Le fonctionnement des modules d'osmose inverse entraîne l'apparition d'un dépôt à la surface de leur membrane. Ce colmatage conduit à une diminution des performances de la membrane en terme de réjection et de perméabilité. Différentes procédures de décolmatage, visant à réhabiliter ces performances, existent. Nous proposons d'examiner l'influence de cycles de nettoyage à l'acide peracétique sur le rendement hydraulique et la capacité de réjection. Les résultats expérimentaux ont montré que cette procédure entraîne une amélioration de la réjection au prix d'une forte baisse du débit de perméation. Ces phénomènes sont expliqués par la compaction du dépôt colmatant.
Les résultats expérimentaux ont montré que cette procédure entraîne une amélioration de la réjection au prix d’une forte baisse du débit de perméation. Ces phénomènes sont expliqués par la compaction du dépôt colmatant.
L’osmose inverse est actuellement un des moyens les plus utilisés pour obtenir de l'eau ultrapure en milieu industriel. Son utilisation en milieu hospitalier permet notamment de produire l'eau ultrapure nécessaire à la dialyse rénale (Riondet et al., 1991). 20 000 malades sont dialysés chaque jour en France pour un coût supérieur à 10 milliards de francs. L'eau ultrapure sert de liquide de dilution dans la fabrication du bain de dialyse à partir d'une solution pharmaceutique concentrée. Elle doit être apyrogène et stérile pour éviter les risques de fièvre et de septicémie chez les patients et être débarrassée de la quasi-totalité des ions afin de ne pas perturber la composition du bain de dialyse (Mion et al., 1989). Certains ions, en général inoffensifs, deviennent toxiques par effet d’accumulation chez les déficients rénaux (Leroux-Robert et al., 1990).
L’osmose inverse est précédée d'un prétraitement visant à protéger au maximum les membranes. Le vieillissement des membranes d’osmose inverse et l'apparition progressive d'un film colmatant entraînent un risque non négligeable d’apparition de substances toxiques dans le perméat délivré aux patients : germes (Durham, 1989 ; Roth et al., 1996 a), endotoxines provenant de la décomposition de la membrane des bactéries présentes dans l'eau du réseau (Agui et
al., 1992), ions (Roth et al., 1996 a).
Les signes de colmatage d'une membrane d'osmose inverse se traduisent par (Durham, 1989; Flemming et Schaule, 1988; Ridgway, 1988) :
- une baisse du débit de perméation pour une pression appliquée identique
- une augmentation de la perméabilité de la membrane aux solutés
- une augmentation de la teneur en bactéries dans le perméat.
En dialyse rénale, l’exigence d’une eau stérile et débarrassée de la quasi-totalité des ions implique la nécessité d’effectuer régulièrement des cycles de nettoyage chimique. L’objectif de notre travail est d’examiner l’influence de ces cycles sur les performances d’une membrane colmatée en termes de rendement hydraulique, de capacité de réjection et d’évolution de la conductivité.
Matériels - produits - méthodes
Installation
Nos essais ont été effectués sur une installation d’osmose inverse hospitalière Mediro-Labro (figure 1) fournie par le service de néphrologie de l'Hôpital de Colmar et dont les performances en termes de réjection et de conductivité ne permettaient plus l’utilisation en distribution hospitalière.
La membrane étudiée est en polyamide, spiralée, et ses caractéristiques ont été données par Connelley et Whitmore (1972). Cette membrane est supportée par un média poreux dont le diamètre des pores est compris entre 15 et 500 Å. L’épaisseur totale de la membrane est de 21.10⁻⁶ m. Deux feuilles de membrane (L = 0,93 m, l = 0,32 m) sont séparées par un filet espaceur. La surface active de la membrane est de 4,2 m².
Cycles de nettoyage
La solution utilisée est le DIALOX : mélange d’acide peracétique, d’acide acétique et d’eau. Un cycle de nettoyage correspond à la circulation en circuit fermé de 120 ml de DIALOX dilués dans 3,5 l d’eau. Nous avons effectué des cycles poussés de 8 heures (cycles 1, 3, 4) et de 9 heures (cycle 2) pour en visualiser les effets.
Après chaque cycle, nous avons mesuré les débits d’alimentation, de rejet et de perméat pour une pression d’alimentation appliquée s’élevant à 160 psi. La conductivité dans les trois courants est relevée. Lors de ces manipulations, la température est de 17,5 ± 0,5 °C. Des prélèvements sur l’alimentation, le rejet et le perméat sont réalisés. Les ions potassium, calcium, magnésium, sodium, chlorures, sulfates et nitrates y sont dosés. Ils sont tous en présence significative dans l’eau du réseau, mais surtout leur absence dans le perméat délivré aux malades est indispensable pour éviter des risques pathologiques.
Dosage des ions
Les ions sont dosés par électrophorèse capillaire Waters Quanta 4000 en utilisant la technique CLA (Capillary Ion Analysis) (Roth et al., 1996b). Le potentiel d’analyse est de 20 kV, le courant de 19 mA. Le capillaire est constitué de silice fondue (0,75 µm x 60 cm), la détection s’effectue par lampe à vapeur de mercure à 254 nm pour les anions et à 185 nm pour les cations.
Les électrolytes utilisés comme éluants présentent une forte absorbance à la longueur d’onde sélectionnée et sont composés :
- d’un mélange de 4,6 mM en chromate de potassium et de 0,5 mM en tensioactif OFM-OH pour le dosage des anions. Le pH est ramené à 8,1 par ajout de quelques gouttes d’acide borique.
- d’un mélange de 60 mg d’UVCAT2 (une amine), de 30 mg de tropolone (complexant bivalent permettant une meilleure séparation des ions calcium, sodium et potassium) et de 52,8 mg de 18 crown-6 ether (séparant les ions ammonium par complexation) pour la préparation de 100 ml d’électrolyte dans le cadre du dosage des cations.
Les limites de détection (ld) des ions sont de 350 ppb pour les anions et de 100 ppb pour les cations.
Résultats expérimentaux - discussions
Étude des propriétés hydrauliques et de la réjection
La réjection R d’une membrane est caractérisée par (Kimura, 1995) :
(1)
où C₀ et C₁ sont respectivement les concentrations du soluté à la surface de la membrane et dans le perméat. R dépend du débit de perméation Q₀ (m³·s⁻¹) et de B (m·s⁻¹), la
perméabilité de la membrane au soluté selon la relation :
\(R' = \dfrac{K_a - K_p}{K_a}\) (2)
où S représente la surface de la membrane (m²).
Nous avons accès à la conductivité κ, qui est proportionnelle à la concentration. Nous pouvons donc exprimer R’ représentatif de la réjection R par
(3)
D’autre part, la perméabilité de la membrane au solvant pur, A, est fonction du débit de perméation (Dickson et al., 1992) :
\(Q_p = A \cdot \Delta P\) (4)
Nous constatons qu’après chaque cycle de nettoyage, les débits de perméation diminuent fortement, et ce jusqu’à 75 % du débit initial après le cycle 4. Les débits d’alimentation diminuent également suivant la baisse des débits de perméation (figure 2). Parallèlement, nous observons que la réjection en conductivité R’ augmente (figure 3). D’après l’équation (2), on peut relier la tendance de B à celle de R’ : en effet, la forte diminution de Qp constatée expérimentalement (figure 2) ainsi que l’augmentation simultanée de R’ (figure 3) nécessitent la diminution de B.
D’après l’équation (4), la tendance de A est liée à celle de Qp : la perméabilité de la membrane au solvant diminue donc après chaque cycle.
Kimura (1995) a relié les variations de la perméabilité de la membrane au solvant pur, A, et celle au soluté, B, aux différents mécanismes d’usure des membranes. Ainsi, une baisse de A avec B constant indique une compaction de la couche colmatante ; une diminution simultanée de A et B traduit la compaction simultanée de la membrane et du film colmatant ; une augmentation de B ou de A et B simultanément signifie une altération de la structure de la membrane par décomposition chimique.
Suite à l’observation des variations de A et B constatées précédemment, nous en concluons que les lavages successifs entraînent une compaction de la membrane comme du film colmatant.
Étude des conséquences de la compaction du film colmatant sur les phénomènes de transport dans la membrane
Nous avons étudié les bilans massiques pour chaque ion i afin de mettre en évidence les phénomènes d’accumulation et de relargage des espèces dans le film colmatant.
Pour tout composé i, en supposant que l’installation soit équivalente à un système homogène de volume V, le bilan massique en mg·h⁻¹ s’écrit :
\(Q_a \cdot C_a = Q_p \cdot C_p + Q_r \cdot C_r + V \cdot \dfrac{dC'}{dt}\) (5)
avec Qa, Qp, Qr les débits en L·h⁻¹ de l’alimentation, du perméat et du rejet, et Ca, Cp, Cr la concentration de l’ion i dans l’alimentation, le perméat et le rejet pour x respectivement égal à a, p et r.
Le terme \(\dfrac{dC'}{dt}\) est nul en régime permanent, positif dans le cas d’une accumulation et négatif dans celui d’un relargage.
Notons \(M_i'\) la masse totale par unité de temps du composé i détectée en sortie de l’osmoseur dans le rejet et le perméat :
\(M_i' = Q_p \cdot C_p + Q_r \cdot C_r\) (6)
Dans le cas d’une accumulation dans le film colmatant :
\(Q_a \cdot C_a > M_i'\) (7)
On définit x, le pourcentage d’accumulation, selon :
\(x = \dfrac{Q_a \cdot C_a - M_i'}{Q_a \cdot C_a}\) (8)
Dans le cas d’un relargage :
\(M_i' > Q_a \cdot C_a\) (9)
On définit y, le pourcentage de relargage, selon :
\(y = \dfrac{M_i' - Q_a \cdot C_a}{M_i'}\) (10)
Le tableau 1 regroupe les valeurs de x précédées d’un signe positif (symbolisant le phénomène d’accumulation dans le film colmatant) et celles de y par un signe négatif (relargage). Nous observons une très forte accumulation des ions lors de la mise en route de l’installation (mis à part le potassium qui est relargué). Le fonctionnement de la membrane stabilise le système et l’on constate, à partir du deuxième cycle de stérilisation, que les bilans massiques sont bouclés au maximum à 10 % près malgré parfois quelques valeurs élevées de relargage (potassium lors du cycle 3 et chlorures lors du cycle 4). Cette stabilisation peut s’expli-
Tableau 1 : Bilans massiques sur chaque espèce ionique en pourcentage d’accumulation dans le film colmatant (+) ou de relargage (–)
K⁺ | Ca²⁺ | Na⁺ | Mg²⁺ | Cl⁻ | SO₄²⁻ | NO₃⁻ | |
---|---|---|---|---|---|---|---|
état initial | –1,09 | +3,4 | +16,5 | +31,7 | +31,2 | +3,9 | +39,9 |
cycle 1 | –11,5 | +23,5 | +10,3 | +20,9 | +18,9 | +19,1 | +59,7 |
cycle 2 | –6,8 | +8,3 | +3,3 | +8,4 | +4,8 | +1,2 | +5,1 |
cycle 3 | –1,6 | +8,3 | –2,7 | +9,6 | +5,9 | +1,2 | +2,1 |
cycle 4 | –5,3 | +0,6 | –7,3 | +8,6 | –32,9 | –1,0 | –9,4 |
Le phénomène est gouverné par la concentration de polarisation qui exprime, en régime permanent, la concentration du soluté au voisinage de la membrane :
Cₘ – C_p ------------------------- = exp (Q_s δ / D) (11) C_a – C_p
où D représente la diffusion moléculaire du soluté dans la solution (m²·s⁻¹) et δ l’épaisseur de la couche limite de diffusion (m). En fait, lorsque le film colmatant se compacte, l’épaisseur δ de la couche de concentration de polarisation diminue.
Ainsi, d'après (11), la concentration du sel à la surface de la membrane baisse (Urama et Marinas, 1997), ce qui empêche une forte accumulation.
La diminution de l’intensité du phénomène de concentration de polarisation implique également la diminution du gradient de concentration de part et d'autre de la membrane et donc l’augmentation de la réjection de la membrane.
Conclusion
L’application répétée et intensive de cycles de nettoyage sur une membrane d’osmose inverse colmatée permet certes d’améliorer ses propriétés de réjection (3 %), mais surtout elle occasionne une baisse du débit de perméation de 75 %. Cela est dû majoritairement aux compactions de la couche de colmatant et de la membrane.
L'inefficacité des procédures s’explique par leur application tardive sur un colmatage irréversible. Le nettoyage n’a pas contribué à extraire le colmatant. Il faudrait prévoir un entretien régulier des membranes avec des nettoyages dès les premiers mois d'utilisation afin de prévenir un colmatage irréversible.