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Étude comparative de mesure de la turbidité sur différentes eaux

30 octobre 2002 Paru dans le N°255 à la page 125 ( mots)
Rédigé par : Antoine MONTIEL et Bénédicte WELTé

Le nouveau décret 2001-1220 impose des niveaux de turbidité différents suivant le type d'eau analysé (robinet du consommateur, point de mise en distribution). Depuis longtemps, la SAGEP a mis en place sur ses différentes installations un suivi en continu de la turbidité sur l'ensemble des eaux : eaux de sources, eaux de surface, eaux en cours de traitement, produites et distribuées). Le changement de norme européenne sur la mesure de la turbidité a montré des divergences de résultat entre les différents appareils suivant qu'ils utilisaient l'ancienne norme ou la nouvelle norme. Cette étude résume certains essais comparatifs effectués. Elle montre que pour un type d'eau connu, on peut établir une corrélation entre les deux mesures, mais que aucun coefficient ne peut être appliqué à des eaux d'origines différentes.

Cette étude résume certains essais comparatifs effectués. Elle montre que pour un type d’eau connu, on peut établir une corrélation entre les deux mesures, mais qu'aucun coefficient ne peut être appliqué à des eaux d’origines différentes.

Le nouveau décret français 2001-1220 du 20 décembre 2001 (1) impose dans ses annexes des niveaux de turbidité différents suivant la qualité de l'eau : 0,5 FNU pour les eaux subissant un traitement de filtration, 1 FNU pour les eaux entrant dans le réseau de distribution et 2 FNU au robinet du consommateur (annexes I-1 et I-2 du décret). Ce paramètre joue un rôle très important comme paramètre indicateur d'efficacité de traitement.

En effet, la turbidité dans les eaux brutes est due à de fines particules en suspension, matières colloïdales en général argileuses ou limoneuses. Ces particules très fines sont de bons adsorbants pour les micropolluants organiques et les métaux lourds, et sont également de très bons supports pour les microorganismes. La turbidité est donc un bon indicateur de traitement de filtration, mais elle joue également un rôle sur la qualité microbiologique de l'eau, puisqu’elle peut interférer sur les traitements de désinfection chimique : certains microorganismes sont protégés et ne sont donc pas touchés par les désinfectants.

Il a déjà été montré (2) que l’abattement des germes test de contamination fécale par un traitement de coagulation-floculation-décantation était fonction de la turbidité résiduelle.

Pour les eaux souterraines, des corrélations ont été établies entre les pointes de turbidité et la présence de parasites (3).

Ce paramètre est donc particulièrement important pour les producteurs et les distributeurs, et l'analyse en continu de ce paramètre permet l’optimisation des filières de traitement et est un indicateur indirect de la bonne qualité de l'eau traitée.

La SAGEP, dès 1992, a équipé l'ensemble de ses sites d’analyseurs en continu à la fois sur les eaux souterraines et les filières de traitement d'eau de surface à toutes les étapes de traitement.

L'ensemble des turbidimètres installés était conforme à la norme NF T 90-033 (4) (mesure de la lumière diffractée à 90 °, la longueur d’onde du faisceau émetteur étant inférieure à 500 nm). L’étalonnage se faisait avec des solutions de formazine et l’unité employée était le NTU (nephelometric turbidity unit).

Une nouvelle norme européenne de mesure

Tableau 1 : Comparaison de la fidélité obtenue avec différents appareils de laboratoire

de la turbidité a été publiée en décembre 1999 (5). Le principal changement amené par cette norme est la longueur d'onde de la lumière incidente, l’étalonnage se faisant toujours avec des solutions de formazine, mais l’unité employée est aujourd’hui le FNU (formazine nephelometric unit).

Nous avons donc comparé les résultats obtenus avec les deux méthodes de mesure sur l'ensemble des eaux brutes (eaux souterraines ou eaux de surface), et les eaux produites par la SAGEP afin de mesurer l’impact du changement de méthode d’analyse sur les résultats de turbidité.

Rappels sur les mesures de la turbidité

La mesure de la turbidité est une mesure optique basée sur la diffraction de la lumière sur les particules. L'intensité de la lumière diffractée est fonction de la concentration, du diamètre des particules, de l’angle de mesure, de la longueur d’onde de la lumière, et de l'indice de réfraction des particules. Selon les dimensions de la particule colloïdale, une partie de l’énergie émise par la source lumineuse est dispersée. Il n’y a diffusion par réflexion que si le diamètre des particules est inférieur ou égal à λ x 20. Le rapport entre le diamètre des particules et la longueur d’onde joue un très grand rôle : la théorie de Gustave Mie (6) est très importante : quand le diamètre de la particule est plus petit que la longueur d’onde de la lumière, il en résulte une pure diffusion Rayleigh. Mais, si le diamètre de la particule est plus grand que la longueur d’onde de la lumière, la diffusion vers l'avant devient pratiquement indépendante du diamètre.

Pour les petites particules, la diffusion est proportionnelle au cube du diamètre, alors que pour les grosses particules, elle est proportionnelle à l’inverse de celui-ci (7). L’angle d’observation est également très important puisque les particules ne diffusent pas toujours la lumière dans la même direction.

L'intensité de la lumière diffractée diminue quand la longueur d’onde augmente. Cet effet est d’autant plus prononcé que la taille de la particule est petite.

La norme EN ISO 7027 (5) a imposé une longueur d’onde λ de la radiation incidente de 860 nm. À cette longueur d’onde, il y a une très faible absorption due à la couleur dissoute. Cette longueur d’onde de la radiation incidente permet de s’affranchir des interférences dues à la couleur.

Répercussion de la norme EN ISO 7027

Cette norme impose donc la mesure à une longueur d’onde de 860 nm. La turbidité obéit à la loi de Rayleigh (7) et la sensibilité de la mesure diminue avec 1/λ⁴.

Donc, pour des eaux très riches en matières en suspension et grosses particules, l'interférence sera très importante.

À cette longueur d’onde, l’absorption des matières en suspension est très importante. Par contre, le signal du zéro à 860 nm est beaucoup plus faible qu’à 550 nm.

Nous avons donc voulu comparer les mesures de turbidité en utilisant les deux normes : la norme NFT 90 033 (4) et la norme NF ISO 7027 (5). Beaucoup d’appareils de mesure en continu à la SAGEP utilisent cette norme, et la validation des résultats est faite par un appareil de laboratoire utilisant la même longueur d’onde. L’ensemble des appareils est étalonné avec des solutions de formazine selon le protocole décrit dans les deux normes.

Nous avons voulu comparer la fidélité de différents appareils :

* Appareils mesurant en continu selon les deux normes ; * Appareils mesurant en laboratoire selon les deux normes.

Pour les appareils mesurant avec une longueur d’onde de 860 nm, deux technologies existent aujourd’hui sur le marché :

> lampe à infrarouge équipée de filtres ; > diode.

Le tableau 1 résume les résultats de fidélité obtenus sur un même échantillon d'eau avec différents appareils.

On constate à la lumière de ces deux tableaux (1 et 2) une fidélité bien meilleure pour les analyseurs en continu.

Une différence est également importante dans les données de fidélité entre les deux longueurs d’onde : la fidélité est meilleure pour la mesure à 550 nm ; ceci est très net en particulier dans la gamme de faible turbidité dans laquelle nous avons testé les appareils et ceci confirme la moins bonne sensibilité lors de la mesure à la longueur d’onde de 860 nm.

Néanmoins, à cette longueur d’onde, on note une meilleure fidélité pour les appareils utilisant une diode.

Étude comparative sur des échantillons d’eaux naturelles

Cette étude a été réalisée sur un très grand nombre d’échantillons d’eaux d’origines différentes ayant des niveaux de turbidité variés. Les résultats sont classés en différentes catégories :

Eaux de surface

Il s'agit d’eaux dont la turbidité dans notre étude variait entre 5 et 45 NTU. Le graphique 1 montre une relation linéaire entre les résultats obtenus par la mesure en infrarouge et ceux obtenus par la mesure dans le visible.

Le tableau 3 donne les moyennes et écarts types observés.

On constate donc une différence moyenne de 45 % entre les deux mesures, mais l’écart type des différences est très élevé ; la diffé-

Tableau 2 : Comparaison de la fidélité obtenue avec des analyseurs en continu

[Graphique 1 : Comparaison de la turbidité sur des eaux de surface]

L’écart observé entre les mesures dépend nettement de la nature et de la taille des particules.

Eaux de surface en cours de traitement

Nous avons sélectionné des eaux sur des filières de traitement après des étapes de décantation ou de préfiltration dont la turbidité est très souvent supérieure à 0,2 NTU. Le tableau 4 montre une dispersion très élevée des écarts, tout comme pour les eaux superficielles.

Eaux de surface traitées et eaux souterraines non influencées par des eaux de surface

Un grand nombre d’analyses ont été faites sur ces eaux. Le tableau 5 résume ces résultats. Il montre là encore des valeurs de turbidité toujours plus élevées avec la mesure en Infrarouge, mais, vu les données de fidélité trouvées pour cette mesure, on peut considérer qu’à ces niveaux de turbidité les écarts ne sont pas significatifs.

Enfin, nous avons analysé des eaux souterraines influencées par les eaux de surface. Le graphique 2 montre là encore pour ces eaux issues de la même région une relation linéaire entre la méthode Infrarouge et la mesure dans le visible avec une augmentation moyenne de 30 %, l’écart étant d’autant plus important que la turbidité est élevée.

Tableau 3 : Moyennes et écarts types observés

Mesure InfrarougeMesure visible NTUÉcart% Augmentation
Nombre de mesures : 1919
Moyenne : 1393,745
Écart type : 8,762,928

Tableau 4 : Dispersion très élevée des écarts, tout comme pour les eaux superficielles

Mesure infrarouge FNUMesure visible NTUÉcart% Augmentation
Nombre de mesures : 2525
Moyenne : 0,990,680,3049
Écart type : 0,680,570,2334

Tableau 5

Mesure visible NTUMesure IR FNUÉcart
Nombre de mesures : 118118
Mini : 0,030,050
Maxi : 0,200,490,23
Moyenne : 0,0690,120,051
Écart type : 0,0280,051
[Graphique 2 : Comparaison mesure de la turbidité sur des eaux de source]

L’écart observé entre les valeurs obtenues par des appareils mesurant des longueurs d’onde différentes est d’autant plus important que la turbidité est élevée.

Ceci est particulièrement important vu les nouvelles valeurs de turbidité fixées par le décret 2001-1220 pour lesquelles des seuils de 0,5 FNU et 2 FNU ont été fixés. L’utilisation d’appareils respectant la norme EN ISO 7027 est donc indispensable pour la vérification de ces différents seuils, car les corrélations établies dans le cadre de cette étude l’ont été pour des eaux ayant toujours la même origine.

Les coefficients trouvés ne peuvent pas être appliqués à tous les types d’eau, car la taille et la nature des particules jouent un grand rôle et chaque eau peut avoir un comportement très différent.

Conclusion

Cette étude a montré des résultats divergents suivant la longueur d’onde utilisée. Ces écarts sont très importants pour des turbidités élevées, mais pour des turbidités inférieures à 0,3 NTU (mesure dans le visible) on peut considérer, vu les données de fidélité de chaque mesure, que les valeurs sont équivalentes.

Références bibliographiques

1. Décret 2001-1220 du 20/12/01 paru au J.O. du 22/12/01 relatif aux eaux destinées à la consommation humaine, à l’exclusion des eaux minérales naturelles.

2. Montiel (A), Welté (B), « Importance de la turbidité pour la désinfection de l’eau », Espace Labo n° 18, 1995.

3. Montiel (A), Welté (B), « Importance de la turbidité de l’eau sur le risque microbiologique, notamment le risque parasite », Séminaire Fontainebleau, les 4 et 5 mars 1997.

4. Norme AFNOR NFT 90 033 juin 1982.

5. Norme EN ISO 7027 décembre 1999.

6. Mie (G) 1908.

7. Huber (P), Frost (M), « Light scattering by small particles », J. Water SRT Aqua, Vol. 47, n° 2, pp. 87-94.

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