L'effluent liquide issu de la culture des levures boulangères est un rejet riche aussi bien en matière organique bioassimilable qu'en élément biogénique. Le caractère néfaste de l'effluent et l'importance de son volume nécessitent un traitement local. On considère que l'utilisation de la bioconversion contrôlée pourrait considérablement réduire la charge polluante sur les milieux récepteurs. Cet article comprend les résultats d'une étude qui consiste à utiliser un fermenteur isoparamétrique à microflore aérobie sélectionnée pour le traitement de l'effluent en question.
L’usine de Oued-Smar de production des levures boulangères a été mise en service en 1976 pour une capacité de 20 000 tonnes de levures sèches par an. Le produit est fabriqué à partir de la culture de la microflore Saccharomyces cerevisiae, sur un substrat constitué principalement d’un mélange de 2/3 de mélasse de betterave locale et de 1/3 de mélasse de canne à sucre importée. L’eau d’alimentation, qui est en volume de 550 m³, est assurée par eau souterraine à partir d’un forage situé dans le périmètre de l’usine. Les quantités d’eau acheminées vers la chaîne de production aussi bien avec la matière première que par la conduite d’alimentation, durant le processus technologique, subissent des variations sur le plan quantitatif et qualitatif, en donnant la quantité d’eau résiduaire de 1300 m³/j (rapport Bate, 1989). Cette eau renferme les constituants les plus variés, dont la matière organique, le plus souvent riche en énergie. En l’absence d’un système de traitement local, cette quantité d’eau résiduaire est pratiquement rejetée brute de pollution organique dans un émissaire qui rejoint une station de pompage qui donne à son tour dans une galerie qui l’achemine vers la station d’épuration de Baraki, de traitement biologique des eaux résiduaires urbaines et industrielles. Cet effluent peut causer des désordres de structure aux ouvrages de collecte et d’évacuation d’une part et risque de perturber le fonctionnement normal de la station d’épuration et de l’écosystème. Par conséquent, un traitement local de cet effluent est indispensable.
Objectif de l’étude
Les travaux décrits dans cet article ont été réalisés au Laboratoire de Génie de l’Environnement du Centre de développement des techniques nucléaires. Ils avaient pour objet l’identification de la charge polluante de l’effluent et l’optimisation du processus de traitement, en utilisant un fermenteur isoparamétrique à microflore constituée de bactéries sélectionnées.
Technique de traitement
L’effluent prélevé du collecteur des eaux de séparation des cellules du moût de fermentation, après l’enrichissement en nutriments azotés et phosphatés monopotassiques, jusqu’au rapport DBO₅ : N/P = 100-150 : 5 : 1, traverse de bas en haut à différents débits (charge hydraulique) la zone brassée et aérée du réacteur thermostaté à 30 °C (figure 1), qui contient une microflore constituée de bactéries sélectionnées, plus compétitives vis-à-vis du substrat et plus tolérantes aux variations de la charge. L’aération est assurée par un flux d’air à débit de 45-50 l/h injecté à équi-courant dans la partie inférieure. La liqueur mixte est ensuite évacuée vers un clarificateur d’un volume de 5 l. La biomasse décantée est sucée du fond du fermenteur par une pompe, alors que l’évacuation de l’effluent clarifié se fait par déversement à la périphérie. L’une comme l’autre sont recueillies dans des flacons et soumises par la suite aux analyses physiques et physico-chimiques.
Culture de la microflore
L’installation des populations bactériennes sélectionnées à partir des boues prélevées des parois du collecteur des effluents issus de la séparation des levures a pris environ six semaines. L’alimentation de la microflore en substrat est séquentielle les deux premières semaines : 0,5 l tous
Les jours, soit 3,2 g DCO/j. Au-delà de la deuxième semaine, l’alimentation appliquée est continue, en faisant augmenter la charge massique progressivement dans l’intervalle de 0,8 à 10 g DCO/j. La croissance des bactéries est suivie par des examens microscopiques, effectués à des intervalles de temps réguliers pendant le programme. Par ailleurs, l’étude morphologique révèle que la microflore la plus dominante est du genre Pseudomonas, Bacillus, Leuconostoc, Lactobacillus et Candida.
Nature de l’effluent
Nous donnons ci-après les caractéristiques générales de l’effluent. Il est à noter que ces caractéristiques constituent un outil indispensable dans le choix du procédé de traitement (Proskolarov, Schmidt, 1987).
Les résultats analytiques du tableau 1 révèlent pour l’effluent une charge polluante élevée, de 20 000 à 25 000 mg/l de DCO et de 6 000 ~ 8 000 mg/l de DBO5. Il convient donc de l’éliminer au maximum, surtout si l’on procède en plus à son recyclage. Le pH de cet effluent est neutre (6,2 - 7), alors que sa salinité et sa dureté sont élevées, ce qui confirme l’existence d’une quantité de matière minérale suffisante pour le développement microbien, et en outre un apport considérable en azote et en phosphore. La teneur élevée en matière minérale est en rapport avec la qualité de la mélasse, des coagulants et des sels, sources des éléments biogéniques ajoutés dans le substrat. Or, la stérilisation des équipements par l’eau de Javel à une quantité de 300 à 350 litres par fermentation (rapport B.A.T.E., 1989) induit une teneur de 150 à 200 mg/l de chlorures dans l’effluent, sous forme de chlore actif et organique, composé indésirable et difficile à éliminer biologiquement (Christophe, Philippe, 1995). La couleur de l’effluent peut être expliquée par la présence de matière organochlorée, de matière humique acheminée par la mélasse et du caramel formé durant le processus technologique de production. Par ailleurs, la présence de matière humique comme celle du caramel dans l’effluent constitue l’étendue de matières réfractaires, dont les quantités élevées auront le même impact que celui de la matière organochlorée vis-à-vis de l’activité microbienne.
Optimisation du processus de traitement
Les performances de la biooxydation dans un fermenteur isoparamétrique
Tableau I
Caractéristiques générales de l’effluent liquide de levurerie.
D.C.O mgO₂/l | 20 000 - 25 000 |
D.B.O₅ mgO₂/l | 6 000 - 8 000 |
pH | 6,2 - 7,0 |
TH mé/l | 25 - 30 |
TAC mé/l | 7 - 9 |
Matière sèche g/l | 18 - 20 |
Matière organique g/l | 10 - 13 |
Matière minérale g/l | 6 - 7 |
Azote total mg/l | 580 - 620 |
Azote ammoniacal mg/l | 100 - 120 |
Phosphore total mg/l | 120 - 140 |
Nitrates mg/l | 300 - 350 |
Sulfates mg/l | 50 - 70 |
Chlorures mg/l | 150 - 200 |
Couleur °(Pt.Co) | 1000 - 1500 |
sont étroitement liées aussi bien à la nature du substrat qu’à la charge massique spécifique qui représente la relation entre la pollution et la concentration de la biomasse responsable à la bioconversion. Elle est exprimée en g ou en kg DCO/kg·jour (Yakovlev et al., 1985). Les données expérimentales du tableau 2 montrent que la réduction de la charge massique spécifique, qui est inversement proportionnelle au temps de séjour de l’effluent dans le fermenteur, entraîne un accroissement de l'abattement de la pollution. En effet, les faibles charges massiques correspondent à des rendements épuratoires élevés ; par contre, les fortes charges correspondent à des rendements épuratoires plus faibles. La charge massique expérimentale optimale se situe entre 1,06 et 1,27 g/g, ce qui correspond à un temps de rétention de 8 à 10 heures et à un taux d’abattement en DCO et DBO respectivement de 71,7 à 72,7 % et de 75,2 à 76,5 %.
Dans les conditions opératoires, les principaux paramètres du processus – la DCO stationnaire, le rendement en biomasse et la vitesse de bio-oxydation – sont en corrélation avec la charge massique spécifique (figures 2, 3 et 4). Les points sont distribués sur des droites dont l’équation est de type « Y = Ax + b ». Chaque point sur les figures représente la valeur moyenne de chaque régime. La corrélation entre la charge et la DCO stationnaire est excellente (R = 0,99). Elle l’est également entre la charge massique et la vitesse de bio-oxydation (0,95), alors qu’entre la charge massique spécifique et le rendement, la corrélation est de R = 0,81.
Les équations de cette corrélation peuvent être déterminées par la méthode des moindres carrés, en donnant les relations suivantes :
Sst = + 0,5 G + 1,02 P = + 0,4 G + 3,58 V = + 0,07 G + 0,06
Sst : D.C.O stationnaire, g/l P : Biomasse produite, g/l G : Charge spécifique, g/g·jour V : Vitesse de bio-oxydation, g/g·h
En fait, le contrôle de l’activité bactérienne dépend du temps de séjour et du maintien d’un bon rapport entre les nutriments absorbés et la production de la biomasse qui est basée sur la vitesse de croissance. Cette dernière est le paramètre physiologique principal caractérisant la cinétique de la culture en dépendant de la concentration du substrat (Edeline, 1988). Selon Pirt (1975), dans un système isoparamétrique, la microflore se produit à une vitesse de croissance spécifique (μ) constante, égale au taux de dilution (D). Sa détermination fait recours à plusieurs modèles mathématiques, dont les plus utilisés sont ceux établis par Monod et Haldane.
Modèle de Monod
μmax · Sst μ = D = ——————————— Ks + Sst
Modèle de Haldane
μmax · Sst μ = D = ——————————————— Ks + Sst + Sst²/Ki
μ : taux de croissance, h⁻¹ μmax : taux de croissance maximal, h⁻¹ Ks : constante de saturation, masse/unité de volume Ki : constante d’inhibition, masse/unité de volume
L’équation de Haldane peut être généralisée en y incorporant un terme d’inhibition par le substrat (Powel, 1967). En comparant ces deux modèles, il a été remarqué sur la figure 5 que dans le modèle de Haldane l’activité microbienne atteint un maximum, puis rechute avec une certaine inhibition, qui est exprimée par Ki. Par contre, dans le modèle de Monod la cinétique choisie ne fait pas intervenir ce dernier (Berijine et Varfolomeev, 1979). D’ailleurs, nous allons voir quel est le modèle qui décrit tout l’ensemble des phénomènes constituant le processus de la bioconversion, afin de déterminer ses coefficients cinétiques.
Tableau II
Effet de la charge massique sur l’élimination de la pollution de l’effluent.
Charge massique | Temps de rétention | DCO brute | DCO traitée | Rend. | DBO₅ brute | DBO₅ traitée | Rend. |
---|---|---|---|---|---|---|---|
g DCO/g·jour | h | mg O₂/l | mg O₂/l | % | mg O₂/l | mg O₂/l | % |
4,87 | 4 | 5609 | 3367 | 39,9 | 1050 | 440 | 58,1 |
2,57 | 6 | 5566 | 2595 | 53,37 | 1100 | 436 | 60,3 |
1,27 | 8 | 5637 | 1590 | 71,7 | 1060 | 263 | 75,2 |
1,06 | 10 | 5623 | 1525 | 72,7 | 1080 | 254 | 76,5 |
0,97 | 12 | 5583 | 1449 | 74,0 | 1050 | 227 | 78,3 |
Modèle de Haldane
Sst 1 D = μmax · ——— + μmax Ks + Sst + Sst/Ki
On obtient l’équation suivante (linéarisation de l’équation en déterminant les valeurs de μmax, Ks et Ki) :
ΔY μmax 1 —— = ——————— (Sstₙ + Sstₙ₊₁) + —— ΔX Ki μmax
Ayant obtenu une forme linéaire du modèle de Haldane, on détermine la droite de corrélation en partant de ΔY/ΔX = f(Sstₙ + Sstₙ₊₁) (figure 6). Les points sont distribués sur une droite (coefficient de corrélation : 0,0047), dont l’équation est :
ΔY/ΔX = 0,028 (Sstₙ + Sstₙ₊₁) – 17,35
Étant donné que le coefficient de corrélation est de valeur presque négligeable, le modèle de Haldane est loin du modèle réel, et ne peut donc servir de base pour l’optimisation du processus.
Modèle de Monod
μ = D = \(\frac{\mu_{max} \cdot S_{st}}{K_s + S_{st}}\)
peut s’écrire :
\(\frac{1}{D} = \frac{K_s}{\mu_{max}} \cdot \frac{1}{S_{st}} + \frac{1}{\mu_{max}}\)
On porte la valeur de 1/D en fonction de 1/Sst sur la figure 7 ; on trouve que les points sont presque sur une même droite, dont l’équation est :
\(1/D = 11{,}44 \cdot 1/S_{st} + 0{,}66\)
La corrélation entre les valeurs 1/D et 1/Sst est excellente : 0,93. Donc le modèle de Monod est adéquat au phénomène de bioconversion réel. La meilleure corrélation a été obtenue pour une concentration stationnaire de 1,85 g/l. De la représentation de Lineweaver-Burk (figure 7) on détermine que \(\mu_{max} = 1{,}51 \, \text{h}^{-1}\) et \(K_s = 17{,}54 \, \text{mg/l}\), et la fonction \(D = f(S_{st})\) s’écrit comme suit : \(D = \frac{1{,}51 \cdot S_{st}}{17{,}54 + S_{st}}\).
Si la concentration stationnaire (Sst) est égale à la concentration du substrat au niveau de l’alimentation (S0), qui est de 4 g/l, le taux de dilution atteint la valeur critique.
Dans les conditions où le taux de dilution \(D > D_c\), on obtient le lessivage des micro-organismes. En conséquence, la population microbienne diminue progressivement dans le fermenteur jusqu’à devenir nulle. Dans les conditions opératoires et au taux de dilution normal :
\(D_{op} = \mu_{max} \cdot \left(1 - \frac{1}{\mu_{max}}\right)\)
l’effluent a un temps de rétention de 7 heures (temps de rétention optimal).
À partir de la relation trouvée entre la charge massique spécifique et la DCO stationnaire (\(S = 0{,}5 \, G + 1{,}02\)), en mettant \(S = S_{stop} = 1{,}85 \, \text{g/l}\), il résulte que \(G_{op} = 1{,}66 \, \text{g/g·j}\). Dans ces conditions et avec les relations « P = 0{,}4 \, G + 3{,}58 » et « V = 0{,}07 \, G + 0{,}06 », il résulte un rendement en biomasse microbienne et une vitesse de bio-oxydation optimaux, respectivement \(P_{op} = 3{,}83 \, \text{g/g·jour}\) et \(V_{op} = 0{,}18 \, \text{g/g·h}\).
Selon la loi de Malthus (\(P = D \cdot X\)), la concentration optimale de la microflore dans la zone d’aération est : \(X_{op} = \frac{P_{op}}{D_{op}} = 1{,}14 \, \text{g matière sans cendres/l}\). Alors que, dans les conditions optimales ci-dessus, le coefficient de conversion biomasse/substrat
\(Y = \frac{X_{op}}{S_0 \text{ ou } S_{stop}} = 0{,}53\).
Conclusion
Les résultats obtenus pourraient être utilisés pour l’étude et l’analyse du fonctionnement d’un fermenteur isoparamétrique, destiné à la bio-oxydation aérobie des effluents de lévurerie à l’échelle industrielle.
La mise en place d’un fermenteur isoparamétrique de traitement aérobie de l’effluent de lévurerie en utilisant des micro-organismes appropriés est un moyen efficace de réduction de la pollution et de production de biomasse microbienne pouvant être valorisée par la suite à des fins industrielles ou agricoles. Cette opération d’épuration constitue donc une perspective dans le traitement local des effluents des industries de fermentation.
BIBLIOGRAPHIE
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Rapport du Bureau Algérien des Techniques de l’eau, 1989.