traitement biologique. L’élimination du phosphore ne peut être que partielle compte tenu des besoins de la biomasse épuratrice en cet élément nutritif.
Les fonctions décrites ci-dessus peuvent être assurées par des ouvrages de nature et conception différentes.
Nous avons étudié expérimentalement, à l’échelle pilote, l’étage physico-chimique qui intervient dans les deux conceptions de traitement ci-dessus.
II.1. Conception du dispositif expérimental
Nos essais ont été réalisés sur le site de la station d’épuration du SIVOM de Metz avec une installation pilote de coagulation-floculation-décantation lamellaire JEUMONT-SCHNEIDER type JSPAC présentant les caractéristiques suivantes :
- — cuve de mélange : volume réglable de 60 à 100 litres ;
- — cuve de réaction-coagulation : volume de 0,92 à 1,40 m³ ;
- — décanteur lamellaire à courants croisés comportant 12 plaques de surface développée totale de 3 m².
L’alimentation en réactifs (sulfate ferreux, chaux, polyelectrolyte) était assurée par des pompes doseuses.
L’installation a fonctionné en continu pendant plusieurs mois.
II.2. Caractérisation de l’eau à traiter.
L’installation étant alimentée en continu, ces caractéristiques varient évidemment au cours du temps. Les performances d’épuration ont été déterminées à partir de prélèvements moyens successifs effectués sur des périodes de 6 heures. L’analyse ci-dessous donne, à titre d’ordre de grandeur, une composition moyenne journalière :
- — DBO₅ (mg O₂/l) : 218,
- — DCO (mg O₂/l) : 376,
- — Matière en suspension (mg/l) : 158,
- — Phosphore total (mg P/l) : 8,74,
- — Orthophosphates (mg P/l) : 4,38 soit 50 % du phosphore total,
- — pH : 7,20,
- — Fer (mg/l) : 0,55.
II.3. Conduite des essais et résultats obtenus.
Des essais préliminaires ont été réalisés sur floculateur de laboratoire à 4 postes multiples suivant la technique du Jar-Test afin de sélectionner la gamme à explorer pour les paramètres opératoires de l’installation-pilote.
Dans ce cadre, nous avons étudié systématiquement l’influence, sur les rendements d’élimination en P total et DCO, des doses de sulfate ferreux et de chaux (et par conséquent du pH de réaction). Il ressort des résultats de ces essais (que nous ne pouvons reporter ici faute de place) que :
- — les rendements maximaux sont obtenus à un pH voisin de 9, obtenu en pratique par l’adjonction de doses égales en FeSO₄·7H₂O et Ca(OH)₂ ;
- — la gamme de doses de réactif à explorer en pilote s’étend de 100 à 150 mg/l pour chaque réactif.
À la dose optimale indiquée ci-dessus, nous avons étudié l’influence de la durée de réaction dans le compartiment de coagulation et de la vitesse ascensionnelle du décanteur lamellaire. Les courbes donnant les rendements en fonction de ces paramètres montrent qu’une dégradation des rendements se manifeste pour des vitesses ascensionnelles supérieures à 1,5 m/h rapportées à la surface développée des plaques (ou 6 m/h rapportées à la surface au sol du décanteur), et que le rendement maximal d’élimination de DBO₅, DCO et matières en suspension est obtenu avec une durée de contact d’environ 16 minutes, tandis que l’élimination du phosphore requiert une durée d’au moins 20 minutes.
Compte tenu de la concentration initiale des effluents (8 mg P/l), les concentrations résiduelles se situent au niveau de 1 mg P/l. L’effluent traité contient 1,5 mg de fer/litre.
La production de boues, dans les conditions de fonctionnement optimales, est de l’ordre de 180 g de matière sèche par m³ d’eau traitée, sous la forme de boues extraites à la concentration de 2,5 à 3 % de matières sèches avec une teneur en matières volatiles de 40 % des matières sèches.
La concentration de ces boues peut encore être facilement doublée par épaississement gravitaire.
Remarquons que la teneur en métaux lourds de ces boues ne dépasse pas les limites fixées par la norme expérimentale AFNOR U 44-041 pour l’utilisation agricole des boues (sauf pour le chrome où l’on observe un léger dépassement).
III. — POSSIBILITÉS D'UTILISATION DU SULFATE FERREUX POUR LA DÉPHOSPHATATION PAR PRÉCIPITATION SIMULTANÉE
Ce procédé consiste à ajouter du sulfate ferreux en solution dans le bassin de boues activées d'une station d’épuration biologique conventionnelle pour y précipiter in situ les phosphates présents en profitant d’une oxydation partielle par l’air injecté dans les boues activées. Cette solution a déjà fait l’objet d’études réalisées en laboratoire et d’essais effectués en vraie grandeur (3,4). Les avantages attendus en sont les suivants :
- faible coût d’un investissement et de fonctionnement et adaptabilité facile aux installations existantes,
- ne nécessite pas d’oxydation préalable du sulfate ferreux,
- ne produit pas de boues en quantités trop importantes du fait des faibles doses utilisées.
Nous avons étudié les possibilités d'utilisation de ce procédé à l’échelle pilote.
III.1. Conception du dispositif expérimental.
Nos essais ont été effectués à l’échelle pilote de laboratoire, avec des installations alimentées à débit constant en eau brute prétraitée physiquement et comportant : un bassin de boues activées de volume 10 litres à aération par insufflation d’air comprimé, un décanteur secondaire statique à volume réglable, une alimentation par pompe péristaltique et un recyclage de boue du décanteur vers l’aérateur par pompe péristaltique à débit réglable. Les boues en excès étaient extraites périodiquement et manuellement.
Les résultats de ces essais ont été confirmés à l’échelle pilote semi-industrielle avec une installation comportant décanteur primaire de 100 l, bassin d’aération de 400 litres, décanteur secondaire de 120 litres, alimentation et recyclage par pompes volumétriques à débit réglable. L’extraction de boue s’effectuait par pompe programmée.
III.2. Caractérisation de l'eau à traiter.
Ces essais ont été réalisés avec des eaux provenant de l’un des émissaires de l’agglomération nancéienne. Ces effluents furent caractérisés à l’aide de prélèvements représentatifs moyens ou instantanés selon que l’approvisionnement était continu (gros pilote) ou discontinu (pilotes de laboratoire). La composition moyenne des eaux utilisées est indiquée ci-dessous :
DBO₅ (mg O₂/l) | 174, |
DCO (mg O₂/l) | 477, |
Matières en suspension (mg/l) | 186, |
Phosphore total (mg P/l) | 11,85, |
Orthophosphates (mg P/l) | 4,39 soit 37 % du phosphore total, |
Azote total (mg N/l) | 30,39, |
pH | 7,75, |
Fer (mg Fe/l) | 1,66. |
III.3. Conduite des essais et résultats obtenus.
Des essais préliminaires menés à l’échelle du laboratoire à une charge massique de 0,20 kg DBO₅/kg MV·jour
ont permis d’explorer une gamme de doses en sulfate ferreux FeSO₄·7H₂O de 25 à 75 mg/l, soit 5 à 15 mg de fer/litre. Il s’avère qu’une dose de 10 mg de fer/litre, ou 50 mg FeSO₄·7H₂O/litre, est la dose optimale.
L’essentiel de nos essais a consisté à étudier l’influence de la charge massique sur les rendements de déphosphatation et d’élimination de la pollution déterminée par les critères conventionnels (DBO₅, DCO, matières en suspension).
Rappelons que la charge massique constitue le paramètre de base du dimensionnement des installations d’épuration biologique par boues activées, car elle conditionne les rendements d’épuration, la production de boues biologiques en excès, les besoins en oxygène et la décantabilité de la boue activée. Elle s’exprime sous la forme de la quantité de pollution appliquée à l’unité de poids de biomasse épuratrice pendant l’unité de temps (kg DBO₅ par kg de matières volatiles présentes dans le bassin d’activation et par jour). Nos essais ont porté sur 3 valeurs de charge massique (0,1 ; 0,2 et 0,5 kg DBO₅/kg MV·jour). Les rendements d’épuration correspondant aux domaines de faible, moyenne et haute charge habituellement utilisés ont été systématiquement comparés avec ceux obtenus dans des conditions de fonctionnement rigoureusement identiques (installations fonctionnant en parallèle) sans adjonction de sulfate ferreux.
L’ensemble de nos résultats a été transcrit sur les graphiques ci-dessous :
L’ensemble de nos résultats nous permet de conclure sur les points suivants :
- — Dans la gamme de charges massiques explorée, l’addition de sulfate ferreux ne modifie pas sensiblement les rendements d’élimination de la DBO₅ et de la DCO qui, conformément à la théorie, décroissent lorsque la charge massique augmente.
- — L’addition de sulfate ferreux exerce un effet favorable significatif sur l’élimination de l’azote total, et surtout dans le domaine des fortes charges massiques. Cet effet est difficile à apprécier compte tenu de la multiplicité des paramètres qui peuvent intervenir (entraînement de l’azote sous forme de biomasse en excès, dénitrification). En général, les concentrations en nitrites et nitrates sont plus élevées dans le cas de l’épuration biologique avec addition de sulfate ferreux, ce qui signifierait que l’addition de ce réactif favorise la nitrification.
- — L’effet le plus important constaté porte sur les rendements de déphosphatation nettement plus élevés dans le cas de l’utilisation de sulfate ferreux en précipitation simultanée. On peut ainsi attendre des rendements de déphosphatation de l’ordre de 80 % à faible et moyenne charge et 70 % à haute charge. Compte tenu de la concentration en phosphore total dans l’eau à traiter (12 mg P/l), les concentrations résiduelles après traitement se situent encore au niveau de 2 mg P/l, dont la répartition entre orthophosphates et autres composés phosphorés semble liée à la charge massique appliquée (88 % d’orthophosphates à faible charge, 40 % à moyenne charge, 29 % à haute charge).
- — La concentration résiduelle en fer de l’eau traitée s’est située, dans tous les cas, au voisinage de 1 mg Fe/litre.
En ce qui concerne l’exploitation des installations, l’injection de sulfate ferreux dans le bassin de boues activées se traduit par :
- 1° une amélioration de la décantabilité des boues activées mise en évidence par la diminution de l’indice de Mohlman (volume en ml occupé après 1/2 heure de décantation par une quantité de boue contenant 1 gramme de matière solide sèche). Cette diminution est la conséquence d’un alourdissement du floc bactérien dont le pourcentage en matière minérale, plus dense que la matière organique, s’accroît. Le tableau suivant illustre l’influence de l’apport de sulfate ferreux sur l’indice de Mohlman et la teneur en matières volatiles de la phase solide des boues en fonction de la charge massique (voir tableau 1) :
Tableau 1. — Valeurs moyennes du taux de matières volatiles des boues activées et de l’indice de Mohlman.