Essais d'épuration mixte des vinasses de distillerie d'eaux de vie

J.-M. CORAJOUD, Ing. Chimiste SORACHIM (Lausanne).

1ʳᵉ PARTIE

ESSAIS EXPLORATOIRES DE LABORATOIRE

1. OBJECTIF DES ESSAIS

En Valais, la production d’eaux-de-vie de fruits (Williamine, Abricotine et Pomme notamment) est un débouché traditionnel de l'arboriculture. Cette production se localise plutôt dans le Valais Central avec un centre principal (Martigny) et plusieurs petites localités où opèrent soit des distilleries fixes, soit des distilleuses ambulantes.

Cette activité a une double caractéristique :

• * elle est saisonnière : la durée de distillation varie, dans ces communes, de quelques jours à trois mois,
• * elle est polluante, en tout cas relativement à la pollution domestique de ces communes de petite taille (de l’ordre de 1000 habitants) : la charge en DBO₅ à traiter, avec une distilleuse de taille moyenne (3 à 4 tonnes/jour de fruits) passera du simple au double en période de distillation.

Plusieurs communes du Valais Central ont projeté et réalisé leur station d'épuration en période de « surchauffe » pendant laquelle on prévoyait un fort essor industriel et démographique de ces communes. Cela explique pourquoi, à l'heure actuelle, certaines stations possèdent des capacités excédentaires qu'il est opportun d'utiliser.

L'objectif de ces essais est donc de vérifier les possibilités d’épuration mixte des vinasses dans les STEP (Stations d’épuration) des petites communes qui fonctionnent toutes selon le procédé des boues activées en aération prolongée (« oxydation totale »). Une attention particulière est portée aux trois points suivants :

• ° neutralisation préalable des vinasses,
• ° élimination préalable des matières en suspension,
• ° acclimatation des boues domestiques au mélange mixte.

2. MATÉRIEL EXPÉRIMENTAL ET CONDITIONS DE TRAITEMENT

L'expérimentation s'est déroulée dans le Laboratoire d’Essais de Traitement des Eaux Usées de la société SORACHIM de Lausanne. On a disposé de deux petits pilotes de laboratoire de dimensions identiques. Chacun est constitué d'une cuve d'activation de capacité utile de 13,5 litres brassée et aérée par insufflation de bulles moyennes. La cuve d’activation est suivie d'une cuve de décantation secondaire d'un volume de 6 litres environ. Les boues secondaires sont recyclées par une pompe péristaltique de débit 5-10 litres par heure.

Lorsqu'on projette les stations d'épuration communales, on considère que l'ensemble de la pollution journalière est émise durant 14 heures par jour. Pour reproduire ces conditions, chaque période de 24 heures est scindée en une période d’alimentation des pilotes de 14 heures (à débit constant) suivie d'une période sans alimentation de 10 heures. L'alimentation est assurée par une pompe péristaltique. Les boues qui n’auraient pas été prises par cette pompe sont admises en une seule fois à la fin de la période d’alimentation de 14 heures.

3. PROGRAMME D’ESSAIS

Le Pilote 1 fait l'objet d'une durée d’expérimentation de 28 jours se décomposant comme il suit :

• ° 6 jours d’acclimatation des boues « urbaines » à l'effluent mixte.
• ° 4 jours d'épuration d'un mélange mixte : effluent urbain brut + vinasses filtrées.
• ° 18 jours d’épuration d'un mélange mixte : effluent urbain brut + vinasses brutes.

Effluent.

Le Pilote 2 fait l’objet d’une durée d’expérimentation de 19 jours, se décomposant comme il suit :

• 2 jours d’acclimatation des boues. • 17 jours d’épuration d’un mélange mixte : Effluent urbain + Vinasses filtrées.

Ces conditions ont pour but de comparer :

• deux régimes d’acclimatation des boues. • le fonctionnement d’un traitement biologique sans décantation primaire avec et sans filtration des vinasses (prétraitement d’élimination des matières en suspension qui peut s’avérer nécessaire en première analyse).

4. CARACTÉRISTIQUES DES EFFLUENTS MIXTES À TRAITER

La Vinasse est issue de la distillation de poires William fermentées. Un échantillon moyen de celle-

PILOTE N° 1 : RÉSULTATS

TABLEAU II

PILOTE N° 2 : RESULTATS

I. ACCLIMATATION

II. VINASSES BRUTES + EFF. URBAIN

TABLEAU II

Ci présente la composition suivante : DBO₅ = 27 600 mg/l, DCO au bichromate = 60 000 mg/l, Matières Sèches Totales = 56 500 mg/l, Matières Sèches Volatiles = 50 700 mg/l, Matières en Suspension Totales = 26 600 mg/l, Matières Volatiles en Suspension = 24 500 mg/l, pH = 3,3.

Cet effluent est mélangé dans des proportions contrôlées, à un effluent prélevé à l'entrée de la Station d'Épuration de Pully (canton de Vaud) qui dessert environ 15 000 habitants sans industries. L'effluent urbain est prélevé en aval des installations de dégrillage, de dessablage et de dilacération. Il contient néanmoins les retours de la digestion anaérobie des boues. Les vinasses représentent entre 50 et 83 % de la charge totale en DBO₅ alimentée au pilote n° 1 et entre 60 et 86 % de la charge alimentée au pilote n° 2.

Par ailleurs, un échantillon de boues activées est prélevé, dans tous les cas, juste à la fin de la période d’alimentation de 14 heures.

5. ANALYSES DE CONTROLE

Pour chaque période de 24 heures, il est prélevé dans les cuves de stockage des effluents à traiter et traités :

• un échantillon moyen d'entrée,

• un échantillon moyen de sortie.

Par ailleurs, un échantillon de boues activées est prélevé, dans tous les cas, juste à la fin de la période d'alimentation de 14 heures.

Les échantillons moyens journaliers font l'objet de mesures de DBO₅ sur eau brute. Sur l'effluent de sortie, on procède en outre à une mesure de DBO₅ sur eau filtrée.

L'échantillon de boues activées est soumis à une décantation d'une demi-heure et d'une heure dans un cône Imhoff. Une fraction aliquote permet la détermination de la concentration en Matières en Suspension Totales (après centrifugation) et en Matières en Suspension Volatiles.

ANALYSES COMPLÉMENTAIRES

PILOTE N° 1

EFFLUENT DE SORTIE

TABLEAU III

Enfin, pour le pilote 1, qui a fait l'objet de la durée d'observation la plus longue (28 jours), on a consti- tué des échantillons moyens de 3 jours à partir des échantillons moyens journaliers de sortie, gardés sous congélation, pour la période du 24 avril au 12 mai, soit celle où ce pilote épurait un mélange mixte constitué de vinasses brutes. Sur ces échan- tillons moyens de sortie de 3 jours, on a mesuré les matières en suspension totales, le DOC (Dis- solved Organic Carbon) et la DCO (sur eau filtrée).

6. RÉSULTATS PRINCIPAUX

Dans les tableaux 1, 2, 3, nous avons indiqué les résultats des analyses de contrôle définies précédem- ment. En outre, sont reportés dans ces tableaux les résultats du calcul :

• du rendement d’élimination de la DBO5,
• de la charge massique appliquée aux boues activées,
• de la charge volumique appliquée à la cuve d'activation.

6.1. DBO5

D’une façon globale, une fois la période d'acclima- tation achevée, les valeurs de DBO5 observées à la sortie des deux pilotes sont les suivantes :

Il convient de remarquer tout d’abord qu'en moyenne, la DBO5 de sortie (10,9 sur eau brute) est inférieure à celle de l’Ordonnance Fédérale du 8-12-75 (20 mg/l). Sur les 36 valeurs observées, 3 seulement sortent de cette norme : pour le pilote 1, les 24 avril et 29 avril ; pour le pilote 2, le 24 avril.

Le rendement d'élimination de la DBO5 est compris entre 92,9 % et 99,1 %, la moyenne étant de 96,9 % (36 valeurs). Enfin, on observe que les valeurs obte- nues sur eau brute (10,9 mg/l) et sur eau filtrée (7,8 mg/l) ne diffèrent que de 3,1 mg/l, concentration à imputer à la DBO5 des matières en suspension perdues à la sortie, dont nous analysons ci-après la concentration.

6.2. Matières en suspension totales

La concentration en matières en suspension totales mesurée dans les 6 échantillons moyens de 3 jours définis au chapitre 5 se situe 5 fois sur 6 en deçà de 10 mg/l et une fois à la valeur de 14 mg/l. Cela démontre que la décantation secondaire peut s'opérer correctement malgré le gonflement des boues que nous décrivons plus loin.

6.3. Autres paramètres

Dans les mêmes échantillons, le DOC (Carbone Organique Dissous) est compris entre 8 et 12 mg/l. Enfin, la DCO (au bichromate) se situe entre 23 et 39 mgO₂/l (sur eau de sortie filtrée).

7. CINÉTIQUE DE L'ÉPURATION BIOLOGIQUE DES VINASSES PAR LES BOUES ACTIVÉES

L'épuration biologique aérobie est régie par l'équa- tion cinétique générale suivante :

R · Cm = 24 · K · S

avec

° R : rendement d’élimination de la DBO, calculé au moyen de la DBO5 brute à l'entrée du stade biologique et de la DBO5 dissoute à la sortie. ° Cm : charge massique appliquée en kgDBO5/kgMVS·jour. ° S : DBO5 dissoute de sortie en g/l (ou kg/m³). ° K : coefficient cinétique de transformation de la DBO5 en m³/kgMVS·heure.

Nous avons appliqué cette équation au cas de l'épuration mixte des vinasses et obtenu les résultats suivants :

7.1. Vinasses filtrées mélangées à un effluent urbain « domestique »

Pour les périodes du 20 au 24-4-78 (pilote 1) et du 18-4 au 3-5-78 (pilote 2), les résultats moyens sont les suivants :

° R = 0,979 ° Cm = 0,237 kgDBO5/kgMVS·jour ° S = 0,0084 gDBO5/l

soit K = 1,15 m³·kgMVS⁻¹·heure⁻¹ à 20 °C (± 1 °C) les vinasses représentant en moyenne 73 % de la charge en DBO₅ à épurer.

7.2. Vinasses brutes mélangées à un effluent urbain « domestique »

Pour la période du 24-4 au 12-5-78 où le pilote 1 ne recevait que des vinasses brutes mélangées aux effluents de Pully :

• • R = 0,974
• • Cm = 0,180 kgDBO₅/kgMVS·jour
• • S = 0,0080 gDBO₅/m³

soit K = 0,91 m³·kgMVS⁻¹·heure⁻¹ à 20 °C (± 1 °C) les vinasses représentant en moyenne 62 % de la charge en DBO₅ à épurer.

7.3. Discussion

En première analyse, il apparaîtrait que la vitesse d’élimination de la DBO₅ est plus élevée avec les vinasses filtrées qu’avec les vinasses brutes. Néanmoins, la différence observée (de l’ordre de 30 %) ne nous semble pas significative, notamment parce que K augmente lorsque la charge massique s’accroît : il est alors logique que les vinasses filtrées (Cm = 0,237 en moyenne) aient présenté une cinétique plus élevée que les vinasses brutes (Cm = 0,180 en moyenne).

En conclusion, il n’est pas permis d’affirmer, pour la charge massique utilisée ici (0,2 environ) que l’élimination préalable des matières en suspension des vinasses ait une influence significative sur la vitesse d’élimination de la DBO₅.

8. DÉCANTATION SECONDAIRE DES BOUES ACTIVÉES

Nous avons reporté au graphique 1 les valeurs de l’Indice de Mohlmann et de la charge massique appliquée en fonction du temps. On peut observer les phénomènes suivants :

• • pendant les 7 premiers jours, les indices de Mohlmann se situent aux alentours de 100 ml/g ;
• • puis, à partir du huitième jour, l’indice de Mohlmann croît régulièrement pour atteindre un « palier » à 300 ml/g environ pour le pilote 1 (vinasses brutes) et à 350 ml/g environ pour le pilote 2 (vinasses filtrées) ;
• • enfin, dès le 25ᵉ jour, l’Indice de Mohlmann observé pour le pilote 1 décroît régulièrement, probablement grâce à l’influence de l’addition de FeCl₃ pour la déphosphatation, addition débutant le 23ᵉ jour à doses progressives contrôlées.

Il apparaît donc que le traitement mixte des vinasses engendre un gonflement des boues activées, mais que, comme l’attestent les résultats obtenus pour les matières en suspension à la sortie des pilotes, ce gonflement n’empêche pas de clarifier la liqueur mixte, à condition d’adapter les dimensions du décanteur secondaire à une vitesse de décantation plus lente.

Il est remarquable de constater que l’effluent mixte constitué avec les vinasses filtrées conduit à des Indices de Mohlmann (288 à 376 ml/g) plus élevés que ceux correspondant à l’effluent mixte avec vinasses brutes (230 à 335 ml/g). Cela démontrerait que l’élimination préalable des matières en suspension des vinasses ne changerait rien au gonflement des boues (tout au moins pour un travail à une charge massique voisine de 0,2).

Par ailleurs, pour les durées d’acclimatation choisies ici (6 jours pour le pilote 1 et 2 jours pour le pilote 2), il est également remarquable que le gonflement des boues ait semblé indépendant de cette durée d’acclimatation. Néanmoins, les résultats de ces observations à charge massique voisine de 0,2 ne préjugent pas de ceux qu’on pourrait obtenir à des charges massiques plus faibles ou plus fortes.

9. CONCLUSION SUR LES ESSAIS EXPLORATOIRES

Ces essais exploratoires d’épuration mixte des vinasses de distillerie d’eaux-de-vie de fruits ont démontré que celles-ci étaient traitables par le procédé des boues activées sans décantation primaire à une charge massique voisine de 0,2 kg DBO₅/kgMVS·jour.

L’élimination préalable des matières en suspension (en dehors des noyaux et, le cas échéant, des matières fibreuses obstruant les conduites) n’est pas nécessaire.

La neutralisation préalable des vinasses (qui a été évitée au cours de ces essais) ne devrait concerner que le cas des rejets dans une canalisation publique (protection des ouvrages) ou celui d’eaux usées très douces.

La durée d’acclimatation des boues domestiques à l’effluent mixte (en tous cas pour des durées de 2 à 6 jours) ne semble pas avoir d’influence sur le gonflement des boues. Mais ce dernier constitue vraiment la contrainte principale pour une épuration mixte à faible charge bien qu’il soit possible d’obtenir des surnageants de décantation limpides comme l’attestent les résultats obtenus ici.

La seconde partie de cet article présentera les résultats des essais industriels conduits pendant près de deux mois à la station d’épuration de Sion-Uvrier, en Valais.