La filtration tangentielle sur membrane constitue désormais un outil utilisable dans le cadre de la production d’eau potable. Ses qualités s’expriment pleinement lorsque, à lui seul, sans réactif, il représente l’alternative à plusieurs étapes de traitement conventionnel.
Une des spécificités de la production d’eau potable par rapport aux autres applications de la filtration sur membrane réside dans la nécessité de fournir un débit de filtrat stable durant de longues périodes. Dans cette optique, le choix du seuil de coupure de la membrane représente un enjeu majeur lors de la définition d’une unité. Son accroissement permet d’obtenir un débit de filtrat initial supérieur, cependant il expose à des risques plus importants de colmatage. En l’absence de traitement complémentaire, l’ajustement en cours d’exploitation des paramètres de fonctionnement ne peut enrayer ce phénomène que dans une mesure limitée ; de plus, la construction initiale fige une bonne part des grandeurs influentes sur la production.
Un essai-pilote permet de rechercher la membrane la mieux adaptée aux spécificités de l’eau à traiter et de délimiter plus précisément les conditions de fonctionnement qui l’accompagnent. La présente étude a permis de mener ces investigations sur une eau riche en matières en suspension à caractère minéral.
Ce document relate la démarche empruntée et les résultats obtenus.
L’eau brute
L'eau brute utilisée provient d’un canal EDF situé en aval du barrage de Serre-Ponçon. Elle subit des dégradations très fréquentes qui se traduisent en premier lieu par l’accroissement de la turbidité. Le tableau I relève l’ampleur des taux de matières en suspension rencontrés à ces occasions et au cours de l’étude. La faible valeur du COT, présentée dans le tableau II, avec les autres éléments caractéristiques de l'eau brute, confirme le caractère minéral des particules en cause. L'ensemble des essais a été réalisé avec de l'eau brute préfiltrée (seuil de coupure 200 µm).
Tableau ITaux de MES dans l’eau brute
Matières en suspension |
– Moyenne annuelle : 80 mg/l |
– Maxima mensuels : 500 à 1 400 mg/l |
– Maxima exceptionnels : 5 000 à 11 000 mg/l |
– Moyenne durant l’étude : 70 mg/l |
– Maximum durant l’étude : 950 mg/l |
Membranes testées
Les tests portent sur deux membranes. Elles représentent les deux classes de filtration qui se sont développées dans le cadre de la production d’eau potable. Il s’agit d’une membrane minérale de microfiltration et d’une membrane organique d’ultrafiltration.
Pour chacune, un pilote permet de mettre en œuvre un élément de base d’une unité industrielle, soit un module dans le cas de l’ultrafiltration et un monolithe pour la microfiltration.
[Photo : Fig. 1 : Débit initial de filtrat en fonction de la pression transmembranaire.]
Tableau II
Caractéristiques de l’eau brute relevées au cours de l’étude.
Fer (moyenne) | 0,1 mg/l |
Manganèse (moyenne) | 25 µg/l |
Aluminium (moyenne) | 0,09 mg/l |
Oxydabilité (moyenne) | 1,2 mg O₂/l (KMnO₄,H⁺) |
TAC (moyenne) | 22 °F |
TH (moyenne) | 25 °F |
[Photo : Fig. 2 : Influence de la fréquence de contre-lavage sur le débit de filtrat.]
Tableau III
Caractéristiques des éléments de membrane utilisés.
Caractéristique | Microfiltration | Ultrafiltration |
seuil de coupure | — | 50 000 daltons |
diamètre moyen des pores | 0,2 µm | — |
diamètre intérieur des canaux | 2,5 mm | 0,5 mm |
surface installée | 0,12 m² | 12,5 m² |
matériau de la membrane | TiO₂ | polysulfone |
Le tableau III décrit leurs caractéristiques. (Pour faciliter la comparaison, tous les débits sont ramenés à 1 m² de membrane (débit spécifique) et 15 °C).
Recherche des paramètres de fonctionnement
Vitesse de circulation - pression transmembranaire
La vitesse de circulation doit permettre d’obtenir un effet de cisaillement efficace. L’augmentation de la pression transmembranaire entraîne l’augmentation du débit de filtration.
Pour une vitesse donnée, les mesures de débit instantané, en faisant varier la pression transmembranaire, permettent de déterminer les meilleures conditions de fonctionnement.
La figure 1 donne un exemple des résultats obtenus lors des essais de ce type en utilisant la membrane d’ultrafiltration.
La fin de l’évolution linéaire marque la limite de la pression au-dessus de laquelle la vitesse cesse de jouer son rôle.
Ces résultats mettent en évidence le compromis nécessaire à observer entre le bénéfice de l’augmentation de la pression transmembranaire et l’accroissement de la vitesse de circulation qu’elle impose. Le tableau IV indique les paramètres retenus pour la phase de production d’eau.
Le diamètre intérieur des canaux de la microfiltration induit une vitesse de circulation supérieure à celle de l’ultrafiltration.
Fréquence de contre-lavage
Pour les deux pilotes, les contre-lavages consistent à renvoyer de l’eau filtrée à travers la membrane dans le sens inverse à la production (back-flush). Cela est réalisé grâce à une pompe en matière d’ultrafiltration et par de l’air sous pression qui déforme la surface supérieure d’une réserve d’eau dans le cas de la microfiltration. Des essais réalisés à différentes fréquences de contre-lavage permettent d’estimer, pour une qualité d’eau donnée, l’incidence de cette opération sur la stabilité du débit.
La figure 2 donne l’exemple pour une eau de turbidité moyenne, de l’évolution dans le temps du débit de filtrat pour deux fréquences de contre-lavage.
La multiplication des contre-lavages, généralement bénéfique, trouve sa limite dans les pertes en eau et en temps de production qu’elle occasionne. Un compromis prévaut également pour ce paramètre.
Le tableau IV expose les valeurs retenues dans le cas d’une turbidité moyenne.
Tableau IV
Paramètres de fonctionnement retenus pour les deux pilotes.
Paramètre | Ultrafiltration | Microfiltration |
Vitesse de circulation | 0,4 – 0,5 m/s | 4 m/s |
Pression transmembranaire | 1,3 bar | 1 bar |
Fréquence de contre-lavage | 4 par heure | 16 par heure |
Essais en parallèle
La phase première de l’étude a déterminé les conditions de mise en œuvre respectivement favorables à chaque membrane. Ces données ont permis de conduire des essais de longue durée avec un fonctionnement en parallèle des deux unités pilotes alimentées par la même eau préfiltrée (seuil de coupure 200 µm).
[Photo : Fig. 3 : Tests parallèles – Ultrafiltration : Évolution du débit de filtrat.]
[Photo : Fig. 4 : Tests parallèles – Microfiltration : Évolution du débit de filtrat.]
Les figures 3 et 4 donnent l’évolution des débits observés au cours d’une journée pilote à l’occasion d’un essai représentatif. La supériorité initiale du débit de microfiltration diminue très vite. Au bout de cinq heures de fonctionnement, les deux flux de filtrat sont
Tableau V
Caractéristiques de l’eau brute et des eaux filtrées. Test en parallèle.
Paramètre | Eau brute | Eau ultrafiltrée | Eau microfiltrée |
Turbidité NTU | 46 | 0,3 | 0,4 |
MES mg/l | 42 | non mesurable | non mesurable |
Fer mg/l | 0,1 | < 0,01 | 0,04 |
Manganèse µg/l | 15 | < 5 | 9 |
Aluminium mg/l | 0,07 | < 0,01 | < 0,01 |
COT mg C/l | 1 | 0,8 | 0,8 |
équivalents. Ils se stabilisent tous deux aux environs de 50 l/h·m². Les analyses réalisées durant cet essai, regroupées dans le tableau V, dénotent une bonne qualité physico-chimique des deux eaux filtrées. La différence ne peut être considérée comme significative.
Conclusion
Pour les deux membranes testées, la première partie de l’étude a consisté à définir les paramètres de fonctionnement favorables pour l’eau à traiter. Lors des essais en parallèle, selon les conditions définies précédemment, les débits spécifiques de filtrat se sont stabilisés dans les deux pilotes à des valeurs équivalentes. Par ailleurs, les deux eaux filtrées présentent de bonnes qualités physico-chimiques, très peu différentes. Ainsi, ni le débit spécifique de filtrat, ni la qualité de celui-ci ne compensent le surcoût d’investissement que la construction d’une unité de microfiltration avec membrane minérale engendrerait par rapport à une installation d’ultrafiltration. De plus, l’ultrafiltration correspond à la vitesse de circulation la plus faible, et donc au moindre débit de recirculation et à un coût énergétique diminué. Ainsi, les avantages de la membrane d’ultrafiltration testée s’imposent dans le cas spécifique d’une eau riche en matières en suspension à caractère minéral.
Dans cette étude, les traitements complémentaires n’ont pas été abordés. Une coagulation ou une oxydation pratiquées en amont de la membrane de microfiltration permettraient d’augmenter les performances de celle-ci ; par contre, cela diminuerait l’intérêt présenté par cette technique.
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